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Date : 20160212

Dossier : IMM-3085-15

Référence : 2016 CF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 février 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ABDI ELMY HERSY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande en vertu de l’art. 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi] de contrôle judiciaire d’une décision de la section de Protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] datée du 22 juin 2015 [la décision], qui a annulé la demande d’asile du demandeur conformément à l’article 109(1) de la Loi.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est citoyen de la Somalie. Depuis le mois d’août 1999, il a résidé aux États­Unis où il a tenté sans succès de demander l’asile politique. Le 23 décembre 2006, il est entré au Canada par Windsor, en Ontario. Le 5 janvier 2007, il a fait sa demande d’asile au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada à Toronto, en Ontario.

[3]               Le 6 mai 2008, la demande d’asile du demandeur a été acceptée par la Commission.

[4]               Le 11 décembre 2009, le demandeur a été interrogé par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] au sujet d’allégations d’agressions sexuelles commises aux États­Unis en 2006, avant son arrivée au Canada. Le 10 octobre 2012, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le défendeur] a déposé une demande d’annulation de la décision d’accueillir la demande d’asile du demandeur. Le défendeur a fait valoir que le demandeur avait été accusé d’infractions d’agression sexuelle, qu’un mandat avait été émis pour son arrestation le 14 mars 2007 et qu’il avait faussement présenté ou dissimulé cette information à la Commission lors de son audience pour revendication du statut de réfugié.

[5]               La question a d’abord été entendue le 30 avril 2013, devant la Commission et le défendeur a réussi à faire annuler le statut de réfugié du demandeur. Toutefois, la Cour fédérale a autorisé le contrôle judiciaire de la décision et l’affaire a été renvoyée à un groupe d’experts nouvellement constitué de la Commission.

[6]               Le défendeur a allégué que si la Commission avait été au courant des accusations du demandeur aux États­Unis, celui­ci aurait été exclu de la protection offerte aux réfugiés conformément à l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [la Convention] et que cela aurait été un facteur déterminant de la demande.

[7]               Le demandeur a admis qu’il avait été accusé de crimes aux États­Unis, qui ont précédé son audition de réfugié du 6 mai 2008, mais a soutenu qu’il n’était pas au courant des accusations au moment de son audition et aurait donc été incapable de fournir une telle information à la Commission.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               Comme il est mentionné ci­dessus, c’est la deuxième fois que le demandeur demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] d’annuler sa demande d’asile. La demande a été initialement autorisée par une décision de la Commission, le 24 mai 2013. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire et, le 22 décembre 2014, le juge Gagné a ordonné que la décision soit annulée et la demande a été renvoyée à la Commission pour réexamen par un commissaire différent. La décision actuelle est le résultat de ce réexamen.

[9]               Dans sa décision, la Commission a examiné trois questions précises et a, en fin de compte, répondu à toutes les trois par l’affirmative :

1)    [le demandeur] a­t­il faussement présenté ou dissimulé des faits importants relatifs à une question pertinente?

2)    Y a­t­il des raisons sérieuses de penser que [le demandeur] a commis les crimes allégués aux États­Unis?

3)    Ces crimes allégués sont­ils graves pour déterminer si [le demandeur] devrait être exclu aux termes de l’alinéa 1Fb)?

Question 1 : Le demandeur a­t­il faussement présenté ou dissimulé des faits importants relatifs à une question pertinente?

[10]           La Commission a fait remarquer que, dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], signé le 1er février 2007, lorsqu’on l’a interrogé sur d’anciennes arrestations, détentions, accusations ou condamnations dans quelque pays que ce soit, le demandeur a omis de divulguer toute information relative à ses infractions et inculpations aux États­Unis. Même si le FRP a été signé avant que les accusations soient portées contre le demandeur aux États­Unis, il a juré à l’audition de sa demande d’asile que les renseignements figurant dans le FRP étaient véridiques, complets et exacts. En outre, avant cette affirmation, il avait apporté d’autres modifications, sans rapport, au FRP. La Commission a conclu qu’il était clair que s’il avait été au courant des accusations criminelles portées contre lui, il aurait eu la possibilité de présenter cette information et aurait eu la responsabilité de le faire.

[11]           Quant à savoir si le demandeur savait qu’il avait été accusé d’une infraction et qu’un mandat avait été émis pour son arrestation avant le 6 mai 2008, la Commission n’a pas trouvé son témoignage crédible, soit qu’il avait, pour la première fois, été informé de l’existence des accusations et du mandat d’arrêt par un agent de l’ASFC au cours d’une entrevue du 11 décembre 2009. Non seulement le demandeur a eu du mal à se rappeler des dates et des détails relatifs à un certain nombre d’événements clés depuis son arrivée au Canada, mais un certain nombre d’incohérences ont émergé entre son témoignage et d’autres éléments de preuve crédibles dont disposait le groupe d’experts. L’agent de l’ASFC qui a interviewé le demandeur avait indiqué que celui­ci avait déclaré avoir été joint par la police, cinq mois après son arrivée au Canada. En outre, il avait admis avoir engagé une conversation avec le FBI, en 2007, au cours de laquelle on l’avait informé qu’il était un fugitif. Le demandeur était incapable d’expliquer, à la satisfaction de la Commission, les contradictions entre son témoignage à l’audience et ce qu’il avait fourni au cours de l’entrevue de l’ASFC. Ses tentatives de le faire n’ont mené qu’à de nouvelles contradictions et de nouveaux dénis problématiques. La Commission a conclu que le témoignage de l’agent, d’autre part, avait été présenté de manière simple et sans exagération; il n’y avait aucune raison de douter de son caractère, de son intégrité ou de son professionnalisme et la Commission était convaincue que le demandeur avait fait les déclarations que l’agent avait solennellement déclaré qu’il avait faites.

