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Date : 20160210


Dossier : IMM-2160-15

Référence : 2016 CF 161

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2016

En présence de  monsieur le juge Southcott

ENTRE :

TAMAR WILLIAMS (aussi appelée TAMARA WILLIAMS)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) daté du 17 juin 2015 dans laquelle la SAR a confirmé que la décision de la Section de protection des réfugiés (SPR) statuant que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs suivants.

I.                   Contexte 

[3]               La demanderesse est citoyenne de la Jamaïque. Elle a soutenu devant la SPR qu’elle avait entamé une relation avec un homme en Jamaïque au début de l’année 2009. Lorsqu’elle a tenté de mettre fin à cette relation en août 2009, son petit ami ne l’a pas accepté et a menacé de la tuer. La demanderesse déclare qu’elle s’est adressée à la police, mais qu’elle n’a pas été protégée.

[4]               Peu après cet incident, la demanderesse est venue au Canada pour participer au programme des travailleurs agricoles et est retournée en Jamaïque à la fin de son contrat. Elle a participé à ce programme pendant trois ans, retournant en Jamaïque à la fin de chaque contrat. Pendant ce temps, elle a vu son ancien petit ami une seule fois, en janvier 2012, et n’a pas interagi avec lui.

[5]               La demanderesse soutient qu’en février 2014, elle a été agressée par son ancien petit ami, qui lui a dit qu’elle ne pouvait pas s’enfuir et qu’il irait chez elle lui jeter de l’acide au visage. Elle déclare qu’elle s’est adressée à la police, mais que cette dernière n’a rien fait. La demanderesse est revenue au Canada en avril 2014, et pendant qu’elle était au Canada, elle a appris en septembre 2014 que son ancien petit ami avait commencé à harceler son fils. À ce moment-là, elle a commencé à se renseigner pour obtenir de l’aide en lien avec sa situation, à la suite de quoi elle a présenté une demande d’asile à la fin de septembre 2014.

II.                Décision de la SPR

[6]               La SPR a entendu la demande d’asile de la demanderesse le 12 décembre 2014 et l’a rejetée. D’après les conclusions défavorables sur la crédibilité et l’absence de crainte subjective de la part de la demanderesse, la SPR n’était pas convaincue que les événements se sont produits de la façon alléguée par la demanderesse et a conclu que la demanderesse n’avait pas une crainte fondée de persécution. Voici ses principales conclusions :

A.    La demanderesse a omis des renseignements importants dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), notamment un coup qu’elle a reçu au visage pendant l’incident de février 2014, sa discussion avec un ami policier (l’agent Bailey) après cet incident, ainsi que les détails des réponses qu’elle a reçues lorsqu’elle s’est adressée à la police en 2009 et en 2014.

B.     Le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible en raison de son incapacité à se souvenir des dates précises associées à la durée de sa relation et aux incidents qui ont eu lieu en 2009 et en 2014.

C.     Les incohérences entre le témoignage de la demanderesse et une lettre produite par l’agent Bailey ont miné la crédibilité de cette lettre.

D.    Le fait que la demanderesse se soit réclamée de nouveau de la protection de la Jamaïque et le délai qui s’est écoulé avant le dépôt de sa demande d’asile démontrent une absence de crainte subjective.

III.             Décision de la SAR

[7]               La SAR s’est fondée sur l’affaire Huruglica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799 (Huruglica) pour établir la norme de contrôle pertinente. Elle a indiqué qu’elle procéderait à son propre examen pour déterminer si la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. Elle fera preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR quant à la crédibilité ou des autres conclusions pour lesquelles la SPR a joui d’un avantage particulier pour tirer ses conclusions.

[8]               Les arguments de la demanderesse n’ont pas convaincu la SAR que la SPR avait commis une erreur en rejetant l’explication de la demanderesse concernant l’omission du coup au visage ayant eu lieu lors de l’incident de 2014 dans son formulaire FDA. La SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse se souvienne des détails importants de l’incident et qu’elle les inscrive dans le formulaire FDA, en particulier parce que l’allégation d’agression par son petit ami constituait une allégation centrale qui touchait au cœur de la demande. En outre, le formulaire FDA a été rempli longtemps après l’incident et avec l’aide d’un avocat.

