Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160211


Dossier : T-235-15

Référence : 2016 CF 186

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 11 février 2016

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

JAMES ALAN MACDONALD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               M. James Alan MacDonald (le demandeur) demande, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision datée du 20 janvier 2015 rendue par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [le Tribunal]. Dans cette décision, le Tribunal a rejeté la requête du demandeur visant le retrait de certains documents du mémoire, et a conclu que le demandeur n’avait pas établi un droit, en raison de difficultés administratives, de toucher des prestations de retraite pendant deux années supplémentaires aux termes du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6.

[2]               Le demandeur est un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Conformément à l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-11, à titre d’ancien membre de la GRC, le demandeur a le droit de solliciter une pension d’invalidité si sa blessure ou sa maladie – ou son aggravation – ayant causé l’invalidité est consécutive ou se rattache directement à son service dans la GRC.

[3]               Conformément à l’article 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), le défendeur de la présente demande est le procureur général du Canada (le défendeur).

II.                LE CONTEXTE

[4]               Les faits ci-après sont tirés du dossier certifié du tribunal.

[5]               Le demandeur s’est joint à la GRC en 1973. Il était initialement en service à l’Île-du-Prince-Édouard, où il remplissait des fonctions de police générale.

[6]               Le demandeur a été membre du Carrousel de la GRC à Ottawa de mars 1980 à décembre 1982. Le Carrousel est une équipe de cavaliers qui donne des spectacles devant un public.

[7]               Pendant qu’il était membre de l’équipe du Carrousel, le demandeur a subi de nombreuses blessures, y compris des spasmes au dos occasionnés par le nettoyage des stalles, un accident de trajet ayant entraîné une hospitalisation et le port d’un collet cervical, une blessure au genou à la suite d’une ruade que lui a assené un cheval et une compression médullaire généralisée résultant de ses activités hippiques continues. Il a également fait plusieurs chutes alors qu’il était à cheval.

[8]               De décembre 1982 à décembre 1983, le demandeur a occupé un poste d’administration au sein de la Sous-direction de l’exécution des lois fédérales de la GRC.

[9]               Le demandeur a continué d’éprouver des problèmes de genoux et de dos après s’être retiré de l’équipe du Carrousel. Sa prochaine affectation, en 1983, fut au sein de la Section des délits commerciaux à Toronto. À cette époque, ses problèmes de santé comprenaient notamment des vertiges et des douleurs thoraciques rayonnant dans son bras gauche.

[10]           En 1993, le demandeur a déménagé en Nouvelle-Écosse avec sa famille. En 1995, il a rencontré Dre Wanda MacPhee, chiropraticienne, qui l’a informé qu’un problème au niveau de sa colonne vertébrale expliquait la douleur qu’il ressentait à la poitrine et au bras, et qu’un groupe de nerfs dans son cou était peut-être la cause de ses symptômes de vertige.

[11]           Le demandeur a présenté sa demande de prestations auprès du ministère des Anciens Combattants le 23 mai 2003. Sa demande a été divisée en deux par le ministère des Anciens Combattants, comme le système informatique interne du ministère, le « CNDS », ne permet pas de réclamer des prestations relatives à cinq invalidités pour un même dossier.

[12]           Le 18 décembre 2003, un agent des pensions du ministère des Anciens Combattants a écrit au demandeur pour accuser réception de sa demande et l’informer qu’il n’avait reçu aucune documentation justificative. L’agent avait indiqué dans sa lettre que le demandeur devait transmettre des renseignements médicaux actuels dans les 60 jours suivant la date de la lettre, en précisant par ailleurs qu’en l’absence de ces renseignements, sa demande serait annulée le 16 février 2004. L’agent des pensions a également indiqué que s’il n’y avait aucune explication raisonnable quant au retard accusé dans la transmission des documents exigés, la date initiale de la communication ne pourrait pas être reconnue comme étant la date de la demande.

[13]           Le demandeur a produit un rapport du Dr Clarke daté du 29 mars 2004. Sa déclaration du médecin, soit le Dr McAulay, a été reçue le 5 décembre 2004. L’un des dossiers du demandeur a été fermé le 24 août 2004, puis a été rouvert en février 2005.

