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Date : 20160208


Dossier : T-925-15

Référence : 2016 CF 124

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

MARCUS BRAUER

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente est une demande du major Marcus Brauer contestant une décision prise par le Secrétariat du Conseil du Trésor [Conseil du Trésor] qui a refusé sa demande de remboursement pour la perte de 88 000 $ en capitaux découlant de la vente de sa maison à Bon Accord, en Alberta. Il s’agit de la deuxième fois que le major Brauer a porté son cas devant la Cour pour un contrôle judiciaire. Le 23 mai 2014, le juge Richard Mosley a autorisé la demande de contrôle judiciaire du major Brauer. Il a ordonné au défendeur de réexaminer sa demande de remboursement puisque la décision du Conseil du Trésor était fondée sur les données des ventes pour la ville d’Edmonton et non pour le village de Bon Accord : voir Brauer c. Canada, 2014 CF 488, [2014] ACF no 553.

I.                   Contexte

[2]               Le major Brauer est un membre des Forces canadiennes. En 2007, conjointement à une promotion, il a été affecté à la Base des Forces canadiennes [BFC] Edmonton en provenance de la BFC Borden. Puisqu’il n’y avait pas de logements locatifs sur la base disponibles pour une famille, les Brauer ont acheté une maison modeste à Bon Accord pour la somme de 405 000,00 $. Le village de Bon Accord est situé à 40 km au nord de la ville d’Edmonton et compte environ 1 500 résidents.

[3]               En 2010, le major Brauer a été affecté à la BFC Halifax. Sur les conseils d’un agent immobilier local, la maison familiale a été mise en vente au prix de 349 000,00 $. La maison a éventuellement été vendue pour la somme de 317 000,00 $. Cela représente une perte en capitaux de 88 000,00 $, soit presque 22 % du prix d’achat initial par le major Brauer.

[4]               La demande de remboursement du major Brauer a été effectuée en vertu de la directive du Programme de réinstallation intégrée de Forces canadiennes (2009) [Directive du PRIFC] et, notamment, de l’article 8.2.13 traitant de la garantie de remboursement des pertes immobilières. Cette disposition fournit une assistance aux membres des Forces canadiennes qui ont subi des pertes en capitaux lors d’une réaffectation :

Conformément aux critères de calcul de la garantie de remboursement ci-dessous, les membres des FC qui vendent leur maison à perte ont droit au remboursement d’une portion où de la totalité de la différence entre le prix d’achat original et le prix de vente, par l’entremise d’une enveloppe de financement spécifique, de la façon indiquée ci-dessous.

As per the HEA calculation criteria listed below, CF members who sell their home at a loss are entitled to reimbursement for up to 100% of the difference between the original purchase price and the sale price from specific funding envelopes as follows:

Indemnité de base

          Remboursement de 80 p. 100 des pertes jusqu’à concurrence de 15 000$.

          Remboursement de 100 p. 100 des pertes dans les endroits désignés par le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) comme des secteurs où le marché de la vente de maisons est faib1e.

Core benefit:

          80% of the loss, to a maximum of $15,000; and

          100% of the loss, in places designated as depressed market areas by Treasury Board Secretariat (TBS).

 

[…]

Le marché déprimé, comme établi par le secretariat du conseil du trésor (SCT), est défini en tant que communauté où le marché du logement a baissé de plus de 20%.

Depressed market, as established by Treasury Board Secretariat, is defined as a community where the housing market has dropped more than 20%.

[5]               Afin d’obtenir une indemnisation complète pour sa perte immobilière, le major Brauer devait, selon la directive du PRIFC, établir que le marché immobilier à Bon Accord avait chuté d’au moins 20 % pendant la période entre le moment de l’achat de sa maison et celui de sa vente. Pour remplir cette exigence, le major Brauer a obtenu une analyse du marché immobilier de Royal LePage (Brad Redekopp). Le rapport de Redekopp indiquait que, du début de 2007 jusqu’à la fin de 2009, le prix de vente moyen des maisons unifamiliales dans le village de Bon Accord a diminué d’une moyenne de 23,11 % : en d’autres mots, le marché était « déprimé ».