[12]           L’inscription du demandeur pour exercer en tant que praticien de soins respiratoires a été révoquée par le Minnesota Board of Medical Practice, le 12 mars 2009. L’évaluation négative par la Commission de la crédibilité du demandeur sur le moment auquel il a pris connaissance des accusations portées contre lui a été aggravée par l’incapacité du demandeur d’expliquer pourquoi, en dépit de son incapacité à contester les allégations formulées contre lui au Minnesota et pour lesquelles on lui a effectivement interdit de pratiquer des soins respiratoires en Alberta, il a néanmoins demandé à exercer en Alberta.

[13]           La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était au courant qu’il avait été accusé de crimes aux États­Unis avant son audience sur le statut de réfugié. Par conséquent, il a sciemment dissimulé ou faussement présenté des renseignements au groupe d’experts initial de la Commission qui lui a accordé le statut de réfugié. Il s’agissait d’une fausse déclaration ou d’une dissimulation de faits clairement importants et pertinents qui se rapportent à la question de son exclusion du statut de réfugié.

Question 2 : Y a­t­il des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis les crimes allégués aux États­Unis?

[14]           La Commission a conclu qu’elle pouvait raisonnablement tenir compte de la plainte et du mandat d’arrêt du demandeur au Minnesota lors de la détermination d’une possible exclusion aux termes de l’alinéa 1Fb) : Gamboa Micolta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 FC 367, au paragraphe 49 [Micolta]. Lors de l’évaluation des « raisons sérieuses de penser », la Commission a accordé un poids important aux documents et aux détails des États­Unis que le défendeur avait fournis et qui décrivent les accusations portées contre le demandeur. Il a été accusé par l’État du Minnesota d’avoir commis deux chefs d’accusation de conduite sexuelle criminelle au quatrième degré, deux chefs d’accusation au cinquième degré et deux chefs d’accusation pour abus criminel. Ceux­ci découlent de deux incidents, au cours desquels le demandeur a caressé les seins et le pubis de certaines patientes sous prétexte d’un traitement médical lorsqu’il travaillait en tant que fournisseur de soins médicaux. Le premier cas décrit dans la plainte a eu lieu le 13 juillet 2006 et le second entre le 21 et le 25 novembre 2006.

[15]           La Commission n’a pas trouvé le déni du demandeur, relativement aux crimes commis, convaincant. Sa crédibilité a été entravée davantage par son accusation sans fondement selon laquelle les plaignantes avaient inventé les allégations contre lui. En outre, la Commission a fait remarquer un manque de preuves corroborantes qui lui permettraient d’accorder plus de poids à ses dénégations.

[16]           Le demandeur a été accusé au criminel dans une juridiction qui respecte la primauté du droit et avait été dépouillé de son permis médical en raison de ces accusations. La Commission a accordé un poids important à la similitude des détails entre les incidents de juillet 2006 et de novembre 2006, bien qu’il n’y ait aucun lien entre les plaintes. La Commission a finalement conclu que des motifs graves existaient pour penser que le demandeur avait effectivement commis les crimes sexuels qui lui étaient reprochés.

Question 3 : Ces crimes allégués sont­ils graves pour déterminer si le demandeur devrait être exclu aux termes de l’alinéa 1Fb)?

[17]           La Commission a constaté que les crimes du demandeur étaient « graves » pour déterminer s’il doit être exclu aux termes de l’alinéa 1Fb). En invoquant la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Jayasekara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara] et les facteurs qu’elle détermine comme étant des facteurs pertinents sur le plan de l’orientation, la Commission a conclu que si le demandeur avait commis les crimes au Canada pour lesquels il avait été accusé aux États­Unis, ils constitueraient des crimes en vertu du 271 du Code criminel, LRC 1985, c. C­46 [le Code criminel], une infraction mixte passible, par mise en accusation, d’un emprisonnement ne dépassant pas dix ans, ou par voie de déclaration sommaire de culpabilité pour une peine d’emprisonnement ne dépassant pas dix­huit mois. La Commission a déclaré que la peine maximale à laquelle est confronté le demandeur en cas de condamnation aux États­Unis est compatible avec le maximum prévu à l’article 271, renforçant légèrement une présomption de gravité relativement faible et réfutable. La Commission a continué à peser les facteurs atténuants et aggravants de l’affaire, estimant que le demandeur n’est pas arrivé à réfuter même le seuil inférieur applicable dans ce cas.

[18]           La Commission a conclu que le demandeur n’a pas tenté de répondre aux accusations en question quand il en a pris connaissance la première fois, n’y répondant que lorsqu’il a appris qu’elles auraient des conséquences négatives sur sa capacité d’obtenir la résidence permanente au Canada. Le demandeur a quitté les États­Unis deux semaines après avoir été congédié de son poste en raison des circonstances qui ont mené aux accusations portées contre lui. Le moment de ce départ, considéré conjointement avec l’absence de preuve du demandeur corroborant sa prétendue justification pour quitter les États­Unis (éviter une éventuelle arrestation pour des raisons d’immigration), a conduit la Commission à conclure qu’il est plus probable qu’il avait quitté le pays en raison des accusations criminelles auxquelles il était confronté.

[19]           En outre, la Commission a conclu que toute réticence de la part des autorités américaines de refuser l’entrée du demandeur aux États­Unis, ou de demander son extradition, ne signifiait pas que ses crimes ne devraient pas être considérés comme étant graves.

