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Date : 20160115


Dossier : T-366-14

Référence : 2016 CF 47

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY

LIMITED

défenderesse brevetée

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Eli Lilly Canada Inc. [Lilly] en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS 93-133 tel que modifié [Règlement]. Lilly demande une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité [AC] à la Corporation de soins de la santé Hospira [Hospira] pour sa version générique proposée du pemetrexed disodique [pemetrexed] vendu au Canada par Lilly sous le nom de marque ALIMTA®. Le pemetrexed est un médicament antifolique utile dans le traitement de certains cancers.

[2]               La défenderesse brevetée, Takeda Pharmaceutical Company Limited [Takeda], est titulaire du brevet canadien no 1 340 794 [brevet 794] couvrant le pemetrexed. Lilly est titulaire d’une licence de Takeda pour vendre le pemetrexed au Canada.

[3]               Le brevet 794 a été déposé au Canada, le 23 mars 1989, et délivré plus d’une décennie plus tard, le 19 octobre 1999. En tant que brevet régi par l’« ancienne loi », il expirera le 19 octobre 2016.

[4]               Il est intéressant de savoir que Lilly avait déjà obtenu une licence pour vendre le pemetrexed qui était visé par un brevet différent, à savoir le brevet canadien 2 031 890 [brevet 890]. Le brevet 890 a été délivré à l’Université de Princeton, le 25 juillet 2000, à la suite de travaux réalisés par, entre autres, les employés de Lilly. En tant que brevet régi par la « nouvelle loi », Lilly a bénéficié du monopole du brevet 890 sur le pemetrexed jusqu’à l’expiration le 10 décembre 2010. Hospira affirme que Lilly est effectivement en train de déjouer le système par cette tentative de prolonger le monopole du pemetrexed de six années supplémentaires. Il est pas tout à fait clair, selon la preuve présentée, pourquoi ces deux brevets ne sont pas soumis à une procédure de règlement de conflit; mais pour les motifs qui suivent, il est inutile de déterminer laquelle d’entre elles est prioritaire.

[5]               Les parties et leurs témoins ont soulevé un nombre important de questions juridiques ou liées à la preuve et ont déposé des dossiers volumineux à l’appui de leurs positions respectives. Même si la Cour souhaite aborder chaque question, elle n’est pas en mesure d’y consacrer suffisamment de temps. Pour des raisons d’économie judiciaire et vu le caractère sommaire et non contraignant de la procédure visant l’AC, je compte traiter uniquement de la seule question déterminante de la prédiction valable de l’utilité.

[6]               Il suffit de résoudre cette demande afin de déterminer si une personne du métier en 1989 pourrait avoir prédit valablement l’utilité promise des composés non testés relevant les revendications 7 et 9 à la lumière des données d’essais rapportés dans le brevet et de ce qui était connu des spécialistes.

[7]               Il est admis que les revendications présentées se rapportent à une catégorie de composés qui comprend le pemetrexed. La plupart des composés couverts par les revendications 7 et 9 (y compris le pemetrexed) ne sont pas expressément décrits, ni n’ont été fabriqués ou testés par Takeda avant la date de dépôt. Pour répondre à l’exigence d’utilité, Lilly doit donc établir que l’utilité promise des composés non testés aurait été valablement prédite par une personne du métier à la lumière des résultats que Takeda avait obtenus dans le cadre de ses essais de certains des composés relevant de ces revendications. D’après ce que je déduis de la preuve, Lilly ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, sur cette question.

I.                   Brevet 794

[8]               Le brevet commence par l’affirmation selon laquelle [traduction] « la présente invention concerne les nouveaux dérivés de pyrrolopyrimidine qui sont utiles comme agents antitumoraux, à la production et l’utilisation de ceux-ci ». Ce qui suit est un bref résumé de ce qui était connu dans l’état de la technique sur les composés antifoliques et une affirmation des avantages des composés revendiqués comme médicaments antitumoraux d’une importance clinique « considérable ».

[9]               À la page 25, les effets des composés de l’invention sont décrits de la manière suivante : [traduction]

Les composés (I) de la présente invention présentent d’excellents effets antitumoraux et des souches de cellules tumorales de la souris (P388, L1210, L5178Y, mélanome B16, sarcome Meth A, carcinome pulmonaire Lewis, sarcome S180, carcinome Ehrlich et Colon38) et des souches de cellules tumorales humaines (HL60, KB et Lu65), ont diminué la tumeur chez des animaux à sang chaud [c.-à-d. le mélanome, le sarcome, le mastocytome, le carcinome, la néoplasie, etc.] et prolongent la durée de vie des animaux à sang chaud porteurs de tumeurs.

[10]           Les passages subséquents de la description se réfèrent aux effets antitumoraux « remarquables » des composés, ce qui les rend adéquats pour le traitement de tumeurs chez les animaux à sang chaud.

[11]           Le brevet se termine par 36 revendications, la revendication 1 intégrant la totalité des composés figurant dans les revendications 1 à 29. La revendication 30 concerne un procédé de fabrication des composés et les revendications 32 à 36 se rapportent à des intermédiaires chimiques utilisés dans la synthèse des composés. La revendication 31 se rapporte à des agents antitumoraux comportant les composés couverts par les revendications 1 à 29.

[12]           Lilly n’affirme, dans ses arguments, qu’un sous-ensemble de revendications de composés[1], à savoir la revendication 7 lue en liaison avec les revendications 4, 2 et 1 (revendication 7/4/2/1); la revendication 9 lue en liaison avec les revendications 3, 2 et 1 (revendication 9/3/2/1); et la revendication 11 lue en liaison avec les revendications 4, 2 et 1 (revendication 11/4/2/1). Elle invoque également la revendication 31, comme une aide à l’interprétation de l’utilité promise des revendications concernant les composés. Il semble n’y avoir aucune preuve au dossier pour appuyer le cas de Lilly en ce qui concerne la revendication 11/4/2/1, mais il ne s’agit pas d’une question pertinente en fin de compte.

[13]           Il semble n’y avoir aucun désaccord sur l’interprétation des revendications susmentionnées. Il y a également un accord général sur les attributs d’une personne du métier. J’accepte la description suivante d’une personne du métier, énoncée au paragraphe 16 de l’affidavit de M. Kalman :

16.       Le brevet 794 est adressé à une personne possédant les connaissances d’un chimiste des médicaments titulaire soit d’un doctorat ou d’une maîtrise en chimie thérapeutique ou organique et ayant des connaissances supplémentaires dans le domaine de la biochimie de l’acide folique et de la chimiothérapie du cancer, plus précisément des connaissances de la chimie et de la biologie des antifoliques et de leurs cibles enzymatiques différentes. Cette personne ferait partie d’une équipe qui comprend des pharmacologues ayant une expérience dans la conduite et l’interprétation des essais in vitro mentionnés dans le brevet 794 et également dans des modèles animaux in vivo; d’autres professionnels pharmaceutiques touchés par la formulation des médicaments et le métabolisme; et des oncologues cliniques.

[14]           Hospira et ses témoins experts ne contestent pas la caractérisation par Lilly du concept inventif du brevet qui est censé résider dans la découverte inattendue que des antifoliques classiques portant un système bicyclique de pyrrolopyrimidines 6/5 avaient une activité antifolique. J’accepte la preuve de M. Jones sur ce point, au paragraphe 123 à 129 de son affidavit, y compris l’observation selon laquelle les efforts limités précédents visant à explorer les systèmes cycliques 6/5 de l’activité antifolique avaient été improductifs. J’accepte également que, pour chacun des composés effectivement testés par Takeda avant la date de dépôt (dans la mesure où cela a été établi), un certain niveau mesurable de l’activité antifolique a été obtenu sur le plan d’au moins une lignée de cellules tumorales. La question qui demeure est de savoir si ces données d’essais sont suffisantes pour appuyer une prédiction valable de l’utilité des milliers de composés qui demeurent non testés par Takeda.

II.                Utilité – Témoins experts

[15]           L’argument d’Hospira quant à une absence de prédiction valable repose essentiellement sur la preuve de M. Thomas Kalman et de M. Roger Phillips appuyée, en partie, par M. Michael Chong.

[16]           M. Kalman est professeur principal au département de chimie et au département de pharmacologie et de toxicologie (School of Medicine) de la State University of New York, à Buffalo. Il possède une expérience considérable des recherches et de l’enseignement, traitant de la chimie thérapeutique et de la pharmacologie des médicaments anticancéreux, notamment les antifoliques.

[17]           M. Phillips est professeur de pharmacologie du cancer à l’Université de Huddersfield, en Angleterre. Il possède une vaste expérience dans l’évaluation de composés potentiels et anticancéreux mettant un accent particulier sur les agents qui ciblent le métabolisme de la tumeur. Il possède une expertise particulière dans l’évaluation de la valeur prédictive des tests in vitro de médicaments anticancéreux. Il a publié de nombreux articles. Il agit souvent comme arbitre sur le plan de l’évaluation des articles soumis pour publication dans plusieurs revues médicales et examine les propositions de subventions pour, entre autres, Cancer Research UK.

[18]           Tant M. Kalman que M. Phillips sont bien qualifiés pour parler de la question abordée dans leurs affidavits.

[19]           M. Chong est professeur au département de chimie de l’Université de Waterloo, en Ontario. C’est un chimiste organique qui s’intéresse aux recherches dans le domaine de la chimie organique de synthèse ainsi que la préparation, l’identification et la séparation des composés. Le mandat de M. Chong comprenait une évaluation structurale comparative des composés ostensiblement testés par Takeda par rapport à la catégorie des composés revendiqués par le brevet. M. Chong était bien qualifié pour répondre à cette question et, en grande partie, ses opinions ne sont pas directement contestées par Lilly.

[20]           L’argument de Lilly quant à la prédiction valable repose essentiellement sur l’opinion de M. Terrence Jones. M. Jones est chimiste spécialisé en chimie thérapeutique et en chimie organique synthétique ayant une expérience dans la conception et la synthèse de nouveaux antifoliques pour le traitement du cancer. Entre 1996 et 2004, il a été le chef de la direction scientifique d’Angstrom Pharmaceuticals et depuis 2004, il travaille à temps partiel en tant que consultant pharmaceutique. Il a publié un certain nombre d’articles scientifiques et a exercé les fonctions de réviseur pour le Journal of Medicinal Chemistry. Même si Hospira a contesté l’objectivité de M. Jones, je suis convaincu qu’il est qualifié pour traiter des questions abordées dans ses affidavits. Sur la foi des réponses qu’il a données lors du contre-interrogatoire, je n’ai également aucune raison de douter de son objectivité.

[21]           La preuve de M. Wuest a porté principalement sur les questions de la suffisance. En tant que chimiste spécialisé dans le domaine de la chimie organique de synthèse, il était bien qualifié pour répondre à ces questions : voir son affidavit, aux paragraphes 1 à 6. Cependant, son aptitude à fournir un avis sur l’utilité des composés revendiqués était très discutable. Il n’a aucune expérience dans les travaux touchant l’acide folique ou les antifoliques et n’a pris connaissance du domaine qu’après avoir été retenu par Lilly (voir p. 5062 à 5064 du dossier de demande). En raison de ce manque d’expérience pertinente, je ne suis pas prêt à accorder du poids à la preuve de M. Wuest lorsqu’elle entre en conflit avec celle de M. Kalman et de M. Phillips sur les questions relatives à l’utilité.

[22]           Le Dr Rick Van Etten est à la fois clinicien et chercheur sur le cancer. C’est le directeur du Chao Family Comprehensive Cancer Center de l’Université de Californie (Irvine), où il est également professeur de médecine à la Division d’hématologie/oncologie. Il possède une expérience considérable sur le plan des essais cliniques animaux et humains dans le domaine du traitement du cancer.

[23]           La portée du mandat du Dr Van Etten concernant l’utilité serait limitée à la revendication 31 (voir p. 738 du dossier de demande, au paragraphe 9). Néanmoins, il a continué à aborder la question de l’utilité plus généralement en référence à un « sous-ensemble » de composés de formule I. Ses opinions sur cette question manquent d’analyse et de détails et, pour ce motif, elles sont en grande partie inutiles.

