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Date : 20160217


Dossier : IMM-2788-15

Référence : 2016 CF 209

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

GODABADDE GEDARA SURESH BANDARA ABEYWARDANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre de la décision d’appréciation de substitution défavorable par laquelle l’agent des visas a souscrit, le 10 avril 2015, à l’appréciation précédente d’un autre agent et au refus de la demande de résidence permanente du demandeur en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

II.                Contexte

[2]               En avril 2014, Suresh Bandara Abeywardane Godabadde Gedara (le demandeur), un citoyen du Sri Lanka, a soumis une demande de résidence permanente comme membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [TQF] en indiquant la profession de « technologue en radiation médicale » (CNP 3215). Son épouse, aussi technologue en radiation, a été incluse dans la demande.

[3]               Les deux parties détiennent un diplôme en radiodiagnostic, qui, selon une évaluation, équivaut à un diplôme en radiographie obtenu après deux années d’études au Canada. Ils ont tous les deux sept ans d’expérience de travail comme technologue en radiation.

[4]               Le demandeur a fourni les pièces justificatives exigées, répondait aux critères du Programme des travailleurs qualifiés et dépassait les exigences concernant les points.

[5]               Dans une lettre datée du 15 mai 2014, on a informé le demandeur qu’il avait reçu une décision favorable à l’égard de son admissibilité à la catégorie des TQF, mais que la décision définitive sur l’admissibilité serait prise par un bureau des visas. Le demandeur a été convoqué à une entrevue le 10 mars 2015 à Colombo (Sri Lanka).

[6]               La décision visée par le contrôle judiciaire comprend les points suivants :

                    i.            La décision d’appréciation de substitution défavorable du second agent, qui a été communiquée dans la lettre de refus datée du 10 avril 2015.

                  ii.            La décision de la préposée à l’entrevue selon laquelle le demandeur et son épouse ne l’ont pas convaincue qu’ils seraient en mesure de réussir leur établissement économique au Canada et, par conséquent, qu’ils ne répondaient pas aux critères de la catégorie des TQF.

                iii.            Les notes sur les décisions des agents dans le Global Case Management System (SMGC).

[7]               La lettre de refus explique les dispositions du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002­227) [le Règlement] liées à la résidence permanente dans le cadre du Programme des candidats des provinces (PCP). L’article 87 du Règlement stipule qu’un étranger peut devenir résident permanent dans le cadre du PCP du fait de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada. Aux termes du paragraphe 87(2) du Règlement, un demandeur doit satisfaire aux critères suivants : a) il est visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre; b) il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation.

[8]               Aux termes du paragraphe 87(3) du Règlement, si un agent estime que l’exigence décrite à l’alinéa 87(2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe 87(2) du Règlement.

[9]               Cette appréciation doit être confirmée par un autre agent [paragraphe 87(4) du Règlement].

[10]           La lettre de refus mentionne que le second agent a examiné tous les renseignements dans la demande du demandeur et qu’il était d’accord avec la décision de la préposée à l’entrevue selon laquelle le demandeur ne répondait pas aux critères d’admissibilité décrits à l’article 87 du Règlement.

[11]           La lettre indique que même si le demandeur répondait à une partie importante de la composante sur l’expérience des critères d’admissibilité et de sélection de la catégorie des TQF, la préposée à l’entrevue n’était pas convaincue que le demandeur serait en mesure de réussir son établissement au Canada, une conclusion avec laquelle le second agent était d’accord. La lettre souligne que lorsque cette préoccupation a été communiquée au demandeur durant une entrevue, il n’a fourni aucune contre­preuve.

[12]           Le second agent a refusé la demande, car il n’était pas convaincu que le demandeur répondait aux exigences législatives et qu’il n’était pas interdit de territoire [paragraphes 11(1) et 2(2) de la Loi].