[14]           Le demandeur a demandé des prestations d’invalidité pour une arthrose du rachis cervical, un dysfonctionnement biomécanique chronique du rachis cervical, un dysfonctionnement biomécanique du rachis thoracique, un dysfonctionnement biomécanique du rachis lombaire, une sciatique et des troubles vertigineux.

[15]           Dans une décision rendue le 18 avril 2005, le ministère des Anciens Combattants a conclu qu’aucune des blessures du demandeur n’ouvrait droit à pension aux termes de Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada et de la Loi sur les pensions.

[16]           Le demandeur a présenté une demande d’examen de l’admissibilité auprès du Tribunal en juillet 2005.

[17]           Le comité d’examen de l’admissibilité a rendu, le 15 janvier 2009, sa décision qui accorde au demandeur le plein montant des prestations pour son dysfonctionnement biomécanique chronique du rachis cervical, son dysfonctionnement biomécanique du rachis thoracique et son dysfonctionnement biomécanique du rachis lombaire. Aucune prestation n’a été accordée pour la sciatique et l’arthrose du rachis cervical.

[18]           Les prestations consenties sont entrées en vigueur le 15 janvier 2006, soit trois ans avant la date à laquelle la pension a été accordée, conformément au paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions.

[19]           Dans une lettre datée du 13 février 2012, le demandeur a interjeté appel de la décision du Tribunal quant à la date d’entrée en vigueur des prestations accordées rétroactivement par le comité d’examen d’admissibilité. Cet appel a été entendu aux termes de l’article 25 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, (la Loi sur le TACRA) et du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions, lequel prévoit une prolongation rétroactive de deux ans en cas de retards ou de difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur. En l’espèce, cette période s’étend du 15 janvier 2004 au 15 janvier 2006.

[20]           Dans sa décision datée du 2 juin 2014, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve permettant d’accorder une compensation supplémentaire.

[21]           Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Cette instance a été réglée entre les parties et l’ordonnance sur consentement, datée du 16 septembre 2014, a annulé la décision du 2 juin 2014 et a renvoyé l’affaire au Tribunal pour un nouvel examen par un comité autrement constitué.

[22]           L’audience devant le nouveau comité a eu lieu le 4 décembre 2014. Le demandeur était représenté par un avocat. Avant cette audience, le 23 novembre 2014, le demandeur a présenté une requête en vue d’exclure neuf documents de son dossier. Il a étayé sa requête avec des observations écrites. À l’audience, on l’a informé que le Tribunal se prononcerait sur la requête dans sa décision écrite et non pendant l’audience.

[23]           Dans sa décision rendue le 20 janvier 2015, le Tribunal a rejeté la requête du demandeur visant à exclure certains documents et a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve permettant de lui accorder une compensation supplémentaire aux termes du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions.

[24]           Dans son examen de la requête visant à exclure certains documents, le Tribunal a indiqué que sa nature non accusatoire permet une certaine souplesse quant aux règles de la preuve. Il fait remarquer qu’il exclut rarement des éléments de preuve, et que l’équité procédurale exige que tout demandeur ait la possibilité d’examiner tous les documents et de faire des observations sur ceux-ci. Le Tribunal a conclu que le demandeur avait tous les documents qu’il souhaitait exclure en date du 2 juin 2014 et, par conséquent, qu’il avait suffisamment de temps pour présenter des arguments quant au dossier établi contre lui. Il a estimé avoir satisfait aux exigences en matière d’équité procédurale.

[25]           Dans son examen du bien-fondé de la demande, le Tribunal a remarqué que le demandeur a allégué deux retards dans le traitement de sa demande. Le premier retard est lié à une période entre mai 2003, moment où il a présenté sa demande, et avril 2005, moment où la décision a été rendue à l’égard de sa demande. Le second retard est lié à une période entre avril 2005 et la décision relative à l’examen de l’admissibilité en 2009.

