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Date : 20160212


Dossier : IMM-1275-15

Référence : 2016 CF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 février 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

RASHID AMIN SIDDIQUE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le 3 octobre 2002, un agent d’immigration a conclu que le demandeur, M. Rashid Amin Siddique, a été interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité, en raison de son appartenance passée au mouvement mohajir quami Altaf [le MQM-A], une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée au terrorisme. M. Siddique a ensuite demandé une dispense ministérielle pour son interdiction de territoire, en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi] qui régissait ces demandes à l’époque pertinente. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a refusé la demande de dispense ministérielle de M. Siddique le 24 février 2015.

[2]               M. Siddique présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre et soutient que la décision est déraisonnable; le ministre a commis une erreur en concluant qu’il était invraisemblable que le demandeur ne soit pas au courant de l’utilisation de tactiques terroristes du MQM/MQM-A, et en concluant que son appartenance passée au MQM/MQM-A était un élément décisif de la demande.

[3]               Le point de vue de M. Siddique est que la décision du ministre, selon laquelle la présence continue de M. Siddique au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national, repose presque exclusivement sur son appartenance passée au MQM/MQM-A, ce qu’il ne peut pas changer. M. Siddique estime que le ministre a omis de tenir compte de ses efforts pour vivre paisiblement au Canada depuis plus de 20 ans et qu’en conséquence, la dispense ministérielle est illusoire.

[4]               Bien que le point de vue du demandeur soit compréhensible, il n’y a aucune erreur dans la décision du ministre. La décision du ministre est discrétionnaire et démontre une grande déférence. La décision est fondée sur une évaluation approfondie de tous les éléments de preuve et de tous les facteurs pertinents et reflète l’orientation de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 [Agraira].

[5]               La demande de contrôle judiciaire de M. Siddique est rejetée.

I.                   Contexte

[6]               M. Siddique est arrivé au Canada en décembre 1995 et a demandé l’asile en raison de ses opinions politiques et de son appartenance au MQM/MQM-A au Pakistan. Il s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés [CISR] en septembre 1998.

[7]               M. Siddique a présenté une demande de résidence permanente en février 1999. Il a été par la suite interrogé par l’Agence des Services frontaliers du Canada [ASFC] au sujet de ses activités au sein du MQM/MQM-A.

[8]               M. Siddique a été interrogé par un agent de Citoyenneté et Immigration [CIC] en août 2002. Le 3 octobre 2002, l’agent de CIC a déterminé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[9]               M. Siddique a demandé une dispense ministérielle concernant ce constat le 29 octobre 2002.

[10]           En mai 2008, l’ASFC a révélé son projet de recommandation de refuser la dispense ministérielle. M. Siddique a répondu par des observations.

[11]           En novembre 2012, un autre projet de recommandation a été divulgué, recommandant à nouveau que la dispense ministérielle soit rejetée.

[12]           M. Siddique s’est vu refuser la dispense ministérielle le 1er mai 2013. Par conséquent, sa demande de résidence permanente de 2002 a été rejetée le 15 juin 2013. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la dispense ministérielle. Le ministre a cependant convenu de réexaminer sa demande en raison de la décision de la Cour suprême du Canada dans Agraira.

[13]           Le 12 février 2014, l’ASFC a révélé son projet de recommandation à M. Siddique, recommandant à nouveau que la demande de dispense ministérielle soit rejetée. M. Siddique a répondu par des observations le 7 mai et le 17 novembre 2014.

[14]           La décision du ministre, qui est décrite plus en détail ci-dessous, est fondée sur des renseignements recueillis et analysés par l’ASFC et résumés dans une note d’information énonçant les facteurs pertinents, le processus de dispense ministérielle, les dispositions législatives pertinentes, le contexte factuel, les critères juridiques applicables à la dispense ministérielle et sa recommandation.

II.                Participation du demandeur au sein du MQM/MQM-A

[15]           La note d’information de l’ASFC décrit les activités du MQM et du MQM-A, et l’implication de M. Siddique fondée sur les renseignements qu’il a fournis.

[16]           M. Siddique a déclaré qu’il avait rejoint le MQM, une organisation politique légitime à Karachi, pour soutenir les droits des Mohajirs au Pakistan. De 1984 à 1993, il a travaillé en étroite collaboration avec son cousin, un membre éminent du MQM qui assistait à des réunions de la direction centrale du parti. Dans sa première entrevue avec CIC, il se décrivait lui-même comme un membre passif du MMQ, mais dans sa plaidoirie relative à la dispense ministérielle, il s’est lui-même qualifié de membre actif dont les responsabilités comprenaient l’organisation de rassemblements politiques, la décoration des rues pour les rassemblements et les manifestations, la distribution de pamphlets, l’affichage de bannières et la participation à des manifestations et à des rassemblements politiques. Il a décrit les rassemblements politiques auxquels il a participé pacifiquement.

[17]           Il a déclaré qu’après 1985, il y avait une violence généralisée à Karachi et que le gouvernement a blâmé le MQM pour des actes de violence qui étaient en fait commis par des terroristes soutenus par le gouvernement. Il a reconnu que le MQM s’était livré à des actes de violence en 1985, mais affirme ne pas y avoir participé.

