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Date : 20160219


Dossier : 16-T-6

Référence : 2016 CF 227

Ottawa (Ontario), le 19 février 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur cherche à contester, par voie de contrôle judiciaire, la décision du Ministère de l’Emploi et du Développement Social Canada (le Ministère), datée du 30 septembre 2015, écartant sa candidature d’un processus de nomination externe au motif qu’il ne répondait pas à l’une des qualifications essentielles pour le poste à combler, celle de la fiabilité.  Il cherche aussi à contester la décision subséquente de la Commission de la fonction publique du Canada (la CFP), datée du 15 décembre 2015, de ne pas mener une enquête suite à la plainte qu’il a logée auprès de la CFP en lien avec ledit processus de nomination.

[2]               Pour ce faire, il soumet à la Cour une requête visant, d’une part, à être autorisé, suivant la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), à contester ces deux décisions dans le cadre d’une même demande de contrôle judiciaire, et d’autre part, à être relevé du défaut de ne pas avoir produit ladite demande dans le délai prévu à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch. F-7.

[3]               Le défendeur ne s’oppose pas à ce que soit prorogé le délai prescrit pour le dépôt de la demande de contrôle judiciaire dans la mesure où celle-ci ne vise que la décision de la CFP, la seule, à son avis, pouvant être contrôlée judiciairement en l’instance.

[4]               La question centrale à résoudre en l’espèce est donc celle de savoir si le demandeur peut, dans une même demande de contrôle judiciaire, contester à la fois la décision du Ministère et celle de la CFP.  Si la réponse à cette question est affirmative, il sera alors nécessaire de déterminer si la demande de contrôle judiciaire, dans la mesure où elle est dirigée contre la décision du Ministère, doit être rejetée parce que produite tardivement.  Dans le cas contraire, la requête sera accueillie en partie, le demandeur étant autorisé à produire hors délai sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la CFP.

I.                   La demande sous la règle 302

[5]               La règle 302 stipule qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut porter, sauf ordonnance contraire de la Cour, que « sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée ».  En d’autres termes, cela signifie qu’une demande de contrôle judiciaire ne doit en principe servir à contester qu’une seule décision.

[6]               La Cour fera normalement exception à cette règle lorsqu’il y a connexité entre les décisions qu’un demandeur souhaite contester aux termes d’une seule et même demande de contrôle judiciaire.  De façon générale, cette connexité résultera du fait que les décisions visées concernent les mêmes parties, découlent des mêmes faits et émanent d’un même décideur, c’est-à-dire lorsqu’elles s’inscrivent dans un continuum factuel et décisionnel (Bernard Letarte et al, Recours et procédure devant les Cours fédérales, Montréal, LexisNexis, 2013, aux pp 363 à 368).

[7]               La Cour a aussi fait exception au principe établi par la règle 302 lorsque ce continuum interpelle plus d’un décideur.  Toutefois, ces décisions ont en commun que les décideurs visés sont, sur le plan décisionnel, hiérarchiquement de même niveau, que les décisions visées ne sont pas sujettes à un recours statutaire ou, si elles le sont, que ce recours a été épuisé.  C’est le cas, notamment, des affaires Conseil des Innus de Ekuanitshit c Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 1298 et Bellegarde c Poitras, 2009 CF 968, 352 FTR 290, citées par le demandeur au soutien de ses prétentions.

[8]               Or, en l’espèce, la situation est toute autre dans la mesure où la décision de la CFP résulte de l’exercice du pouvoir d’enquête mené aux termes de l’article 66 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003 ch 22 (la Loi), à l’égard de la décision du Ministère.  Cette situation fait intervenir, dans l’examen de la requête du demandeur, des considérations liées à la théorie de l’épuisement des recours selon laquelle il n’y a ouverture au contrôle judiciaire que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou qu’il ne donne accès à aucun recours efficace (Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61, au para 31, [2011] 2 FCR 332 [CB Powell Limited]).