[9]               En ce qui concerne la conclusion défavorable de la SPR sur la crédibilité fondée sur le défaut de la demanderesse de mentionner sa discussion avec l’agent Bailey dans son formulaire FDA, la SAR a conclu qu’il était loisible à la SPR de rejeter les explications de la demanderesse selon lesquelles elle ne savait pas qu’elle devait la mentionner et qu’elle était confuse en raison de la situation avec son fils. La SAR a conclu qu’il s’agissait d’une omission importante de la part de la demanderesse ayant trait à son allégation selon laquelle elle ne pouvait pas obtenir la protection de l’État.

[10]           En ce qui concerne l’incapacité de la demanderesse à fournir les principales dates liées aux incidents, la SAR a examiné l’enregistrement de l’audience devant la SPR et a conclu qu’il était déraisonnable qu’elle ne puisse pas se souvenir de ces dates. La demanderesse a également soutenu que la SPR avait commis une erreur relativement à son interprétation de la réponse de la police à ces incidents. Cependant, la SAR a fait remarquer que la demanderesse n’avait fourni aucun détail relativement à l’erreur, et après avoir procédé à son propre examen des motifs de la SPR, la SAR a conclu qu’aucune erreur n’avait été commise.

[11]           La SAR a donné raison à la demanderesse que l’ajout du numéro de badge de l’agent Bailey dans sa lettre, alors qu’il la rédigeait en tant que simple citoyen, n’a pas porté atteinte à la crédibilité de la lettre. Toutefois, la SPR avait tout de même raison d’accorder peu de poids à la lettre étant donné qu’elle n’était pas assez détaillée et qu’elle allait à l’encontre du témoignage.

[12]           La SAR a également conclu que la SPR avait tiré une conclusion indue concernant la crédibilité de la demanderesse en se fondant sur la description de son interaction avec la police après sa rencontre avec son ancien petit ami, laquelle description était dépourvue de détails comparativement à son témoignage. La SAR a conclu que le témoignage constituait une précision du contenu du formulaire FDA et non une omission de détails. Malgré cette conclusion, la SAR a conclu que même si le formulaire FDA et le témoignage avaient fait l’objet d’un examen, ils ne fournissaient pas une preuve suffisante pour contredire l’ensemble des conclusions défavorables sur la crédibilité.

[13]           En ce qui concerne le fait de s’être réclamé de nouveau de la protection de la Jamaïque et le retard à revendiquer le statut de réfugiée, la SAR a conclu qu’il était raisonnable, si la demanderesse craignait vraiment de retourner en Jamaïque, de s’attendre à ce qu’elle fasse des efforts pour demander une protection ou du moins pour s’informer au sujet de la protection dont elle pourrait bénéficier. En outre, la décision de la demanderesse d’attendre quatre mois après son arrivée au Canada en 2014 avant de présenter sa demande ne traduisait pas une personne qui craignait vraiment pour sa sécurité et celle de son fils.

[14]           Concernant la protection de l’État, la SAR, après l’examen du dossier, accepte les conclusions de la SPR selon lesquelles les événements pour lesquels la demanderesse a allégué qu’elle avait demandé la protection de l’État ne se sont pas produits.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[15]           Ni l’une ni l’autre des parties ne conteste la norme de contrôle suivie par la SAR pour régir sa façon d’aborder la décision de la SPR. Les parties conviennent également que l’examen par la Cour des conclusions de la SAR dans cette affaire devrait être effectué selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord (voir Siliya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 120).

V.                Observations des parties

A.                Position de la demanderesse

[16]           La demanderesse soutient que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité sont déraisonnables pour plusieurs motifs.