[18]           En 1993, une scission au sein du MQM a entraîné la création des factions MQM-A et MQM-H. Dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], M. Siddique a déclaré qu’on avait reproché au MQM-A des incidents dont le MQM-H était responsable. Il a ajouté qu’il a déménagé à Karachi en 1993 en raison de la violence entre les deux factions, mais qu’en octobre 1994, il a été enlevé, battu et interrogé par des membres armés du MQM-H. Sa famille a payé une rançon pour obtenir sa libération, et il est ensuite resté discret et a cessé ses activités avec le MQM-A.

[19]           En décembre 1994, il a dû se cacher à la suite d’une agression et de menaces des membres du MQM-H à la recherche de son cousin. Le demandeur et son cousin ont été faussement accusés de la mort d’un membre éminent du MQM-H et son nom a été placé sur la liste des organisations terroristes du gouvernement pakistanais.

[20]           Après avoir appris que son cousin avait été arrêté, torturé et tué en octobre 1995, il a fui le Pakistan et est arrivé au Canada en décembre 1995.

[21]           M. Siddique a assisté à des réunions du MQM au Canada entre 1995 et 1998 et a fait plusieurs petites contributions financières à l’organisation. Dans son entrevue avec CIC et dans ses observations de 2002 et 2008, il a décrit sa participation comme minime et affirmé qu’il n’avait participé à aucune manifestation et qu’il n’avait pas répondu aux appels téléphoniques de l’organisation depuis 1998. Toutefois, dans sa demande de résidence permanente de février 1999, il a déclaré qu’il se considérait toujours comme un membre, et dans son entrevue de juillet 1999, il a déclaré qu’il assistait toujours aux réunions.

[22]           Dans ses observations de 2008, M. Siddique notait que la politique au Pakistan impliquait des actes de violence. Cependant, il ne considérait pas le MQM/MQM-A comme une organisation terroriste, et il croyait que l’organisation prônait la paix et s’opposait à la violence. Il a affirmé que le MQM-H et le gouvernement pakistanais étaient responsables de la violence. Il a également soutenu qu’il était un membre de bas niveau au parti, qu’il n’avait pas une position d’influence, s’opposait à la violence et n’avait pas participé à des activités violentes. Il a déclaré avoir appris que le MQM/MQM-A s’était livré à des activités criminelles après son arrivée au Canada et s’en est alors distancé. Il a expliqué que les membres au Pakistan n’avaient pas accès à cette information et bien que lui-même ait eu un peu d’information, les dirigeants du MQM/MQM-A affirmaient que ces allégations étaient de la propagande gouvernementale sans fondement.

[23]           Dans ses observations de 2014, il a déclaré qu’il n’avait jamais allégué que le MQM/MQM-A n’avait jamais participé à des actes violents; il avait plutôt soutenu qu’il n’était pas au courant que l’organisation provoquait la violence. Il a également soutenu que toutes les formes de violence ne constituent pas du terrorisme.

III.             La décision du ministre

[24]           Comme indiqué ci-dessus, la note d’information de l’ASFC comprend la recommandation du président de l’ASFC selon laquelle la dispense ministérielle ne devrait pas être accordée. Le ministre a approuvé la recommandation et a indiqué dans sa déclaration : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que la présence de M. Rashid Amin Siddique au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Je refuse la dispense ».

[25]           Les motifs de la décision du ministre sont, par conséquent, les motifs exposés dans la note d’information de l’ASFC [arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Khalil, 2014 CAF 213, au paragraphe 29, 464 NR 98].

[26]           L’ASFC a noté que, bien que les faits diffèrent, les principes établis par la Cour suprême du Canada dans Agraira concernant l’application du paragraphe 34(2) s’appliquent.

[27]           L’ASFC a conclu que la preuve concernant la participation de M. Siddique, d’abord au sein du MQM, puis du MQM-A, soutient la conclusion qu’il participait activement au sein du MQM/MQM-A, et que sa participation n’était pas négligeable.

[28]           En réponse à l’allégation de M. Siddique selon laquelle il s’était toujours opposé à la violence, qu’il n’avait pas participé à des activités violentes et n’était pas dans une position d’influence dans l’organisation, l’ASFC a conclu que, malgré tout, ses activités politiques et son soutien financier ont bénéficié au MQM/MQM-A dans l’ensemble, une organisation pour laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée à des actes de terrorisme.

[29]           Le fait que M. Siddique a reconnu qu’il avait évité les violences qui ont eu lieu lors des manifestations de 1985 a permis d’établir qu’il était conscient que le MQM se livrait à des actes de violence. Il a également admis être au courant des affrontements entre le MQM-A et le MQM-H au début des années 1990, notamment l’affrontement violent de 1994 entre ces factions, qui avait eu lieu dans son quartier et avait fait des victimes.

[30]           L’ASFC a fait référence aux observations de M. Siddique dans lesquelles il conteste le fait que l’ASFC a pris en considération le fait que son nom figure sur une [traduction] « liste de terroristes », soutenant que cela était dû à de fausses accusations criminelles résultant de l’affrontement de 1994. L’ASFC a toutefois précisé qu’elle n’a pas présumé qu’il avait été complice d’actes de terrorisme ou y avait participé parce que son nom figurait sur cette liste, mais qu’elle avait considéré cela comme un facteur, en concluant qu’il y avait une probabilité raisonnable qu’il soit [traduction] au courant de la participation à des activités violentes du MQM/MQM-A. En tenant également compte des autres éléments de preuve, l’ASFC a conclu qu’il était peu vraisemblable qu’il n’ait pas eu connaissance des activités violentes du MQM/MQM-A avant son arrivée au Canada ou qu’il ait cru que certains de ces actes de violence avaient été perpétrés par d’autres ou étaient le fait d’une propagande gouvernementale.