[9]               Cette théorie, liée au principe de la finalité du processus décisionnel administratif, emporte deux conséquences.  D’une part, la Cour peut prononcer l’irrecevabilité d’une demande de contrôle judiciaire dirigée contre la décision d’un décideur administratif assujettie à un recours interne qui n’a pas été épuisé.  C’est ce qu’a fait mon collègue le juge Sean Harrington dans un dossier institué par M. Lessard-Gauvin où celui-ci souhaitait, comme ici, contester par voie de contrôle judiciaire la décision d’un ministère fédéral de l’éliminer d’un processus externe de nomination alors que la CFP n’avait pas encore complété l’enquête entreprise aux termes de l’article 66 de la Loi (Lessard-Gauvin c Procureur général du Canada, Dossier T-641-15, le 20 juillet 2015).

[10]           D’autre part, lorsque le processus administratif a été épuisé, c’est la décision de dernier ressort qui est révisable devant la Cour, et non la décision initiale ou, le cas échéant, la ou les décision(s) intermédiaire(s).  C’est ce qui ressort aussi, à mon avis, de la décision du juge Harrington qui, après avoir pris note du fait que la décision de la CFP avait été prise depuis le dépôt de la demande de contrôle judiciaire du demandeur, a néanmoins déclaré irrecevable ladite demande puisqu’elle ne portait pas sur la décision de la CFP.  C’est aussi, de manière encore plus explicite, la position prise par la Cour dans les affaires Pieters c Canada (Procureur général), 2004 CF 342, 248 FTR 222 [Pieters], Unrau c Canada (Procureur Général), [2000] FCJ No 1434 [Unrau], et Chef Gayle Strikes With a Gun c Conseil de la Première Nation des Piikani, 2014 CF 908, 464 FTR 178 [Conseil de la Première Nation des Piikani], où il a été clairement statué que lorsqu’il existe un recours à un palier administratif plus élevé, la Cour ne se penchera que sur la décision émanant de ce palier supérieur.

[11]           Avec égards, cette position m’apparaît tout à fait conforme aux enseignements de l’affaire CB Powell Limited, précitée, affaire dans laquelle la Cour d’appel fédérale a rappelé les fondements de la doctrine de l’épuisement des recours administratifs et en a souligné l’importance et les très rares cas d’exception.  Il convient ici de reproduire les passages pertinents de cette décision :

[30]      En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. L’importance de ce principe en droit administratif canadien est bien illustré par le grand nombre d’arrêts rendus par la Cour suprême du Canada sur ce point : Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; R. c. Consolidated Maybrun Mines Ltd., [1998] 1 R.C.S. 706, paragraphes 38 à 43; Regina Police Association Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14, paragraphes 31 et 34; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44, paragraphes 14, 15, 58 et 74; Goudie c. Ottawa (Ville), [2003] 1 R.C.S. 141, 2003 CSC 14; Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, 2005 CSC 11, paragraphes 1 et 2; Okwuobi c. Commission scolaire Lester‑B.‑Pearson, [2005] 1 R.C.S. 257, 2005 CSC 16, paragraphes 38 et 55; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667, 2005 CSC 30, paragraphe 96.

[31]      La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[…]

[33]      Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non‑ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». Il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement sur cette exception, puisque les parties au présent appel ne prétendent pas qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui permettraient un recours anticipé aux tribunaux judiciaires. Qu’il suffise de dire qu’il ressort des précédents que très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’« exceptionnelles » et que le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé (voir à titre général l’ouvrage de D.J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (édition à feuilles mobiles) (Toronto, Canvasback Publishing, 2007), pages 3:2200, 3:2300 et 3:4000, ainsi que l’ouvrage de David J. Mullan, Administrative Law (Toronto, Irwin Law, 2001), pages 485 à 494). Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle‑ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que les toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces (voir Harelkin, Okwuobi, paragraphes 38 à 55, et University of Toronto c. C.U.E.W, Local 2 (1988), 55 D.L.R. (4th) 128 (Cour div. Ont.)). Ainsi que je le démontrerai sous peu, l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler des questions de compétence ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux.