[20]           Que les crimes du demandeur ne concernaient pas des armes ou des menaces n’apporte aucun effet d’atténuation. Les crimes étaient peut­être moins graves que d’autres crimes, mais cela ne signifie pas, en soi, que les crimes n’étaient pas graves. À l’inverse, des facteurs aggravants ont été notés sur le plan de la vulnérabilité des victimes en cause, la position d’autorité du demandeur et la preuve démontrant qu’il avait peut­être fui pour échapper aux accusations. Ces questions laissent entendre que les crimes du demandeur seraient punis à la limite supérieure de l’échelle de l’article 271. En outre, le fait que le demandeur ait tenté de s’intégrer au même milieu au Canada a également été considéré comme étant un facteur aggravant.

[21]           La Commission a examiné la lettre d’opinion du cabinet d’avocats Wolch DeWit Watts & Wilson [la lettre d’opinion] au sujet de la gravité des crimes commis par le demandeur, en faisant remarquer qu’elle n’avait pas réussi à exposer les faits sur lesquels l’opinion était fondée et avait appliqué la jurisprudence en citant des faits différents de ceux de la question qui nous occupe.

[22]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas dévoilé le fait qu’il avait été inculpé, au Minnesota, de conduite sexuelle criminelle au groupe d’experts initial qui lui avait accordé l’asile. Si le demandeur avait été franc avec le groupe d’experts initial de la Commission, celui­ci l’aurait considéré comme étant exclu de la protection des réfugiés aux termes de l’alinéa 1Fb) et cela aurait été un facteur déterminant de la demande.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[23]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cadre du présent contrôle judiciaire :

1.      la Commission a­t­elle commis une erreur susceptible de révision en concluant qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis les crimes allégués en question?

2.      La Commission a­t­elle également commis une erreur susceptible de révision en transférant le fardeau de la preuve du défendeur au demandeur?

3.      Pourra­t­on jamais arriver à un constat d’exclusion fondé sur l’article 1Fb) en supposant, sans concéder la même chose, que les infractions ont eu lieu selon les allégations et que l’État de résidence auraient procédé sommairement si ces infractions s’étaient produites ici?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[24]           La Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans tous les cas. En revanche, lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie en jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’examen des quatre facteurs de cette analyse est nécessaire : Agraira c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[25]           La première question est une question mixte de fait et de droit, et la norme relative au caractère raisonnable du contrôle est déclenchée en conséquence : Ching c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 FC 860 au paragraphe 31 [Ching]; Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 FC 464 au paragraphe 28.

[26]           La deuxième question concernant le fardeau de la preuve touche une question de droit. Cependant, comme il s’agit d’une question de droit qui relève clairement de l’expertise du tribunal, la norme relative au caractère raisonnable s’appliquera : Smith c. Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7 au paragraphe 26; Cabdi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 FC 26 au paragraphe 18; Demiri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 FC 1104 au paragraphe 12.

[27]           En ce qui concerne la troisième question, le demandeur a fait valoir qu’il était déraisonnable, dans ce cas, que la Commission conclue que les crimes qu’il avait commis étaient suffisamment graves pour l’exclure aux termes de l’alinéa 1Fb). Par conséquent, la norme du caractère raisonnable s’appliquera à cette question.

[28]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon le caractère raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[29]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de « réfugie »

Convention Refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles­ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Demande d’annulation

Vacation of refugee protection

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

Rejet de la demande

Rejection of application

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

Effet de la décision

Allowance of application

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

 (3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

[30]           Les dispositions suivantes du Code criminel sont applicables en l’espèce :

Agression sexuelle

Sexual assault

271. Quiconque commet une agression sexuelle est coupable:

271. Everyone who commits a sexual assault is guilty of

(a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans ou, si le plaignant est âgé de moins de seize ans, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an;

(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term of not more than 10 years or, if the complainant is under the age of 16 years, to imprisonment for a term of not more than 14 years and to a minimum punishment of imprisonment for a term of one year; or

(b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix­huit mois ou, si le plaignant est âgé de moins de seize ans, d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de six mois.

(b) an offence punishable on summary conviction and is liable to imprisonment for a term of not more than 18 months or, if the complainant is under the age of 16 years, to imprisonment for a term of not more than two years less a day and to a minimum punishment of imprisonment for a term of six months.

VII.          ARGUMENT

A.                Demandeur

[31]           Le demandeur soutient que la Commission a fait de nombreuses erreurs susceptibles de révision dans la décision. La Commission a constaté que le demandeur avait commis les infractions alléguées sur la foi de simples déclarations, a constaté que les infractions entraîneraient une peine plus forte que celle qui a été recommandée par avis d’expert incontesté, a transféré le fardeau de la preuve au demandeur et n’a pas tenu compte du fait que les autorités chargées des poursuites avaient décidé de l’expulser et n’étaient pas arrivées à l’extrader, ce qui compromet la conclusion selon laquelle l’infraction présumée est « grave ».

[32]           Le demandeur affirme qu’on ne peut que dire, tout au plus, que la Commission soupçonnait le demandeur d’avoir commis un crime grave à l’extérieur du Canada. Cela ne répond pas à la norme requise qui exige plus qu’un simple soupçon, mais n’est pas aussi élevée que la preuve selon la prépondérance des probabilités : Ching, ci­dessus, au paragraphe 34.