[13]           Les notes sur l’appréciation de substitution dans le SMGC sont presque identiques à la lettre de refus, sauf qu’elles ne citent pas le Règlement et concluent en indiquant que [traduction] « la demande d’accord avec l’application du paragraphe 87(3) du Règlement établi aux termes de la Loi (décision d’appréciation de substitution défavorable) est confirmée ».

[14]           Les notes du SMGC datées du 12 mars 2015 (un jour après l’entrevue) décrivent l’entrevue avec le demandeur et son épouse, qui ont été interrogés séparément.

[15]           Elles indiquent que le demandeur a dit à la préposée à l’entrevue qu’il souhaitait immigrer au Canada parce que c’était un bon pays et qu’il voulait parfaire son éducation. La préposée à l’entrevue a appris que le demandeur n’avait jamais visité le Canada ni voyagé à l’extérieur du Sri Lanka. Un oncle du demandeur vit à Edmonton. Lorsqu’on l’a interrogé au sujet des établissements qu’il avait considérés pour parfaire son éducation, le demandeur a répondu qu’il ne savait pas. Il a expliqué qu’il avait fait des recherches en ligne, mais qu’il ne pouvait pas nommer de sites Web. Même si le demandeur a pu nommer les deux organismes d’agrément pour travailler comme technologue en radiation et qu’il savait qu’il lui faudrait trois ans pour obtenir cet agrément, il ne connaissait pas les étapes précises à suivre.

[16]           Les notes indiquent que lorsqu’on lui a demandé de décrire ses tâches quotidiennes, le demandeur a donné des renseignements très généraux tirés de la description de la Classification nationale des professions (CNP) et n’était pas en mesure de décrire ses tâches quotidiennes en suffisamment de détails.

[17]           L’épouse du demandeur a donné des réponses très semblables durant son entrevue. Elle n’avait jamais visité le Canada ni voyagé à l’extérieur du Sri Lanka. Une de ses tantes vivait à Toronto. Même si elle disait vouloir immigrer au Canada pour parfaire son éducation, elle n’avait pas considéré d’établissements. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait fait des recherches sur la façon d’obtenir son agrément pour travailler comme technologue en radiation, elle a nommé les deux mêmes organismes d’agrément que son époux, mais elle ne savait combien de temps il faudrait pour obtenir son agrément. Elle a mentionné qu’elle n’avait pas fait de recherches sur l’immigration au Canada, qu’elle ne connaissait pas d’organismes d’établissement et qu’elle ne savait pas comment elle procéderait pour trouver un emploi. Les notes indiquent que l’épouse du demandeur, après qu’on lui a demandé quelques fois, pouvait seulement donner des détails très généraux sur ses tâches quotidiennes. Elles mentionnent aussi qu’elle ne cessait pas de regarder son époux durant l’entrevue.

[18]           Les notes du SMGC soulignent que la préposée à l’entrevue a expliqué aux deux parties que [traduction] « si vous faites un travail tous les jours, vous devriez pouvoir décrire vos tâches en détail ». Toutefois, ni l’une ni l’autre des parties pouvait expliquer de manière satisfaisante ses tâches quotidiennes même si elles étaient technologues en radiation depuis 2008.

[19]           De plus, les notes soulignent que les lettres d’emploi actuel fournies par le demandeur paraphrasent la fiche pour CNP 3215 et que l’entrevue a donné au demandeur et à son épouse [traduction] « l’occasion d’expliquer ce qu’ils font dans leurs propres mots ».

[20]           La préposée à l’entrevue était d’avis que le demandeur [traduction] « était très peu préparé à l’immigration même s’il avait eu près d’un an pour se préparer à l’entrevue ». Elle n’était pas convaincue que le demandeur et son épouse seraient en mesure de réussir leur établissement économique au Canada compte tenu des renseignements soumis, des lettres d’emploi, du manque de préparation à l’immigration et de l’incapacité d’expliquer adéquatement les fonctions de leur emploi; elle a donc recommandé une appréciation de substitution défavorable.