III.             La promesse du brevet

[24]           Les parties et leurs témoins experts sont en désaccord sur la portée de la promesse du brevet. Il n’y a aucune différence importante concernant l’interprétation du libellé de la revendication en soi.

[25]           Hospira plaide pour une promesse accrue de l’utilité et Lilly demande en fait qu’on réduise la promesse à une « moindre parcelle » d’utilité. C’est potentiellement pertinent pour déterminer si une personne du métier aurait pu faire une prédiction valable de l’utilité pour les composés non testés, y compris le pemetrexed, sur la force des données obtenues pour les composés testés.

[26]           C’est un cas où les opinions des témoins experts portant sur l’interprétation de la promesse du brevet étaient, en grande partie, inutiles. M. Jones a abordé cette question sur la foi d’avis selon lesquels la moindre parcelle d’utilité suffirait et a conclu que la promesse des revendications sur les composés était seulement qu’une activité antifolique in vitro était montrée ou pourrait être valablement prédite à partir des données in vitro de Takeda. Il semble qu’il a fait peu d’efforts pour examiner les revendications sur la foi de toute la formulation des caractéristiques et s’est fié principalement aux conseils d’un avocat (voir sa preuve, aux p. 5762A à 5773 du dossier de la demande et au par. 156 de son affidavit).

[27]           La preuve de M. Kalman était inutile parce qu’elle reposait trop sur la formulation des caractéristiques qui ne pouvait être interprétée que comme un objectif ou une aspiration et il a admis qu’il n’avait pas été chargé de tenter de faire la distinction entre les objectifs et les promesses. Lors du contre-interrogatoire, il s’est également rétracté, dans une certaine mesure, quant à l’opinion énoncée dans son affidavit (voir, par exemple, ses réponses aux p. 7560 à 7561 du dossier de la demande). M. Phillips n’a pas été longuement contre-interrogé sur cette question, mais, lui aussi, ne semble pas avoir compris la distinction entre une formulation des aspirations et des promesses explicites.

[28]           À mon avis, une personne du métier interpréterait la promesse du brevet comme se situant entre les positions avancées par les parties et leurs experts.

[29]           L’argument de Lilly quant à une promesse tronquée en matière d’utilité par rapport aux composés revendiqués est fondé, en partie, sur l’absence de toute utilité affirmée dans la formulation de la revendication. Seule la revendication 31 parle d’utilité en mentionnant des agents antitumoraux contenant une quantité antitumorale efficace de composés définis dans les revendications 1 à 29.

[30]           Je n’accorde pas beaucoup de poids à l’absence d’une promesse d’utilité explicite dans les revendications sur les composés. La découverte d’une nouvelle molécule sans révéler son utilité potentielle n’appuie pas un brevet. Par conséquent, lorsqu’une revendication de composé ne se prononce pas quant à l’utilisation, une personne du métier doit recourir aux caractéristiques pour déterminer la promesse d’utilité de la revendication. À cette étape, une personne du métier doit tenir compte de toute la formulation des caractéristiques en vue de la formation d’une interprétation téléologique : voir Whirlpool Corp c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067 et Shire Biochem Inc. c. Canada, 2008 CF 538, aux paragraphes 21 à 23, 328 FTR 123.

[31]           L’argument de Lilly selon lequel la promesse du brevet est limitée à la simple exigence d’une activité cytotoxique in vitro mesurable est intenable parce qu’il ne tient pas compte d’un langage clair et sans ambiguïté dans la description de l’utilité et, en particulier, la phrase d’ouverture : [traduction

La présente invention concerne les nouveaux dérivés de pyrrolopyrimidine, qui sont utiles comme agents antitumoraux, ainsi que la production et l’utilisation de ceux-ci. [Non souligné dans l’original.]

[32]           Il y a plusieurs autres références semblables dans la description de l’utilisation ou de l’emploi des composés revendiqués comme agents antitumoraux souvent en conjonction avec des descripteurs comme « excellents » ou « remarquables ».

[33]           Sur la foi de cette formulation, une personne du métier inclurait, dans la promesse du brevet, l’utilisation des composés comme agents antitumoraux. Sur ce point, je suis d’accord avec M. Phillips que la promesse de l’activité antitumorale serait comprise par la personne du métier comme signifiant une activité in vivo par rapport aux tissus anormaux (voir les paragraphes 141 à 142 de son affidavit et la p. 7349 de son contre-interrogatoire). C’était également le point de vue du Dr Van Etten quand il a assimilé la référence à « un agent antitumoral » figurant dans la revendication 31 à quelque chose qui affecte une masse tumorale. Cela pourrait être établi par la preuve divulguée de l’activité in vivo ou par des éléments de preuve de l’activité in vivo à partir desquels une extrapolation de l’activité in vivo pourrait être tirée. Je n’accepte pas la preuve de M. Jones selon laquelle l’activité antitumorale signifie seulement que les composés revendiqués présenteraient un certain degré d’activité antifolique in vitro ou que des données in vitro sont simplement « la cerise sur le gâteau » (voir p. 5766 du dossier de demande). Les tests in vitro, en l’absence d’une prédiction valable, n’établissent pas l’efficacité contre une masse tumorale.

[34]           Cependant, une personne du métier n’inclurait pas, dans la promesse du brevet, des références très subjectives et qualitatives du genre « excellents » ou « remarquables », ni considérerait-elle que chacun des composés revendiqués serait utile pour traiter des tumeurs chez les animaux à sang chaud. Il n’y a rien dans le brevet qui établit que les composés bénéficiaient d’un avantage relatif sur le méthotrexate (voir la preuve de M. Kalman aux p. 7510 et 7561 du dossier de demande) ou que tous les composés revendiqués avaient des toxicités propres aux cellules tumorales. Ces références du mémoire descriptif me semblent être davantage de la nature d’espoirs ou d’aspirations pour certains des composés et non de promesses pour chacun d’entre eux.

[35]           Je ne suis pas d’accord que tout degré d’efficacité promise en tant qu’agent antitumoral serait déduit par une personne du métier à partir des points de données relatifs à l’activité exprimés dans le brevet. En même temps, je n’accepte pas le point de Lilly selon lequel toute activité antifolique in vitro mesurable pourrait satisfaire la promesse du brevet. Il me semble qu’une personne du métier aurait un seuil d’activité à l’esprit au-dessous duquel un composé ne serait pas considéré comme un agent antifolique ayant des effets antitumoraux. M. Jones a semblé accepter ce point, mais non sans équivoque quant à ce que serait le seuil.

[36]           Lorsque M. Jones a été interrogé sur un seuil d’efficacité, il a exprimé l’opinion selon laquelle une « moindre parcelle » d’activité antifolique représentait tout ce que le brevet promettait. Selon M. Jones, une réduction de 10 % de la taille de la tumeur a atteint le seuil requis (p. 2687 à 2688, du dossier de demande) et une activité antitumorale aussi faible que 0,5 % aurait également pu être vue par une personne du métier pour satisfaire l’exigence d’utilité (p. 5690 du dossier de demande). Au paragraphe 264 de l’affidavit de M. Jones, il a déclaré que [traduction] « un agent antitumoral, c’est quelque chose qui démontre un effet antitumoral », mais lors du contre-interrogatoire, il a qualifié cette preuve en disant ce qui suit [traduction] : « une CI50 raisonnable, par exemple, d’un composé contre les cellules tumorales et la culture de tissus constitueraient un effet antitumoral ». Il a ensuite reconnu qu’une personne du métier s’attendrait à un niveau d’activité qui « pourrait » rendre le composé utile pour le traitement (p. 5701 à 5702 du dossier de demande). En fin de compte, M. Jones a admis dans l’échange suivant qu’une valeur CI50 du composé supérieure à 20 microgrammes par millilitre n’a aucune activité cytotoxique : [traduction]

629      Q.        Donc, si vous allez au paragraphe 215 de votre déclaration sous serment, vous dites ce qui suit à la deuxième phrase :

« On a constaté que l’exemple pratique 14 avait une valeur CI50 > 20 microgrammes par ml, une valeur très élevée, montrant qu’il n’avait pas d’activité cytotoxique contre cette lignée cellulaire. »

Vous le voyez?

R.        Oui, je le vois. Oui.

630      Q.        Ne venez-vous pas de me dire que l’activité de 427 microgrammes par ml était cytotoxique mais, dans votre affidavit, vous dites qu’une activité supérieure à 20 microgrammes par ml n’est pas cytotoxique?

R.        Oui, je vois la disparité.

631      Q.        Alors, quel nombre préférez-vous adopter, la valeur CI50 de plus de 20 microgrammes par ml qui n’est pas cytotoxique, ou supérieure à celle de 427?

R.        Je dois m’en tenir à ce que j’ai écrit au paragraphe 215.

632      Q.        La valeur CI50 de plus de 20 microgrammes par ml?

R.        Plus de 20, oui.

Voir aussi p. 5773 du dossier de demande.

[37]           Inutile de dire que la preuve de M. Jones sur ce point n’était pas tout à fait cohérente. Le point sur lequel les experts semblaient être d’accord, cependant, était que la promesse d’efficacité avait un aspect qualitatif. En l’absence d’autres éléments de preuve sur ce point, je ne peux que conclure que le composé ayant une valeur CI50 supérieure à 20 microgrammes par millilitre ne serait pas considéré par une personne du métier comme étant un agent antitumoral.

IV.             Utilité – Principes juridiques

[38]           L’article 2 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch. P -4, [Loi] définit une invention comme « [t]oute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Le paragraphe 34(1) de la Loi stipule que le breveté doit « décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation » et « exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières ». Ainsi, le breveté devait expliquer comment l’invention pouvait être réalisée et utilisée efficacement.

[39]           Le paragraphe 34(1) n’a, cependant, pas imposé au breveté l’obligation de vanter les avantages de l’invention ou de faire des promesses particulières concernant son utilité. L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 RCS 504, 1981 CanLII 15 (CSC), est que le titulaire du brevet n’est pas tenu de promettre quoi que ce soit à propos de l’utilité pratique ou commerciale d’une invention : voir aussi Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, au paragraphe 54, [2002] 4 RCS 153. L’inventeur n’a même pas besoin d’être conscient des avantages de l’invention ou des raisons pour lesquelles elle fonctionne. Cependant, dans la mesure où le titulaire du brevet fait une promesse claire de l’utilité, il doit la respecter.

[40]           Une récente décision sur la doctrine de la promesse et de l’utilité figure dans Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc. et G.D. Searle & Co., 2014 CAF 250, aux paragraphes 64 à 67 et 71, [2014] ACF no 1090, où le juge en chef Noël a déclaré ce qui suit : [traduction]

64        En vertu de la Loi, une invention doit être utile pour mériter la protection (art. 2). Cependant, les tribunaux ont longtemps jugé que les exigences minimales de la Loi en matière d’utilité sont assez indulgentes. Premièrement, l’inventeur n’est pas tenu d’indiquer expressément l’utilité de l’invention dans le brevet (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, aux paragraphes 525 et 526 [Consolboard]. Il faut tout simplement que, lorsque l’inventeur est appelé à prouver l’utilité de l’invention, l’utilité puisse être démontrée ou valablement prédite à la date de dépôt du brevet (AZT). Deuxièmement, le seuil qui doit être prouvé pour établir l’utilité est généralement assez faible, décrit comme n’étant rien de plus qu’une « moindre parcelle d’utilité » (Olanzapine).

65        La doctrine de la promesse représente une exception aux exigences juridiques minimales susmentionnées. Bien que l’inventeur ne soit pas tenu de décrire toute utilité particulière de l’invention, s’il promet explicitement un résultat précis, il doit respecter cette promesse lorsqu’il est appelé à prouver l’utilité (Plavix CAF, aux paragraphes 48 et 49). Le fait que l’invention ait bien satisfait le seuil de la moindre parcelle n’est d’aucune aide pour établir l’utilité quand une promesse, si elle est faite, ne peut pas être respectée (Plavix FCA, au paragraphe 54).