[17]           Même si le mot [TRADUCTION] « coup » ne figure pas dans le formulaire FDA, il était fait mention dans ce dernier que la demanderesse avait été attaquée et qu’elle avait eu des ecchymoses sur le visage et sur le bras lors de l’incident de février 2014. La demanderesse fait valoir que la seule interprétation possible du passage du formulaire FDA est que l’ancien petit ami est celui qui a causé ces ecchymoses, sous forme de coup ou de toute autre forme de voies de fait.

[18]           La demanderesse soutient que son interaction avec l’agent Bailey était une rencontre fortuite après l’agression et qu’il ne s’agissait pas d’un élément clé de son allégation d’absence de protection de l’État, et qu’aucune conclusion négative ne devait être tirée de cette omission dans le formulaire FDA.

[19]           La demanderesse soutient également que la SAR s’attendait, déraisonnablement, à ce qu’elle se souvienne des dates exactes des incidents qui ont eu lieu avant l’audience de la SPR et fait valoir que, en l’absence de documents dans lesquels ces dates figurent, une demande d’asile ne devrait pas être accueillie ou rejetée au vu d’un test de mémoire (Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 190 FTR 225, au paragraphe 28).

[20]           En ce qui concerne le fait de s’être réclamé de nouveau de la protection de la Jamaïque, la position de la demanderesse est que la SAR a omis de tenir compte de son explication selon laquelle elle avait cru au fil des ans que son ancien petit ami ne s’intéressait plus à elle avant l’incident de février 2014 et que, même après son arrivée au Canada en avril 2014, elle avait un statut de résidente temporaire valide et son ancien petit ami n’avait pas encore abordé son fils.

[21]           Enfin, la demanderesse soutient que la SAR a maintenu la décision de la SRP seulement sur la base de l’ensemble des conclusions soutenues sur la crédibilité. Par conséquent, même si la Cour accepte seulement quelques-unes des prétendues erreurs concernant la crédibilité, son intervention est garantie.

B.                 Position du défendeur

[22]           Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement examiné les éléments de preuve relatifs à la crédibilité dans la mesure nécessaire pour aborder les arguments de la demanderesse, tout en faisant preuve de retenue quant aux constatations de fait initiales de la SPR concernant le témoignage de vive voix de la demanderesse.

[23]           La position du défendeur est qu’un coup au visage n’est pas un fait mineur ni un fait qui représente une simple précision de ce qui figurait dans le formulaire FDA. Il était raisonnable de la part de la SAR de s’attendre à ce que la demanderesse mentionne un détail aussi important dans son formulaire FDA, puisque sa demande est fondée sur le fait qu’elle est harcelée par son ancien petit ami.

[24]           En ce qui concerne l’agent Bailey, le défendeur soutient que parce qu’il s’agit d’un policier et qu’il connaît la situation de la demanderesse de même que la situation du pays, l’avis qu’il a donné à la demanderesse porte sur l’accessibilité à la protection de l’État. Par conséquent, ni la SPR ni la SAR n’ont commis d’erreur lorsqu’elles ont soutenu que l’omission de cette information de la part de la demanderesse constituait une omission importante. Le défendeur fait une analogie avec l’affaire Wong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 534, au paragraphe 8.

[25]           Le défendeur fait valoir qu’il n’y a rien d’incorrect quant aux conclusions défavorables sur la crédibilité tirées par la SPR et la SAR concernant l’incapacité de la demanderesse à fournir les dates des événements clés qui ont eu de lourdes conséquences sur sa vie et ont précipité sa demande.

[26]           En ce qui concerne le fait que la demanderesse se soit réclamée de nouveau de la protection de la Jamaïque, la position du défendeur est que les actions de la demanderesse ne concordent pas avec son témoignage selon lequel elle avait peur pour sa vie lorsqu’elle a quitté la Jamaïque en 2009. Elle s’est également cachée chez sa mère en Jamaïque, un endroit que son ancien petit ami connaissait, en 2009 et lorsque les problèmes se sont répétés en février 2014. Dans son témoignage, elle indique de manière contradictoire « qu’elle prévoyait s’informer et voir ce qu’elle pouvait faire » à son arrivée au Canada en avril 2014. Cependant, elle n’a pas présenté sa demande avant septembre 2014.