[31]           L’ASFC a rejeté l’argument de M. Siddique selon lequel il y a lieu de faire une distinction entre la violence et la violence terroriste, notant que la jurisprudence ne reconnaît pas une telle distinction (arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 [Suresh]). En outre, l’ASFC a souligné que la Cour fédérale avait confirmé les conclusions selon lesquelles le MQM/MQM-A a commis des actes de terrorisme.

[32]           L’ASFC a conclu que la preuve des antécédents de participation de M. Siddique au Pakistan, son soutien continu du MQM/MQM-A après son arrivée au Canada et le fait de ne pas s’en être distancé, sont révélateurs de son soutien et du niveau de participation dans l’organisation.

[33]           L’ASFC a reconnu que le MQM/MQM-A peut avoir poursuivi des activités et des objectifs politiques légitimes, mais a conclu que cela ne permettait pas de diminuer l’importance de son recours aux méthodes terroristes et ne justifie pas la participation et l’engagement de M. Siddique au sein du groupe étant donné sa connaissance de ces activités terroristes.

[34]           L’ASFC a accordé peu de poids à l’expression de remords de M. Siddique de 2008 étant donné qu’elle a eu lieu dix ans après sa dissociation alléguée du MQM-A et seulement en réponse au projet de recommandation de refus de dispense ministérielle.

[35]           L’ASFC a reconnu, comme M. Siddique l’a exprimé dans ses observations, qu’il est respectueux de la loi, qu’il n’a aucun casier judiciaire et qu’il ne représente pas un danger pour le Canada, et que selon son rapport de 2002, un agent de CIC n’était pas convaincu que la présence de M. Siddique au Canada était préjudiciable à la sécurité nationale. L’ASFC a conclu que le demandeur ne s’est pas déchargé du fardeau de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[36]           L’ASFC a aussi reconnu que la situation de M. Siddique s’inscrivait dans un [traduction] « vide juridique » en tant que réfugié au sens de la Convention au Canada qui ne peut pas obtenir le statut de résident permanent en raison de son interdiction de territoire et, par conséquent, ne peut pas être réuni avec sa famille. L’ASFC a conclu que son statut de réfugié ne lui donne pas droit, à lui seul ou en conjonction avec les autres facteurs, à une dispense ministérielle. L’ASFC a ajouté qu’il restait un réfugié au sens de la Convention et qu’il n’était pas visé par une mesure de renvoi.

[37]           Les lettres de soutien et les renseignements médicaux et financiers soumis ont été examinés, mais jugés non décisifs lorsqu’ils ont été examinés en corrélation avec les considérations premières relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique.

[38]           En réponse aux observations de M. Siddique voulant que le critère applicable à la dispense ministérielle doive être prospectif, l’ASFC a conclu que cette limite ne s’applique pas aux considérations d’intérêt national, comme indiqué dans Agraira. Prenant en considération toutes les circonstances de l’affaire et la preuve, l’ASFC a conclu qu’il serait préjudiciable à l’intérêt national d’accorder une dispense d’interdiction de territoire, étant donné que M. Siddique, sur une longue période de temps, ne s’est pas distancé du MQM/MQM-A et compte tenu de son engagement envers le groupe, malgré la probabilité raisonnable qu’il savait qu’il s’était livré à des actes terroristes.

IV.             Questions en litige

[39]           Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable pour les motifs suivants :

(1)               La conclusion d’invraisemblance n’est pas raisonnable; le ministre a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas plausible que le demandeur n’ait pas été au courant du recours aux tactiques terroristes du MQM/MQM-A, et s’est fondé sur des hypothèses qui contredisaient les éléments de preuve soumis par le demandeur et la situation dans le pays à l’époque;

(2)               L’évaluation de la demande par le ministre n’est pas raisonnable; le ministre a commis une erreur en tenant compte de l’appartenance du demandeur au MQM/MQM-A comme décisive dans la demande et a simplement énuméré les autres facteurs pertinents et positifs sans fournir aucun motif pour ne pas en avoir tenu compte.

V.                La norme de contrôle

[40]           La norme de contrôle de la décision du ministre concernant un refus d’accorder une dispense en vertu du paragraphe 34(2) est celle du caractère raisonnable (Agraira, au paragraphe 50).

[41]           Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour considère la question de savoir si la décision tient à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur et la Cour ne réévaluera pas la preuve.

VI.             Autres principes pertinents

[42]           Comme le souligne la juge Mactavish dans la décision Hameed c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 FC 1353, aux paragraphes 24 à 29, [2015] ACF no 1488 (QL) [Hameed], plusieurs principes guident le contrôle judiciaire d’une décision du ministre en vertu du paragraphe 34(2). Ces principes comprennent notamment le fait qu’il incombe au demandeur de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national; que le critère à appliquer pour déterminer si la dispense ministérielle doit être accordée est guidé par une série de facteurs, tel que cela est établi dans Agraira, et comprend les facteurs énoncés dans les lignes directrices du CIC, et que la dispense ministérielle se distingue d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire, bien que les facteurs personnels puissent être pris en considération dans une demande de dispense ministérielle dans le cas où le demandeur peut être considéré comme une menace à la sécurité du Canada.