66        La doctrine de la promesse n’assujettit un inventeur à une norme élevée que si une promesse claire et sans ambiguïté a été faite. Lorsque la validité d’un brevet est contestée sur la foi d’une promesse présumée non respectée, le brevet sera interprété en faveur du titulaire du brevet de sorte qu’il puisse raisonnablement être lu par l’homme du métier comme excluant cette promesse. Cette approche peut être retracée aux premières mentions de la doctrine de la promesse. Dans Consolboard, la source de la doctrine de la promesse dans le droit canadien, la Cour suprême du Canada a réitéré le principe de longue date selon lequel (Consolboard, au paragraphe 521, citant Western Electric Company, Incorporated, and Northern Electric Company v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, au paragraphe 574) : [traduction]

« [...] quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ».

67        Cette règle en faveur de la protection d’une invention plutôt que de son invalidation en cas d’ambiguïté a été systématiquement appliquée par la Cour. Si le principe est parfois invoqué par référence au libellé original dans Consolboard (Anastrozole, aux par. 17 et 19) confirmant le jugement AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, [2011] F.C.J. n° 1262, au par. 88), il prend effet, à d’autres moments, en vertu de l’exigence selon laquelle les promesses doivent être « explicites » (voir Olanzapine, au par. 76, Eli Lilly and Company c. Teva Canada Limitée 2011 CAF 220, [2011] ACF no 1028, aux paragraphes 18 à 21 [Atomexétine], Plavix CAF au par. 49). Par analogie avec le critère de seuil applicable aux brevets de sélection, la Cour, dans Plavix CAF, a souligné la nécessité de l’explicitation en disant que la promesse doit être appuyée par une formulation [traduction] « ... au moins aussi claire et sans ambiguïté que celle qui permet d’établir les avantages de la sélection par rapport aux composés d’un brevet de genre » (Plavix CAF au par. 66). Il en résulte qu’il ne suffit pas de désigner simplement une promesse comme étant « explicite » si elle ne peut être appuyée que sur la foi de conclusions équivoques et d’indications ambiguës (Plavix CAF, aux paragraphes 64 à 66).

[...]

71        Ce passage n’appuie pas la proposition générale avancée par Apotex. À mon avis, la juge Gauthier (comme elle était alors) déclarait tout simplement que, quand un résultat ou un avantage est affirmé dans les revendications d’un brevet, il serait généralement considéré comme étant une promesse d’utilité. C’est tout à fait compatible avec l’avertissement du juge Zinn dans Fournier, au paragraphe 126, selon lequel les déclarations sur l’utilité risquent particulièrement d’être comprises comme étant des promesses quand elles sont exprimées dans les revendications d’un brevet. Apotex n’a pas réussi à établir comment on peut démontrer que les revendications du brevet 576 décrivent l’utilisation chez les êtres humains comme un avantage particulier des composés revendiqués.

[41]           J’accepte le point de vue de Lilly selon lequel une promesse d’utilité ne doit pas être déduite du libellé du mémoire descriptif. Au contraire, elle doit être claire et sans équivoque dans le libellé explicite du mémoire descriptif : voir Sanofi-Aventis c. Apotex 2013 CAF 186, aux paragraphes 64 et 65, [2013] ACF no 856.

[42]           L’inutilité doit être évaluée selon la revendication même si certaines promesses seront interprétées comme étant générales, en s’appliquant à un sous-ensemble de toutes les revendications : voir AstraZeneca c. Apotex, 2015 CAF 158, aux paragraphes 4 et 5, [2015] ACF no 802. L’utilité doit être prouvée par rapport à l’ensemble d’une revendication particulière. Je ne suis pas d’accord avec Lilly que les jugements Fournier Pharma c. Canada, 2012 CF 740, 413 FTR 239 et Searle c. Novopharm, 2007 CF 81, [2007] ACF no 120, présentent une proposition différente. Ces deux jugements portaient sur des points uniques de l’interprétation de la revendication où des solutions de rechange ont été données. Dans Searle, le juge Roger Hughes a reconnu, au paragraphe 31, que lorsqu’une demande de brevet comprend une catégorie de composés, la preuve de l’utilité de chacun d’entre eux sera généralement nécessaire.

[43]           L’utilité doit être évaluée à la date à laquelle un brevet est demandé et ne peut pas être étayée par des éléments de preuve survenant après la date de dépôt : voir Bell Helicopter c. Eurocopter, 2013 CAF 219, au paragraphe 131, [2013] ACF no 1043.

[44]           L’utilité doit être soit démontrée ou prédite valablement. L’utilité démontrée est établie par des éléments de preuve montrant que le mode de réalisation en cause fonctionne comme il est décrit dans le brevet. Lorsque l’utilité est prédite, il doit y avoir un fondement factuel pour la prédiction et un raisonnement articulé et valable à partir duquel le résultat souhaité peut être déduit. Les exigences en matière de prédiction valable ont été décrites dans Apotex c. Wellcome, précité, au paragraphe 70 :

70        La règle de la prédiction valable comporte trois éléments. Premièrement, comme c’est le cas en l’espèce, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Dans Monsanto et Burton Parsons, les composés testés constituaient le fondement factuel, mais d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention. Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Dans Monsanto et Burton Parsons, le raisonnement reposait sur la connaissance de l’« architecture des composés chimiques » (Monsanto, p. 1119), mais là encore, d’autres raisonnements peuvent être légitimes selon l’objet de l’invention. Troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaire, toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur la divulgation particulière requise à ce sujet, parce que les faits sous-jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués et que cette divulgation n’est pas devenue un sujet de controverse entre les parties. En conséquence, je ne m’y attarderai pas davantage.

[45]           Une prédiction valable doit être fondée sur « un enseignement solide » ou une inférence prima facie raisonnable de l’utilité : voir Eli Lilly c. Novopharm, 2010 CAF 197, au paragraphe 85, [2010] ACF no 951. Elle n’est pas établie par des spéculations ou de bonnes suppositions : voir Bayer Inc c. Cobalt Pharmaceuticals, 2013 CF 1061, aux paragraphes 52 à 58, [2013] ACF no 1152.

[46]           Malgré les remarques du juge Binnie dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précité, la question de savoir ce que le titulaire du brevet doit divulguer au public lorsque l’utilité est prédite reste quelque peu controversée. Dans AstraZeneca c. Apotex, 2014 CF 638, [2014] ACF no 671, le juge Donald Rennie (tel qu’il était alors), a fait distinguer le jugement Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd., précité, en limitant les remarques du juge Binnie concernant la divulgation aux nouveaux brevets d’utilisation.

[47]           Le juge Rennie s’est également appuyé sur les motifs distincts concordants de la juge Johanne Gauthier dans Sanofi-Aventis c. Apotex, 2013 CAF 186, [2013] ACF no 856, où elle a remis en question l’exigence générale d’un niveau accru de divulgation dans les cas de prédiction valable. Le juge Rennie a traité Eurocopter, 2013 CAF 261, 116 C.P.R. (4th) 161, en décrivant l’opinion contraire qui y est exprimée comme étant à la fois un obiter dictum et une approbation moins que robuste de la nécessité de la divulgation accrue dans les cas de prédiction valable : voir le paragraphe 157.

[48]           Même si j’éprouve une certaine sympathie pour le juge Rennie et le point de vue de la juge Gauthier, je ne suis pas convaincu que l’état du droit sur cette question a changé. En particulier, il faudrait quelque chose de plus que les réserves apparentes du juge LeBel exprimées dans Pfizer c. Novopharm, 2012 CSC 60, aux paragraphes 38 à 40, [2012] JCS no 60, pour supplanter l’exigence de divulgation décrite par le juge Binnie dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précité, et, plus tard, aussi clairement entérinée par la Cour d’appel fédérale dans Eli Lilly c. Apotex, 2009 CAF 97, aux paragraphes 14 à 15, 78 CPR (4th) 388, dans Eli Lilly c. Novopharm, 2010 CAF 197, au paragraphe 83, [2012] 1 RCF 349 et dans de nombreuses décisions de la Cour.

[49]           À mon avis, là où l’utilité est fondée sur une prédiction valable, il reste l’obligation de divulguer, dans le mémoire descriptif du brevet, le fondement factuel et un raisonnement valable qui appuie la prédiction. Cela dit, il n’y a aucune obligation de divulguer ce qui forme une partie des connaissances générales courantes d’une personne du métier. Ces connaissances peuvent être invoquées par un breveté pour renforcer son affirmation de l’utilité prévue : voir Bell Helicopter c. Eurocopter, précité, au paragraphe 154.

V.                Utilité – Preuve

[50]           Inutile de répondre à la question de savoir si les essais des composés mentionnés dans les revendications formulées ont démontré leur utilité promise. Le pemetrexed et la plupart des autres composés couverts par ces revendications n’ont jamais été mis à l’essai. L’utilité des composés non testés pour remplir la promesse du brevet repose forcément sur une prédiction valable.

[51]           Comme il est indiqué ci-dessus, je ne suis pas d’accord avec Lilly sur le fait qu’elle est en droit de se fonder sur des données d’essais internes ou sur un raisonnement valable qui ne se manifeste pas dans le brevet. Le brevet décrit des résultats d’essais in vitro concernant un petit nombre de composés et ne fournit aucun raisonnement à partir duquel une personne du métier pourrait tirer une conclusion prima facie raisonnable selon laquelle les milliers de composés revendiqués non testés seraient utiles en tant qu’agents antitumoraux in vivo ou même in vitro.

[52]           Il n’y a également aucun raisonnement décrit dans le brevet à partir duquel une personne du métier pourrait extrapoler un effet antitumoral in vivo des données in vitro rapportées.

[53]           M. Jones a fondé son opinion sur une prédiction valable de l’utilité essentiellement sur des données qui ne figurent pas dans le brevet. Il s’est également fié, en partie, à des données que Lilly n’a pas réussi à prouver avoir obtenues avant la date de dépôt.

[54]           En dépit de ces lacunes fondamentales dans le dossier de Lilly, je vais aborder la preuve invoquée par celle-ci à l’appui de son argument en faveur d’une prédiction valable de l’utilité.

[55]           La théorie de Lilly sur la prédiction valable est fondée sur la déduction d’une moindre parcelle d’activité antitumorale des composés non testés du fait qu’on a montré que des changements structurels à des molécules semblables étaient tolérés et, dans une certaine mesure, actifs en tant qu’antifoliques.

[56]           La preuve que Lilly a présentée à l’appui de cette théorie n’était pas convaincante. En effet, une grande partie de cette preuve était étonnamment insensible aux questions scientifiques très précises avancées par les experts d’Hospira pour expliquer pourquoi une personne du métier ne pouvait pas prédire de manière valable l’activité antitumorale soit à partir des données d’essai décrites dans le brevet ou autrement. Je voudrais ajouter que la preuve de Takeda quant à savoir si elle a obtenu toutes les données, qu’elle invoque maintenant, avant la date de dépôt au Canada était très douteuse et peu fiable. Dans la mesure où les experts de Lilly ont invoqué cette information, leur preuve est considérablement compromise.

[57]           Tous les témoins conviennent que les variations des structures moléculaires de certains analogues au MTX et d’autres composés antifoliques avaient été explorées avant 1989 et s’avéraient être tolérées. M. Kalman et M. Phillips ont accepté le fait que l’activité antifolique avait été observée dans le contexte d’un certain nombre de modifications aux structures d’antifoliques classiques (voir la preuve de M. Kalman aux p. 7466 et 7467 du dossier de demande et celle de M. Phillips aux p. 7364 et 7365 du dossier de demande). Ce que M. Kalman et M. Phillips n’ont pas accepté, c’était qu’une personne du métier puisse prédire de manière valable, à partir de ces éléments de preuve et des essais effectués par Takeda, qu’une activité identique ou tout autre activité serait prévue pour les composés non testés qui ont été revendiqués.