[33]           La Commission semble avoir décidé que le demandeur est factuellement coupable de crimes graves de droit commun dès lors que l’État du Minnesota avait émis un mandat d’arrêt pour crimes ou plaintes pénales qui sont fondés sur des ouï­dire sous la forme de déclarations non assermentées de personnes non identifiées faites à un enquêteur qui a ensuite informé l’agent plaignant qui a signé la plainte. Les « raisons sérieuses » ne peuvent pas venir uniquement des conclusions d’une autre cour ou d’une autorité chargée de l’enquête sans que la Commission ait une compréhension claire de ce qu’étaient les éléments de preuve avancés contre le demandeur. Contrairement aux circonstances de l’affaire Micolta, ci­dessus, la Commission n’a pas obtenu un acte d’accusation ou l’accès à une preuve objective et crédible qui sous­tend le mandat. Le demandeur affirme que sa crédibilité, ou l’absence apparente de celle­ci, ne peut pas corroborer des preuves insuffisantes.

[34]           Le demandeur soutient que le fait que le défendeur se fie au ouï­dire sape la détermination qu’il existe des motifs raisonnables de penser qu’un crime grave a eu lieu. Il n’y a pas de preuve objective pour corroborer les plaintes d’agression sexuelle; il n’y a aucun témoignage de l’enquêteur de la plainte, aucune déclaration des victimes ni rapports d’hôpital et aucun tiers témoin des attouchements présumés.

[35]           Il serait logique de penser que les autorités des États­Unis poursuivraient quelqu’un qui est en garde à vue s’il y avait une possibilité raisonnable qu’un crime avait été commis. Cependant, cela ne s’est pas produit. Néanmoins, la Commission a transféré son pouvoir de décision à une autorité étrangère, en acceptant tout simplement ses affirmations.

[36]           Le demandeur fait valoir, à titre subsidiaire, que si la Cour conclut que la Commission a procédé à un examen de la preuve en conformité avec les orientations de l’arrêt Ching, ci­dessus, les allégations portées contre lui ne constituent pas un crime grave. Jayasekara, ci­dessus, est le cas de premier plan sur le plan de la détermination d’un crime grave de droit commun et a établi les facteurs suivants qui doivent être évalués : a) les éléments du crime; b) le mode de poursuite; c) la peine prévue; d) les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes qui sous­tendent la déclaration de culpabilité.

[37]           Le demandeur allègue que la Commission n’a pas tenu compte de la décision des États­Unis de ne pas le poursuivre en tant que ressortissant étranger quand il est revenu et s’est volontairement rendu aux autorités. Cela est, en soi, une erreur susceptible de révision. En décidant de ne pas le poursuivre, il semblerait que les autorités américaines ne considéraient pas ses infractions comme étant graves ou ne pensaient pas qu’ils avaient des motifs suffisants pour le trouver coupable sur le plan juridique. Les deux scénarios laissent entendre que l’infraction ne constitue pas un crime grave.

[38]           Le demandeur fait valoir que c’était une erreur de la Commission de conclure définitivement que, en 2008, il aurait été exclu de la protection des réfugiés alors qu’il n’y a aucune présomption de la gravité de l’infraction présumée dans cette affaire. Bien que l’infraction alléguée puisse être répréhensible, compte tenu de l’opinion des experts et de l’échelle des peines devant la Commission, elle n’était pas du genre à élever au niveau de « crimes graves de droit commun » aux termes de l’alinéa 1Fb).

[39]           Comme il ressort clairement de l’ordonnance du juge Gagné du 22 décembre 2014, la Commission était tenue d’examiner la nature hybride de l’agression sexuelle comme une infraction, selon l’article 271 du Code criminel, comme l’un des facteurs de l’affaire Jayasekara, ci­dessus. En soulignant la décision du juge Gleason dans Tabagua c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 FC 709, le demandeur affirme qu’il est clair maintenant que lorsqu’une disposition prévoit une vaste échelle de peines, comme l’agression sexuelle, et que le crime d’un demandeur tombe au niveau le moins grave de l’échelle (comme établi par la lettre d’opinion sur la loi pénale), le demandeur ne doit pas être présumé exclu. Autrement dit, la conclusion de la Commission donne une raison suffisante pour annuler la décision et la renvoyer pour réexamen.

[40]           Le demandeur affirme que, si la Commission n’était pas tenue de procéder à une analyse d’équivalence, elle devait tenir compte du fait que, au Canada, les accusations portées contre le demandeur pouvaient, et cela aurait été probablement le cas (comme indiqué dans la lettre d’opinion), procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité, ce qui aurait pu mener le groupe d’experts initial à constater que les accusations ne semblaient pas évoquer un crime grave.

[41]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas fourni les éléments de preuve qui accorderaient un plus grand poids à ses dénégations au sujet des crimes présumés, car il est clair qu’il incombe au ministre d’établir que des motifs sérieux existent pour penser qu’il les a effectivement commis : Ching, précité, au paragraphe 44.

[42]           Dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lopez Velasco, 2011 FC 627 [Velasco], le juge Mandamin a confirmé la décision de la SPR de ne pas annuler la protection de réfugié de M. Velasco, en concluant qu’il ne devait pas être exclu aux termes de l’alinéa 1Fb), en dépit de sa condamnation aux États­Unis pour contacts sexuels avec des enfants. Dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Anmar, 2011 FC 1094 [Anmar], la Cour a jugé que le crime d’agression sexuelle du défendeur n’était pas assez grave pour justifier son exclusion de la protection contre la persécution et la torture. Le demandeur soutient que la Commission avait le devoir de tenir compte de la jurisprudence, y compris les résultats des affaires Anmar et Velasco, d’autant plus que ces affaires portaient sur des infractions sexuelles plus graves que les siennes.