[6]               Après la décision du juge Mosley, le Conseil du Trésor a retenu les services d’Acumen Real Estate Valuations Inc. pour effectuer une analyse du marché immobilier à Bon Accord. Le rapport d’Acumen a examiné les données des ventes pour la ville d’Edmonton et le village de Bon Accord. Pour ce qui est de ce dernier, l’auteur a formulé les conclusions suivantes :

[traduction] Pour le village de Bon Accord, nous avons analysé 109 ventes de logements unifamiliaux par l’entremise du Service inter-agences (SIA) entre juin 2007 et mai 2010. Pour les 109 ventes, le prix de vente moyen pour chaque année a été calculé. Pour ce motif, nous avons observé que le prix moyen a chuté de 15,11 % de 2007 à 2008, et de 8,30 % de 2008 à 2009, suivi par une augmentation de 13,30 % en 2010 (pendant les cinq premiers mois). Dans l’ensemble, la variation du prix moyen de 2007 à 2010 indique une chute de 11,79 %.

[7]               Le rapport d’Acumen a été envoyé au major Brauer et au Conseil du Trésor pour examen. Le Conseil du Trésor a nommé un comité consultatif pour évaluer le rapport d’Acumen et d’autres preuves pertinentes, y compris le rapport de Redekopp et les observations de l’avocat du major Brauer. Le comité consultatif a conclu que le marché immobilier de Bon Accord ne constituait pas un « marché déprimé » puisque le déclin de l’évaluation était de l’ordre de 10,8 % à 11,8 %. Cette conclusion était fondée sur l’analyse suivante :

Le comité a examiné les preuves de façon objective et avec l’esprit ouvert. Puisque le demandeur a fourni un nombre limité de ventes de maisons en 2010, le comité s’est fié au rapport d’Acumen en tant que source principale de preuves puisqu’il comprend tous les logements unifamiliaux vendus en 2010 avant la sortie du marché par le demandeur. Le comité a évalué l’effet sur l’issue des divergences mentionnées ci-dessus entre le rapport du demandeur et le rapport d’Acumen. Il a également envisagé une approche alternative, fondée sur une moyenne mobile de six mois, pour définir des périodes de référence comparables afin d’évaluer l’ampleur du déclin du marché de l’habitation. Les résultats des différents calculs examinés sont résumés dans le tableau 1 ci‑dessous.

Comme cela est présenté au tableau 1, Acumen a conclu que le déclin observé de juin à décembre 2007 jusqu’à la période de janvier à mai 2010 dans le marché de l’habitation de Bon Accord pour les logements unifamiliaux était de 11,8 %. Bien que la maison du demandeur ait été retirée du marché le 30 mai 2010, elle n’a pas été incluse dans les données du mois de mai en raison d’un délai dans le système de rapport de déclaration du MLS. Afin de déterminer si l’inclusion de la vente de la maison du demandeur aurait une incidence matérielle sur le résultat de l’évaluation globale du marché de l’habitation, le comité a ajouté cette vente aux données. Cela a fait passé le nombre de ventes pour 2010 dans le rapport d’Acumen de 10 à 11. L’incidence du calcul a été le déclin du prix de vente moyen de 10,9 % à 11,8 % dans le rapport d’Acumen.

De plus, le comité a été en mesure d’effectuer une autre évaluation de Bon Accord selon la preuve devant lui. En raison d’un chevauchement des données sur les ventes de propriétés fournies par le demandeur et Acumen, le comité a été en mesure d’évaluer les ventes de logements entre le 1er janvier 2007 et le 31 mai 2010. L’ensemble de données combinées comprend 124 propriétés (moins les deux bungalows vendus en 2007 et les quatre lots vacants vendus en 2009, mentionnés précédemment). Ensuite, il a calculé la moyenne mobile de six mois des prix de vente. Les moyennes mobiles sont une mesure courante de la santé d’un marché utilisée couramment dans le monde financier. En effet, le demandeur cite une mesure semblable dans son évaluation du marché déprimé, une moyenne mobile sur quatre trimestres. Les principales différences de cette approche comparativement au calcul effectué par Acumen sont les suivantes : 1) elle fonde le prix du marché moyen estimé au moment de l’achat sur la période de six mois précédant l’achat de la résidence par le demandeur, au lieu de la période de sept mois après l’achat, selon le rapport d’Acumen; 2) elle tient compte de plus de transactions immobilières pour le calcul du prix moyen du marché au moment de l’achat et de la vente de la maison du demandeur; 3) elle utilise des périodes cohérentes aux fins de comparaison. Selon cette approche, le prix de vente moyen dans les six mois avant la vente de la résidence du demandeur, qui comprend 15 ventes, était 10,8 % sous le prix de vente moyen dans les six mois précédant son achat en juin 2007, qui comprend 24 ventes.