VI.             L’argument de Lilly concernant une prédiction valable

[58]           L’affidavit de M. Jones indique au paragraphe 63 que [traduction] « à la fin des années 1980, une grande partie était connue en ce qui concerne le lien entre la structure des antifoliques classiques et leur activité antitumorale ». Ces connaissances auraient permis à des chimistes médicinaux de comprendre comment les variations des trois éléments structurels des antifoliques classiques (l’hétérocycle bicyclique, l’élément de pontage et le résidu de glutamate de benzoyle) auraient probablement une incidence sur leur activité antifolique. M. Jones a généralement caractérisé les connaissances antérieures de la manière suivante : [traduction]

a)         on savait que la « partie » du pontage des antifoliques classiques pouvait être considérablement modifiée (rendue un peu plus longue ou plus courte, ou avec des éléments supplémentaires, etc.) sans perdre l’activité antifolique;

b)         on savait également que les deux esters di- et mono-antifolique (dans la « partie » du glutamate des antifoliques classiques) pouvaient avoir une activité antifolique;

c)         on savait aussi que différents types de structures cycliques fusionnées 6/6 des antifoliques pouvaient être utilisés sans perdre l’activité antifolique. Cependant, on ne savait pas que les structures cycliques condensées 6/5 peuvent avoir une telle activité, car les seules structures classiques 6/5 testées avaient démontré qu’elles n’avaient aucune activité.

[59]           M. Jones a fourni plusieurs exemples des méthodes antérieures où les variations des structures de pont des antifoliques classiques étaient tolérées. Ces recherches indiquent que l’on peut faire varier la longueur de la structure du pont ou de ses branches pour créer des composés qui conservent une activité antifolique. Il a conclu l’examen des méthodes antérieures concernant les variations de la structure du pont de la manière suivante : [traduction]

95.       Il était connu, avant le 23 mars 1989, que les composés ayant une structure antifolique classique avec des ponts à deux, trois ou quatre atomes de longueur; et des ponts ayant une variété de branches sur différents atomes pontaux maintenaient une activité antifolique. En d’autres termes, la personne ayant des compétences moyennes dans le domaine du brevet 794 aurait compris que le fragment de pont des antifoliques classiques peut varier de façon considérable.

[60]           M. Jones s’est penché sur les connaissances des méthodes antérieures en ce qui concerne l’élément de glutamate des antifoliques classiques, y compris certaines formes d’esters, d’une manière identique. Il a souligné la preuve montrant que [traduction] « certains esters antifoliques se sont avérés être biologiquement actifs en soi » et que [traduction] « d’autres esters antifoliques peuvent agir en tant que promédicaments » et se transforment en formes actives après l’administration. Il a conclu à l’issue de l’observation que [traduction] « le 23 mars 1989, il était connu que les esters di- et mono-antifoliques ont montré une activité in vitro et in vivo ».

[61]           M. Jones a également tenu compte de ce qui était connu des variations de l’élément d’hétérocycle bicyclique des antifoliques classiques portant des systèmes cycliques condensés 6/6 et 6/5. De ces recherches, il a déclaré ce qui suit : [traduction]

D’une manière générale, les variations [des structures cycliques 6/6] étaient tolérées et l’activité maintenue, bien que le seul système cyclique 6/5 testé s’est avéré ne pas être actif.

[62]           Selon M. Jones, ces recherches auraient laissé entendre à une personne du métier que les systèmes cycliques 6/5 [traduction] « pouvaient être d’une valeur douteuse » (voir le paragraphe 125 de l’affidavit de M. Jones).

[63]           M. Jones a été invité par Lilly à examiner les différents sous-ensembles des revendications du brevet, particulièrement la revendication 7/4/2/1 et la revendication 9/3/2/1. Il a déclaré que la revendication 7/4/2/1 englobe seulement 12 composés... [traduction] « et leurs esters, stéréoisomères et sels ». Il a effectivement exclu les esters, les stéréoisomères et les sels de la manière suivante : [traduction]

168.     À mon avis, l’inclusion des esters, des stéréoisomères et des sels a peu d’incidence sur la question de la prévisibilité de ces composés. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, certains esters antifoliques se sont avérés être biologiquement actifs en soi, car ils se lient directement à une enzyme folique et l’inhibent. D’autres esters antifoliques agissent probablement, au moins en partie, en tant que promédicaments, qui sont convertis à l’intérieur ou à l’extérieur de la cellule cancéreuse par une enzyme estérase en composés ayant un résidu de glutamate libre. Ainsi, pour simplifier l’analyse des revendications 7/4/2/1 (et la revendication ultérieure 9/3/2/1), j’ai choisi de limiter la partie du glutamate à la forme diacide. Cette forme est aussi particulièrement revendiquée et là où elle ne l’est pas et s’avère être un ester à la place, que l’ester est susceptible d’être actif en soi ou susceptible d’être un promédicament convertible in vivo au diacide. En outre, même si les esters ne présentaient aucune activité biologique en tant que tel, le brevet 794 nous enseigne que ces esters sont utiles comme intermédiaires dans la synthèse des diacides; par exemple, la synthèse de l’exemple pratique 4 à partir de l’exemple pratique 3.

169.     Dans le cadre de mon examen des rapports de M. Phillips et M. Kalman, j’ai constaté qu’ils ne parlent pas bien de la technique en ce qui concerne la quantité importante de travail qui a démontré que les esters du MTX et de ses analogues avaient également une activité. Comme je l’ai mentionné précédemment, les esters du MTX ont été déterminés comme étant actifs contre des cellules en culture et la leucémie L1210 in vivo.

170.     Quant aux sels, ceux-ci sont limités à « sels pharmaceutiquement acceptables » et équivaudraient donc à la forme diacide.

171.     En ce qui concerne les stéréoisomères de ces 12 composés, il existe deux centres chiraux potentiels : le carbone C5 du cycle pyrroline et C1 du pont de propanoate de méthyle. Comme je l’ai mentionné plus tôt, les deux stéréoisomères de tetrahydrohomofolique ont montré une activité antifolique. Ainsi, on savait que le centre chiral au niveau du point d’attache du pont à l’anneau bicyclique n’était critique. En outre, on a démontré que les deux diastéréoisomères du DDATHF antifolique étaient également cytotoxiques. Les stéréoisomères sur le pont ont également été étudiés et on savait que les deux stéréoisomères du 10-EdAM ont montré une activité.

172.     Ainsi, je vais me concentrer sur les 12 diacides (pas les esters, les sels ou les diastéréoisomères). [Notes de bas de page omises]

[64]           En ce qui concerne la revendication 9/3/2/1, M. Jones a déterminé 76 formes de diacides et a de nouveau exclu de l’examen les esters, les sels et les stéréoisomères.

[65]           M. Jones a ensuite examiné les résultats d’essais obtenus par Takeda, qu’ils soient rapportés dans le brevet ou non. Il a également examiné les résultats des essais comparatifs de Takeda concernant les composés MTX et DDATHF connus qui, dit-il, étaient conformes à ce qui était connu au sujet de ces composés. Takeda testait également divers composés portant des cycles condensés 6/6 où l’activité antifolique a également été observée.

[66]           Sur la foi des données de recherche susmentionnées et des connaissances antérieures accessibles à une personne du métier, M. Jones a abordé la question de savoir si une inférence prima facie raisonnable pouvait être établie à l’effet que les composés non testés figurant dans les revendications 7/4/2/1 et 9/3/2/1 auraient la « moindre parcelle » promise de l’activité antifolique. En ce qui concerne la revendication 7/4/2/1, M. Jones a conclu que seule une petite extrapolation était nécessaire pour faire les prévisions nécessaires. Selon M. Jones, une personne du métier serait influencée par les configurations représentatives des sept exemples pratiques de composés testés et par leur similarité structurale avec les composés non testés[2]. Il a déterminé un soutien supplémentaire à une prédiction d’utilité comme suit : [traduction]

252.     Deuxièmement, comme nous le verrons dans la section de fond de mon affidavit, ceux d’entre nous qui travaillaient dans le domaine des antifoliques dans les années 1980 auraient su que l’activité était maintenue même en cas de variations importantes de la structure des antifoliques classiques. On savait que les composés ayant des ponts non ramifiés à deux et trois atomes étaient actifs, et que les ponts ramifiés à trois atomes étaient également actifs. En outre, on sait que les antifoliques où X est un groupe amino (—NH2) ont une activité et que ceux dans lesquels X représente un groupe hydroxyle (—OH) ont également une activité.

253.     Troisièmement, en ce qui concerne les esters, je suppose que ceux-ci auraient eu une activité, car les antifoliques classiques portant les mêmes groupes ester que ceux qui figurent dans la revendication 7/4/2/1, ou qui s’en rapprochent, ont montré une activité. Je fais également remarquer que les composés esters sont également utiles en ce sens que ce sont des intermédiaires dans le processus du brevet 794 pour faire intégrer les diacides dans la revendication 7/4/2/1.

254.     À la lumière de l’analyse ci-dessus, je suis d’avis que ce n’était certainement pas une spéculation de la part des inventeurs de prétendre que les composés visés dans la revendication 7 auraient une activité. Les inventeurs avaient de vastes connaissances, que ce soit de leurs propres essais ou à partir des connaissances générales communes, pour chaque point de données dans la structure générale du composé pour être en mesure de faire une inférence prima facie raisonnable selon laquelle les composés qu’ils n’avaient pas particulièrement testés auraient un effet antitumoral.

255.     En outre, il aurait également été mon espoir qu’ils auraient un effet antitumoral.

[67]           En examinant la revendication 9/3/2/1, M. Jones a essentiellement adopté l’analyse qu’il a appliquée à la revendication 7/4/2/1 pour étayer la conclusion suivante : [traduction]

258.     À la lumière de l’analyse ci-dessus, je suis d’avis que ce n’était certainement pas une spéculation de la part des inventeurs de prétendre que les composés visés dans la revendication 9/3/2/1 auraient une activité. Les inventeurs avaient de vastes connaissances, que ce soit de leurs propres essais ou à partir des connaissances générales communes, pour chaque point de données dans la structure générale du composé pour être en mesure de faire une inférence prima facie raisonnable selon laquelle les composés qu’ils n’avaient pas particulièrement testés auraient un effet antitumoral.

[68]           Il est intéressant de savoir que M. Jones a délibérément évité d’aborder la preuve de M. Kalman et M. Phillips qui portait sur la complexité et la difficulté d’extrapoler l’efficacité d’un composé antifolique à un autre. L’explication de M. Jones, au paragraphe 277 de son affidavit, était qu’il n’était pas d’accord avec leur définition de l’utilité promise et n’a pas jugé nécessaire d’aborder leur analyse plus en détail. Les critiques de M. Jones relativement aux opinions de M. Kalman et M. Phillips ont donc été limitées à certains points de désaccord ou d’interprétation concernant les essais rapportés de Takeda ou les différences quant à la portée de la promesse du brevet. Une conclusion découle du refus de M. Jones de s’engager pleinement sur le plan de la preuve de M. Kalman et M. Phillips, selon laquelle l’opinion de M. Jones à propos de la prédiction valable n’était pertinente qu’à la promesse tronquée d’utilité que l’avocat de Lilly lui avait suggérée.

[69]           La preuve par affidavit de M. Jones doit être lue à la lumière de la preuve qu’il a donnée lors du contre-interrogatoire. Ce témoignage a indiqué qu’il y avait beaucoup plus de nuances à ses opinions qu’il ne l’avait exprimé dans ses affidavits.

[70]           M. Jones a reconnu qu’on savait que les mécanismes derrière le métabolisme de l’acide folique in vivo étaient [traduction] « assez complexes » touchant environ 10 à 12 enzymes (p. 5606 du dossier de demande). Il a également admis que les mécanismes affectant l’administration de médicaments in vivo sont complexes.

[71]           Selon M. Jones, toute incertitude quant au mécanisme d’action est [traduction] « hors de propos » une fois que l’activité a été observée. Il a dit que, dans un tel cas, une prédiction de l’activité peut être faite pour les composés non testés qui ont des structures clés semblables à celles des composés testés (voir le paragraphe 10 de son affidavit supplémentaire, à la p. 5607 du dossier de demande).