[21]           L’examen du dossier dans les notes du SMGC (datées du 18 février 2015) indique que les lettres d’emploi, de deux différents hôpitaux, sont identiques, en plus d’imiter les tâches de la CNP, ce qui [traduction] « réduit la crédibilité globale des lettres d’emploi ». C’est ce qui avait suscité l’entrevue au départ. Le demandeur a eu une note globale de 6,5, tandis que son épouse a reçu une note globale de 7,0.

III.             Questions en litige

[22]           Voici les questions en litige :

A.    La préposée à l’entrevue a­t­elle manqué aux principes d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas donné au demandeur l’occasion de dissiper les doutes qu’elle avait concernant sa capacité à réussir son établissement économique au Canada?

B.     La préposée à l’entrevue et le second agent ont­ils exercé leur pouvoir discrétionnaire de rejet de façon raisonnable?

IV.             Norme de contrôle

[23]           Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appliquée à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de rejet d’un agent des visas.

[24]           Les questions de justice naturelle et d’équité procédurale sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision correcte. Le demandeur soutient que le devoir d’agir équitablement est d’autant plus nécessaire lorsqu’un agent exerce son pouvoir discrétionnaire dans une appréciation de substitution. Dans le jugement Sadeghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 RCF 337, aux paragraphes 14, 15 et 17 [Sadeghi], le juge Evans de la Cour d’appel fédérale a conclu que :

[...] une décision discrétionnaire privant l’appelant de son attente légitime selon laquelle, comme il avait rempli les critères de sélection particuliers prévus par la loi, qui, pour la plupart, sont conçus pour apprécier la capacité du demandeur de réussir son installation au Canada sur le plan économique, il obtiendrait un visa [...] Les décisions qui frustrent une personne de son attente légitime de recevoir un bénéfice attirent généralement une plus grande protection sur le plan de la procédure que celles où le pouvoir discrétionnaire est général.

V.                Analyse

A.                La préposée à l’entrevue a­t­elle manqué aux principes d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas donné au demandeur l’occasion de dissiper les doutes qu’elle avait concernant sa capacité à réussir son établissement économique au Canada?

[25]           Le demandeur avance que la préposée à l’entrevue a manqué à son devoir d’agir équitablement dans les circonstances. Les agents des visas ont l’obligation de donner aux demandeurs l’occasion de répondre au cas précis à leur encontre, ce qui peut nécessiter que les agents communiquent leurs réserves aux demandeurs et leur donnent l’occasion de les dissiper. La préposée à l’entrevue n’a pas avisé le demandeur et son épouse de ses préoccupations précises concernant leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et n’a pas dévoilé qu’elle envisageait l’émission d’une appréciation de substitution défavorable; ils n’ont donc pas eu l’occasion de répondre à ces préoccupations.

[26]           Le guide opérationnel de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) précise que les préoccupations qui justifient l’appréciation de substitution défavorable d’un agent devraient être fournies par écrit. Le manuel renferme ce qui suit :

Si un agent décide d’avoir recours à la substitution de l’appréciation lorsque le demandeur a satisfait à toutes les conditions d’admissibilité à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (c.­à­d. lorsqu’il s’agit alors d’une substitution de l’appréciation défavorable), il doit :

communiquer ses doutes au demandeur par écrit et lui fournir l’occasion de les dissiper, par de la correspondance/des documents et/ou lors d’une entrevue;

[27]           Le demandeur soutient que, dans ces circonstances, les agents doivent faire part de leurs préoccupations précises aux demandeurs. Il se fonde sur le jugement Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 337 Sharma], dans lequel le juge Richard Boivin a déterminé qu’une décision d’appréciation de substitution défavorable aux termes du paragraphe 76(3) du Règlement était inéquitable sur le plan de la procédure, nonobstant l’envoi d’une lettre d’équité procédurale mentionnant que l’agent n’était pas convaincu de la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada.