[43]           Dans Agraira, la Cour suprême du Canada a conclu que l’interprétation que le ministre a donné de l’expression « intérêt national », soit en décidant qu’elle portait principalement sur des questions liées à la sécurité nationale et la sécurité publique, mais aussi qu’elle englobe les autres considérations importantes énoncées dans le guide opérationnel et toutes considérations analogues, est raisonnable (au paragraphe 64). La Cour a précisé et récapitulé aux paragraphes 87 et 88 :

[87]      En résumé, une analyse fondée sur les principes d’interprétation législative révèle qu’un large éventail de facteurs peuvent s’avérer pertinents à l’égard de la détermination du contenu de l’« intérêt national » pour les besoins de la mise en œuvre du par. 34(2). Même si l’on écarte les considérations d’ordre humanitaire, qu’il convient mieux de prendre en compte dans le cadre d’une demande en application du par. 25, l’étendue des facteurs dont le ministre peut validement tenir compte, si elle n’est évidemment pas illimitée, demeure vaste. Les facteurs énoncés dans le guide opérationnel (à l’exception des considérations d’ordre humanitaire) constituent probablement la meilleure illustration de la grande variété de facteurs qui peuvent valablement être pris en compte pour l’application du par. 34(2). En fin de compte, les facteurs pertinents à l’égard de l’analyse dans une situation donnée dépendront des faits particuliers de la demande soumise au ministre (Soe, par. 27; Tameh, par. 43).

[88]      Cette interprétation reste compatible avec l’interprétation de l’expression « intérêt national » que le ministre aurait pu donner à l’appui de sa décision relative à la demande de dispense de l’appelant. Elle est conforme à cette décision. L’interprétation implicite de cette expression par le ministre avait trait principalement à la sécurité nationale et la sécurité publique, mais elle n’a pas écarté les autres considérations importantes énoncées dans le guide opérationnel ni d’autres considérations analogues. Au terme de l’examen qui précède des principes d’interprétation législative, j’estime que cette interprétation était éminemment raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

VII.          La conclusion d’invraisemblance est-elle raisonnable?

Les observations du demandeur

[44]           Le demandeur fait valoir que la principale conclusion du ministre est qu’il était un membre actif et de longue date du MQM/MQM-A et qu’il savait, ou était raisonnablement susceptible de savoir, que le MQM/MQM-A avait pris part à des activités terroristes. Le demandeur soutient que cette conclusion est fondée sur une conclusion déraisonnable d’invraisemblance.

[45]           Le demandeur fait valoir que les constatations relatives à la crédibilité reposant sur la vraisemblance doivent être faites avec prudence et uniquement lorsque des événements n’ont pu se produire tels qu’ils ont été décrits (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7, [2001] ACF no 1131 (QL) [Valtchev].

[46]           Premièrement, le demandeur soutient que la conclusion d’invraisemblance ne reflète pas une considération de l’ensemble de la preuve. Au lieu de cela, la décision du ministre est fondée sur des hypothèses au sujet de ce que les gens auraient dû savoir à l’époque. Cette conclusion fait abstraction de la situation chaotique au Pakistan dans les années 1980 et 1990, à une époque où l’information était faussée par le gouvernement et où d’autres sources d’information n’étaient pas facilement accessibles comme c’est le cas aujourd’hui.

[47]           Le demandeur ajoute que le MQM/MQM-A était une organisation politique qui représentait des millions de personnes. Sa conviction à l’époque était que l’organisation ne se livrait pas à des actes de terrorisme. Bien qu’il ne croie plus cela maintenant, le ministre ne peut pas imposer la pensée actuelle sur la disponibilité de l’information à la situation qui prévalait dans les années 1980 et 1990.

[48]           Le demandeur fait référence au rapport d’Amnistie internationale de 1996 sur la « crise des droits de l’homme à Karachi » qui souligne que [traduction] « vu le climat très politisé à Karachi, la vérité est difficile à établir avec certitude pour toute organisation de défense des droits de la personne... ». Ce rapport fait état du fait que le gouvernement, le MQM-H et le MQM-A commettaient tous des violations des droits de la personne et que la désinformation était généralisée et souvent délibérément créée par le gouvernement. Le demandeur soutient que ce rapport confirme que le gouvernement pratiquait la désinformation et que les dirigeants du MQM-A induisaient ses membres en erreur.

[49]           Le demandeur fait observer qu’il a fourni toute l’information invoquée par le ministre. Il a révélé sa participation au sein du MQM/MQM-A à son arrivée au Canada, niant systématiquement qu’il avait eu connaissance du fait que le MQM/MQM-A s’était livré à des actes de terrorisme alors qu’il était associé à l’organisation.

[50]           Deuxièmement, le demandeur soutient que la CISR et l’agent de CIC l’ont tous deux trouvé crédible; ils l’ont entendu dans le contexte d’une entrevue et ils étaient les mieux placés pour évaluer sa crédibilité, contrairement au ministre. Bien que le ministre soit habilité à tirer différentes conclusions, le demandeur fait valoir qu’il doit y avoir une explication claire des motifs du ministre le menant à ignorer ces conclusions antérieures relatives à la crédibilité.