Finalement, le comité a examiné l’évaluation du demandeur afin de déterminer l’incidence de l’exclusion des quatre lots vacants vendus en 2009 sur ses calculs. Le résultat est que le prix de vente moyen en 2009 a chuté de 17,1 % à compter de 2007, comparativement à 23,1 % lorsque les lots vacants sont inclus. Cela démontre clairement que lorsque les lots vacants sont exclus du calcul, l’estimation du déclin du marché pour 2009 chute de façon significative sous le seuil requis pour identifier le marché comme étant déprimé.

En résumé, le comité a déterminé que les preuves du demandeur étaient insuffisantes pour exécuter l’ordonnance de la Cour fédérale du Canada d’effectuer un réexamen. Afin de fournir des preuves plus complètes pour répondre aux exigences de la Cour fédérale du Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor a sollicité l’aide d’un expert indépendant. Acumen, l’entreprise sélectionnée, a déterminé que Bon Accord n’était pas un marché déprimé en 2010. Le Secrétariat du Conseil du Trésor a fourni au demandeur la possibilité d’examiner le rapport d’Acumen et de fournir des observations. Le comité a validé la conclusion d’Acumen à l’aide d’une évaluation alternative fondée sur une moyenne mobile de six mois. De plus, l’évaluation d’Acumen a identifié que l’inclusion de quatre lots vacants vendus en 2009 a biaisé le calcul du demandeur. Avec l’exclusion pour les raisons précitées, le déclin estimé du marché pour 2009, qui a été présenté dans l’avis du demandeur (plutôt que 2010, selon les instructions de la Cour fédérale du Canada), a chuté sous 20 %.

Dans l’ensemble, il est évident que l’opinion du comité est que le marché de l’habitation n’a pas répondu à la définition d’un marché déprimé lorsque le demandeur a vendu sa résidence en 2010.

[8]               Il est apparent que le rapport du comité consultatif n’a pas été partagé avec le major Brauer avant que le Conseil du Trésor accepte ses conclusions. Au même moment, le major Brauer n’a pas, à n’importe quel instant avant l’instruction de l’instance, soutenu que le Conseil du Trésor lui a refusé l’équité procédurale.

[9]               La présente demande découle de la décision du Conseil du Trésor.

II.                Questions en litige

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 Est-ce que le Conseil du Trésor a commis une erreur dans sa décision que Bon Accord n’était pas un marché déprimé comme cela est défini par la directive du PRIFC?

C.                 Est-ce qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale du fait qu’une copie du rapport du comité consultatif n’a pas été fournie au major Brauer avant que le Conseil du Trésor rende sa décision?

III.             Norme de contrôle

[10]           La décision du juge Mosley comprend une analyse approfondie de la norme de contrôle le menant à appliquer la norme du caractère raisonnable.

[11]           La question soulevée devant le juge Mosley touchait l’interprétation du mot « collectivité » tel qu’il est utilisé dans la directive du PRIFC. Il trouve cela déraisonnable que le Conseil du Trésor ait utilisé des données des ventes de la ville d’Edmonton comme approximation pour le village de Bon Accord. Ainsi, il a renvoyé l’affaire aux fins de réexamen avec l’instruction que, lors de détermination de l’ampleur du déclin du marché, le Conseil du Trésor utilise uniquement les données des ventes résidentielles du village de Bon Accord.

[12]           Les questions devant moi comprennent des défis de la preuve. Entre autres, le major Brauer affirme que le Conseil du Trésor a commis une erreur en se fiant sur un rapport d’évaluation d’un tiers (le rapport d’Acumen) qui contient plusieurs erreurs mineures. Il s’agit d’affaires attirant une norme de contrôle déférente et, par conséquent, j’adopterai et j’appliquerai la norme de la décision raisonnable conformément à l’analyse du juge Mosley. De même, je note que les parties ont convenu que la déférence s’applique aux questions fondées sur la preuve soumises à la Cour.

Est-ce que le Conseil du Trésor a commis une erreur dans sa décision que Bon Accord n’était pas un marché déprimé comme cela est défini par la directive du PRIFC?