[72]           M. Jones a été interrogé de près sur des exemples des méthodes antérieures qui allaient à l’encontre des exemples sur lesquels il s’était fondé pour formuler son opinion. Par exemple, il avait exclu de son examen les diastéréoisomères en s’appuyant sur des recherches démontrant une activité dans le cas des deux diastéréoisomères de certains composés antifoliques. On lui a posé des questions, lors du contre-interrogatoire, au sujet des composés qui existent en tant que diastéréoisomères, où l’un état actif et l’autre non. Avec une certaine réticence, il a admis cette possibilité (voir p. 5631 à 5636 du dossier de demande). Plus tard, au cours du contre-interrogatoire, il a admis à nouveau le même point dans l’échange suivant : [traduction]

l255     Q.        Alors êtes-vous d’accord avec moi, M. Jones, que dans le cas d’un composé visé par la revendication 7 du brevet 794 ayant un pont à trois atomes de carbone ou un pont à deux atomes de carbone ou un pont substitué à trois atomes de carbone, s’il y avait un diastéréomère à la position C6, un travailleur ayant des compétences moyennes dans le domaine comprendrait que les diastéréomères peuvent être équiactifs, l’un peut être plus actif que l’autre et l’un peut n’avoir aucune activité alors que l’autre peut être actif?

R.        C’est possible.

1256    Q.        Est-ce raisonnable?

R.        C’est ce qu’une personne ayant des compétences moyennes dans le domaine penserait?

1257    Q.        Oui.

R.        Sans faire d’autres expériences, ce sont les possibilités.

[73]           Même si M. Jones était prêt à prédire l’efficacité lorsque la preuve appuyait son opinion, il était beaucoup plus réticent à le faire lorsque la preuve n’était pas concluante (voir, par exemple, le long échange figurant aux p. 5647 à 5651).

[74]           Dans un autre échange, M. Jones a été interrogé sur l’importance de la preuve de la liaison de l’enzyme dans le métabolisme de l’acide folique et si cela serait important pour la caractérisation d’un composé comme étant un antifolique. En réponse, il a exprimé des doutes quant à savoir si le brevet revendiquait les composés comme étant des antifoliques (p. 5814 et 5815 du dossier de demande). Cette réponse était incompatible avec son affidavit, au paragraphe 159, de même qu’elle est incompatible avec l’argument de Lilly.

[75]           M. Jones a reconnu que les composés revendiqués comprenaient de nombreuses formes d’ester (voir p. 5816). Néanmoins, il a écarté leur importance pour la question de la prédiction valable parce qu’on sait que certains esters antifoliques inhibent directement les enzymes foliques et que d’autres agissent comme des promédicaments efficaces. Lorsqu’il a encore été contre-interrogé, il s’est rétracté du point de vue plus catégorique exprimé dans son affidavit : [traduction]

983      Q.        Dans le coin supérieur droit, on devrait lire numéro 5. Vous êtes d’accord pour affirmer qu’au bas de la page, il semble avoir testé certains esters de diéthyle de certains composés 6/6?

R.        Oui, du pyridyle pyrimidine.

984      Q.        Et ils n’ont montré aucune activité?

R.        Eh bien, la CI50 est supérieure à 5. Je ne sais donc pas ce que la CI50 est ou serait, mais elle est supérieure à 5.

985      Q.        Mais il a déterminé, en ce qui concerne les...

R.        Mais il s’agit de µg/mL.

986      Q.        Il n’a pas pu...

R.        Atteindre une CI50 dans le cadre de l’expérience menée.

987      Q.        Exact. En ce qui concerne les esters diéthyliques?

R.        Pour ce qui est des esters de diéthyle, oui. Vous remarquerez que ces composés ne sont pas les composés de l’invention.

988      Q.        Non, ils ne le sont pas. Vous avez raison sur cette hypothèse. Mais vous conviendrez que...

R.        Ce n’est pas une hypothèse. C’est un fait.

989      Q.        Eh bien, vous avez raison sur ce fait. J’en conviens.

Vous êtes donc d’accord qu’une personne du métier ne peut pas déduire, juste parce que vous avez créé un composé d’un ester de diéthyle, qu’il aura une activité in vivo, n’est-ce pas? On doit effectuer l’essai pour le déterminer?

R.        On doit effectuer l’essai, oui. Mais les esters sont souvent utilisés dans les recherches pharmacologiques comme des formes de promédicaments. Cela ne fait aucun doute. De nombreux articles ont été rédigés à ce sujet.

990      Q.        Exact. Les esters, en général. Mais comme nous...

R.        Les esters en général, oui.

991      Q.        Comme nous l’avons vu dans le domaine des antifoliques, les esters de diéthyle peuvent fonctionner ou peuvent ne pas fonctionner. Vous ne pouvez pas le prévoir. On devrait effectuer l’essai pour le déterminer. Est-ce juste?

R.        Oui, je dirais que oui. Mais, de toute évidence, selon les travaux de Rosowsky et de ses collègues, de nombreux esters sont actifs soit intrinsèquement, soit lors de l’hydrolyse.

992      Q.        Revenons à l’affidavit de Miwa; ces esters de diéthyle. Vous avez dit qu’ils ne sont pas visés par le brevet 794 et il en est ainsi à juste titre. Mais cela ne vous empêche pas de tirer des conclusions en ce qui concerne les structures 6/5, n’est-ce pas? Les cycles condensés 6/5 quant à savoir ce que leur activité serait, n’est-ce pas?

R.        Je suppose que non. Cela ne m’empêcherait pas de faire une supposition.

[Non souligné dans l’original.]

[76]           M. Jones a également qualifié sa preuve sur ce qui était connu sur l’activité des composés antifoliques classiques avec des variations dans les structures de pont. Lors du contre-interrogatoire, il a précisé les éléments de preuve en donnant les réponses suivantes :

1057    Q.        Donc, une fois de plus, je vous montre une liste de ponts à trois atomes provenant de l’affidavit de Miwa. Et vous conviendrez avec moi qu’on n’a pas démontré que ces ponts à trois atomes étaient actifs?

R.        Bien : [traduction]

« Comme il est indiqué ci-dessous, il a également été montré à la fin des années 1980 que les composés possédant un pont à trois atomes étaient également des antifoliques actifs. » (Tel que l’extrait a été lu)

Je n’ai pas dit que tous les composés possédant un pont à trois atomes étaient des antifoliques actifs. Certains l’étaient, mais d’autres ne le seraient pas parce qu’il y avait d’autres changements en plus du pont à trois atomes. [p. 5857 du dossier de demande]

[...]

1071    Q.       Alors, en passant d’un pont à deux atomes à un pont à trois atomes?

R.        Dans le cas de ce système cyclique, cela n’a pas donné lieu à un composé actif.

1072    Q.        Exact.

R.        Parce que les inhibitions enzymatiques ne sont pas impressionnantes.

1073    Q.        Exact. Donc quand...

R.        Mais quand je me suis exprimé à propos du tetrahydryl homofolique, je ne faisais qu’expliquer que les ponts à trois atomes avaient une activité, mais ils ont été intégrés dans un système cyclique différent du système d’acide 8-déazafolique étudié par DeGraw.

Donc, mon examen des documents en l’espèce n’était pas exhaustif, en ce qui concerne les ponts à trois atomes. J’expliquais que les ponts à trois atomes pouvaient conférer une activité dans un composé, dans un antifolique.

1074    Q.        Et une personne ayant des connaissances dans le domaine comprendrait qu’ils ne peuvent conférer aucune activité dans un antifolique?

R.        Cela a été publié en 1988, donc oui.

[p. 5861 du dossier de demande] [non souligné dans l’original]

[77]           Ces données confirment le point de vue de Hospira selon lequel le fait que certains antifoliques sous forme d’ester agissent parfois comme promédicaments ou comme composés actifs en soi n’appuie pas automatiquement une prédiction que les milliers de formes d’esters revendiquées dans le brevet pouvaient raisonnablement être déduites par une personne du métier comme étant identiquement actives ou pas du tout actives. Le même raisonnement vaut pour les profils d’activité des diastéréoisomères et des composés ayant différentes structures de pont; on ne prédirait pas que chacun d’entre eux aurait une activité.

[78]           Je ne peux pas comprendre comment M. Jones peut concilier le fait qu’il ait reconnu que les données des essais d’une lignée cellulaire ne peuvent pas être appliquées à une autre lignée cellulaire avec sa déclaration selon laquelle des résultats « semblables » pourraient être prédits d’une lignée cellulaire à l’autre. À mes yeux, la preuve fournie ci-dessous est incohérente : [traduction]

R.        Je ne comparerais pas un résultat d’une lignée cellulaire à une autre. Ce sont des lignées cellulaires différentes.

1051    Q.        Alors pourquoi ne compareriez-vous pas les résultats?

R.        On doit... on ne peut pas déterminer si un composé est plus actif que l’autre si on omet des lignées cellulaires. On doit le tester dans la même lignée cellulaire...

1052    Q.        Très bien. Donc...

R.        ... avant que vous puissiez porter un jugement.

[...]

1054    Q.        Non, nous sommes passés par là et je le comprends. Nous avons examiné les chiffres et nous sommes d’accord. Donc, les inventeurs de Takeda qui ont consulté ces données ne pouvaient pas parvenir à la conclusion que le déplacement de la fixation du pont de la position C6 à C5 se traduirait par un composé plus actif, n’est-ce pas?

R.        Dans le système de cellules KB, ils savaient qu’il ne pouvait pas l’être.

Q.        Très bien.

R.        Mais dans un autre système, ils ne savaient rien jusqu’à ce qu’ils aient effectué l’expérience.

[...]

681      Q.        Si vous allez au paragraphe 157 de votre déclaration sous serment, à la dernière phrase, vous dites ce qui suit : [traduction]

« [...] j’estime que ce serait une extrapolation ou une inférence raisonnable de penser que les composés qui ne sont pas encore créés et testés montreraient une activité identique. »

Vous le voyez?

R.        Oui.

682      Q.        Et quand vous faites référence à « une activité identique », pouvez-vous m’expliquer ce que vous entendez par là?

R.        Comme pour les activités qui ont été décelées chez les composés créés et testés, soit in vitro ou in vivo, on peut raisonnablement déduire que les composés non créés et non testés auraient des activités identiques.

[...]

686      Q.        Et une personne ayant des compétences ordinaires dans le domaine qui lirait le brevet 794, que pourrait-elle raisonnablement extrapoler ou déduire sur son activité dans les cellules KB?

R.        Lorsque je l’ai écrit au paragraphe 157, je faisais allusion à un effet antitumoral in vitro ou in vivo.

Je ne pensais pas à cet essai en particulier.

Je pensais à toutes les données d’activité qui avaient été accumulées sur ce composé, ce qui peut englober plus d’un essai.

Et en ce qui concerne ces composés qui ne sont pas encore créés et testés, qu’ils montreraient une activité identique, je veux parler de l’activité cyclique.

687      Q.        Bien, donc...

R.        Elle ne doit pas nécessairement se répliquer dans une cellule KB si d’autres cellules comme la sarcome Meth A ou la cellule tumorale L12, c’était de bonnes CI50, alors on pourrait dire que les composés, l’activité des composés non créés était identique.

688      Q.        Donc, ce que vous dites, c’est que tant que le composé a une activité dans une lignée cellulaire ou, dans un essai, a une valeur CI5O, vous considéreriez cela comme étant semblable aux valeurs du tableau 1, page 26?

R.        Semblable, à peu près la même. Pas la même, mais dans la même gamme.

[Non souligné dans l’original.]

[79]           M. Jones a soutenu que l’incapacité de Takeda de comprendre le mécanisme d’action des composés revendiqués (c.-à-d. pourquoi ils produisaient des effets antitumoraux) était hors de propos. Selon ce point de vue, tout ce dont une personne du métier avait besoin pour faire une prédiction valable de l’efficacité des composés non testés, c’était de savoir que les composés testés ayant la même structure présentaient une activité antitumorale dans une lignée cellulaire in vitro ou une autre. M. Jones a décrit cela comme une prédiction de [traduction] « l’activité cyclique » (voir p. 5728 du dossier de demande). Sa preuve à la page 5732 du dossier de la demande traduit ce point : [traduction]

Bon, vous avez toutes les données qui sont devant vous, sauf que vous ne disposez pas des données de l’exemple pratique 14 concernant les KB. D’accord?

Qu’est-ce qu’une personne ayant des compétences ordinaires pourrait raisonnablement extrapoler ou déduire de la valeur CI50 de l’exemple pratique 14?

REF     M. CREBER : Objection, ce n’est pas pertinent.