[51]           Troisièmement, le demandeur fait valoir que le ministre a commis une erreur en confondant [traduction] « violence » et [traduction] « terrorisme », parce que toutes les formes de violence ne constituent pas du terrorisme, notant que la définition du terrorisme dans Suresh englobe à la fois un acte et un but. Il affirme que sa participation au sein du MQM/MQM-A ne visait qu’à faire avancer des objectifs politiques légitimes.

Les observations du défendeur

[52]           Le défendeur soutient que le ministre a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt public.

[53]           Le ministre ne s’est pas montré sélectif en examinant la preuve et n’avait pas à conclure que l’ensemble de l’exposé du demandeur manquait de crédibilité afin de conclure que certaines parties de ses allégations étaient invraisemblables.

[54]           Le ministre n’a pas non plus commis d’erreur en n’adoptant pas les conclusions de la CISR et de l’agent de CIC relatives à la crédibilité. La CISR a évalué si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention, c’est-à-dire, s’il était en danger au Pakistan, et non pas s’il était interdit de territoire au Canada. Ni la CISR ni l’agent de CIC n’ont évalué si le demandeur avait eu connaissance du recours à la violence et au terrorisme du MQM/MQM-A pour atteindre ses objectifs politiques. Le ministre a examiné une question différente, à savoir s’il était plausible que le demandeur n’ait pas été au courant des activités du MQM/MQM-A.

[55]           Les éléments de preuve relatifs à la situation politique au Pakistan dans les années 1980 et 1990 n’ont pas été ignorés et n’expliquent pas ni ne justifient la méconnaissance du demandeur compte tenu de ses activités.

[56]           Le défendeur soutient que tout type de violence peut être considéré pour déterminer qu’une organisation s’est livrée au terrorisme, notant que la Cour fédérale et la CISR ont confirmé la conclusion selon laquelle le MQM/MQM-A est une organisation qui s’appuie sur des tactiques terroristes pour atteindre ses objectifs politiques.

[57]           Le défendeur ajoute que la question soumise au ministre n’était pas de savoir si le demandeur faisait partie d’une organisation qui a commis des actes terroristes. Cette décision avait déjà été résolue par la constatation de l’interdiction de territoire. La question soumise au ministre était de déterminer s’il était dans l’intérêt national de permettre au demandeur de demeurer au Canada. En examinant cette question, le ministre a pris tous les faits en considération, y compris que le demandeur savait que le MQM/MQM-A avait recours à la violence, et son appartenance et soutien continus à l’organisation, ce qui indique qu’il tolère ce type de violence.

La conclusion d’invraisemblance est raisonnable

[58]           Le ministre a raisonnablement conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur n’ait pas été au courant du recours à la violence par le MQM/MQM-A pour promouvoir sa cause. Le demandeur a vécu à Karachi, centre d’une activité violente, il a soutenu les activités de son cousin, un membre éminent, et il a subi la violence qui régnait entre le MQM-A et le MQM-H, au point où il a dû déménager et se cacher. Le demandeur a reconnu que le MQM/MQM-A s’était livré à des actes de violence et que des civils ont été tués. Même s’il ne considérait pas cela comme du terrorisme et qu’il a caractérisé cette violence comme de la légitime défense, il s’agissait néanmoins de violence dans le but d’atteindre des objectifs politiques.

[59]           La conclusion d’invraisemblance ne reposait pas sur des hypothèses, mais sur les renseignements fournis par le demandeur et sur la preuve de la situation dans le pays, des éléments probants qui ont tous été examinés et notés en détail dans la note d’information de l’ASFC. En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel le ministre a ignoré la preuve documentaire décrivant la situation chaotique au Pakistan à l’époque, notamment que le gouvernement pakistanais blâmait le MQM/MQM-A pour des actes de violence commis par le gouvernement et que personne ne savait la vérité, la note d’information de l’ASFC dans laquelle les observations de M. Siddique selon lesquelles il croyait que la violence attribuée au MQM/MQM-A relevait de la propagande gouvernementale sont clairement rejetées.

[60]           Même dans le contexte politique chaotique de l’époque et sans les méthodes d’échange d’information aujourd’hui utilisées, la conclusion du ministre relative à l’invraisemblance est raisonnable.

[61]           Le ministre n’était pas tenu d’adopter les conclusions relatives à la crédibilité rendues par la CISR ou l’agent de CIC qui ont interrogé le demandeur. L’agent de CIC et la CISR n’ont pas évalué la même question que le ministre. Comme le défendeur le souligne, il n’y a pas d’incompatibilité entre, d’une part, la conclusion de la CISR selon laquelle la preuve du demandeur relativement au risque auquel il était exposé était crédible et, d’autre part, celle du ministre selon laquelle il est invraisemblable que le demandeur n’ait pas été au courant du fait que le MQM/MQM-A se livrait à des activités terroristes.

[62]           Par ailleurs, le ministre était habilité à avaliser certains aspects de l’exposé des faits du demandeur, mais aussi à tirer des inférences voulant que d’autres aspects de son récit soient invraisemblables.