[13]           Le major Brauer soutient que la décision du Conseil du Trésor était déraisonnable puisque son comité consultatif s’est fié, en grande partie, à l’analyse d’Acumen – une analyse que le major Brauer qualifie de « fondamentalement erronée ».

[14]           Les erreurs affirmées au nom du major Brauer sont les suivantes :

(a)                En intégrant les données des ventes de la ville d’Edmonton dans son analyse, Acumen ne s’est pas conformé à la directive du juge Mosley de ne tenir compte que des données des ventes du village de Bon Accord;

(b)               Le rapport d’Acumen a reconnu, à première vue, l’absence de données de ventes suffisantes pour appuyer une conclusion statistiquement pertinente; néanmoins, il a conclu en s’appuyant sur des données déficientes que Bon Accord n’était pas un marché déprimé;

(c)                Le rapport d’Acumen n’a pas abordé toute activité économique connue ou planifiée qui serait pertinente pour l’évaluation tel que requis par les modalités de son engagement;

(d)               Cela était arbitraire et une erreur du comité consultatif et d’Acumen d’exclure les ventes de condominiums et de lots vacants de leurs évaluations et cela était également une erreur pour le comité consultatif de rejeter les données de ventes par paires d’Acumen;

(e)                Le comité consultatif a omis de révéler toute analyse sous-jacente ou de définir ce qui constitue des données acceptables.

Aucun des arguments ci-dessus n’est convaincant.

[15]           Une faiblesse fondamentale des critiques ci-dessus est qu’elles ne visent pas, pour la majorité, la décision du Conseil du Trésor. Plutôt, la contestation principale du major Brauer vise les méthodes et les conclusions d’Acumen. Cependant, ce n’est pas le rapport d’Acumen qui est la décision visée par le contrôle judiciaire. Bien que ce rapport constitue une partie intégrante du dossier de preuve, il est clair que le comité consultatif n’a pas adopté complètement les méthodes ou les conclusions d’Acumen. Plutôt, le comité consultatif a appliqué ses propres méthodes d’évaluation aux données de ventes d’Acumen et a formulé une conclusion indépendante stipulant que Bon Accord n’était pas un marché déprimé. Parmi d’autres approches, le comité consultatif a adopté une analyse de la « moyenne mobile », et il a conclu que cette analyse validait les résultats d’Acumen. Le comité consultatif n’a pas tenu compte des trois comparaisons des ventes par paire utilisées par Acumen en raison des difficultés à évaluer la pertinence et l’équité de cet ensemble limité de données. Le comité a également exclu de l’examen les données de la vente de quatre lots vacants puisqu’ils n’étaient pas jugés être des éléments comparables valides. En l’absence de ces quatre ventes, le comité consultatif a conclu que l’évaluation du marché du major Brauer était sous le seuil de 20 %.

[16]           Rien dans le dossier présenté ne suggère qu’Acumen ou le comité consultatif a utilisé les données des ventes de la ville d’Edmonton dans son évaluation du marché immobilier de Bon Accord. En effet, le dossier indique clairement que le comité consultatif a pris soin d’exécuter son mandat conformément à la directive du juge Mosley.

[17]           Bien qu’il soit apparent qu’Acumen avait certaines réserves au sujet de la quantité de données de ventes accessibles pour le village de Bon Accord, Acumen et le comité consultatif ont tous les deux trouvé que le seuil de 20 % pour un marché déprimé n’avait pas été atteint par une marge suffisante. Le comité consultatif a également examiné la qualité des données de ventes accessibles et l’a trouvé suffisante pour calculer la variation dans les valeurs marchandes au fil du temps.

[18]           C’est uniquement grâce à la vigueur des données de ventes de quatre lots vacants qu’une cause en faveur d’un marché déprimé pouvait être affirmée. Le comité consultatif a exclu les ventes des lots vacants de son analyse puisqu’il a conclu que ces propriétés n’étaient pas représentatives, et par conséquent, qu’elles faussaient le calcul du prix de vente moyen des maisons unifamiliales. Cette décision était fondée sur un point de jugement professionnel qui n’était ni arbitraire ni injuste. Il convient évidemment de rappeler que la Cour siégeant à ce contrôle judiciaire, ou tout autre, ne possède pas l’expertise ni l’autorité pour substituer son jugement pour de telles questions à celui du décideur expert désigné.

