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Date : 20160205


Dossier : IMM-2979-15

Référence : 2016 CF 143

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2016

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

HELLAY FAIZI

MOHAMMAD HASIB FAIZI

MOHAMMAD ADIL FAIZI

AYESHA FAIZI

ASMA FAIZI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 12 mai 2015 (la décision) par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La présente demande a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR].

I.                   Contexte

[2]               La principale demanderesse [la demanderesse], Hellay Faizi, est une citoyenne de l’Afghanistan âgée de 32 ans. Les autres demandeurs sont ses enfants. Ce sont : Mohammad Hasib Faizi, 13 ans, Mohammad Adil Faizi, 10 ans, Ayesha Faizi, 9 ans, et Asma Faizi, 7 ans.

[3]               Lorsque la demanderesse était âgée de 14 ans, un homme a rendu visite à son père et a demandé à la faire marier à son fils, Naheem. Deux semaines plus tard, le père de la demanderesse a été invité à participer à un rassemblement. Le père de la demanderesse a été contraint de consentir au mariage de peur d’être tué.

[4]               Le père de la demanderesse a, ensuite, essayé de changer d’avis et d’annuler la convention matrimoniale. Cependant, le père de Naheem a dit que c’était impossible et a menacé de le signaler aux talibans pour avoir enfreint la tradition.

[5]               Par conséquent, la famille de la demanderesse a fui au Pakistan et, en 2002, la demanderesse a épousé Mohammad Yassin qui était un voisin au Pakistan [le mari de la demanderesse].

[6]               Après que les talibans aient été renversés, le mari de la demanderesse est rentré seul en Afghanistan. Quelques années plus tard, la demanderesse est retournée en Afghanistan et Naheem a finalement appris son retour.

[7]               En mai 2012, des hommes armés, y compris Naheem, sont entrés de force chez la demanderesse. Le mari de la demanderesse est revenu alors que les hommes étaient là et il a été jeté à terre. D’autres criaient et les intrus sont partis. Les policiers ont été appelés et sont arrivés pour enquêter.

[8]               Quelques semaines plus tard, le mari de la demanderesse a été arrêté par deux hommes armés qui lui dit de divorcer la demanderesse, de prendre les enfants et de quitter l’Afghanistan. Ils lui ont dit que Naheem était un commandant taliban loyal et qu’il avait déposé une ordonnance d’un tribunal taliban contre le mari de la demanderesse pour avoir épousé illégalement celle­ci. Selon la charia et la tradition afghane et pachtoune, la peine pour l’enlèvement de la conjointe d’un autre homme est la mort.

[9]               Le 1er août 2012, la demanderesse a reçu un appel de l’associé de son mari lui disant que des hommes armés avaient pris son mari pour rencontrer le commandant Naheem. Quelques jours plus tard, Naheem et des hommes armés sont venus au domicile de la demanderesse et lui ont dit qu’elle devait partir avec lui. Naheem l’a informé qu’il avait mis son mari en garde à vue et que, si elle ne partait pas avec lui, son mari serait tué.

[10]           La belle­mère de la demanderesse a crié à l’aide et les voisins ont appelé la police. Quand ils sont arrivés, des coups de feu ont été échangés. La belle­mère a été blessée à la jambe et a été emmenée à l’hôpital. Le beau­père de la demanderesse a emmené celle­ci chez son frère. La police a dit qu’ils ne pouvaient pas la protéger parce qu’ils ont réalisé que Naheem était puissant.

[11]           Le père de la demanderesse a trouvé un passeur pour l’emmener, elle et ses enfants, au Canada. Elle n’a pas entendu parler de son mari.

[12]           Un mois après son arrivée au Canada, la demanderesse a été interrogée pendant une heure par une agente de CIC avec l’aide d’un interprète. Au cours de l’entrevue, les enfants de la demanderesse (alors âgés de 9, 7, 6 et 4 ans) ont joué avec des jouets à proximité et l’agente de CIC a noté qu’ils parlaient l’anglais « de manière exceptionnelle ». Ils ne parlaient que l’anglais et ont chanté des chansons en plus de converser.

[13]           Lorsque la demanderesse a été interrogée à ce sujet, elle a déclaré qu’ils avaient fréquenté une école privée en Afghanistan et avaient appris l’anglais là­bas. Cependant, elle ne pouvait pas nommer l’école. Elle a expliqué cela en disant que son mari emmenait les enfants à l’école.

[14]           L’audience devant la SPR a eu lieu le 13 et le 29 avril 2015. Lorsque l’audience s’est ouverte à la deuxième date, la demanderesse a présenté les documents suivants [la divulgation tardive] :

                     un courriel en date du 25 avril 2015 et reçu par l’avocat de la demanderesse, le 28 avril 2015. Elle a joint une lettre non datée d’un représentant élu à Kaboul affirmant que la demanderesse y avait vécu de 2007 à 2012.