[63]           Dans la décision NK v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2015 FC 1377, [2015] FCJ no 1449 (QL) [NK], le juge Russell a examiné le caractère raisonnable de la décision du ministre de refuser d’accorder une dispense à l’égard d’une décision d’interdiction de territoire et il a indiqué aux paragraphes 80 et 81 :

[TRADUCTION]

[80]      En exerçant son pouvoir discrétionnaire dans le présent contexte, le ministre a étudié attentivement les affirmations du demandeur selon lesquelles il n’était pas au courant des actes de terrorisme du MQM et est arrivé à la conclusion précitée. […]

[81]      Aucune preuve directe n’a été soumise au ministre démontrant la connaissance du terrorisme par le demandeur, mais comme en convient le demandeur, le ministre est habilité à tirer des inférences. Ce faisant, je ne peux pas soutenir que ses conclusions échappent aux issues énoncées dans Dunsmuir, précité. Je ne vois dans ces motifs aucune erreur susceptible de contrôle.

[64]           De même, en l’espèce, le ministre a tiré une conclusion raisonnable selon laquelle le demandeur savait que le MQM/MQM-A se livrait à des actes de violence.

VIII.       L’évaluation de la demande de dispense ministérielle par le ministre est-elle raisonnable?

Les observations du demandeur

[65]           Le demandeur soutient que le ministre a commis une erreur en concentrant son analyse seulement sur son appartenance passée au MQM/MQM-A jusqu’à la fin des années 1990, et en considérant comme décisif dans la demande de dispense ministérielle le fait que le demandeur ne se soit pas dissocié de cette organisation.

[66]           Le demandeur ajoute que le fait d’insister sur son passé est particulièrement déraisonnable étant donné qu’il attend une décision depuis 2002. La même décision aurait pu être prise en 2002 étant donné que les circonstances et ses efforts subséquents n’ont pas été pris en considération.

[67]           Le demandeur reconnaît que le critère applicable à une dispense ministérielle n’est pas limité aux considérations futures ou à une évaluation prospective. Dans Agraira, il a été établi que les actions passées sont pertinentes et peuvent justifier que le ministre détermine que la présence d’une personne serait préjudiciable à l’intérêt national à l’avenir. Le ministre n’a toutefois pas à examiner si et comment le passé du demandeur est déterminant quant à son avenir. L’approche du ministre rend impossible pour le demandeur de tourner un jour la page sur son passé.

[68]           Le demandeur fait valoir qu’une évaluation prospective de sa présence au Canada aurait dû être effectuée, ainsi que la considération des autres facteurs tels que sa participation limitée dans le MQM/MQM-A depuis son arrivée au Canada, les effets psychologiques d’une décision défavorable, ses problèmes médicaux et ses activités depuis son arrivée au Canada.

[69]           Le demandeur fait valoir que l’approche du ministre fait en sorte que le critère applicable à l’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 34(1) prédétermine le critère applicable à l’octroi de la dispense ministérielle en vertu du paragraphe 34(2), une approche qui rend l’octroi de la dispense ministérielle illusoire.

[70]           Le demandeur soutient également que le ministre a simplement cité une liste des facteurs considérés sans fournir aucun motif expliquant pourquoi les facteurs positifs ne l’emportent pas sur la sécurité nationale et les préoccupations de sécurité publique.

Les observations du défendeur

[71]           Le défendeur soutient que, dans une demande de dispense ministérielle, les considérations ne se limitent pas à des considérations de risque présent ou futur. L’interprétation du ministre de l’intérêt national est en accord avec Agraira. Dans Agraira, le ministre n’a pas adopté une approche prospective et a examiné les mêmes facteurs qu’en l’espèce, et la Cour suprême du Canada a conclu que la décision était raisonnable.

[72]           Le fait que l’analyse du ministre se soit concentrée sur les activités passées du demandeur ne vide pas de son sens l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La note d’information de l’ASFC cite l’implication de longue date du demandeur au sein du MQM/MQM-A, la nature et le moment de ses activités et de son soutien continu après avoir pris connaissance des activités violentes – autant de facteurs qui soulèvent des préoccupations quant à la sécurité nationale.

[73]           Le ministre a explicitement fait référence aux facteurs en faveur du demandeur, mais il est habilité à présenter des facteurs qui donnent plus d’importance à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Dans Agraira, la Cour suprême du Canada a constaté que les facteurs prédominants à prendre en considération dans l’interprétation de l’intérêt national en vertu du paragraphe 34(2) sont la sécurité nationale et la sécurité publique, et que le paragraphe 34(2) se distingue de l’article 25 qui permet d’octroyer une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

L’évaluation de la demande de dispense ministérielle par le ministre est raisonnable; le ministre a appliqué les principes établis dans l’arrêt Agraira et n’a pas commis d’erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire

[74]           Le paragraphe 34(2) a régi l’application de la dispense ministérielle à l’égard d’une conclusion d’interdiction de territoire conformément au paragraphe 34(1) pour des raisons de sécurité nationale au moment de la demande et, tel qu’énoncé au paragraphe 34(2) :

34(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[Soulignement ajouté.]

34(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

[Emphasis added.]

[75]           Dans Agraira, tel que précité, la Cour suprême du Canada a donné des indications quant à l’interprétation du terme « préjudiciable à l’intérêt national » qu’il convient d’adopter. Dans Hameed, au paragraphe 26, la juge Mactavish a mis en évidence le critère énoncé dans Agraira, au paragraphe 87, et elle a expressément énoncé les facteurs à prendre en considération, qui sont dérivés des directives du CIC.