[19]           Les mêmes considérations s’appliquent aux décisions d’exclure les ventes de condominiums et les données de ventes par paires de l’analyse du marché déprimé par le comité consultatif. Ces considérations sont également des questions de jugement professionnel qui relèvent exclusivement de l’autorité conférée au décideur.

[20]           Enfin, je ne suis pas de l’avis que le comité consultatif a erré en omettant de divulguer ses calculs sous-jacents, en omettant de définir ce qu’il considère être des données fiables ou en omettant de tenir compte des causes sous-jacentes du ralentissement du marché immobilier de Bon Accord.

[21]           Cela est au moins implicite dans ses motifs que le comité consultatif se fiait sur les données de ventes brutes fournies par Acumen. Il revenait au major Brauer de soumettre ces mêmes données à un contrôle par un expert indépendant utilisant des méthodes d’évaluation différentes. Cela lui revenait également de critiquer le rapport d’Acumen, ce qu’il a fait dans une certaine mesure. Par conséquent, il ne peut pas prétendre avoir été désavantagé par ces faiblesses affirmées dans l’analyse d’Acumen. En bref, il s’agit de préoccupations hypothétiques qui ne constituent pas une erreur susceptible de contrôle.

[22]           La plainte stipulant que le comité consultatif a omis de tenir compte des facteurs économiques plus larges qui ont une incidence sur le ralentissement du marché immobilier de Bon Accord est sans fondement. Ces facteurs sont traités dans le rapport du comité aux pages 1 et 2 et ils n’auraient, en aucun cas, fait partie de son analyse financière qui était uniquement fondée sur les données de ventes.

[23]           À mon avis, le rapport du comité consultatif est à la fois rigoureux et raisonnable. En effet, il semble mieux soutenir l’absence d’un marché déprimé à Bon Accord que l’a fait la preuve fournie par le major Brauer à l’appui de la conclusion opposée.

[24]           Il me semble que la source de la difficulté à laquelle le major Brauer et sa famille sont confrontés ne repose pas tant sur l’évaluation du déclin du marché de l’habitation à Bon Accord que sur les limites imposées par la directive du PRIFC. Effectivement, le major Brauer n’a pas présenté un dossier particulièrement étoffé pour établir le déclin de 20 % du marché pendant la période où il était propriétaire de sa maison.

[25]           La directive du PRIFC impose la majorité du fardeau des pertes immobilières aux membres des Forces canadiennes qui doivent déménager pour conserver leur emploi. Afin de récupérer l’intégralité d’une telle perte, le membre doit prouver, à la satisfaction du Conseil du Trésor, que le marché immobilier local a connu un déclin d’au moins 20 %; une situation qui a apparemment rarement été observée.

[26]           Cela n’est donc pas surprenant que l’ombudsman des Forces canadiennes, Pierre Daigle, ait examiné la situation du major Brauer et cherché à obtenir réparation en son nom de la part du ministre de la Défense de l’époque. Sa lettre au ministre du 10 septembre 2013 a expliqué le problème de la façon suivante :

[traduction] Le major Brauer a été affecté à Edmonton en 2007, puis à Halifax en 2010. Il était accompagné de sa femme et de ses enfants. Le major Brauer a exprimé des préoccupations importantes à propos de l’obtention d’un logement abordable dans le marché d’Edmonton, pour location ou achat. Un logement familial a été envisagé, mais la liste d’attente était longue. La demande du major Brauer d’être affecté ailleurs au Canada a été refusée en raison de priorités opérationnelles et des exigences en matière d’effectif. Le major Brauer a acheté une maison pour la somme de 405 000 $ à Bon Accord, une petite communauté située 40 km au nord de la ville d’Edmonton. En 2010, le major Brauer a été affecté à Halifax et il a vendu sa maison pour la somme de 317 000 $, soit une perte de 88 000 $.

En vertu de la GRPI, le major a reçu le montant de base de 15 000 $ en plus de 4 455,72 $ de son enveloppe personnelle, mais on lui a refusé le remboursement intégral au motif qu’en 2010, aucune communauté n’a été déclarée par le Secrétariat du Conseil de Trésor comme une zone au marché déprimé. La demande du major Brauer a été refusée malgré la documentation présentée à l’appui de la revendication que les prix des logements à Bon Accord ont chuté de 23 % depuis 2007.