[27]           Finalement, le défendeur prétend que, lorsqu’une conclusion relative à la crédibilité est fondée sur un certain nombre de points comme dans la présente affaire, l’analyse de la Cour ne devrait pas consister à déterminer si chaque point répond au critère de raisonnabilité. Plutôt, l’examen de la raisonnabilité devrait être effectué de façon générale. Dans sa plaidoirie, le défendeur a réagi aux arguments de la demanderesse concernant la contestation des conclusions. Il s’est également appuyé sur d’autres conclusions rendues par la SAR qui n’ont pas été contestées, dans le cadre de la justification générale de la décision qui devrait être prise en compte par la Cour.

VI.             Analyse

[28]           La demande de la demanderesse repose sur les événements qui se sont produits en 2014. Sa position est que l’agression alléguée en février 2014 et l’ancien petit ami qui a abordé son fils en septembre 2014 sont les événements qui l’ont incitée à présenter sa demande. Ma décision d’accueillir cette demande repose sur les conclusions de la SAR en ce qui concerne l’omission du coup au visage dans le formulaire FDA de la demanderesse, le fait qu’elle se soit réclamée de nouveau de la protection de la Jamaïque et son retard à présenter sa demande, qui sont toutes essentielles aux événements de 2014 sur lesquels la demande est fondée.

[29]           Pour ce qui est de l’omission dans le formulaire FDA du coup au visage, je suis d’accord avec la position de la demanderesse selon laquelle la SAR a commis une erreur en maintenant la conclusion défavorable de la SPR sur la crédibilité. L’analyse de la SAR porte sur l’explication de la demanderesse concernant cette omission, liée à la confusion et au stress, et indique que le formulaire FDA a été rempli longtemps après l’agression alléguée, avec l’aide de l’avocat, et que les directives du formulaire FDA indiquent la nécessité de donner des explications détaillées. Par conséquent, la SAR est d’accord avec la SPR que la demanderesse aurait dû inclure cette information importante dans son formulaire FDA et que cette omission mine son allégation relative à l’agression de février 2014.

[30]           Toutefois, comme il est indiqué par la demanderesse, ni la SAR ni la SPR ne font mention du contenu réel du formulaire FDA pour déterminer si le contenu peut être justement caractérisé comme une omission de l’information. En référant à l’incident de février 2014, la demanderesse déclare, dans son formulaire FDA, que son ancien petit ami l’avait [TRADUCTION] « attaquée » et que, lorsqu’elle s’est adressée à la police, elle [TRADUCTION] « lui a montré les ecchymoses sur mon visage et sur mes bras ». Même s’il n’y a pas de référence explicite à un coup, le contenu du formulaire FDA indique clairement que l’ancien petit ami a agressé la demanderesse d’une manière qui l’a blessée au visage. Je ne peux pas conclure que le fait de ne pas mentionner l’attaque comme étant un coup soit une omission qui justifie de rendre une conclusion défavorable sur la crédibilité.

[31]           Le défendeur cite les autorités pour ce qui est de l’admissibilité d’un décideur d’une demande d’asile à déterminer le fait de ne pas mentionner des faits importants comme étant un élément essentiel de la demande. Cependant, ces cas concernent des omissions qui sont assez différentes de celle relative au cas présent. Par exemple, dans l’affaire Khalifa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 369, les omissions concernaient deux arrestations, qui, avait fait remarquer la Cour, ne constituaient pas des détails mineurs ni des précisions, mais étaient liés aux faits essentiels à la demande d’asile. Dans l’affaire Kosmacaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 52, les omissions étaient des activités politiques particulières et un incident de torture allégée. Dans l’affaire Karaoglan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 749, au paragraphe 16, la Cour fait la distinction entre les omissions qui minent la crédibilité des embellissements ajoutés dans une demande d’asile et les omissions de détails mineurs ou de précisions qui ne permettent pas de tirer des conclusions négatives.