B.                 Défendeur

[43]           Le défendeur fait remarquer que les arguments du demandeur ne contestent pas la conclusion de la Commission selon laquelle il a sciemment déformé ou dissimulé des faits pertinents lors de son audience sur le statut de réfugié concernant les accusations portées contre lui et le mandat qui avait été émis pour son arrestation aux États­Unis.

[44]           Les « raisons sérieuses de penser » de l’alinéa 1Fb) ont été définies dans l’arrêt Lai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 125, aux paragraphes 25 et 70 [Lai]. Comme elle est présentée par le demandeur, la norme est que c’est moins qu’une prépondérance des probabilités, mais plus qu’un simple soupçon, sur la foi de preuves crédibles. La preuve examinée peut être du ouï­dire ou n’est autrement pas admissible dans une procédure judiciaire, et le tribunal n’a pas besoin d’envisager l’inclusion des aspects d’une affaire une fois qu’une conclusion d’exclusion a été faite.

[45]           La Cour fédérale a statué que dans les cas qui touchent le critère de non­admissibilité équivalent, prévu dans l’article 33 de la Loi, un mandat d’arrêt ou un acte d’accusation établi dans un pays démocratique peut être invoqué par le tribunal pour déterminer s’il y a des motifs raisonnables de penser qu’une personne a commis un crime grave à l’extérieur du Canada : Thanaratnam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 FC 349, au paragraphe 15 [Thanaratnam]. Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle « il y a des raisons sérieuses de penser que [le demandeur] a commis les crimes d’agression sexuelle dont il a été accusé » constituait plus qu’un simple soupçon.

[46]           Le mandat d’arrêt n’était pas la seule preuve ou conclusion de fait invoquée par la Commission dans la décision. Les conclusions de la Commission étaient fondées sur les constatations factuelles suivantes que le demandeur avait ignoré dans ses observations : une enquête a été menée par un service de police compétent; les deux plaignants avaient produit des rapports très semblables sur les crimes allégués; un procureur public y a participé et a dû signer les accusations déposées; le mandat a été émis par un juge dans un pays démocratique ayant un système de justice qui est étroitement parallèle à celui du Canada; le demandeur a fui les États­Unis alors que l’enquête sur les crimes allégués était sur le point d’aboutir à son arrestation; les autorités de l’État avaient enquêté sur les crimes allégués et une détermination avait été faite par une autorité judiciaire qu’il y avait suffisamment de preuves indiquant que le demandeur avait commis les crimes et pour demander son arrestation; le demandeur s’est désigné lui­même comme un « fugitif »; la requête du demandeur de faire rejeter les accusations n’a pas été accueillie; une enquête contemporaine a été menée au Minnesota qui a finalement abouti à la perte du permis d’exercer du demandeur et de son congédiement, ce qui corrobore les accusations criminelles; la Commission n’a pas trouvé le demandeur crédible.

[47]           Le défendeur affirme que les renseignements fournis par le demandeur à l’égard des actes d’accusation ne sont pas justifiés. Un acte d’accusation n’est pas une condition préalable à une conclusion selon laquelle il y a de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis les crimes dont il est accusé : Thanaratnam, ci­dessus.

[48]           En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel la preuve ne peut pas être invoquée, car elle est fondée sur des déclarations non assermentées faites à la police; le défendeur fait remarquer que le fait de porter l’affaire en justice et d’obtenir des déclarations sous serment des plaignantes a été retardé par la fuite du demandeur de la juridiction où les inculpations étaient sur le point d’être portées. Par conséquent, permettre au demandeur de bénéficier de ces actions serait une erreur judiciaire. En outre, l’allégation du ouï­dire représente une méconnaissance du système de justice pénale, car la plainte ou l’information n’est pas toujours établie par l’agent enquêteur.

[49]           Le défendeur dit que la Commission s’est fiée à la norme et au critère appropriés dans l’analyse qu’elle a effectuée en vertu de l’alinéa 1Fb) selon l’arrêt Lai, ci­dessus : le principe des « sérieuses raisons de penser ». La Commission a examiné tout ce qui précède et a rendu une décision fondée sur les faits.

[50]           Elle a pesé tous les facteurs atténuants critiques qui sont décrits dans l’arrêt Jayasekara, ci­dessus, par rapport aux circonstances pertinentes. Le défendeur fait également remarquer que la procédure adoptée pour poursuivre le crime comprenait une série d’étapes, ainsi qu’une analyse du mandat émis pour l’arrestation du demandeur et le rejet de la requête visant à rejeter les accusations.

[51]           Le fait qu’aucun procès n’a jamais eu lieu et que le demandeur a été expulsé n’indique pas que l’infraction n’est pas considérée comme étant grave aux États­Unis. Il serait spéculatif de conclure autrement. En outre, c’est une erreur de fait d’affirmer que les autorités américaines ont choisi de ne pas poursuivre le demandeur, car l’affaire est en cours et le demandeur a été libéré sous caution.

[52]           La lettre d’opinion de trois pages a été abordée dans son intégralité par la Commission. La lettre était clairement biaisée et on ne doit lui attribuer aucune expertise; la Commission a bien fait de lui accorder peu de poids. En outre, un critère d’équivalence n’était pas nécessaire. La Commission a constaté que le demandeur avait été inculpé pour une conduite sexuelle criminelle qui correspondait à l’article 271 du Code criminel et qui est passible d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement. La présomption que c’était un crime grave satisfait à l’analyse requise conformément à l’arrêt Henandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 [Febles]. Aucun facteur d’atténuation n’a été ignoré par la Commission, qui a spécifiquement examiné toutes les preuves, y compris la lettre d’opinion et les cas de jurisprudence présentés par le demandeur.