PAR M. SPRIGINGS :

697      Q.        Une fois de plus, je reprends les mots du paragraphe 157 de votre affidavit où vous dites : [traduction]

«... j’estime que ce serait une extrapolation ou une inférence raisonnable de penser que les composés qui ne sont pas encore créés et testés montreraient une activité semblable. »

R.        Je n’ai pas dit qu’il s’agissait d’une activité semblable dans les cellules KB.

J’ai déjà expliqué que je devrais comparer l’activité décelée dans son ensemble avec l’activité qui doit encore être constatée dans son ensemble.

Il me semble difficile lorsque vous essayez de limiter la déclaration que j’ai faite dans le 157... le paragraphe 157 au résultat d’une cellule KB.

Ce n’était pas ce que j’avais à l’esprit lorsque je l’ai écrit au paragraphe 157.

[80]           Cela me semble être un raisonnement très douteux, en particulier, dans le contexte de la reconnaissance de M. Jones qu’il n’y a aucune règle universelle de prédiction qu’une personne du métier pourrait appliquer à toutes les variations structurelles des analogues antifoliques.

[81]           Comme indiqué précédemment, M. Jones semble accepter l’idée qu’une personne du métier ne pouvait pas prévoir une activité antitumorale dans des lignées cellulaires. C’était également la preuve donnée par M. Kalman et M. Phillips. Néanmoins, selon M. Jones, sans connaître le mécanisme d’action, une personne du métier pourrait encore déduire, à partir des données très variables d’une poignée de composés, qu’une certaine activité antitumorale mesurable apparaîtrait dans une certaine lignée cellulaire de milliers de composés non testés ayant des structures variables. Sauf le respect que je lui dois, l’idée de M. Jones d’une prédiction d’« activité cyclique » ne représente pas un raisonnement valable suffisant pour étayer une prédiction de l’utilité promise, surtout compte tenu des obstacles propres à une prédiction déterminés par M. Kalman et M. Phillips. Par contre, ce que M. Jones suggère comme une prédiction d’utilité [traduction] « dans le cycle » n’est rien de plus qu’une supposition.

[82]           M. Wuest a donné des éléments de preuve sur la question de la prédiction valable, mais il manquait clairement d’expertise dans ce domaine et sa preuve n’était pas convaincante. Au paragraphe 101 de son affidavit, il a fait remarquer la ressemblance structurelle des composés du brevet au MTX, au DDATHF, à l’acide folique et aux dérivés [traduction] « dans au moins certains aspects de leurs effets biologiques, comme leur capacité à se lier à des enzymes dans le métabolisme de l’acide folique ». Néanmoins, son opinion était limitée à des généralisations (voir par. 50 et 101 de son affidavit, aux p. 770 et 784 du dossier de la demande). Lors du contre-interrogatoire, son manque de conviction était plus évident. Quand on a attiré son attention sur un composé revendiqué ayant certaines différences structurelles comparativement à d’autres antifoliques connus, il a donné la réponse tiède suivante : [traduction]

Donc, cette structure particulière comporte deux des caractéristiques structurelles de base que l’on trouve dans des molécules comme l’acide folique, le MTX et le DDATHF. Elle ne comporte pas l’acide glutamique de liaison des benzodiazépines complet que l’on trouve dans l’acide folique, le MTX et le DDATHF, mais elle comporte une partie de cette unité. En d’autres termes, l’analogie structurelle entre le composé 4 et la catégorie des antifoliques que je décris au paragraphe 33 est plus partielle que dans le cas d’autres composés, mais elle n’est pas si loin des structures au point d’exclure la possibilité d’une sorte d’effet antitumoral selon des mécanismes biochimiques identiques. [Non souligné dans l’original.]

[83]           Il est également important de souligner que lorsqu’on a interrogé M. Wuest au sujet de la stéréochimie et, en particulier, les différentes propriétés chimiques et physiques liées aux diastéréoisomères, l’avocat de Lilly a refusé de le laisser répondre (voir p. 5178 à 5182 du dossier de demande). M. Wuest avait ouvert la voie à cette série de questions avec sa preuve par affidavit portant sur la question de la prédiction valable et ces refus étaient injustifiés; ils justifient également une inférence selon laquelle les réponses de M. Wuest n’auraient pas appuyé la cause de Lilly.

[84]           M. Wuest a limité la portée [traduction] « significative » ou [traduction] « efficace » de la revendication 7/4/2/1 de façon à y inclure seulement 16 composés. Cette notion ne tenait pas compte des esters qui, selon lui, [traduction] « ne peuvent pas être convertis par hydrolyse dans un ensemble restreint de 16 acides dicarboxyliques » (voir le paragraphe 38 de son affidavit, à la page 766 du dossier de demande). Il a adopté la même approche à l’égard de la revendication 9 qui, a-t-il conclu, était effectivement limitée à seulement quatre composés uniques (voir les paragraphes  39 et 40 de son affidavit, à la p. 767 du dossier de la demande). M. Wuest a reconnu, cependant, que si une personne du métier prenait les esters et les diastéréoisomères en compte, la taille des catégories revendiquées atteindrait [traduction] « un très grand nombre ».

[85]           L’évaluation quantitative par M. Jones de la portée des revendications 7/4/2/1 a débouché sur 12 composés de diacides spécifiques et en ce qui concerne la revendication 9/3/2/1, 76 composés de diacides spécifiques. Les deux comptes excluent les esters, les diastéréoisomères et les sels. L’explication de fond de M. Jones pour l’exclusion des esters, des stéréoisomères et des sels était la suivante : [traduction]

168.     À mon avis, l’inclusion des esters, des stéréoisomères et des sels a peu d’incidence sur la question de la prévisibilité de ces composés. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, certains esters antifoliques se sont avérés être biologiquement actifs en soi, car ils se lient directement à une enzyme folique et l’inhibent. D’autres esters antifoliques agissent probablement, au moins en partie, en tant que promédicaments, qui sont convertis à l’intérieur ou à l’extérieur de la cellule cancéreuse par une enzyme estérase en composés ayant un résidu de glutamate libre. Ainsi, pour simplifier l’analyse des revendications 7/4/2/1 (et la revendication ultérieure 9/3/2/1), j’ai choisi de limiter la partie du glutamate à la forme diacide. Cette forme est aussi particulièrement revendiquée et là où elle ne l’est pas et s’avère être un ester à la place, que l’ester est susceptible d’être actif en soi ou susceptible d’être un promédicament convertible in vivo au diacide. En outre, même si les esters ne présentaient aucune activité biologique en tant que tel, le brevet 794 nous enseigne que ces esters sont utiles comme intermédiaires dans la synthèse des diacides; par exemple, la synthèse de l’exemple pratique 4 à partir de l’exemple pratique 3.

169.     Dans le cadre de mon examen des rapports de M. Phillips et M. Kalman, j’ai constaté qu’ils ne parlent pas bien de la technique en ce qui concerne la quantité importante de travail qui a démontré que les esters du MTX et de ses analogues avaient également une activité. Comme je l’ai mentionné précédemment, les esters du MTX ont été déterminés comme étant actifs contre des cellules en culture et la leucémie L1210 in vivo.

170.     Quant aux sels, ceux-ci sont limités à « sels pharmaceutiquement acceptables » et équivaudraient donc à la forme diacide.

171.     En ce qui concerne les stéréoisomères de ces 12 composés, il existe deux centres chiraux potentiels : le carbone C5 du cycle pyrroline et le C1 du pont de propanoate de méthyle. Comme je l’ai mentionné plus tôt, les deux stéréoisomères de tetrahydrohomofolique ont montré une activité antifolique. Ainsi, on savait que le centre chiral au niveau du point d’attache du pont à l’anneau bicyclique n’était critique. En outre, on a démontré que les deux diastéréoisomères du DDATHF antifolique étaient également cytotoxiques. Les stéréoisomères sur le pont ont également été étudiés et on savait que les deux stéréoisomères du 10-EdAM ont montré une activité.

172.     Ainsi, je vais me concentrer sur les 12 diacides (pas les esters, les sels ou les diastéréoisomères). [Notes de bas de page omises]

[86]           À l’instar de M. Wuest, M. Jones a tout d’abord fait valoir qu’il n’était pas nécessaire de prendre en compte les esters parce qu’ils n’ont aucune incidence sur l’activité de l’élément principal de la molécule. Cependant, pendant le contre-interrogatoire, il a considérablement nuancé cette position en reconnaissant que des expériences seraient nécessaires pour prédire de manière régulière l’activité des diastéréoisomères et des esters, et que l’inactivité pouvait être possible (se reporter aux p. 5833, 5834 et 5929 du dossier de la demande). Par ailleurs, il a seulement pu affirmer que certains esters antifoliques se sont révélés biologiquement actifs en soi, et que d’autres peuvent agir comme promédicaments. [Non souligné dans l’original.]

[87]           L’affidavit du Dr Van Etten ne corrobore pas les prétentions de Lilly eu égard à la prédiction valable de l’efficacité de l’ensemble des composés de la formule I, et il n’indique pas non plus pour lesquels parmi ces composés ou sous-ensembles de composés non testés « l’efficacité antitumorale » aurait pu être valablement prédite. Il exprime son avis sur cette question sur un ton délibérément mesuré :

68.       [traduction] À mon avis, une personne ayant des compétences moyennes dans le domaine de la biologie du cancer considérerait que l’efficacité antitumorale d’au moins quelques composés de la formule I est démontrée et valablement prédite par les données suivantes du brevet 794 : (1) la démonstration de propriétés d’inhibition de la croissance des cellules tumorales de plusieurs de ces composés à des concentrations subnanomolaires (p. 26, lignes 5 à 13, et p. 27, ligne 20); (2) la démonstration de la sélectivité > 500 fois celle du composé WE-14 pour inhiber la croissance des cellules leucémiques (HL-60) par rapport aux cellules normales (HEL) [p. 27, lignes 15 à 22]; (3) les effets antitumoraux constatés in vivo des composés chez les animaux à sang chaud ayant des tumeurs dérivées de diverses lignées de cellules tumorales murines et humaines (p. 25, lignes 2 à 10). [Non souligné dans l’original.]

[88]           Lors du contre-interrogatoire, il a répondu ce qui suit aux questions à propos de son affidavit :

Q.        [traduction] Au paragraphe 68, vous affirmez qu’au moins quelques composés de la formule 1 ont une efficacité antitumorale. Vous y êtes?

R.        Oui.

Q.        Quand vous dites « au moins quelques composés de la formule 1 », auxquels faites-vous référence au juste?

R.        Les plus évidents sont ceux pour lesquels ils ont fourni des données in vitro, c’est-à-dire toujours les mêmes suspects : 4, 6, 14, 16.

Q.        Y en a-t-il d’autres?

R.        On peut imaginer, comme je l’ai déjà dit au sujet d’autres exemples pratiques pour lesquels ils ont préparé des quantités plus importantes, comme ce devrait toujours être le cas, qu’ils ont mené au moins des tests in vitro pour certains de ces composés, même si le brevet n’est pas explicite sur ce point.

[89]           Il indique en outre qu’il ne serait pas plausible de faire valoir les propriétés antitumorales de tous les composés dans le brevet parce qu’il aurait alors fallu que chaque composé ait été synthétisé et testé (voir p. 4921 et 4922). Ce témoignage n’avalise pas les prétentions de prédiction valable, bien au contraire. Il semble plutôt amener de l’eau au moulin de M. Kalman et M. Phillips.

[90]           Il faut aussi souligner que le Dr Van Etten a admis que les références aux « effets antitumoraux » dans le brevet et, dans la revendication 31, à un « agent antitumoral » indiquent à une personne compétente que les tests in vivo sur un sous-ensemble de composés de la formule I ont donné de multiples résultats d’efficacité. Les passages suivants de son affidavit sont aussi éloquents :

65.       [traduction] Ces tests in vivo ne sont pas détaillés dans le brevet 794, mais un passage de la p. 25 énonce que les composés de la formule I ont eu des « effets antitumoraux » contre plusieurs lignées de cellules tumorales murines souris et humaines, qu’ils ont contribué à la décroissance de tumeurs chez des animaux à sang chaud et prolongé la vie de ces derniers. Comme le terme tumeur désigne une masse cancéreuse affectant un organisme vivant pour une personne de compétence ordinaire dans le domaine de la biologie du cancer, l’expression effets antitumoraux telle qu’elle est utilisée dans le brevet 794 (p. 2 et 25) implique la conduite de tests multiples sur la capacité d’un sous-ensemble de composés à inhiber la croissance tumorale chez des animaux. Il est très probable que ces tests ont été réalisés chez des souris de laboratoire immunodéprimées, inoculées par voie sous-cutanée avec diverses lignées de cellules tumorales, conformément à la pratique courante dans le domaine de la biologie du cancer dans les années l980. Aux pages 27 à 29, le brevet décrit diverses préparations pharmaceutiques destinées à l’administration orale et parentérale des médicaments, ainsi que divers schémas posologiques.