[26]           Le Tribunal a conclu que le paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions ne permet pas le paiement rétroactif d’une pension en raison de retards administratifs; il précise plutôt que le paiement rétroactif d’une pension est possible s’il y a un retard dans l’obtention des dossiers militaires ou d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur. En ce qui concerne le premier retard, le Tribunal a fait remarquer que la présentation d’une demande exige une demande dûment remplie, un dossier médical militaire ainsi qu’une déclaration du médecin dûment remplie indiquant le diagnostic de l’état. La déclaration du médecin pour le demandeur a seulement été fournie en décembre 2004. Il incombe au demandeur de communiquer avec son médecin afin d’obtenir les éléments de preuve à l’appui, et le demandeur était au courant de cela. Toute difficulté survenue n’était pas indépendante de sa volonté.

[27]           En ce qui concerne le second retard, le demandeur a soutenu que le Bureau de services juridiques des pensions (BSJP) n’avait pas fait avancer son dossier en temps opportun. Il a fait valoir que l’avancement lent de son dossier était attribuable au sous-financement du BSJP par le ministre des Anciens Combattants (le ministre).

[28]           Le Tribunal a conclu que le demandeur avait choisi d’être représenté par le BSJP qui disposait de ressources limitées au lieu de faire appel à un avocat d’un cabinet privé. Le Tribunal a également indiqué que le demandeur était encore à la recherche d’éléments de preuve jusqu’à deux semaines avant l’audition de l’examen de l’admissibilité, et que dans ces circonstances, tout argument voulant que l’avancement de son dossier ait été retardé en raison de difficultés administratives n’est pas fondé.

[29]           Le Tribunal a conclu ce qui suit :

[traduction]

Dans la mesure où le demandeur soutient que la collecte d’éléments de preuve était retardée indûment suivant les conseils du BSJP, le Tribunal conclut que ce point ne relève pas de sa compétence. Une telle allégation en serait à peu de chose près une de négligence professionnelle. Le Tribunal n’a reçu aucun élément de preuve qui appuierait une telle conclusion. […]

[30]           Par conséquent, le Tribunal a maintenu la décision du comité d’examen d’admissibilité rendu le 15 janvier 2009.

[31]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      Le Tribunal a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne se prononçant pas sur la décision sur la requête lors de l’audition de celle-ci?

3.      Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions?

4.      La décision du Tribunal était-elle déraisonnable parce que le Tribunal n’a pris en compte aucun élément de preuve ou n’a pas tranché une incertitude en faveur du demandeur?

III.             OBSERVATIONS

A.                Les observations du demandeur

[32]           Le demandeur fait valoir que sa requête devant le Tribunal visant le retrait de certains documents du mémoire a été déposée selon les motifs que les documents contestés n’avaient rien à voir avec son appel quant à la question relative à l’admissibilité au paiement rétroactif d’une pension et qu’ils lui sont préjudiciables.

[33]           Il soutient que le fait que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur sa requête au début de l’audience a entraîné un manquement à son droit à l’équité procédurale, car il ne savait pas s’il devait présenter des observations relatives à la pertinence, au poids et à la fiabilité de ces documents.

[34]           Le demandeur soutient également que le Tribunal a commis une erreur en se fondant sur la première décision du Tribunal, car cette décision avait été annulée par la Cour fédérale. Il prétend que le mémoire de 2014 aurait seulement dû contenir une copie de la décision relative à l’examen de l’admissibilité et de la preuve documentaire dont disposait le tribunal.

[35]           Le demandeur conteste l’interprétation que le Tribunal a faite du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions. Il soutient qu’aucun élément de preuve au sujet de normes de service au moment de cet appel ne faisait l’objet d’un examen et affirme que le Tribunal aurait apparemment supposé qu’une période de trois ans constitue une période de traitement normale.

[36]           Selon lui, le Tribunal aurait commis une erreur en concluant que l’admissibilité à un paiement rétroactif d’une pension est évaluée à partir de la date à laquelle une demande est achevée, plutôt qu’à la date à laquelle une demande est présentée pour la première fois.