[12]           Au paragraphe 32 de son jugement, la Cour d’appel fédérale étaye de façon plus particulière les considérations qui, selon moi, militent en faveur de l’approche suivie dans les affaires Pieters, Unrau et Conseil de la Première Nation des Piikani, précitées, à savoir : fractionnement non souhaité des processus administratif et judiciaire, coûts et délais causés par ce fractionnement; gaspillage des ressources judiciaires alors que le justiciable peut obtenir gain de cause au terme du processus administratif; l’avantage pour la Cour d’avoir en mains toutes les conclusions du décideur administratif en raison de ses connaissances spécialisées et de son expérience en matière réglementaire; et le respect dont doivent faire preuve les tribunaux envers les décideurs administratifs.  Ce paragraphe se lit comme suit :

[32]      On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif (voir, par ex. Consolidated Maybrun, précité, paragraphe 38, Aéroport international du Grand Moncton. c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CAF 68, paragraphe 1; Ontario College of Art c. Ontario (Human Rights Commission) (1992), 99 D.L.R. (4th) 738 (Cour div. Ont.). De plus, ce n’est qu’à la fin du processus administratif que la cour de révision aura en mains toutes les conclusions du décideur administratif. Or, ces conclusions se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire (voir, par ex. Consolidated Maybrun, précité, paragraphe 43, Delmas c. Vancouver Stock Exchange (1994), 119 D.L.R. (4th) 136 (C.S. C.‑B.) conf. par (1995), 130 D.L.R. (4th) 461 (C.A.C.‑B.), et Jafine c. College of Veterinarians (Ontario) (1991), 5 O.R. (3d) 439 (Div. gén.)). Enfin, cette façon de voir s’accorde avec le concept du respect des tribunaux judiciaires envers les décideurs administratifs qui, au même titre que les juges, doivent s’acquitter de certaines responsabilités décisionnelles (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 48).

[13]           Ce qu’il faut retenir, il me semble, de l’affaire CB Powell Limited, c’est qu’il est antinomique, en l’absence de circonstances extraordinaires, de permettre le contrôle judiciaire à la fois de la décision du palier administratif de dernier ressort et de la décision sur laquelle cette instance décisionnelle a eu à se prononcer.  Le permettre introduirait, à mon avis, « un élément étranger dans le mécanisme conçu par le législateur » (CB Powell Limited, au para 28).  Cela m’apparaît, à tout le moins, une considération pertinente dans l’exercice de la discrétion conférée à la Cour par la règle 302.

[14]           Le demandeur soutient pour l’essentiel que l’article 66 de la Loi ne lui confère pas un « recours »  au sens de la doctrine de l’épuisement des recours.  Il plaide à cet égard que la CFP n’est pas un « tribunal » et que le pouvoir qui lui est dévolu aux termes de l’article 66 est purement discrétionnaire.  Il prétend que seul un droit d’appel peut lui procurer un recours efficace, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

[15]           Ce n’est pas la façon dont le recours administratif est nommé par le législateur qui importe dans la détermination de ce qui constitue un recours adéquat ou efficace mais bien ce que le décideur a le pouvoir de faire, notamment sur le plan de la réparation qu’il est habilité à accorder.  C’est, notamment, ce qui se dégage de l’extrait de l’ouvrage du professeur Denis Lemieux, Le contrôle judiciaire de l’action gouvernementale, Wolters Kluwer, 1981 (feuilles mobiles mises à jour de mars 2015) cité par le demandeur à l’audition et dans lequel le professeur Lemieux écrit, à la page 1139-2, que lorsqu’un organisme « a le pouvoir dans une loi particulière, par ordonnance ou autrement, de remédier à la situation, cette ordonnance constituera un remède adéquat à l’encontre d’un recours extraordinaire ».