66.       Les revendications du brevet 794 sont exposées aux p. 58 à 71. Les revendications 1 à 29 décrivent les composés de la formule 1, dont 16 éléments sont désignés expressément par leur nom chimique officiel. La revendication 31 du brevet fait allusion à un agent antitumoral contenant une quantité antitumorale efficace du composé ou son sel, tel qu’il est décrit dans l’une quelconque des revendications 1 à 29, en mélange avec un vecteur de qualité pharmaceutique.

67.       Comme je l’ai mentionné auparavant, une personne de compétence moyenne dans le domaine de la biologie du cancer devrait déduire qu’il est question d’un agent ou d’un composé présentant des effets antitumoraux et, partant, une certaine efficacité contre une masse tumorale in vivo. Cette déduction est renforcée par le passage « [traduction] [...] une quantité antitumorale efficace [...] en mélange avec un vecteur de qualité pharmaceutique ». Apparemment, l’expression « une quantité antitumorale efficace » a été utilisée au lieu du terme concentration parce que la concentration in vivo exacte exigée pour obtenir un effet antitumoral ne peut pas, habituellement, être déterminée dans le cadre d’expériences in vitro, car elle est fonction de la dose ou quantité du composé qui est administrée dans un organisme. L’expression « en mélange avec un vecteur de qualité pharmaceutique » renforce la conclusion qu’il est question ici d’applications in vivo.

[91]           Le Dr Van Etten n’a pas été invité à interpréter ou à analyser les autres revendications du brevet. Outre l’avis nuancé et généralisé évoqué précédemment, il n’a pas fait d’effort pour expliquer les fondements factuels ou le raisonnement valable requis pour étayer la prédiction valable de l’utilité des revendications avancées, hormis la revendication 31.

VII.          L’argument de Hospira concernant une prédiction valable

[92]           La meilleure preuve au sujet de la question de la prédiction valable a été fournie par les témoins experts de Hospira. Leur témoignage s’est avéré d’autant plus convaincant que Lilly n’a pas été en mesure de le contredire directement. Les précisions données par les témoins de Hospira offrent un contraste assez frappant avec les faiblesses de la preuve de Lilly, analysées précédemment.

[93]           Nul n’a contesté qu’en 1989, il était connu que le métabolisme de l’acide folique était complexe et qu’il faisait intervenir plusieurs enzymes aux structures tridimensionnelles complexes. Il était notoire que les antifoliques agissaient en se liant au site actif d’une ou de plusieurs enzymes dont ils inhibaient la fonction. Par ricochet, cette action nuisait à la duplication de l’ADN et à la division cellulaire.

[94]           Il n’y a pas de désaccord sur le fait que le brevet fournit les données de tests biologiques sur quatre composés seulement. En comparaison, les revendications 7 et 9 englobent des milliers de composés, dont il avait fallu établir l’utilité au moyen d’une prédiction valable.

[95]           L’avis de M. Kalman à l’égard de la prédiction valable est étayé par la complexité des procédés à suivre pour comprendre l’activité des antifoliques. Selon lui, des différences structurelles minimes par rapport aux antifoliques classiques peuvent altérer de manière très marquée l’activité biologique, et même entraîner l’inactivité (voir par. 162, p. 3188 du dossier de demande). L’on trouve un écho de cette affirmation dans l’histoire de la découverte conjointe du pemetrexed par Edward Taylor, dans laquelle il relate les problèmes rencontrés à cette époque :

[traduction] Il apparaissait improbable que le DDATHF (composé D), dont l’extraordinaire activité a été à l’origine du présent programme de collaboration, s’avérerait l’ultime structure de choix. Nous nous sommes lancés dans ce qui était somme toute une étude classique du rapport structure-activité, laquelle vise à dégager les modifications structurelles de manière systématique et à évaluer chacun des nouveaux composés découverts. Chaque partie de la structure de DDATHF a été étudiée dans l’espoir d’obtenir le portrait d’une structure optimale. Nous devions garder à l’esprit que chaque modification structurelle peut avoir une incidence sur la solubilité, l’absorption, la biodisponibilité, le métabolisme, le partage, les coefficients, la toxicité, l’activité possible contre d’autres cibles biologiques, la stabilité (propriétés pharmacocinétiques et biochimiques), de même que la résonance, les effets inductifs, la répartition électronique, la réactivité et la stabilité chimiques, la forme, la taille et les angles de liaison, le pKa et la capacité de liaison hydrogène (propriétés chimiques). Qui plus est, l’effet d’une modification dans une partie de la molécule peut altérer ou annuler une modification potentiellement utile dans une autre partie.

[96]           De toute évidence, M. Taylor cherchait un médicament optimal. Il n’étudiait pas tout simplement l’activité antifolique. Il n’en reste pas moins que la prédiction de l’activité relève d’un processus éminemment complexe qui soulève toujours les mêmes problèmes, peu importe la molécule.

[97]           M. Kalman a énuméré une série d’obstacles auxquels se heurte toute personne compétente qui tente de prédire les activités antitumorales, y compris l’incertitude associée aux facteurs suivants :

(a)                Le transport du composé dans la cellule tumorale. La capacité à transporter les antifoliques vers les cellules cibles varie selon le type de cellules et de tissus (voir les par. 169 à 173, p. 3191 et 3194 du dossier de demande).

(b)               L’ampleur du phénomène de polyglutamylation. Il est connu que ce phénomène est tributaire des différences entre les types de cellules, de même que de la structure et de la stéréochimie de l’antifolique, et qu’il peut y avoir des incidences sur l’activité antitumorale.

(c)                La capacité de liaison aux enzymes dans la voie dépendante des folates. En 1989, on savait que des différences minimes dans la structure moléculaire pouvaient influer sur la capacité d’un composé à se lier à une enzyme ou entraîner une différence importante dans l’activité contre différentes enzymes.

(d)               Pour être efficaces, les esters doivent être convertis en acides par l’hydrolyse des enzymes estérases dans la cellule tumorale. Il était connu que cette capacité variait selon le type de tumeur, l’espèce animale et la structure de l’ester.

[98]           M. Kalman a souligné en outre que le brevet contenait des données in vitro concernant quatre composés seulement, alors que les revendications 1 à 4, 6, 7, 9, 11, 13 et 31 portaient sur des milliers de composés. La structure des quatre composés n’était pas représentative des milliers de composés non testés faisant l’objet de revendications, et les résultats n’auraient pas fourni à une personne du métier l’information factuelle suffisante pour prédire l’utilité promise. Il en aurait été de même si cette personne du métier avait eu accès aux données de tests non communiquées par Takeda, y compris les données in vivo.

[99]           M. Kalman résume ainsi son point de vue sur la prédiction valable :

[traduction] 274.     En mars 1989, le brevet 794 n’aurait pas permis à un travailleur de compétence moyenne de former un raisonnement valable pour prédire si les composés visés par les revendications 1 à 4, 6, 7, 9, 11, 13 et 31 auraient les utilités promises, pour les raisons suivantes :

a)         les structures des composés testés ne sont pas représentatives de la portée des composés revendiqués;

b)         les structures des composés donnés en exemples ne sont pas représentatives de la portée des composés revendiqués;

c)         les composés revendiqués englobent des diastéréo-isomères et, en mars 1989, le travailleur de compétence moyenne savait que l’activité biologique peut varier d’un stéréoisomère à l’autre;

d)         les différences entre les structures des composés antifoliques influent sur : (1) la capacité de transport vers les cellules tumorales (et normales); (2) l’ampleur de la polyglutamylation à l’intérieur de la cellule; (3) la capacité à inhiber les enzymes dans la voie dépendante des folates;

e)         l’information sur le mécanisme d’action des composés testés ou revendiqués dans le brevet 794 est insuffisante;

f)         les études in vitro décrites dans le Brevet 794 ne permettent pas de prédire valablement l’efficacité in vivo de tous les antifoliques.

275.     Compte tenu de l’information fournie dans le brevet 794, un travailleur de compétence moyenne n’aurait pas été en mesure de prédire valablement que tous les composés entrant dans la portée des revendications 1 à 4, 6, 7, 9, 11, 13 et 31 auraient l’utilité promise.

[100]       Pour l’essentiel, ce témoignage n’a pas été contesté durant le contre-interrogatoire. M. Kalman a reconnu qu’il était possible d’analyser l’activité antitumorale sous l’angle des différences entre la structure des antifoliques classiques, mais il a continué de maintenir que cette activité potentielle ne saurait être érigée comme fondement à une prédiction valable de l’activité antitumorale, in vitro ou in vivo, de tous les composés visés par les revendications formulées. La transcription de son témoignage aux p. 7352 à 7354 rend compte de son désaccord avec M. Jones quand il affirme que la capacité de prédire l’activité antifolique est similaire à celle qui découle des résultats sur les composés testés par Takeda :

966.     Q.        [traduction] Oui, mais vous n’avez jamais entendu parler d’une inférence raisonnable prima facie. Cette hypothèse juridique vous a-t-elle été présentée?

R.        Je ne sais pas ce que c’est.

967.     Q.        Savez-vous ce qu’est une inférence?

R.        Une inférence est une interprétation ou une déduction découlant d’une affirmation.

968.     Q.        Êtes-vous d’accord pour dire que si vous fabriquez un composé qui n’appartient pas à une certaine classe, mais que vous en avez fabriqué d’autres qui y sont apparentés, on pourrait inférer, en se fondant sur les rapports structure-activité, que leur activité serait similaire, mais non identique? Il s’agirait d’une inférence parce que vous n’auriez pas vraiment fabriqué ni testé ce nouveau composé. Êtes-vous d’accord?

R.        Certes, il s’agirait d’une inférence, mais une inférence que je ne ferais pas, personnellement.

969.     Q.        Parce que vous n’êtes pas chimiste des médicaments?

R.        Même si je n’en suis pas un, j’ai beaucoup travaillé avec des chimistes des médicaments et je sais pertinemment que de minimes modifications structurelles peuvent entraîner des différences importantes dans les caractéristiques spécifiques des substrats des enzymes et de leur activité.

970.     Q.        Par contre, est-il exact que la différence peut être très ténue, et que tous présentent des types d’activité similaires?

R.        C’est exact, mais il est impossible de le prédire seulement à partir de la structure.

971.     Q.        D’accord, mais s’il existe des données sur différents composés d’une classe donnée et sur l’activité de chacun; d’accord, il peut y avoir des modifications. Il se peut que des modifications structurelles mineures ne soient pas; il s’agirait d’une inférence. Il n’y aurait pas de certitude, mais vous pourriez inférer que l’activité serait similaire.

R.        Concernant les nouveaux composés ou dans…

972.     Q.        Oui, dans quelque chose de similaire, sur le plan structurel, à ce que vous avez fabriqué et testé.

R.        Je ne ferais pas cette inférence.

973.     Q.        D’accord.

R.        Je sais fort bien que des différences structurelles minimes des composés peuvent avoir une incidence considérable.

[101]       Par ailleurs, je privilégie le témoignage des témoins de Hospira relativement à l’importance de bien comprendre le mécanisme d’action pour trancher la question de la prédiction valable. À cet égard, j’abonde dans le même sens que M. Kalman pour ce qui est de la pertinence et de l’importance de bien saisir le mécanisme d’action :

271.     [traduction] Le brevet 794 ne traite pas du « nouveau mécanisme » à l’origine de l’activité antitumorale des composés visés par les revendications 1 à 4, 6, 7, 9, 11, 13 et 31, ni des enzymes qui interviennent dans le métabolisme de l’acide folique spécifiquement ciblés (à ne pas confondre avec DHFR). Cela étant, on ne trouve dans la documentation aucune directive relative au rapport structure-activité, lequel est axé sur la cible (comme nous l’avons déjà expliqué). Si une cible de médicament est bien circonscrite, les caractéristiques structurelles essentielles à la liaison ou à l’efficacité sont déjà définies, de sorte que le chimiste des médicaments pourra concevoir des composés qui favoriseront l’interaction de ces caractéristiques. Si la cible de l’activité est méconnue, le travailleur de compétence ordinaire ne pourra pas savoir quelles parties d’un composé de la formule [I] sont déterminantes de l’activité et lesquelles seront nuisibles.