[37]           Enfin, le demandeur affirme que la décision du Tribunal n’est pas raisonnable parce qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve et n’a pas tranché une incertitude en faveur du demandeur, conformément à l’article 39 de la Loi sur le TACRA.

[38]           Le demandeur prétend que le Tribunal n’a pas tenu compte d’éléments de preuve concernant son incapacité à présenter une preuve médicale. Il affirme avoir fait preuve de diligence raisonnable lorsqu’il a récupéré cette information et l’a produite.

[39]           Le demandeur prétend que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il n’a pas tiré une conclusion raisonnable en sa faveur. Il soutient que la chronologie fournit la preuve d’un manquement quant au traitement de sa demande en temps opportun ainsi que de l’omission du Tribunal d’informer le demandeur que cette portion de sa demande avait été rejetée.

[40]           De plus, le demandeur affirme que le Tribunal a commis une erreur en omettant de tenir compte de la présomption de difficultés administratives quant au traitement de son appel par le BSJP. Il prétend que le Tribunal n’a pas tenu compte des observations selon lesquelles le BSJP n’est pas un organe fonctionnellement indépendant du Tribunal, comme le serait un avocat d’un cabinet privé. À cet égard, il indique un retard de sept mois dans l’enregistrement de sa plainte après que celle-ci fut confiée au BSJP.

[41]           Enfin, le demandeur fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait qu’il n’y avait rien dans le formulaire de demande rempli par le demandeur en mai/juin 2003 qui indiquait qu’il devait étayer sa demande à l’aide d’éléments de preuve médicaux.

B.                 Observations du défendeur

[42]           Le défendeur fait valoir qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale lié à la décision du Tribunal de rejeter la requête visant le retrait de certains documents du mémoire et de réserver sa position sur la requête jusqu’au moment de rendre sa décision.

[43]           En s’appuyant sur la décision rendue dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, le défendeur soutient que le contenu de l’obligation d’équité procédurale doit être examiné par rapport à toutes les circonstances pertinentes. Le demandeur a eu la possibilité de formuler sa requête à l’oral et à l’écrit. Le Tribunal a présenté des motifs écrits pour lesquels il a rejeté la requête, conformément à l’article 7 du Règlement sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), DORS/96-67.

[44]           De plus, le défendeur fait valoir que le demandeur était représenté par un avocat lors de son audience devant le Tribunal, et que son avocat aurait pu présenter d’autres arguments en attendant que la requête soit tranchée.

[45]           Le défendeur estime que le Tribunal n’a commis aucune erreur dans son interprétation du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions. L’avocate du défendeur soutient que le retard prévu par cette disposition fait référence aux difficultés administratives éprouvées entre la date de la demande et la date à laquelle le paiement d’une pension est accordé. Cette disposition ne prévoit aucun retard avant l’achèvement d’une demande, et il doit y avoir un élément de preuve d’un retard dans le traitement d’une demande; voir la décision Cur c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (2003), 236 F.T.R. 188.

[46]           Le défendeur estime que le Tribunal a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que les actes du BSJP ont contribué à un retard. Le Tribunal a affirmé qu’il n’avait pas le pouvoir d’examiner des allégations de négligence professionnelle.

[47]           Dans tous les cas, le défendeur fait valoir que le paragraphe 39(2) constitue une disposition facultative et non impérative. Même si le Tribunal estime qu’il y a un retard ou des difficultés administratives, il n’est pas tenu d’accorder une compensation supplémentaire.

[48]           En réponse à l’argument du demandeur relatif à la mise en application de l’article 39 de la Loi sur le TACRA par le Tribunal, le défendeur soutient que cet argument conteste la manière dont le Tribunal a soupesé la preuve. L’avocate du défendeur estime que le Tribunal a soupesé la preuve et a conclu que le demandeur n’était pas parvenu à démontrer qu’il y avait des retards dans l’obtention des dossiers militaires ou d’autres documents ou qu’il y avait d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur.

[49]           Le défendeur ajoute que le but de l’article 39 de la Loi sur le TACRA est de guider le Tribunal dans la résolution des incertitudes en faveur du demandeur; il précise toutefois que cela ne libère pas le demandeur du fardeau de prouver ses allégations. Le défendeur fait valoir que la manière dont le Tribunal a traité la preuve est raisonnable et que sa décision appartient aux issues possibles et acceptables.