Le chef d’état-major de la Défense (CEMD), lors de l’examen du grief subséquent du major Brauer, a envisagé d’autres possibilités de réparation et il a déterminé qu’il ne détenait pas l’autorité nécessaire pour accorder un redressement au major Brauer. Le chef d’état-major de la Défense a ordonné que la recommandation en vertu de la GRPI soit transmise au Secrétariat du Conseil de Trésor aux fins d’évaluation de l’état du marché déprimé. Le major Brauer a personnellement perdu plus de 20 % lors de la vente de sa maison. En juillet 2012, le Secrétariat du Conseil de Trésor a refusé sa demande en vertu de la GRPI au motif que Bon Accord était considéré comme faisant partie de la région métropolitaine d’Edmonton. Selon le Secrétariat du Conseil de Trésor, le déclin moyen de la région Edmonton-Bon Accord était de 2,9 % entre 2007 et 2010, et n’a pas répondu à la définition du Secrétariat du Conseil de Trésor d’un « marché déprimé ».

Il doit également être souligné que le chef d’état-major de la Défense a qualifié la situation de systémique et a demandé à son personnel de faire participer le Secrétariat du Conseil de Trésor à un examen des dispositions de la GRPI et du Programme de réinstallation intégrée des Forces canadiennes.

L’injustice de la situation du major Brauer a été portée à l’attention de votre prédécesseur par le sénateur Roméo Dallaire dans sa lettre du 26 juin 2013. Les commentaires du sénateur Dallaire voulant que les dispositions actuelles de la GRPI aient entraîné de graves difficultés pour les membres des Forces canadiennes et leurs familles sont conformes à nos conclusions.

Je porte ce dossier à votre attention puisque le major Brauer, de même que d’autres membres des Forces canadiennes, ont subi une importante perte financière en raison d’une combinaison malheureuse des fluctuations dans les marchés immobiliers, d’une politique déficiente et désuète, et l’exigence de se présenter à une affectation militaire. De toute évidence, il y a plusieurs questions bureaucratiques convergentes qui créent des préjudices injustes pour certains membres des Forces canadiennes simplement parce qu’ils exercent leurs fonctions.

[27]           Apparemment, cette observation n’a rien donné et la limite de 15 000 $ pour la récupération a été maintenue et continue d’être appliquée.

[28]           Je souligne également les préoccupations du juge Mosley au sujet de la politique de remboursement du Conseil du Trésor comme elles sont exprimées dans les passages suivants de sa décision antérieure :

[64]      La situation du demandeur me semble correspondre précisément à celles que la Directive du PRIFC était censée corriger, comme on peut le constater à la lecture des commentaires formulés par le Comité des griefs et par le CEMD. Toutefois, suivant l’interprétation retenue par le SCT, [traduction] « les membres des FC […] doivent […] absorber une perte immobilière “lorsqu’ils [traduction] ‘font l’objet d’un déménagement qui s’apparente à un ‘déménagement imposé’” ». Cette interprétation ne saurait traduire la volonté du gouvernement du Canada pour son personnel militaire.

[67]      La mutation du major Brauer à Edmonton et son affectation subséquente à Halifax étaient des décisions opérationnelles des FC au sujet desquelles le major Brauer n’avait pas grand-chose à dire. Il aurait pu refuser son affectation, mais cela aurait été au péril de son avancement et, même alors, il aurait pu être forcé de déménager ou de remettre sa démission. À cet égard, le choix d’un endroit où rester que plusieurs Canadiens tiennent pour acquis était laissé à la discrétion de son employeur. Or, cette attente s’est avérée vaine. L’employeur s’attend, par l’intermédiaire de son mandataire, le SCT, à ce que la famille supporte la plus grande partie des coûts d’une chute brutale de la valeur marchande de sa maison à la suite d’une réaffectation à une nouvelle base. En fin de compte, cette attente s’est avérée non fondée. L’employeur, par l’entremise de son agent, le SCT, s’attend à ce que la famille supporte la majorité du coût d’un ralentissement marqué de la valeur marchande de leur maison lorsqu’ils sont de nouveau affectés à une nouvelle base. Ce résultat ne correspond de toute évidence pas à ce que visait la politique conçue par le gouvernement, mais les conséquences de son application dans le cas de la famille Brauer ont été catastrophiques.