272.     Comme les composés antifoliques à base de pyrrolopyrimidine n’avaient jamais été synthétisés ni testés pour leur activité antitumorale, il aurait été impossible d’élaborer un rapport structure-activité utile pour tous les composés visés par les revendications 1 à 4, 6, 7, 9, 11, 13 et 31. Qui plus est, on ne trouve dans le brevet 794 aucun résultat de tests sur des composés inactifs, de sorte qu’un travailleur de compétence moyenne ne serait pas en mesure de dégager les « limites » des composés de substitution ou de remplacement admis au titre de la formule I du brevet 794.

[102]       M. Phillips reprend le même argument aux paragraphes 216 et 217 :

216.     [traduction] Les seules données dont fait état le brevet 794 ont trait à des tests effectués sur deux lignées cellulaires humaines, soit KB et HL-60. Le 23 mars 1989 (et aujourd’hui encore), un travailleur de compétence moyenne savait que différentes lignées de cellules cancéreuses humaines réagissent différemment aux antifoliques en raison des variations entre les fonctions biochimiques des lignées cellulaires. Le 23 mars 1989, l’Institut national du cancer (INC) avait déjà adopté un procédé in vitro visant à évaluer l’activité des composés testés. Le procédé de l’INC faisait intervenir 60 lignées de cellules cancéreuses humaines en raison des variations de leur activité respective. Tout travailleur de compétence moyenne aurait su qu’il était impossible de se fonder sur le niveau d’activité d’un composé, ou son inactivité, dans une lignée de cellules humaines pour prédire valablement le niveau d’activité du composé, ou son inactivité, dans une autre lignée.

217.     De plus, à défaut de données sur le mécanisme d’action du composé testé, un travailleur de compétence moyenne n’aurait pas été en mesure de prédire valablement l’activité d’un composé, ou son inactivité, dans des cellules HL-60 à partir uniquement du niveau d’activité du même composé, ou son inactivité, dans des cellules KB. De même, il n’aurait pas pu prédire valablement l’activité d’un composé, ou son inactivité, dans des cellules KB en se fiant à son niveau d’activité, ou à son inactivité, dans les cellules HL-60. Ainsi, si l’activité d’un composé est fonction de la polyglutamation, les variations entre les niveaux de polyglutamation d’une lignée de cellule à l’autre auraient été connues. Il faut se reporter notamment à G. Pizzorno, et coll., “Inherent Resistance of Human Squathous Carcinoma Call Lines to methotrexate as a Result of Decreased Polyglutamylation of This Drug”, Cancer Research, 1989, vol. 49, no 19, p. 5275 à 5280. J’ai joint une copie de cet article à titre de Pièce 11 de mon affidavit.

[103]       Dans son affidavit, M. Chong présente une analyse exhaustive des caractéristiques structurelles des composés cités en référence dans le brevet comparativement aux éléments structurels des composés revendiqués.

[104]       Selon les calculs de M. Chong, les revendications formulées englobent des milliers de composés, dont des esters et des stéréoisomères (se reporter aux par. 24 et 25 de l’affidavit de M. Chong). Par comparaison, à peine 44 composés sont cités en référence dans les revendications. Voici la description des caractéristiques structurelles ou des variantes proposée dans l’affidavit de M. Chong :

45.       [traduction] Sur ces 44 composés, c’est-à-dire ceux des exemples de la formule (I), aucun n’est ponté par 4 atomes de carbone. En outre, seulement deux ont un pont à 2 atomes de carbone, et les 42 autres ont un pont à 3 atomes. Ni l’un ni l’autre des deux composés ayant un pont à 2 atomes de carbone n’a un cycle pyrrole, mais ceux qui ont un pont à 3 atomes renferment des composés de pyrrole et de pyrroline. Les deux composés à 2 atomes de carbone ont la même structure, exception faite des groupes –COOR1 et -COOR2 : l’exemple pratique 12 correspond à la forme ester diéthyle (- COOCH2CH3) de l’exemple pratique 15, la forme diacide (-COOH). Les composés 45 à 62 présentés dans la pièce 14 constituent des composés intermédiaires potentiels.

[105]       Aux paragraphes 48 à 66, M. Chong poursuit en énonçant les éléments structurels des composés revendiqués qui ne sont présents ni dans les exemples pratiques du brevet (4, 6, 14 et 16), ni dans les 44 composés désignés expressément dans le brevet (donnés en exemple ou en référence, dans les exemples pratiques, et composés des revendications 14 à 29). Selon ce témoignage, les composés notoirement testés par Takeda étaient distincts sur le plan structurel de ceux qui sont visés par les revendications formulées.

[106]       Pour l’essentiel, l’analyse de M. Chong n’a pas été contestée par les experts de Lilly, mais elle sert de fondement aux opinions de M. Phillips et M. Kalman selon lesquelles la structure des composés apparemment testés par Takeda n’était pas représentative de la gamme des composés non testés visés par les revendications formulées. Étant donné, comme les témoins l’ont affirmé, que des variations structurelles, même minimes, des antifoliques classiques peuvent altérer de manière considérable l’activité biologique (y compris entraîner l’inactivité), il est impossible de prédire valablement l’activité antifolique des composés non testés.

[107]       M. Phillips souscrit à l’affirmation de M. Kalman comme quoi des modifications structurelles minimes des composés antifoliques peuvent avoir des incidences marquées sur l’activité. De fait, une seule modification peut contrecarrer l’action d’un composé par ailleurs extrêmement puissant. M. Kalman souligne que les données issues des propres tests de Takeda confirment cette théorie (par. 162). Lilly n’a pas non plus remis en question ces témoignages, du moins pas directement. Lilly a plutôt tenté de défendre sa prétention selon laquelle il est possible de faire une prédiction valable inférée d’une possible activité mesurable en général.

[108]       En dépit de la promesse d’utilité tronquée faite par Lilly, je ne puis accepter l’argument voulant qu’une prédiction valable soit possible. Au vu des témoignages de M. Kalman et M. Phillips concernant la représentativé insuffisante des données de test soumises par Takeda, je ne pense pas qu’une personne du métier aurait pu, en 1989, prédire l’activité antifolique de tous les composés non testés visés par les revendications formulées, y compris le pemetrexed.

[109]       J’ai les mêmes réserves au sujet du défaut des témoins de Lilly de réagir directement à la preuve déposée par Hospira concernant les revendications visant une myriade d’esters et de diastéréoisomères antifoliques.

[110]       Personne ne nie que, en 1989, il était notoire que les diastéréoisomères étaient des composés distincts qui souvent présentaient des propriétés chimiques et biologiques très différentes. Quoi qu’il en soit, avant la date de dépôt, Takeda n’avait ni isolé ni testé aucun des diastéréoisomères revendiqués (voir le témoignage de Tetsuo Miwa, p. 4168 et 4169).

[111]       De même, l’hydrolyse des esters antifoliques est tributaire de diverses variables ne se prêtant pas à des prédictions (voir les par. 185 à 187 de l’affidavit de M. Kalman, ainsi que les par. 209 et 210 de l’affidavit de M. Phillips).

[112]       Je ne souscris pas aux prétentions des experts de Lilly comme quoi une personne de métier exclurait ou écarterait les esters et diastéréoisomères des composés revendiqués de l’analyse d’une prédiction valable. La personne de métier ne tiendrait pas compte de ces composés seulement si elle pouvait raisonnablement présumer qu’ils n’annuleraient pas l’activité antitumorale d’un composé. Ni M. Jones ni M. Wuest n’ont démontré de façon convaincante que c’est effectivement le cas. Notamment, au paragraphe 33 de son affidavit, M. Wuest affirme simplement que la conversion d’esters en acides carboxyliques correspondants est courante et peut se produire dans des conditions bien définies – par exemple, si les esters sont utilisés comme promédicaments. Il en a déduit que [traduction] « [e]n principe, de nombreux esters pourraient se prêter à cet usage » [non souligné dans l’original]. Cette réponse rejoint les témoignages de M. Kalman et M. Phillips. Voici ce qu’a répondu M. Phillips à une question portant sur la stéréochimie lors du contre-interrogatoire :

Q.        [traduction] L’on trouve effectivement dans la documentation des exemples démontrant que la stéréochimie ne semble pas avoir d’incidence sur l’activité.

R.        D’autres exemples montrent au contraire qu’elle a une incidence. C’est bien connu. [p. 7225]

[113]       Il donne une réponse similaire à une question concernant l’usage des esters antifoliques comme promédicaments :

Q.        [traduction] En fait, il serait plus efficace dans certains cas de l’utiliser comme promédicament que comme fragment actif?

R.        L’administration d’un promédicament est fortement liée à son mécanisme d’activation.

938.     Q.        Je ne prétends pas que ce serait mieux dans tous les cas. Seulement dans certains cas.

R.        Suivant le mécanisme, les caractéristiques spécifiques du substrat et toute une panoplie de facteurs.

939.     Q.        Par exemple, si les composés ont une faible solubilité, est-ce qu’un ester pourrait l’améliorer?

R.        Oui, c’est possible. Mais il pourrait également l’empirer.

[114]       Les témoignages M. Kalman, M. Phillips et M. Chong sont aussi clairs que concluants, et n’ont pas été contestés pour l’essentiel. J’accepte leur témoignage à propos de l’important défi que peut poser la prédiction de l’activité antifolique d’un composé non testé à partir de données sur un autre composé.

[115]       Par contraste, le témoignage des experts de Lilly m’est apparu ambigu et flou. C’est le cas particulièrement des déclarations de M. Jones au sujet d’une théorie de la prédiction valable de l’activité « dans le cycle ». J’ai eu l’impression que cette généralisation en bonne partie inutile avait pour but d’esquiver les déclarations de M. Phillips et M. Kalman au sujet de la complexité intrinsèque de tout exercice de prédiction de l’activité antifolique des différents composés et dans différentes lignées cellulaires.

[116]       En conséquence, je m’inscris en faux contre l’affirmation de Lilly comme quoi une personne du métier aurait prédit l’utilité des milliers de composés non testés visés par les revendications. Il en serait également ainsi si l’on admettait la prétention de Lilly voulant que la promesse découlant des revendications formulées se borne à une certaine activité antifolique dans certaines lignées cellulaires in vitro. La tentative de Takeda de s’arroger un monopole sur une classe de composés aussi énorme en faisant valoir les résultats d’un test isolé est nettement exagérée et donne un parfait exemple des réserves exprimées au paragraphe 80 de Wellcome, déjà cité, eu égard au brevetage d’une multitude de composés chimiques avant que leur utilité soit démontrée ou prédite.

[117]       Pour les motifs qui précèdent, la présente requête est rejetée et les dépens sont adjugés à Hospira suivant l’échelon supérieur de la colonne IV.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente demande avec dépens payables à Hospira suivant l’échelon supérieur de la colonne IV.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-366-14

 

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC. c. CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 13 au 16 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE :

Le 15 janvier 2016

 

COMPARUTIONS :

M. Anthony Creber

Mme Livia Aumand

Mme Kelly A. McClellan

 

Pour la demanderesse

 

M. Warren Sprigings

Mme Mary McMillan

M. Mingquan Zhang

Mme Anne Christopher

 

Pour la défenderesse

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA

 

M. Kiernan Murphy

 

Pour la défenderesse

TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY

LIMITED

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowlings Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Sprigings IP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA


William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Gowlings Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY

LIMITED

 

 



[1]     Voir le paragraphe 18 du mémoire des faits et du droit de Lilly.

[2] Seuls trois d’entre eux sont rapportés dans le brevet, mais M. Jones a maintenu, au paragraphe 280 de son affidavit, que cela suffisait.

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