IV.             DISCUSSION ET PROCÉDURE

[50]           La première question à aborder dans la présente demande concerne la norme de contrôle applicable.

[51]           Les parties ont correctement déterminé la norme de contrôle.

[52]           Les questions d’équité procédurale sont sujettes à révision selon la norme de la décision correcte; voir la décision rendue au paragraphe 43 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339. Le bien-fondé de la décision est sujet à révision selon la norme du caractère raisonnable; voir Phelan c. Canada (Procureur général), 2014, 446 F.T.R. 91.

[53]           Je ne vois aucun manquement à l’équité procédurale découlant de la décision du Tribunal de rejeter la requête du demandeur visant le retrait de certains documents du mémoire. La raison d’être de l’équité procédurale est de permettre à une partie de connaître les points à prouver et de présenter des éléments de preuve et des arguments à l’appui de sa thèse. La Cour suprême du Canada aborde cette raison d’être au paragraphe 22 de l’arrêt Baker, précité, comme suit :

Bien que l’obligation d’équité soit souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d’examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données. Je souligne que l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

[54]           Dans le cas présent, le demandeur savait quels points il devait prouver. Les documents qu’il souhaitait exclure faisaient partie de son appel initial auprès du Tribunal. Ils étaient liés aux invalidités pour lesquelles il cherchait à obtenir des prestations rétroactives, et il n’y a aucun motif apparent qui justifie cette exclusion.

[55]           Je fais remarquer que parmi les documents que le demandeur souhaite exclure se trouve l’ordonnance du juge Harrington rendue le 16 septembre 2014, dans le dossier no T-1511-14, qui annule la décision initiale du Tribunal datée du 2 juin 2014 et prévoit un nouvel examen de la question par un comité autrement constitué.

[56]           Le demandeur n’a fourni aucun motif raisonnable d’exclure cette ordonnance. Une ordonnance rendue dans le cadre de procédures de la Cour fait partie du dossier et, par présomption, du domaine public, compte tenu du principe de la publicité des débats judiciaires au Canada.

[57]           Le Tribunal n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale en réservant sa position sur la requête jusqu’au moment de rendre sa décision relative au bien-fondé de l’appel du demandeur. Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles le demandeur avait l’option de présenter d’autres arguments à l’audience devant le Tribunal en prévision du rejet de sa requête visant l’exclusion. Le demandeur n’avait aucun droit de connaître à l’avance la décision relative à sa requête visant l’exclusion des documents.

[58]           Compte tenu de la nature informelle et rapide des actes de procédure devant le Tribunal, le Tribunal avait le droit de refuser d’exclure des documents. De plus, l’audience devant le Tribunal était une audience de novo, et le Tribunal a indiqué dans sa décision qu’il ne se baserait pas sur sa décision précédente, laquelle le demandeur souhaite exclure.

[59]           En tenant compte de la requête et des arguments présentés au Tribunal, ainsi que des observations produites par les deux parties dans la présente demande de contrôle judiciaire, je suis convaincue qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale découlant du rejet de la requête du demandeur par le Tribunal.

[60]           Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son interprétation et sa mise en application du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions?

[61]           Le paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions prévoit ce qui suit :

(2) Malgré le paragraphe (1), lorsqu’il est d’avis que, en raison soit de retards dans l’obtention des dossiers militaires ou autres, soit d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur, la pension devrait être accordée à partir d’une date antérieure, le ministre ou le Tribunal, dans le cadre d’une demande de révision ou d’un appel prévus par la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), peut accorder au pensionné une compensation supplémentaire dont le montant ne dépasse pas celui de deux années de pension.

(2) Notwithstanding subsection (1), where a pension is awarded for a disability and the Minister or, in the case of a review or an appeal under the Veterans Review and Appeal Board Act, the Veterans Review and Appeal Board is of the opinion that the pension should be awarded from a day earlier than the day prescribed by subsection (1) by reason of delays in securing service or other records or other administrative difficulties beyond the control of the applicant, the Minister or Veterans Review and Appeal Board may make an additional award to the pensioner in an amount not exceeding an amount equal to two years pension.