[76]           Il ressort de la note d’information de l’ASFC que les directives ainsi que les sous-questions y étant notées ont été considérées. Par exemple, pour déterminer si la présence du demandeur choquerait le public canadien, l’ASFC doit considérer, entre autres questions : si l’activité constituait un événement isolé; le moment où l’activité a eu lieu; s’il y a eu des incidents violents; si la personne était personnellement impliquée ou complice dans les activités du régime ou de l’organisation; la durée pendant laquelle le demandeur était membre de l’organisation; si l’organisation est internationalement reconnue comme une organisation qui recourt à la violence pour atteindre ses objectifs; le rôle ou le poste de la personne au sein de l’organisation; et s’il existe des éléments de preuve indiquant que la personne n’était pas au courant des atrocités ou des activités terroristes commises par l’organisation.

[77]           L’ASFC et le ministre se sont appuyés sur ces facteurs et sur d’autres considérations qui ont amené le ministre à conclure qu’il n’était pas convaincu que la présence de M. Siddique au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national. La note d’information de l’ASFC soulignait le fait que M. Siddique a travaillé pour le MQM/MQM-A au Pakistan pendant au moins 15 ans et a continué à soutenir le MQM-A au Pakistan, même après son enlèvement, les coups et les menaces qui l’ont incité à changer de résidence dans Karachi. La nature de ses activités, bien qu’il les décrive comme étant de faible niveau, comprenait l’organisation de rassemblements politiques, la pose d’affiche et la préparation des rues pour des manifestations. Il a travaillé aux côtés de son cousin dont il savait qu’il était un membre éminent et qui a été contraint à se cacher, et qui par la suite a été torturé et tué en 1995 – un signe clair du niveau et de la nature de la violence entre les deux factions. En outre, il n’a pas rompu les liens qu’il entretenait avec le MQM/MQM-A même s’il était au courant de la violence, et ce, jusqu’à quatre ans après son arrivée au Canada, à tout le moins. Sa propre caractérisation de cette violence comme différant de la violence terroriste ne l’emporte pas sur le fait qu’il était conscient de la nature de la violence, qui a fait des victimes, et savait que la violence avait été utilisée pour atteindre des objectifs politiques.

[78]           Dans la décision Afridi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1299, [2015] ACF no 1377 (QL) [Afridi], la juge Mactavish a noté :

[35]      Enfin, M. Afridi affirme que le ministre s’est concentré de façon déraisonnable sur le rôle qu’il avait joué au sein du MQM et sur la nature de cette organisation plutôt que sur sa situation personnelle actuelle. Le ministre ne commet cependant pas d’erreur en tenant compte des agissements passés du demandeur pour déterminer si le maintien de sa présence au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national et constituerait un risque pour l’avenir. D’ailleurs, les facteurs relatifs à la sécurité nationale et à la sécurité publique ne se limitent pas à l’appréciation du risque actuel ou à venir et il convient de rappeler le fait qu’une grande partie de l’analyse de l’arrêt Agraira portait sur les activités passées de M. Agraira en Libye. De plus, ainsi que la note d’information le signale, M. Afridi avait cessé ses activités au sein du MQM au Canada parce que son travail et sa famille l’accaparaient trop et non parce qu’il s’était dissocié de cet organisme et de ses tactiques. Il était donc raisonnable de la part du ministre de tenir compte de ces facteurs pour déterminer s’il était dans l’intérêt national d’accorder une dispense ministérielle à M. Afridi.

[79]           De même, en l’espèce, le ministre n’a pas commis d’erreur en considérant le passé de M. Siddique pour déterminer s’il avait convaincu le ministre que sa présence continue au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Comme il est indiqué ci-dessus, la note d’information de l’ASFC décrit en détail les facteurs invoqués.

[80]           L’application par le ministre du paragraphe 34(2) ne rend pas l’octroi de la dispense ministérielle illusoire ou impossible. Les facteurs pris en compte pour accorder ou refuser une dispense ministérielle diffèrent de ceux qui ont mené à l’interdiction de territoire du demandeur. La conclusion d’interdiction de territoire pour des raisons de sécurité en vertu de l’alinéa 34(1)f) met l’accent sur l’appartenance à une organisation, en l’occurrence une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme.

[81]           En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel le ministre n’a pas accordé suffisamment de considération aux facteurs positifs ou n’a pas expliqué ses motifs pour les avoir minimisés, dans Agraira, la Cour suprême a fait remarquer la distinction entre une dispense ministérielle et une dispense ministérielle fondée sur des motifs humanitaires, qui peuvent toutes les deux faire en sorte de soustraire un demandeur aux exigences de la LIPR :

[44]      Bref, le par. 34(2) de la LIPR établit une voie d’obtention d’une dispense d’une manière distincte, sur le plan conceptuel et procédural, de la dispense prévue aux art. 25 ou 25.1. Il faut garder à l’esprit que le demandeur qui ne convainc pas le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national aux termes du par. 34(2) peut toujours présenter une demande de dispense pour des raisons d’ordre humanitaire. Il reste à voir si une telle dispense lui serait accordée.