[32]           Dans le contexte de l’information qui a été incluse dans le formulaire FDA de la demanderesse relativement à l’incident de février 2014, j’estime que son témoignage subséquent selon lequel son ancien petit ami lui a donné un coup au visage constitue une précision qui ne permet pas de tirer une conclusion négative. Plus particulièrement, en raison du fait que la SAR ne mentionne pas le contenu du formulaire FDA afin de déterminer si l’omission est une omission qui peut permettre de tirer une conclusion négative, ma conclusion est que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable concernant cette omission.

[33]           Je conclus également que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable en ce qui concerne son analyse du fait que la demanderesse se soit réclamée de nouveau de la protection de la Jamaïque et de son retard à présenter sa demande.

[34]           La SAR a tiré une conclusion négative en concluant que la demanderesse n’éprouvait pas de crainte subjective et qu’elle avait miné ses allégations de peur relativement à la Jamaïque en raison de ses retours répétés dans ce pays entre 2009 et 2014 après la fin de ses contrats de travail au Canada, et de l’effet cumulatif du retard à présenter une demande après son retour au Canada en 2014. Toutefois, comme l’a affirmé la demanderesse, même si la SAR peut tirer une conclusion négative en se fondant sur le fait qu’elle se soit de nouveau réclamée de la protection de la Jamaïque ou sur le retard, ce faisant, la SAR doit tenir compte des explications du demandeur (voir les affaires Sanchez Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 197, aux paragraphes 21-23; Pulido Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 258, au paragraphe 57).

[35]           L’explication de la demanderesse relativement à ses retours en Jamaïque de 2009 à 2014 était qu’elle n’avait pas vu son ancien petit ami lorsqu’elle était retournée chez elle et avait donc cru qu’il avait accepté le fait que leur relation était terminée. En effet, la position de la demanderesse semble être que la peur qu’elle a développée à la suite de l’incident initial en 2009 n’existait pas de 2009 à 2014. En ce qui concerne le retard à présenter sa demande en 2014, l’explication de la demanderesse était que ce n’était qu’après que son fils fut menacé en septembre 2014 qu’elle a demandé l’asile.

[36]           Le défendeur souligne que dans sa décision, la SAR a fait mention de l’explication de la demanderesse relativement au retard en 2014. Cependant, comme il a été allégué par la demanderesse, la décision de la SAR ne comporte aucune prise en considération de cette explication. La SAR ne fait qu’indiquer que les arguments de la demanderesse ne l’ont pas convaincue et conclu ensuite que la décision de la demanderesse d’attendre près de quatre mois avant de présenter sa demande ne traduit pas un agissement d’une personne qui craint vraiment pour sa sécurité et celle de son fils. En réponse à ce point, le défendeur soutient que la Cour peut avoir recours à l’analyse de la SPR, la SAR s’étant elle-même reportée aux conclusions de la SPR, notamment que la demanderesse a omis de présenter une demande d’asile immédiatement après son arrivée au Canada, et ayant indiqué qu’elle soutenait les conclusions de la SPR.

[37]           J’ai un peu de mal à être d’accord avec cette proposition. Comme l’a mentionné la SAR, la norme de contrôle adoptée en fonction de l’affaire Huruglica exige que la SAR effectue son propre examen pour déterminer si la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. Il serait donc difficile de soutenir la décision de la SAR fondée sur une analyse effectuée par la SPR, à moins que la décision de la SAR ne démontre qu’elle a procédé à l’évaluation indépendante requise de cet aspect de la demande.

[38]           Peu importe, la partie de la décision de la SPR citée par le défendeur devant la Cour n’est pas une analyse de l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas présenté sa demande avant septembre 2014 quand son fils a été menacé. Plutôt, le défendeur a remis en question la déclaration de la SPR selon laquelle il est curieux que la lettre de la mère de la demanderesse, qui fait partie des éléments de preuve à l’appui de sa demande, ne mentionnait pas le harcèlement du fils par l’ancien petit ami depuis le dernier voyage de la demanderesse. La SPR a décidé d’accorder peu de poids à cette lettre. Même si cette conclusion rejette certains éléments de preuve qui corroborent la demande de la demanderesse selon laquelle son fils était harcelé, elle ne peut être caractérisée comme une analyse de l’explication de la demanderesse relativement à son retard à présenter sa demande. Elle présente encore moins un motif de conclure que la SAR, en soutenant les conclusions de la SPR, a procédé à l’analyse indépendante requise de cette explication.