[28]           Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la préposée à l’entrevue avait l’obligation d’aviser le demandeur de ses préoccupations dans ce contexte et que le fait qu’elle n’ait pas communiqué ses préoccupations concernant la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada représentait un manquement à l’équité procédurale. Cela est conforme à la décision de la Cour d’appel fédérale dans le jugement Sadeghi, précité, et au guide opérationnel de CIC.

[29]           Les agents des visas ont l’obligation de transmettre aux demandeurs leurs doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis et de donner aux demandeurs la possibilité de dissiper ces doutes. Les agents des visas ne sont pas tenus de communiquer leurs préoccupations qui découlent directement des exigences de la Loi et du Règlement ou qui visent le caractère suffisant de la preuve – Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1926, aux paragraphes 15­17, 23; Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, au paragraphe 22 (Rukmangathan).

[30]           Vu les faits de l’espèce, je conclus que la préposée à l’entrevue avait l’obligation de communiquer ses préoccupations au demandeur. Tout d’abord, la teneur du devoir d’agir équitablement est d’autant plus nécessaire dans ce contexte. De plus, les préoccupations de la préposée à l’entrevue étaient liées à la crédibilité des preuves documentaires et testimoniales du demandeur. Les notes du SMGC mentionnent que ce sont les préoccupations soulevées par un analyste de cas parce que les lettres d’emploi étaient des [traduction] « copies conformes » et imitaient en grande partie la CNP qui ont suscité l’entrevue au départ. La Cour a déterminé que de telles préoccupations sont liées à la véracité et à la crédibilité de la preuve du demandeur, et non à son caractère suffisant [Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 571, aux paragraphes 23­27; Hamza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 29].

[31]           De plus, le demandeur a respecté et dépassé les exigences de la catégorie des TQF, et dans un tel cas, la Cour d’appel fédérale a déterminé qu’« il est important que l’agent des visas communique ses réserves à l’intéressé de façon à lui donner la possibilité d’y répondre » (Sadeghi, au paragraphe 17). Même si le demandeur savait que son admissibilité serait évaluée durant l’entrevue, on ne l’a pas avisé que la préposée à l’entrevue envisageait la soumission d’une appréciation de substitution aux termes du paragraphe 76(3) du Règlement afin qu’il puisse comprendre que sa capacité à réussir son établissement économique au Canada était en cause. De plus, il n’a pas eu l’occasion de répondre à cette préoccupation par la suite.

[32]           Les affidavits déposés par le demandeur et la préposée à l’entrevue ne concordent pas sur les points suivants : le ton de l’entrevue et si les préoccupations ont été communiquées expressément. Je détermine que l’affidavit du demandeur est plus persuasif et je lui accorde plus de poids pour les raisons qui suivent.

[33]           Je suis d’accord avec le raisonnement dans le jugement Rukmangathan, précité, aux paragraphes 30­31, qui cite le jugement Parveen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 660 (C.F. 1re inst.) [Parveen] : « Les agents des visas sont saisis de nombreuses demandes; on peut s’attendre à ce qu’ils n’aient pas un souvenir aussi précis de l’évènement que le demandeur » (Parveen, au paragraphe 10). L’entrevue a eu lieu le 11 mars 2015, mais l’affidavit de la préposée à l’entrevue a été assermenté le 4 décembre 2015, soit environ neuf mois plus tard. La longue période écoulée et le nombre d’entrevues que cette préposée à l’entrevue a menées dans l’intervalle remettent en question la fiabilité des déclarations qu’elle a faites plusieurs mois plus tard.

[34]           De plus, l’affidavit de la préposée à l’entrevue répète essentiellement les notes du SMGC et n’ajoute presque rien au fond.