[16]           L’article 66 de la Loi confère à la CFP, lorsqu’elle est convaincue que la nomination ou la proposition de nomination d’un candidat à un poste à la fonction publique n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, le pouvoir de révoquer ou ne pas faire la nomination, selon le cas, ou encore de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.  Ce pouvoir de réparation est très large.  Il l’est à tout le moins suffisamment pour que le demandeur puisse espérer, pour paraphraser CB Powell Limited, obtenir gain de cause au terme du processus administratif.

[17]           La CFP, faut-il le rappeler, est un organisme indépendant du gouvernement (Samatar c Canada (Procureur général), 2012 CF 1263, au para 25, 420 FTR 182 [Samatar]).  Elle fait directement rapport de ses activités au Parlement (article 23 de la Loi).  Ses commissaires sont nommés par commission sous le grand sceau, après approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes et ne peuvent être destitués que sur adresse des deux Chambres (article 4 de la Loi).

[18]           Sa mission première est de nommer ou faire nommer à la fonction publique fédérale, conformément à la Loi, des personnes appartenant ou non à celle-ci et d’effectuer des enquêtes et des vérifications sur la façon, notamment, dont les administrateurs généraux exercent l’autorité de nomination qu’elle leur délègue (article 11 de la Loi).  La CFP doit notamment veiller à ce que les nominations à la fonction publique fédérale soient conformes aux deux principes cardinaux du régime de dotation institué par la Loi : le mérite et l’indépendance de toute influence politique.  En marge de l’exercice de sa compétence, la CFP dispose d’un vaste pouvoir réglementaire (article 22 de la Loi) et aux fins des enquêtes et vérifications qu’elle mène, des pouvoirs d’un commissaire nommé au titre de la partie I de la Loi sur les enquêtes, LRC 1985, ch. I-11 (articles 18 et 70), lesquels sont assimilables à des pouvoirs de nature quasi-judiciaire (Samatar, précité au para 104).

[19]           La CFP possède ainsi, aux termes des articles 66 à 73 de la Loi, un pouvoir plénier et indépendant d’enquête et de sanction visant à assurer que les nominations internes et externes à la fonction publique fédérale sont fondées exclusivement sur le mérite et sont exemptes de toute influence politique.  En ce sens, ce pouvoir se veut un « important outil de surveillance qui aide à gérer le système de dotation et à assurer le caractère impartial de la fonction publique » (Samatar, précité au para 98).

[20]           À mon avis, les pouvoirs dévolus à la CFP aux termes de l’article 66 de la Loi présentent les caractéristiques d’un recours adéquat pour celui ou celle qui prétend qu’une nomination ou une proposition de nomination résultant de tout processus de nomination externe n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée.  À ce titre, je suis aussi d’avis que la CFP agit comme un « tribunal » au sens très souple où il faut comprendre ce terme en droit administratif, un terme générique traduisant le profil multiforme des décideurs administratifs.  Il suffit de parcourir la jurisprudence de la Cour portant sur les décisions de la CFP pour s’en convaincre (Samatar, aux para 25, 185; Challal c Canada (Procureur général), 2009 CF 1251, au para 25; St-Amour c Canada (Procureur général), 2014 CF 103, aux para 22, 38, 40; MacAdam v Canada (Attorney General), 2014 FC 443, au para 51; McAuliffe c Canada (Procureur général), 128 FTR 39, au para 10, 69 ACWS (3d) 482; Shakov v Canada (Attorney General), 2015 FC 1416, au para 9; Mabrouk c Canada (Commission de la fonction publique), 2014 CF 166, aux para 59, 60).

[21]           Il est vrai que l’article 66 de la Loi, une disposition attributive de compétence, confère un pouvoir discrétionnaire à la CFP.  Toutefois, dans la mesure où le demandeur prétend que le recours à l’article 66 ne constitue pas un recours efficace parce que l’exercice des pouvoirs qui y sont prévus dépend du bon vouloir de la CFP, comme si celle-ci pouvait, de manière tout à fait arbitraire, décider de ne pas les exercer, il se trompe.  Aucun pouvoir discrétionnaire découlant de la loi n’est absolu et tout tel pouvoir demeure assujetti à la Règle de droit, au cadre législatif dont il émane et au contrôle des tribunaux (Roncarelli v Duplessis, [1959] SCR 121, à la p 140; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, au para 53).