[53]           Le demandeur dans l’affaire Velasco, ci­dessus, avait été reconnu coupable d’un délit. Même si le demandeur fait valoir que les faits de l’affaire Velasco étaient plus flagrants et que la Commission aurait dû faire la distinction entre ce cas et les circonstances actuelles, les éléments de preuve dont disposait la Commission était que le demandeur avait été confronté à une plainte de crime et aucune preuve n’a été présentée pour indiquer le contraire.

[54]           La conclusion relative à la crédibilité et le poids accordé à la preuve du demandeur par la Commission ne correspondent pas à un transfert du fardeau de la preuve. Contrairement à Ching, ci­dessus, le défendeur a dit qu’il y a une pléthore de preuves qui permettent de constater que les crimes qui ont été commis étaient graves.

[55]           Le défendeur soutient que la décision se situe dans une gamme de résultats possibles et acceptables pouvant se justifier par les faits et la loi et ne devraient donc pas être remis en question.

VIII.       ANALYSE

[56]           Le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était au courant qu’il avait été accusé de crimes aux États­Unis avant son audience sur le statut de réfugié du 2 mai 2008. Cette constatation était appuyée par des problèmes de crédibilité qui ont également été mentionnés par la Commission quand elle a examiné s’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis les crimes allégués aux États­Unis et que les crimes étaient « graves » pour déterminer si le demandeur devait être exclu en vertu de l’alinéa 1Fb).

[57]           Le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis les crimes aux États­Unis. À mon avis, il est possible d’être en désaccord avec cette conclusion, mais il est impossible de dire qu’elle était déraisonnable. Il y avait de nombreux facteurs sur lesquels la Commission s’est fiée dans ce cas en plus des plaintes, de l’enquête et du mandat. Il y avait le témoignage de l’agent Cobb et les mesures prises par le Conseil médical du Minnesota. Le procureur et le juge ont tous deux signé le mandat d’arrêt. Le demandeur a été arrêté quand il est retourné aux États­Unis et il a lui­même présenté une requête pour que les accusations soient rejetées, ce qui lui a été refusé. Cumulativement, il y avait suffisamment de faits pour appuyer la décision de la Commission sur cette question. Cependant, je ne pense pas devoir traiter cette question dans le détail parce que j’accepte l’autre argument du demandeur selon lequel la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a constaté que les crimes étaient « graves » aux fins de l’alinéa 1Fb).

[58]           La Commission reconnaît et fait référence aux orientations que la Cour d’appel fédérale a fournies sur cette question dans l’arrêt Jayasekara, ci­dessus, et par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles, ci­dessus. Toutefois, les éléments de preuve permettant de considérer les crimes « graves » sont quelque peu circonstanciels et spéculatifs, et la Commission rejette, en outre, l’avis d’expert sur ce point sans raison acceptable, se nommant effectivement comme un expert sur cette question.

[59]           Les points révélateurs de l’analyse de la Commission sont les suivants :

[51]      Le groupe d’experts fait remarquer qu’aucune preuve n’a été versée au dossier qui indiquerait que les plaignantes touchées par les crimes du [demandeur] avaient été physiquement blessées de quelque façon que ce soit. Aucune arme n’a été utilisée lors de la perpétration de ces crimes et aucune menace n’a été proférée contre les plaignantes. Cependant, l’effet d’atténuation de ces circonstances est réduit selon le point de vue du groupe d’experts, en raison du fait que les crimes impliquant ces circonstances sont traités plus sévèrement dans les articles 272 (agression sexuelle avec une arme, peine maximale de 14 ans d’emprisonnement) et 273 (agression sexuelle grave, peine maximale d’emprisonnement à vie) du code criminel que dans l’article 271. Le fait que les crimes [du demandeur] étaient moins graves que d’autres crimes ne signifie pas, en soi, que les crimes [du demandeur] ne sont pas graves. L’article 271 fournit une indication, sinon une présomption, que les crimes [du demandeur] étaient graves.

[52]      Les actes physiques perpétrés par le [demandeur] impliquaient l’attouchement des seins et des organes génitaux ou du pubis des femmes sans leur consentement. Il n’y a aucune preuve indiquant qu’une pénétration a eu lieu et lorsqu’on examine la situation uniquement selon les actes physiques réels impliqués, il est raisonnable de conclure que, dans de nombreux scénarios, ces crimes seraient punis au bas, par opposition au haut, de l’échelle prévue à l’article 271. Toutefois, lorsque le groupe d’experts tient compte des facteurs aggravants quant à la vulnérabilité des victimes, à la position d’autorité du [demandeur] et aux éléments de preuve montrant que le demandeur a pu fuir aux États­Unis pour échapper aux accusations, le groupe d’experts conclut que les crimes du [demandeur de ] seraient punis à l’extrémité supérieure de cette échelle.