[35]           Même si la préposée à l’entrevue indique dans son affidavit qu’elle a avisé le demandeur de ses [traduction] « préoccupations concernant sa capacité à réussir son établissement économique au Canada » et qu’elle lui a donné l’occasion de répondre à ces préoccupations (paragraphe 11), ces précisions ne sont pas données dans les notes du SMGC, qui indiquent seulement que « les préoccupations ont été expliquées au demandeur ». Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que les notes du SMGC sont vagues et qu’elles n’indiquent pas clairement les préoccupations qui ont été communiquées au demandeur. Les préoccupations expliquées étaient­elles liées à la description non détaillée des fonctions quotidiennes du poste du demandeur et de son épouse, à leurs lettres d’emploi semblables ou au peu de recherches qu’ils avaient faites sur les étapes précises pour obtenir leur agrément? Le défendeur n’indique pas clairement dans les notes du SMGC ou dans le dossier si la préoccupation concernant la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada lui a été précisément communiquée, dans l’entrevue ou autrement, afin qu’il ait la possibilité d’y répondre. On devrait accorder peu de poids à une déclaration vague dans l’affidavit de la préposée à l’entrevue assermenté neuf mois après l’entrevue.

[36]           Le défendeur soutient que l’équité procédurale en l’espèce n’exige pas qu’un agent avise un demandeur par écrit. Cependant, comme l’a indiqué le demandeur, le guide opérationnel de CIC indique que dans ce cas, l’agent doit « communiquer ses doutes au demandeur par écrit et lui fournir l’occasion de les dissiper, par de la correspondance/des documents et/ou lors d’une entrevue». Bien que ce document ne soit pas contraignant et qu’il n’ait pas force de loi, il explique au minimum les obligations procédurales qui sont attendues des agents des visas dans ces circonstances.

[37]           Je conclus que la préposée à l’entrevue a manqué à son devoir d’agir équitablement envers le demandeur en l’espèce, car elle n’a pas transmis ses préoccupations et, par conséquent, n’a pas offert au demandeur une occasion valable d’y répondre.

B.                 Les agents ont­ils exercé leur pouvoir discrétionnaire de rejet de façon raisonnable?

[38]           Le demandeur soutient que la décision d’appréciation de substitution défavorable était déraisonnable pour deux motifs : (i) la préposée à l’entrevue s’est fiée sur des facteurs incorrects et a tiré des conclusions déraisonnables en fonction des preuves dont elle disposait; et (ii) le second agent a ensuite préparé une décision presque incompréhensible en fonction de lois inapplicables et de conclusions dont le caractère déraisonnable était semblable.

[39]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnablement loisible à la préposée à l’entrevue de déterminer que le demandeur et son épouse étaient peu susceptibles de réussir leur établissement économique au Canada. La préposée à l’entrevue a fondé sa décision sur les faits suivants; comme le décrivent les notes du SMGC :

  • Même s’il disait vouloir parfaire son éducation au Canada, le demandeur n’avait pas considéré d’établissements;
  • Le demandeur a affirmé avoir fait des recherches en ligne sur le marché du travail pour les technologues en radiation, mais il n’a pas pu nommer un des sites Web qu’il avait consultés;
  • Même s’il pouvait nommer deux organismes d’agrément, il a déclaré qu’il ne connaissait pas les étapes à suivre pour obtenir son agrément;
  • Le demandeur a un oncle qui vit à Edmonton, et il a simplement haussé les épaules lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne l’avait pas visité;
  • Les réponses de l’épouse du demandeur à l’interrogation étaient identiques à celles du demandeur;
  • Lorsqu’on lui a demandé si elle avait fait des recherches sur l’immigration au Canada ou si elle connaissait des organismes d’établissement, l’épouse du demandeur a répondu qu’elle ne savait pas;
  • Lorsque les préoccupations de la préposée à l’entrevue ont été expliquées durant l’entrevue, le demandeur et son épouse ont répondu qu’ils pourraient faire davantage de recherches.

[40]           De plus, le défendeur soutient qu’il était raisonnablement loisible à la préposée à l’entrevue d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejet étant donné le manque de préparation du demandeur lorsque l’on prend en considération la décision dans son ensemble et les notes du SMGC. L’absence de plans et de recherches quant aux perspectives d’emplois sont des facteurs pertinents à prendre en considération [Wijayansinghe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 811, au paragraphe 45].