[22]           Le demandeur invite la Cour, sur la base des règles 3 et 55 des Règles, à faire preuve de souplesse dans son application de la règle 302.  Or, le recours aux règles 3 et 55 ne saurait servir à écarter une règle de fond, comme l’est la doctrine de l’épuisement des recours, laquelle repose notamment, comme on l’a vu, sur des préoccupations liées à l’utilisation optimale des ressources judiciaires et administratives.  Le demandeur estime qu’une approche empreinte de souplesse s’impose encore davantage depuis l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87, où, pour l’essentiel, la Cour suprême du Canada a jugé qu’une procédure juste et équitable demeure illusoire si elle n’est pas également accessible, c'est-à-dire proportionnée, expéditive et abordable.  Cet arrêt est de peu d’utilité au demandeur dans la mesure où il s’inscrit dans un contexte procédural bien différent – celui du pouvoir de préférer le recours à la procédure de jugement sommaire à la tenue d’un procès – et où il met en cause l’interprétation et l’application de règles de procédure autres que les Règles.  Je rappelle ici que le recours que souhaite intenter le demandeur à l’encontre des deux décisions en cause en l’espèce est, comme le précise l’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, un recours de nature sommaire.  Les préoccupations qui interpellaient la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak sont donc d’un tout autre ordre que celles que soulève la requête du demandeur.  Quoi qu’il en soit, la Cour suprême n’a certes pas répudié, dans ce jugement, son abondante jurisprudence sur la doctrine de l’épuisement des recours en droit administratif.

[23]           Enfin, le demandeur ne m’a démontré en quoi le fait de ne pas pouvoir contester à la fois la décision du Ministère et celle de la CFP interpellait la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, ch 44, ou mettait en cause, d’une manière qui justifie l’intervention de la Cour, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou encore la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’Homme.  Le demandeur n’est pas confronté à un problème d’accès aux tribunaux. La question est plutôt de déterminer si cet accès doit respecter la structure décisionnelle mise en place par le législateur aux termes de la Loi.

[24]           J’estime donc que la seule décision que le demandeur est autorisé à contester en l’instance est celle de la CFP et qu’il faut me donc rejeter le volet de sa requête fondé sur la règle 302.

II.                La prorogation de délai

[25]           Vu ma conclusion suivant laquelle seule la décision de la CFP peut être contestée en l’espèce, la demande de prorogation de délai relative à la décision du Ministère devient sans objet.  Par ailleurs, comme le défendeur ne s’oppose pas à ce que le délai dont le demandeur disposait pour produire sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la CFP soit prorogé, et que je suis satisfait qu’une prorogation est justifiée dans les circonstances de la présente affaire, il y a lieu de faire droit à ce volet de la requête du demandeur.

[26]           Pour le reste, par contre, la requête du demandeur est rejetée.  Comme le demandeur, pour l’essentiel, se trouve à échouer, je ne vois pas de raison de ne pas suivre la règle voulant que les dépens soient accordés en fonction du résultat.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      Le délai pour le dépôt de la demande de contrôle judiciaire dirigée contre la décision de la Commission de la fonction publique, datée du 15 décembre 2015, est prorogé;

2.      Pour le reste, la requête est rejetée, avec dépens contre le demandeur.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

16-T-6

INTITULÉ :

DAVID LESSARD-GAUVIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 19 février 2016

COMPARUTIONS :

David Lessard-Gauvin

Pour le demandeur

Me Marie-Emmanuelle Laplante

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Lessard-Gauvin

Se représente seul

Québec (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Québec (Québec)

Pour le défendeur

 

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