[53]      Le [demandeur] a déclaré que la plaignante de l’incident de juillet 2006 avait récemment subi une intervention chirurgicale et était sous l’effet de stupéfiants qui peuvent avoir causé des effets hallucinatoires et des sentiments d’intimité. Il a déclaré que la plaignante de novembre 2006 avait un faible revenu, qu’elle était sans­abri et toxicomane. Comme l’indique la plainte, [le demandeur] a également dit à l’agent Zerwas que la plaignante de novembre 2006 était une toxicomane. Tout en faisant remarquer les problèmes de crédibilité du témoignage [du demandeur] dans l’ensemble et le fait que [le demandeur] a fourni cette information sur les plaignantes à titre d’explication quant à la raison pour laquelle elles peuvent avoir fait de fausses allégations contre lui, le groupe d’experts accepte la description des plaignantes par [le demandeur] comme étant exacte, car il est plausible pour le groupe d’experts que [le demandeur] aurait choisi des victimes moins susceptibles de se plaindre de ses actes ou qu’on ne croirait pas si elles se plaignaient, et la description par [le demandeur] de la victime de novembre 2006 a été constamment répétée. Le groupe d’experts conclut que les victimes des crimes [du demandeur] étaient particulièrement vulnérables, en ce sens qu’elles avaient moins de capacité de résister aux avances [du demandeur] et de demander une protection contre les actes [du demandeur] à leur égard. Il s’agissait d’un facteur aggravant important du point de vue du groupe d’experts.

[54]      La position d’autorité et de confiance du groupe d’experts [sic] à l’égard des plaignantes était aussi un facteur aggravant important, en particulier lorsqu’elle est examinée en conjonction avec la vulnérabilité des plaignantes. Lorsqu’on examine la situation de la plaignante de novembre 2006, il s’agit d’une sans­abri qui a des problèmes de toxicomanie. Elle s’est rendue à une clinique médicale dans l’espoir d’obtenir des soins médicaux. Elle était couchée sur un lit et ne portait qu’une chemise d’hôpital. Le [demandeur], sous prétexte de lui donner le traitement médical qu’elle recherchait, se met plutôt à la molester sexuellement. De l’avis du groupe d’experts, les répercussions des actions [du demandeur] sont potentiellement graves pour la victime, en ce sens que la perte de confiance qui en découle à l’égard de la profession médicale pourrait nuire à la capacité d’une personne déjà vulnérable d’obtenir les soins médicaux nécessaires à l’avenir. Même si aucune preuve n’a été présentée pour établir que l’une des victimes des crimes [du demandeur] a subi une blessure physique grave, le groupe d’experts considère le risque d’une blessure psychologique et d’une réticence à se prévaloir de soins médicaux en raison d’une crainte de molestation qui ressort de ces crimes comme étant un facteur aggravant.

[55]      La note d’information du HCR, évoquée dans la décision Jayasekara, indique que « la preuve d’une conduite criminelle habituelle grave » est un facteur lors de la détermination de la gravité des crimes. Le [demandeur] a commencé à travailler à l’hôpital Woodwinds en février 2006. Selon la décision du Conseil du Minnesota, le premier incident impliquant [le demandeur] a eu lieu en juin 2006, quatre mois seulement après le début de son emploi dans cet établissement. Le deuxième incident, pour lequel [le demandeur] a été inculpé, a eu lieu le mois suivant, en juillet, et le troisième incident, pour lequel il a également été inculpé, a eu lieu quatre mois plus tard, en novembre de la même année. Le [demandeur] a été renvoyé de l’hôpital Woodwinds peu après l’incident de novembre et se trouvait au Canada deux semaines plus tard. Le groupe d’experts estime que cette fréquence des événements en ce court laps de temps relève d’une habitude. Le groupe d’experts fait également remarquer qu’environ cinq ou six mois après son arrivée au Canada, [le demandeur] a obtenu son permis pour effectuer le même type de travail médical au Canada que celui qu’il effectuait aux États­Unis; toutefois, ce permis a été révoqué après avoir découvert que son permis avait été révoqué au Minnesota. Le fait que le [demandeur] ait tenté de s’intégrer au même milieu, au Canada, où sa conduite habituelle s’est produite antérieurement a également été pris en compte par le groupe d’experts comme étant un facteur aggravant dans ce cas.

[56]      Le groupe d’experts a examiné la lettre d’opinion fournie par le cabinet d’avocats Wolch DeWit Watts & Wilson en ce qui concerne la gravité des crimes [du demandeur]. Tout en faisant remarquer que « des cas qui se caractérisent par des faits semblables pourraient actuellement être passibles d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans », la lettre d’opinion ne parvient pas à définir précisément ce que sont ces faits sur lesquels l’opinion est fondée. Par exemple, l’auteur de la lettre, Hersh E. Wolch, a pu accepter, sans se poser la moindre question, que [le demandeur] n’avait pas fui la juridiction où les crimes avaient été commis, alors que le groupe d’experts a constaté que le témoignage [du demandeur], à cet égard, manque de crédibilité. En ce qui concerne les affaires pénales évoquées par M. Wolch, ces cas se distinguent de celui du [demandeur] sur le plan des faits. Aucun de ces cas n’implique un médecin qui a agressé sexuellement un patient vulnérable sous prétexte de lui prodiguer des soins médicaux.

[Notes de bas de page omises]

[60]           Il semblerait que la Commission a classé les crimes du demandeur à l’extrémité supérieure de l’échelle pour ces motifs :

a)      la vulnérabilité des victimes;

b)      la position d’autorité du demandeur;

c)      le demandeur « a pu fui aux États­Unis pour échapper aux accusations [sic] ».

[61]           La Commission explique la « vulnérabilité » par le fait que le demandeur a choisi des victimes qui étaient moins susceptibles de se plaindre ou qu’on ne croirait pas si elles se plaignaient. Pourtant, ces victimes se sont effectivement plaintes et on les a crues.

