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Date : 20160217


Dossier : IMM-3600-15

Référence : 2016 CF 216

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 février 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

THECLA SENDWA

demanderesse

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il est primordial de veiller à ce que la législation soit lue, en tenant compte de l’exposé des faits devant un décideur, plutôt que de séparer la législation de l’espèce; autrement, la législation serait tout simplement lue et examinée dans l’abstrait, sans tenir compte de l’exposé des faits qui doit être examiné à la lumière de la législation, laquelle permet de parvenir à un résultat, et par conséquent, à une décision. Si l’exposé des faits n’est pas examiné à la lumière de la législation, alors la législation est examinée dans l’abstrait, oubliant qui est devant la loi. Dans l’affirmative, pourquoi est­ce qu’un décideur ou un tribunal écouterait un cas?

[2]               Dans B010, ci­dessous, la Cour suprême a réitéré le principe de longue date selon lequel l’interprétation des lois exige que la Cour « lise » les « termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e édition, 2014), au paragraphe 7; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559, au paragraphe 26 (B010, ci­dessous au paragraphe 29).

[3]               En ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 117(1)h) du RIPR, d’une part, le juge Peter B. Annis dans Jordano, ci­dessous, a déclaré que l’alinéa 117(1)h) du RIPR « vise les personnes qui n’ont pas de parenté au Canada et pour qui il est impossible de parrainer des membres de leur famille au titre d’une autre disposition » (Jordano, ci­dessous au paragraphe 9).

II.                Introduction

[4]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date du 29 juin 2015, dans laquelle la SAI a confirmé la décision du Haut­commissariat à Nairobi, au Kenya, de rejeter la demande de visa de résident permanent, au titre de « regroupement familial », de la nièce de la demanderesse.

III.             Contexte

[5]               Cette affaire tourne autour de l’interprétation de l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur la protection sur l’immigration et des réfugiés (DORS/2002­227) [RIPR]; à savoir, l’interprétation des mots « par ailleurs parrainée » au sous­alinéa 117(1)h)(ii) du RIPR.

[6]               La demanderesse, Thecla Sendwa, est une citoyenne canadienne. Elle a déposé une demande de parrainage de sa nièce, Naomi Karlo Sendwa (22 ans), citoyenne de Tanzanie, au titre de la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(1)h) du RIPR.

[7]               La demanderesse est arrivée au Canada en mars 2005, est devenue résidente permanente du Canada en octobre 2008; et, est devenue citoyenne canadienne en 2014. La demanderesse n’a pas de famille au Canada.

[8]               Dans une décision en date du 18 juin 2014, le Haut­commissariat à Nairobi, au Kenya, a rejeté la demande de parrainage au motif que les parents de la demanderesse étaient encore en vie; par conséquent, ce sont eux qui pourraient être parrainés. Par conséquent, Mme Naomi Sendwa, la nièce de la demanderesse, ne pouvait pas être parrainée aux termes de l’alinéa 117(1)h) du RIPR en raison du lien qui l’unit à la répondante conformément au raisonnement du Haut­commissariat.

IV.             Décision contestée

[9]               Dans une décision datée du 29 juin 2015, la SAI a rejeté l’appel et a confirmé les conclusions du Haut­commissariat. La SAI a conclu que Mme Naomi Sendwa n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(1)h) du RIPR étant donné que ce dernier traite de la capacité de la répondante à parrainer ses parents. La SAI a déclaré que, lors d’évaluation de l’alinéa 117(1)h) du RIPR, un agent n’avait pas à examiner la recevabilité ou l’irrecevabilité des parents du répondant, au sens des alinéas 117(1)a) à g) du RIPR. Étant donné que les parents de la demanderesse sont toujours en vie, Mme Naomi Sendwa n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial. Ainsi, la SAI a jugé qu’elle ne pouvait pas, en vertu de l’article 65 de la LIPR, examiner les motifs d’ordre humanitaire. (Veuillez voir ci­dessous qui parraine qui par rapport à la nomenclature de la loi afin d’éviter des confusions quant à savoir qui est le répondant et qui est la personne parrainée.)

V.                Position des parties

[10]           La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en lisant l’alinéa 117(1)h) du RIPR d’une manière trop restrictive, ce qui est frustrant et entrave l’objectif de la LIPR de réunir des familles. La SAI a mal interprété l’alinéa précité en créant une hiérarchie dans laquelle un répondant aurait l’obligation de parrainer un parent en recourant aux alinéas 117(1)a) à g) du RIPR avant d’invoquer l’alinéa 117(1)h) du RIPR (voir Jordano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1143 [Jordano]). Par ailleurs, la SAI a commis une erreur en lisant le sous­alinéa 117(1)h)(ii) du point de vue du membre de la famille au lieu du point de vue du résident permanent au Canada ou du citoyen canadien qui n’a pas de parenté au Canada (Mahmood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 RCF 563, au paragraphe 16). De ce fait, la demanderesse soutient que l’alinéa 117(1)h) du RIPR doit être interprété comme signifiant qu’un demandeur peut parrainer un parent au sens de l’alinéa 117(1)h) du RIPR si le répondant est non admissible à parrainer un membre de la famille au sens des alinéas 117(1)a) à g) du RIPR ou si un membre de la famille, au sens des alinéas 117(1)a) à g) du RIPR, est interdit de territoire au Canada.