[29]           Il ne revient pas à la Cour de réécrire la politique du gouvernement en matière de réinstallation pour les membres des Forces canadiennes qui, sans aucun doute, impose la majorité du risque financier associé aux pertes immobilières aux membres des Forces canadiennes qui doivent déménager. L’équité de la politique gouvernementale est une préoccupation politique valide, mais elle ne constitue pas, à elle seule, un fondement pour accorder un recours en justice.

Est-ce qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale du fait qu’une copie du rapport du comité consultatif n’a pas été fournie au major Brauer avant que le Conseil du Trésor rende sa décision?

[30]           À l’audience consacrée à ce sujet, après une question formulée par la Cour, l’avocat du major Brauer a soulevé une question d’équité procédurale fondée sur le défaut apparent du Conseil du Trésor de divulguer le contenu du rapport du comité consultatif. Bien que le major Brauer ait été autorisé à répondre au rapport d’Acumen, il n’était pas au courant de l’analyse indépendante du comité consultatif.

[31]           Puisque le comité consultatif a adopté une méthode d’évaluation différente et a tiré ses propres conclusions, le major Brauer soutient maintenant qu’il aurait dû être en mesure de répondre au contenu de son rapport.

[32]           Compte tenu de cette nouvelle question non documentée, j’ai demandé aux parties de présenter leurs positions respectives au cours des observations après l’audience et les deux parties l’ont fait. Sans grande surprise, l’avocat du major Brauer soutient que l’omission du Conseil du Trésor de divulguer le rapport du comité consultatif constitue « une infraction grave à l’équité procédurale » puisque cela a formé un fondement factuel distinct pour la décision contestée. Cet argument sous-entend que le major Brauer aurait préparé une contestation s’il avait été au courant du contenu du rapport du comité consultatif.

[33]           Il va sans dire que le procureur général soutient qu’il serait très préjudiciable d’envisager cet argument d’équité en l’absence de toute référence explicite à l’avis de requête ou à l’exposé des arguments du major Brauer.

[34]           Sur ce point, je suis d’accord avec le procureur général. Il s’agit d’un enjeu qui aurait été évident pour le demandeur à tout le moins lorsque le dossier certifié du tribunal a été signifié. Si le major Brauer avait réagi au contenu du rapport du comité consultatif, il aurait probablement demandé une modification à son avis de requête justifié par un argument stipulant qu’il a été privé d’une occasion de répondre à son contenu. Son omission de prendre ces mesures est une affirmation implicite qu’il n’avait rien d’autre à ajouter au dossier au-delà des preuves déjà présentées. Je ne suis pas de l’avis que la simple affirmation d’un manquement procédural non précisé dans l’avis de requête est suffisante pour corriger l’omission de documenter cette question dans l’exposé du major Brauer. L’équité demande que le procureur général connaisse avant l’audition de la cause ce qui est affirmé : voir Adewole c. Canada, 2012 CF 41 au paragraphe 15, [2012] ACF no 37.

[35]           J’ajouterais que la question factuelle déterminante abordée par le comité consultatif touchait sa décision de supprimer les données pour la vente de quatre lots vacants de son analyse. Il s’agit de la même approche adoptée par l’auteur du rapport d’Acumen. La justification de ne pas tenir compte de ces données est la même dans les deux cas; que ces ventes n’étaient pas des éléments comparables valides et qu’elles faussaient le prix de vente moyen des maisons unifamiliales pendant la période pertinente. Le major Brauer était donc au courant de ce problème lié au rapport d’Acumen et avait eu l’occasion de le régler. Il s’agit d’une omission révélatrice que dans la lettre de son avocat au Conseil du Trésor datée du 12 décembre 2014, aucune contestation de cette approche n’a été soulevée. Ayant négligé cette question lorsqu’elle a été mentionnée pour la première fois, le major Brauer ne peut pas se plaindre qu’il a été privé d’une occasion d’y répondre à un autre moment du processus.

[36]           Pour les motifs précités, cette demande est rejetée, mais sans dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande, sans dépens.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-925-15

 

INTITULÉ :

MARCUS BRAUER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2016

 

COMPARUTIONS :

M. Joshua Juneau

M. Michel Drapeau

 

Pour le demandeur

 

M. Matthew Johnson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Michel Drapeau Law Office

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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