[62]           La Commission conclut également (au paragraphe 54) que :

… les répercussions des actions [du demandeur] sont potentiellement graves pour la victime, en ce sens que la perte de confiance qui en découle à l’égard de la profession médicale pourrait nuire à la capacité d’une personne déjà vulnérable d’obtenir les soins médicaux nécessaires à l’avenir. Même si aucune preuve n’a été présentée pour établir que l’une des victimes des crimes [du demandeur] a subi une blessure physique grave, le groupe d’experts considère le risque d’une blessure psychologique et d’une réticence à se prévaloir des soins médicaux en raison d’une crainte de molestation qui ressort de ces crimes comme étant un facteur aggravant.

[63]           La Commission ne disposait d’aucune preuve de « risque de blessure psychologique » ou de « réticence à se prévaloir des soins médicaux en raison d’une crainte de molestation », donc elle se donne là le rôle d’une experte au sujet de la probabilité d’une conduite future résultant des crimes du demandeur. Cela constitue rien de plus que des spéculations.

[64]           La Commission a conclu plus tôt (au paragraphe 33) que :

…la décision du Conseil du Minnesota fournit des preuves suffisantes pour établir de sérieuses raisons de penser que [le demandeur] a commis un crime à l’égard de l’incident de juin 2006. Cependant, comme on le verra ci­dessous, cet élément de preuve a été examiné par le groupe d’experts dans le cadre de l’évaluation de la gravité des crimes [du demandeur].

[65]           La Commission n’explique jamais ce que prouve la décision du Conseil du Minnesota si elle n’établit pas de raison sérieuse de penser qu’un crime a été commis ou pourquoi cela constitue une preuve de « conduite criminelle habituelle grave ».

[66]           En outre, le fait que le demandeur ait demandé un poste semblable au Canada n’est pas une preuve de « conduite criminelle habituelle grave ».

[67]           Peut­être que ce qui est le plus important dans ce contexte, c’est le rejet par la Commission de l’expert ou du moins une preuve tangible et convaincante sur ce point. La Commission rejette entièrement l’avis que M. Wolch a exprimé dans la lettre d’opinion, à savoir que « des cas qui se caractérisent par des faits semblables pourraient actuellement être passibles d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans », au motif que « la lettre d’opinion ne parvient pas à définir précisément ce que sont ces faits sur lesquels l’opinion est fondée » et que

…les affaires pénales évoquées par M. Wolch, ces cas se distinguent de celui du [demandeur] sur le plan des faits. Aucun de ces cas n’implique un médecin qui a agressé sexuellement un patient vulnérable sous prétexte de lui prodiguer des soins médicaux.

[68]           La Commission indique là clairement ce qui, selon le commissaire, est nécessaire pour déterminer si les crimes commis par le demandeur sont suffisamment graves pour justifier l’exclusion aux termes de l’alinéa 1Fb). La Commission rejette les tentatives du demandeur de fournir les preuves de M. Wolch sur ce point. Toutefois, la Commission ne renvoie à aucun cas qui, selon elle, fournirait des orientations pertinentes. La décision est tout simplement fondée sur ce que la Commission croit être grave, non pas sur des preuves fiables quant à ce que la loi canadienne considère comme étant grave. La Commission s’est elle­même mise dans la position d’un expert en droit pénal, un expert qui ne ressent pas le besoin de se référer à tout élément de preuve sur la question de savoir ce dont ces crimes seraient passibles comme peine d’emprisonnement possible, mais qui rejette la preuve du demandeur au motif qu’elle soulève des questions fort différentes. Ce n’est pas raisonnable. La Commission n’est pas un expert en peines pénales et ne peut pas tout simplement désigner les crimes comme étant « graves » en vertu du droit pénal canadien selon sa propre opinion.

[69]           Elle a également tort de rejeter la preuve selon laquelle les États­Unis avaient décidé de ne pas poursuivre le demandeur, ou de demander son extradition, comme étant tout simplement spéculative quant à la gravité des crimes. De nombreux cas de la Cour soulignent que les mesures des autorités des États­Unis (par exemple, en ce qui concerne l’émission de mandats d’arrêt et les actes d’accusation) peuvent être invoqués parce que les États­Unis respectent la primauté du droit. Cette logique va dans les deux sens. Un pays qui respecte la primauté du droit n’évitera pas de poursuivre les crimes graves quand il a la possibilité de le faire. Cette preuve aurait dû être pesée par la Commission lors de l’examen de la gravité des crimes commis par le demandeur. Le fait qu’elle ne l’a pas fait constitue une erreur susceptible de révision.

[70]           Il n’est également pas raisonnable que la Commission rejette les arrêts Velasco et Ammar, ci­dessus, en soutenant qu’ils ne fournissent aucune orientation sur la question de la « gravité ». Les faits évoqués dans ces cas, même s’ils ne sont pas semblables à la situation du demandeur, touchaient un comportement extrêmement agressif et répugnant de la part de personnes en position de confiance et, pourtant, les peines prononcées n’indiquent pas que les crimes ont été traités comme étant graves. La Commission rejette cet élément de preuve, même si elle ne renvoie à aucune décision qui indique que les crimes du demandeur seraient traités comme étant des crimes graves.

[71]           En fin de compte, plutôt que d’examiner des cas semblables comme guide de la façon dont le demandeur serait traité au Canada du point de vue de la détermination de la peine, la Commission se fie tout simplement à sa propre notion subjective de ce qui est grave au Canada sans aucune preuve objective pour l’étayer.

[72]           L’avocat convient qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un commissaire différent de la Commission conformément à ces motifs.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3085-15

 

INTITULÉ :

ABDI ELMY HERSY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

Pour le demandeur

 

Galina Bining

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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