                     Une lettre non datée du père de la demanderesse, qui a été envoyée à la demanderesse par courriel, et qu’un ami l’a aidée à télécharger.

II.                Décision

[15]           La Commission a accepté le fait que les demandeurs soient des citoyens de l’Afghanistan, mais a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves crédibles pour établir que la demanderesse et ses enfants étaient à Kaboul au cours des événements en question (de mai à août 2012) et au cours de la période de cinq ans précédant leur arrivée au Canada, le 13 août 2012.

[16]           La Commission a constaté que les documents faisaient défaut. Il n’y avait pas de documents scolaires et aucun document pour montrer où les enfants sont nés. De plus, il n’y avait aucun rapport de police portant sur les violations du domicile de la demanderesse par Naheem et aucun rapport médical après qu’on ait tiré sur la belle­mère de la demanderesse.

[17]           Compte tenu de l’anglais exceptionnel des enfants, la Commission a conclu qu’ils avaient été élevés dans un pays anglophone.

[18]           La Commission a également rejeté la divulgation tardive parce que la lettre du responsable afghan était non datée et envoyée par courriel. En outre, du moment qu’elle a été transmise par courriel plutôt que par la poste, la provenance de la lettre et du courriel d’accompagnement ne pouvait pas être vérifiée. Les mêmes préoccupations ont été exprimées au sujet de la lettre du père de la demanderesse.

[19]           La Commission a également conclu que la demanderesse a répondu aux questions d’une manière évasive. En outre, la Commission a conclu que les incohérences entre le formulaire de demande d’asile de la demanderesse et son FRP sur qui elle craignait, et entre les notes de l’agente de CIC et son témoignage sur le temps qu’elle a passé aux États­Unis et son incapacité à faire une demande d’asile aux États­Unis ont également diminué sa crédibilité.

III.             Questions en litige

[20]           La demanderesse affirme que la Commission a conclu, de façon déraisonnable, que ses enfants avaient été élevés et éduqués dans un pays anglophone.

[21]           Elle affirme que compte tenu des problèmes d’interprétation, il était déraisonnable de conclure qu’elle avait répondu aux questions d’une manière évasive.

[22]           Elle a dit qu’il était déraisonnable d’ignorer la divulgation tardive.

[23]           Enfin, elle dit, en dépit de la constatation défavorable concernant sa crédibilité, il était déraisonnable que la Commission ne détermine pas si elle serait confrontée à la persécution en tant que femme en Afghanistan.

IV.             Analyse

[24]           À mon avis, il était raisonnable que la Commission conclue que lorsque l’agente de CIC a parlé de l’anglais des enfants comme étant exceptionnel, elle voulait dire qu’ils le parlaient couramment. Les enfants qui jouent feront ce qui est le plus facile et le fait qu’ils n’ont prononcé aucun mot dari du tout en une heure indique effectivement leur maîtrise de la langue et que l’anglais est leur première langue.

[25]           Il est clair que le fait que la demanderesse ne soit pas arrivée à fournir une explication raisonnable de l’anglais exceptionnel de ses enfants est au cœur de la préoccupation de la Commission quant à sa crédibilité. Sa seule explication était qu’ils avaient fréquenté une école où l’anglais était enseigné. Cependant, deux des enfants étaient d’âge préscolaire. Un autre problème se pose également : elle ne pouvait pas nommer l’école lorsque l’agente de CIC le lui a demandé étant donné que l’aîné l’avait prétendument fréquentée pendant plusieurs années.

[26]           Je suis également d’avis que, une fois que ce problème de crédibilité s’est posé, il était raisonnable pour la Commission de s’attendre à une certaine corroboration documentaire de la demande de la demanderesse.

[27]           En outre, compte tenu du problème de crédibilité, il était raisonnable d’insister pour que la divulgation tardive soit fournie sous une forme fiable (à savoir des lettres originales ainsi que des enveloppes).

[28]           La demanderesse a fait valoir que des problèmes d’interprétation ont causé la dérobade dont la Commission a parlé. La preuve d’un interprète qui a retraduit environ 14 minutes de la transcription de deux jours a été présentée pour démontrer que des erreurs ont effectivement été commises et que la demanderesse a dit qu’elles l’ont poussée à donner des pseudo­réponses et à se sentir frustrée par l’interrogatoire.