 

[62]           Selon moi, et compte tenu des arguments présentés par les parties, le Tribunal n’a commis aucune erreur dans son interprétation du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions. Il a interprété cette disposition comme exigeant une preuve justifiant les retards dans l’obtention de dossiers ou les difficultés administratives. Il a conclu que la disposition exige une preuve justifiant un élément au-delà du traitement normal d’un dossier.

[63]           Le paragraphe 16 de la décision Rivard c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1490, conf. par 2004 CAF 306, reconnaît la nature discrétionnaire du pouvoir décisionnel du Tribunal. Le Tribunal « peut » accorder une compensation supplémentaire lorsqu’il appert dans le dossier qu’il y avait des retards ou des difficultés administratives découlant de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur. Le renvoi au « dossier » peut seulement constituer un renvoi aux éléments de preuve dont disposait le Tribunal.

[64]           Le paragraphe 39(2) est rédigé dans une forme permissive et n’impose aucune exigence selon laquelle une compensation supplémentaire devrait automatiquement être accordée. La conclusion du Tribunal de refuser d’accorder une compensation supplémentaire est raisonnable d’après les éléments de preuve dont il disposait.

[65]           Enfin, il reste à savoir si la décision était déraisonnable parce que le Tribunal n’a pris en compte aucun élément de preuve ou n’a pas tranché une incertitude en faveur du demandeur. À cet égard, le demandeur soutient que le Tribunal a mal interprété l’article 39 de la Loi sur le TACRA.

[66]           L’article 39 de la Loi sur le TACRA prévoit ce qui suit :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[67]           L’objet général de la Loi sur le TACRA est de prévoir un moyen de révision d’une décision rendue au sujet d’une demande de prestations. Le Tribunal peut réviser une décision du ministre ou d’un de ses représentants en vertu de la Loi sur les pensions. Ce droit à la révision est conféré par l’article 84 de la Loi sur les pensions.

[68]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada décrit la norme de la décision raisonnable comme suit :

[…] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[69]           J’estime que la décision du Tribunal, eu égard à la preuve dont il disposait, satisfait à cette norme. Le Tribunal a soupesé la preuve, et son appréciation de celle-ci doit faire l’objet de retenue. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire; voir le paragraphe 61 de l’arrêt Khosa précité.

[70]           Il incombait au demandeur de prouver qu’il y avait des retards dans l’obtention de dossiers militaires ou autres, par exemple, des dossiers médicaux, ou qu’il y avait des difficultés administratives indépendantes de sa volonté qui pourraient justifier une compensation supplémentaire.

[71]           Le demandeur n’a pas été en mesure de fournir les éléments de preuve nécessaires pour la décision relative à sa demande avant décembre 2004, et la décision a été rendue en avril 2005. Le Tribunal a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucun retard indépendant de la volonté du demandeur.

[72]           Après avoir examiné la preuve dont disposait le Tribunal, je ne suis pas convaincue qu’il y avait des lacunes ou des « incertitudes » qui auraient pu inviter le Tribunal à octroyer l’avantage conféré par l’article 39 de la Loi sur le TACRA.

[73]           Il n’y a aucun fondement aux observations du demandeur au sujet de la représentation inadéquate ou insuffisante par le BSJP. Le demandeur avait la possibilité de choisir son avocat, et pouvait changer d’avocat à n’importe quel moment. Le fait que l’avocat n’a pas fait avancer le dossier plus rapidement pour le demandeur ne constitue pas un retard administratif indépendant de la volonté de ce dernier.

[74]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans adjudication de dépens, étant donné que le défendeur n’a pas demandé les dépens dans son mémoire.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-235-15

 

INTITULÉ :

JAMES ALAN MACDONALD c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 août 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Kathleen E. Naylor

Pour le demandeur

 

Jill Chisholm

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kathleen E. Naylor

Avocate

Dartmouth (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.