[Non souligné dans l’original.]

[82]           Même si la loi a été modifiée à la fois pour modifier le libellé de la disposition relative à la dispense ministérielle (qui se trouve maintenant au paragraphe 42.1 et stipule qu’un demandeur doit convaincre le ministre « que ce ne serait pas contraire à l’intérêt national ») et pour faire en sorte que les personnes interdites de territoire au Canada soient inadmissibles à une dispense pour motifs humanitaires, le but des deux formes de dispense diffère. Dans Agraira au paragraphe 84, la Cour a indiqué qu’une demande de dispense ministérielle ne devrait pas se transformer en une autre forme de dispense pour motifs humanitaires, ajoutant, « Mais l’art. 34 n’exclut pas nécessairement la prise en compte de facteurs personnels qui peuvent être pertinents dans le cadre de ce type particulier d’examen ».

[83]           La Cour suprême a conclu que les considérations premières du paragraphe 34(2) sont la sécurité nationale et la sécurité publique. En outre, « les autres considérations importantes énoncées dans le guide opérationnel ou toutes considérations analogues » peuvent valablement être prises en compte et les facteurs pertinents à l’égard de l’analyse du ministre « dépendront des faits particuliers de la demande soumise au ministre » (Agraira, paragraphes 87 et 88). Ainsi, les facteurs d’ordre humanitaires peuvent être considérés, mais seulement pour déterminer si la présence du demandeur au Canada est préjudiciable à l’intérêt national.

[84]           Le contrôle judiciaire met l’accent sur la question de savoir si la décision était raisonnable, et il n’y a aucune raison de conclure qu’elle ne l’était pas. La décision du ministre tient compte de l’ensemble de la preuve et applique la jurisprudence applicable aux faits soumis au ministre. Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve. Le ministre n’a pas non plus à fournir des motifs précisant pourquoi certains facteurs ont eu plus de poids que d’autres. Comme indiqué dans Agraira, les facteurs prédominants sont la sécurité nationale et la sécurité publique et, par conséquent, accorder plus d’importance à ces facteurs est raisonnable.

[85]           Dans quatre décisions récentes, et à l’égard de faits similaires, la Cour a récemment conclu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre était raisonnable : NK, Afridi, Hameed et Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1264, [2015] ACF no 1338 (QL).

[86]           Les conséquences sont incontestablement d’importance pour le demandeur. Je note que le demandeur indique qu’il a présenté une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire qui a été rejetée, mais que le ministre a accepté de réexaminer cette demande en 2014. Tel que susmentionné, la Loi a été modifiée pour limiter les dispenses pour motifs d’ordre humanitaire et on ne sait pas si la demande est toujours en suspens. Dans Agraira, les conclusions de la Cour suprême du Canada concernant la distinction entre une dispense au titre du paragraphe 34(2) et une dispense au titre de l’article 25 étaient fondées sur la loi telle qu’elle existait avant les modifications – c’est-à-dire, qui n’empêchait pas les personnes interdites de territoire en vertu de l’article 34 de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[87]           Dans Hameed, le demandeur a soutenu que l’arrêt Agraira devrait être réexaminé, car il reposait sur une dispense pour motifs d’ordre humanitaire qui n’a plus cours. La juge Mactavish a examiné la question, soulignant ce qui suit :

[51]      La Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Agraira le 20 juin 2013. La Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16 (la LARCE), avait reçu la veille la sanction royale. L’article 9 de la LARCE a modifié le paragraphe 25(1) de la LIPR, faisant en sorte que les personnes interdites de territoire au Canada au titre des articles 34, 35 et 37 de la LIPR ne soient plus admissibles à une dispense pour considérations d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1).

[52]      Bien que la LARCE ait été présentée au Parlement le 20 juin 2012, la Cour suprême ne s’est pas penchée dans l’arrêt Agraira sur l’effet de la modification législative imminente, et il se peut bien qu’on doive examiner un jour la question soulevée par Mme Hameed. Pour plusieurs raisons, toutefois, la présente affaire n’est pas appropriée à cette fin.

[88]           La juge Mactavish a noté que l’arrêt Agraira liait le ministre lorsqu’il a considéré la demande de dispense ministérielle, et la Cour est liée par cet arrêt. En outre, Mme Hameed n’a soulevé cet argument qu’à la dernière minute dans sa plaidoirie. En outre, les facteurs pertinents d’ordre humanitaire avaient été examinés dans le contexte de la demande de dispense.

[89]           Le demandeur n’a en l’espèce pas soulevé cet argument particulier, il a seulement soulevé que les facteurs d’ordre humanitaire étaient pertinents, mais qu’on en avait fait abstraction. Comme indiqué ci-dessus, le ministre est habilité à apprécier tous les facteurs pertinents comme il l’entend. Les considérations d’ordre humanitaire, notamment que le demandeur n’a aucun casier judiciaire, le « vide juridique » dans lequel il se retrouve, sa séparation d’avec sa famille et ses problèmes médicaux, ont tous été pris en compte, mais cela n’a pas changé l’issue lorsque les considérations premières relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique ont été examinées au même titre.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’a été posée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1275-15

 

INTITULÉ :

RACHID AMIN SIDDIQUE c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 décembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE :

Le 12 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg

 

Pour le demandeur

 

Judy Michaely

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsberg

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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