[41]           En outre, même si le Règlement n’exige pas qu’un demandeur démontre qu’il obtiendra un emploi dans la profession admissible, un agent est justifié de prendre en considération la probabilité qu’un demandeur pratique cette profession, car on peut penser qu’il misera sur les compétences qui y correspondent pour gagner sa vie [Ghariala c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 745, au paragraphe 37].

[42]           En l’espèce, la lettre de refus et la citation d’un règlement inapplicable à la demande du demandeur remet en question : (i) si le second agent a effectivement examiné tous les renseignements dans la demande du demandeur; et (ii) s’il a lu l’ensemble de l’évaluation qu’il confirme. Par conséquent, cela soulève des doutes sur le caractère raisonnable de la décision.

[43]           Un affidavit de Kristin Erickson, conseillère en immigration au Haut­commissariat du Canada au Sri Lanka à Colombo, qui a été assermenté le 27 novembre 2015, indique que le 24 avril 2015, le bureau de l’immigration a reçu un courriel du représentant en immigration du demandeur; il demandait un nouvel examen de la décision de refus parce qu’elle avait été prise en fonction de l’article 87 du Règlement (plutôt que de l’article 76 du Règlement). Le second agent a répondu par courriel le 28 avril 2015; il a alors indiqué qu’il avait examiné la demande et qu’il confirmait que l’évaluation avait été faite selon les dispositions liées aux TQF, et non le PCP, et que la mention du PCP dans la lettre de refus avait été ajoutée par inadvertance. Il a déclaré que le traitement de la demande et la décision étaient fondés en droit. L’affidavit indique que le paragraphe 76(3) du Règlement aurait dû être inscrit à l’endroit où le second agent a mentionné le paragraphe 87(3) et que, peu importe, le critère applicable, c’est­à­dire si le demandeur peut réussir son établissement économique au Canada, est le même dans les deux cas.

[44]           En dépit des renseignements ci­dessus, il est évident que la lettre de refus ne fait pas que d’utiliser « par inadvertance » le paragraphe 87(3) du Règlement à l’endroit où le paragraphe 76(3) aurait dû être indiqué. Plutôt, elle décrit l’article 87 ainsi que les paragraphes 87(2) et 87(3) du Règlement. La lettre de refus indique que le second agent a examiné tous les renseignements fournis par le demandeur et qu’il a déterminé que ce dernier [traduction] « ne répondait pas aux critères d’admissibilité écrits à l’article 87 du Règlement ». Cela indique que le second agent a examiné les renseignements à la lumière de l’article 87 du Règlement, dont les critères d’admissibilité diffèrent de ceux du Programme des TQF.

[45]           De plus, la lettre de refus mentionne une seule fois « TQF », soit lorsqu’elle paraphrase les notes de la préposée à l’entrevue dans le SMGC. Bien que la décision de la préposée à l’entrevue semble avoir été fondée sur les critères d’admissibilité du Programme des TQF, il n’est pas clair si le second agent a examiné la demande à la lumière du régime de réglementation 

[46]           Je conviens que les dispositions liées au PCP et aux TQF sont semblables parce qu’elles permettent à un agent de prendre une décision d’appréciation de substitution défavorable même si le demandeur répond aux autres critères s’il est déterminé que les alinéas précédents propres au Règlement [87(2)a) ou 76(1)a)] ne sont pas un indicateur suffisant de l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada. Toutefois, les dispositions pour le PCP (article 87 du Règlement) et les TQF (article 76 du Règlement) ne sont pas identiques; il en est de même pour les paragraphes sur l’appréciation de substitution dans les deux articles.

[47]           Je conclus que la décision du second agent est déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre préposé à l’entrevue pour nouvel examen de l’admissibilité du demandeur.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­2788­15

 

INTITULÉ :

GODABADDE GEDARA SURESH BANDARA ABEYWARDANE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Swaisland

POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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