[29]           Il y avait une erreur d’interprétation. Lorsque la Commission a demandé une confirmation des preuves antérieures de la demanderesse selon lesquelles la police ne pouvait pas la protéger contre Naheem parce qu’il était trop notoire (transcription – p. 261) dans le sens d’être célèbre ou réputé au sein de la collectivité, l’interprète n’a pas traduit le terme « notoire » de cette façon­là. Au lieu de cela, l’interprète a expliqué à la demanderesse que la Commission souhaitait savoir si Naheem était dangereux.

[30]           Toutefois, la Commission avait déjà obtenu, ce jour­là, des preuves claires selon lesquelles la police ne connaissait pas le nom de Naheem avant que la demanderesse l’ait signalé à la police. Par conséquent, sa notoriété n’était pas parvenue jusqu’à la police et la transcription montre que cela a soulevé les préoccupations de la Commission. Pour cette raison, je conclus que cette erreur n’était pas importante.

[31]           J’en conclus également que la Commission a jugé la demanderesse évasive non pas à cause des erreurs d’interprétation, mais parce qu’elle avait donné des explications qui n’ont pas de sens. Par exemple, elle a « oublié » de nommer Naheem sur son formulaire de CIC et de mentionner qu’il faisait partie des talibans et a « oublié » de mentionner sur son FRP que la police ne pouvait pas la protéger parce qu’elle connaissait Naheem de réputation.

[32]           De plus, elle semblait évasive parce que son témoignage a changé de la première à la deuxième journée d’audience. Le premier jour, elle a dit que la police connaissait Naheem de nom, mais, comme il est indiqué ci­dessus, elle a nié ce fait au deuxième jour de l’audience.

[33]           Enfin, elle semblait parfois évasive à cause de la manière dont elle répondait aux questions. Elle répondait « oui » ou « non », puis citait d’autres faits qui n’étaient pas pertinents de sorte que sa réponse globale semblait vague.

[34]           Je n’ai constaté aucune erreur grave sur le plan de la transcription traduite et j’ai donc conclu que la demanderesse a bel et bien bénéficié de l’interprétation continue, précise et compétente à laquelle elle avait droit, et que les erreurs d’interprétation n’étaient pas à la source de la conclusion de la Commission selon laquelle elle était « évasive » lorsqu’elle répondait aux questions.

[35]           La dernière question est l’incapacité de la Commission de déterminer si la demanderesse était confrontée à la persécution en tant que femme rentrant en Afghanistan. Aucune crainte de ce genre n’a été exprimée dans la preuve présentée à l’audience ou dans les observations de l’avocat. La Commission n’a reçu aucune information sur les circonstances de la demanderesse à son retour en Afghanistan. Par exemple, la Commission ne savait pas si la famille de son mari allait la protéger, si elle était riche, où elle pourrait vivre et même si elle envisageait de rester en Afghanistan.

[36]           Je conclus que, dans ces circonstances, la Commission n’était pas tenue d’évaluer son risque de persécution en tant que femme en Afghanistan. Il ne revenait pas à la Commission de spéculer sur le profil de la demanderesse, lorsque celle­ci a été représentée par un avocat et n’a exprimé aucune autre crainte que celle de Naheem.

V.                Question certifiée proposée

[37]           La demanderesse a proposé la question suivante [la question proposée] :

Dans les cas où un demandeur d’asile est représenté par un avocat, la Commission est­elle tenue d’examiner les motifs de persécution ou de se livrer à une analyse des risques ou une enquête lorsque les motifs ou les risques ne sont pas soulevés par le demandeur ou son avocat?

[38]           Dans l’arrêt Sellan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, la Cour a déclaré ce qui suit :

2.    Le juge a aussi certifié une question, en l’occurrence : lorsqu’il existe une preuve objective pertinente susceptible d’étayer une demande de protection et que la Section de la protection des réfugiés estime que la preuve subjective présentée par le demandeur n’est pas crédible, sauf en ce qui concerne l’identité, la Section de la protection des réfugiés doit­elle apprécier cette preuve objective au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

3.    À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[Non souligné dans l’original.]

[39]           À mon avis, la décision de la Cour d’appel fédérale signifie qu’il incombe à la demanderesse de faire part de sa peur et de relier ses circonstances ou son profil à la preuve documentaire. Compte tenu de la décision de la Cour fédérale d’appel, je conclus que la question proposée n’est pas grave. Par conséquent, elle ne sera pas certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      La question proposée n’est pas certifiée aux fins d’appel.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2979-15

 

INTITULÉ :

HELLAY FAIZI, MOHAMMAD HASIB FAIZI, MOHAMMAD ADIL FAIZI, AYESHA FAIZI

ASMA FAIZI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Djawid Taheri

 

Pour les demandeurs

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Djawid Taheri

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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