[39]           La demanderesse a également raison d’indiquer que la décision de la SAR ne contient aucune analyse de son explication relativement à son retour en Jamaïque entre 2009 et 2014. La SAR devait tenir compte de cette explication pour prendre sa décision sur le fait que la demanderesse se soit réclamée de nouveau de la protection de la Jamaïque, et son omission de le faire rend cette partie de la décision déraisonnable.

[40]           Il n’est pas nécessaire pour moi de me prononcer sur tous les arguments soulevés par la demanderesse en contestation des autres conclusions de la SAR, puisque j’estime que les erreurs relatives à l’omission dans le formulaire FDA, au fait que la demanderesse se soit réclamée de nouveau de la protection de la Jamaïque et à l’analyse du retard justifient l’accueil de la demande. Je suis conscient de l’argument du défendeur selon lequel la décision devrait être examinée de façon générale et devrait être soutenue en se fondant sur d’autres conclusions, même si certains des arguments de la demanderesse avaient gain de cause. À l’opposé, la demanderesse souligne la conclusion suivante rendue par la SAR au paragraphe 48 de sa décision :

[TRADUCTION]

[...] la SAR conclut, après avoir examiné tous les éléments de preuve figurant au dossier que le cumul des conclusions défavorables maintenues sur la crédibilité et la preuve évidente de l’absence de crainte subjective mentionnées par la SPR suffisent à confirmer la décision générale de la SPR. [Non souligné dans l’original.]

[41]           En s’appuyant sur cette conclusion, la demanderesse cite l’affaire Qalawi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 662, au paragraphe 17, concernant l’affirmation subséquente suivante :

[17]      Je suis d’avis qu’un certain nombre des autres conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission n’étaient pas manifestement déraisonnables. Cependant, étant donné que la Commission a affirmé que c’est l’effet cumulatif de toutes les conclusions défavorables qui a mené à la conclusion selon laquelle l’ensemble du récit de M. Qalawi n’était pas crédible, il est impossible d’affirmer quelle importance les conclusions que j’ai jugées erronées ont eue dans l’analyse effectuée par la Commission et dans la conclusion finale qu’elle a tirée.

[42]           Je ne suis pas prêt à adopter un principe immuable qu’une déclaration de ce genre, soit qu’une décision est fondée sur des conclusions cumulées, fait en sorte que la décision est automatiquement infirmée si l’une des conclusions est contestée fructueusement. Cependant, dans le cas présent, j’estime que les conclusions liées à l’omission dans le formulaire FAD, au fait que la demanderesse se soit réclamée de nouveau de la protection de la Jamaïque et au retard, et se rapportant aux événements de 2014 sur lesquels la demande repose, sont suffisamment fondamentales pour la crédibilité et la crainte subjective de la demanderesse que la contestation fructueuse de ces conclusions nécessite d’annuler la décision de la SAR parce qu’elle n’était pas raisonnable. Même si elle n’en dépend pas, la conclusion est appuyée par le libellé [TRADUCTION]« cumul des conclusions » figurant dans la décision, puisqu’il s’agit d’un cas pour lequel je suis incapable de déterminer de quelle façon la SAR statuerait sur l’appel dont elle a été saisie, n’eût été des conclusions que j’ai infirmées.

[43]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen par un commissaire différent. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2160-15

INTITULÉ :

TAMAR WILLIAMS (aussi appelée TAMARA WILLIAMS) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 10 février 2016

COMPARUTIONS :

John Norquay

Pour le demandeur

Suranjana Bhattacharyya

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Norquay

Avocat-procureur

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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