[11]           En revanche, le défendeur soutient que l’alinéa 117(1)h) du RIPR doit être interprété comme signifiant que la possibilité de parrainer un parent, au sens des alinéas 117(1)a) à g) du RIPR, empêche un demandeur de parrainer un parent au sens de l’alinéa 117(1)h) du RIPR. En substance, la demanderesse ne peut pas parrainer sa nièce si les parents de la demanderesse peuvent être parrainés. Le défendeur reconnaît que cette interprétation de l’alinéa 117(1)h) du RIPR peut être sévère, compte tenu du fait qu’il se peut qu’un demandeur ait des parents au sens des alinéas 117(1)a) à g) qu’il ne souhaite pas parrainer. Néanmoins, selon le défendeur, c’est clairement l’intention de la loi. En outre, un demandeur peut par ailleurs déposer une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’article 25 de la LIPR, option que la demanderesse n’a pas exercée.

VI.             Questions en litige

[12]           Est­ce que le SAI a commis une erreur relativement à son interprétation et à l’application de l’alinéa 117(1)h) du RIPR?

VII.          Norme de contrôle

[13]           Il existe une présomption selon laquelle l’interprétation par la SAI du paragraphe 117(1) du RIPR fait entrer en jeu la norme de contrôle de la décision raisonnable étant donné qu’il faut déférer à l’interprétation donnée par les tribunaux administratifs de leurs propres lois constitutives ou de lois constitutives étroitement liées à leurs mandats (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, au paragraphe 25 [B010]).

[14]           La décision de la SAI est raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; et si son processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, [2008] 1 R.C.S 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VIII.       Analyse

[15]           La Cour est d’accord avec le demandeur sur le fait que l’interprétation par la SAI du sous­alinéa 117(1)h)(ii) du RIPR n’entre pas dans la gamme des issues possibles acceptables étant donné que la SAI a interprété cet alinéa du point de vue de l’étranger au lieu du point de vue du répondant.

[16]           En l’espèce, la demanderesse a témoigné sous serment et a également fourni un autre affidavit important indiquant qu’elle ne serait pas admissible à parrainer ses parents compte tenu du fait qu’elle ne répond pas aux exigences financières minimales; et, en tout état de cause, ses parents seraient inadmissibles au Canada en raison de l’état de santé de son père. La SAI a rejeté la demande de la demanderesse, car elle a conclu que les parents de la demanderesse pouvaient « être parrainés » du fait qu’ils sont toujours en vie. Les deux parties ont proposé une interprétation différente de l’alinéa 117(1)h).

[17]           Dans B010, ci­dessus, la Cour suprême a réitéré le principe de longue date selon lequel l’interprétation des lois exige que la Cour « lise » les « termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e édition, 2014), au paragraphe 7; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559, au paragraphe 26 (B010, ci­dessous au paragraphe 29).

[18]           En ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 117(1)h) du RIPR, d’une part, le juge Peter B. Annis dans Jordano, ci­dessus, a déclaré que l’alinéa 117(1)h) du RIPR « vise les personnes qui n’ont pas de parenté au Canada et pour qui il est impossible de parrainer des membres de leur famille au titre d’une autre disposition » (Jordano, ci­dessus au paragraphe 9).

[19]           Par ailleurs, une simple lecture des versions française et anglaise du sous­alinéa 117(1)h)(ii) du RIPR illustre la capacité d’un demandeur à parrainer la demande d’entrée au Canada d’un étranger; aucune des versions n’évoque la recevabilité éventuelle d’un étranger et elles n’abordent pas non plus la capacité de l’étranger à être parrainé :

Regroupement familial

Member

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

h) tout autre membre de sa parenté, sans égard à son âge, à défaut d’époux, de conjoint de fait, de partenaire conjugal, d’enfant, de parents, de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de membre de sa famille qui est l’enfant d’un enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de parents de l’un ou l’autre de ses parents ou de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre des parents de l’un ou l’autre de ses parents, qui est :

(h) a relative of the sponsor, regardless of age, if the sponsor does not have a spouse, a common-law partner, a conjugal partner, a child, a mother or father, a relative who is a child of that mother or father, a relative who is a child of a child of that mother or father, a mother or father of that mother or father or a relative who is a child of the mother or father of that mother or father

(ii) soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant.

(ii) whose application to enter and remain in Canada as a permanent resident the sponsor may otherwise sponsor.

[Emphasis added.]

[20]           En outre, la Cour est d’avis que l’interprétation précitée de l’alinéa 117(1)h) du RIPR est corroborée par la conclusion du juge Annis dans Jordano, ci­dessus au paragraphe 4 :

[4]        Normalement, les demandes ne peuvent être présentées au titre de l’alinéa 117(1)h) s’il est possible de parrainer des membres de la famille en vertu de l’alinéa 117(1)c) parce que selon le sous­alinéa 117(1)h)(ii), il n’y a pas lieu de recourir à cette disposition si la personne est susceptible de voir sa demande « par ailleurs parrainée par le répondant » au Canada. Dans la mesure où la demanderesse pouvait normalement parrainer sa mère au titre de l’alinéa 117(1)c), il lui était impossible de la parrainer au titre de l’alinéa 117(1)h).

[Non souligné dans l’original].

[21]           En l’espèce, la SAI a jugé que la demande de la demanderesse avait été rejetée au simple motif que ses parents étaient en vie. La SAI n’a pas examiné la question de savoir si la demanderesse était (même) admissible à parrainer ses parents (ou en position de le faire). Par conséquent, la décision de la SAI est déraisonnable.

IX.             Conclusion

[22]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accordée et doit être réexaminée par un tribunal différemment constitué. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3600-15

 

INTITULÉ :

THECLA SENDWA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE :

Le 17 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Shannon Black

Pour la demanderesse

 

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shannon Black

Avocate­procureure

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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