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Date : 20160203


Dossier : T-2056-13

Référence : 2016 CF 120

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

demandeur

et

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

SUNWING AIRLINES INC.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction et résumé des conclusions

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le Syndicat canadien de la fonction publique [SCFP, ou le demandeur] à l’encontre de deux décisions rendues par un délégué du ministre des Transports [Transports Canada, ou le ministre] en vertu de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. 2 [Loi sur l’aéronautique]. La première décision concernait la décision verbale rendue le 27 novembre 2013, autorisant la modification des procédures d’évacuation d’urgence prévues dans le Manuel de l’agent de bord du défendeur Sunwing Airlines Inc. [Sunwing]. La deuxième décision rendue deux jours plus tard, le 29 novembre 2013, concernait l’approbation écrite de ladite modification.

[2]               Comme cette affaire porte sur une modification apportée au Manuel de l’agent de bord [MAB] de Sunwing, je vais exposer la relation entre Transports Canada et Sunwing ainsi que le cadre réglementaire régissant le processus de modification d’un MAB. Toute modification à un manuel de l’agent de bord doit être apportée conformément à la Norme relative au Manuel des agents de bord, en vertu de l’article 705.139 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 pris au titre de la Loi sur l’aéronautique. La Norme relative au Manuel des agents de bord définit les éléments qui doivent être pris en compte lors de la modification d’un MAB, sans toutefois en donner une description détaillée. L’exploitant aérien, en l’espèce Sunwing, doit soumettre la proposition de modification à son Manuel de l’agent de bord à l’approbation de Transports Canada, cette approbation étant exigée en vertu du paragraphe 705.139 (3) du Règlement de l’aviation canadien qui stipule ce qui suit :

Lorsque la Norme relative au manuel des agents de bord est satisfaite, le ministre approuve les parties du manuel de l’agent de bord portant sur les renseignements visant les procédures de sécurité et les procédures d’urgence contenues dans la partie A de cette norme et toutes les modifications qui sont apportées au manuel.

The Minister shall, where the Flight Attendant Manual Standard is met, approve those parts of a flight attendant manual, and any amendments to those parts, that relate to the safety and emergency information contained in Part A of the Flight Attendant Manual Standard.

[3]               En plus de satisfaire aux exigences de la Norme relative au Manuel des agents de bord, la modification doit également être soumise au processus d’examen de la documentation défini dans le Manuel des inspecteurs de la sécurité des cabines [MISC] de Transports Canada. Le MISC exige qu’un « examen préliminaire » et un « examen approfondi » soient faits par un inspecteur de la sécurité des cabines, c.-à-d. un employé de Transports Canada.

[4]               Je suis d’accord avec la description que fait le ministre de la relation entre l’exploitant aérien et l’organisme de réglementation : [traduction] « en sa qualité d’organisme de réglementation, Transports Canada a pour rôle d’informer l’exploitant aérien et de tenter de collaborer avec lui afin de corriger des procédures inefficaces chaque fois que de telles procédures sont relevées. Il incombe à l’exploitant aérien de revoir ses procédures chaque fois que cela s’avère nécessaire, que ce soit pour améliorer une procédure déjà efficace ou pour corriger une lacune. Dès qu’un exploitant apprend que ses procédures sont inefficaces, il doit les corriger ».

[5]               Dans la présente instance, la modification au MAB avait essentiellement pour but d’éliminer le caractère obligatoire de l’ordre verbal que devaient donner les agents de bord au début de toute procédure d’urgence et de rendre cet ordre facultatif, en laissant au personnel le soin de déterminer, d’après les circonstances, si l’ordre devait ou non être donné. Avant la modification, le MAB de Sunwing exigeait que les agents de bord de Sunwing donnent toujours un « ordre de blocage » verbal au début de toute procédure d’évacuation d’urgence et avant d’évaluer les conditions en vue de l’ouverture des portes. Cet ordre de blocage verbal devait être donné à une « personne physiquement apte ». L’ordre de blocage exigeait des agents de bord qu’ils désignent des passagers aptes pour retenir les autres passagers, en leur donnant l’ordre suivant : « vous et vous devez retenir les autres passagers ». Avant la modification faisant l’objet de la présente contestation, l’ordre de blocage était la première chose que les agents de bord devaient faire durant une situation d’urgence, qu’il soit ou non nécessaire de retenir les passagers.

[6]               La modification au MAB de Sunwing a eu pour effet de modifier le caractère obligatoire de l’ordre de blocage verbal, cet ordre n’étant plus utilisé qu’« au besoin », la décision à ce sujet étant laissée à la discrétion du personnel selon la situation à bord de l’aéronef. La modification a donc eu pour effet d’annuler le caractère obligatoire de l’ordre de blocage, et de rendre cet ordre facultatif, selon les circonstances ou la situation.

[7]               En l’espèce, la modification au MAB a été demandée par Sunwing, mais elle avait été suggérée par Transports Canada. La modification au MAB de Sunwing a été approuvée, car les responsables de la sécurité de Sunwing et de Transports Canada ont tous deux jugé que l’obligation de donner un ordre de blocage dans tous les cas, que cela soit nécessaire ou non, rendait moins efficaces les procédures d’évacuation d’urgence de l’aéronef.

[8]               Toutes les parties ont convenu que l’ordre de blocage prolongeait les procédures et qu’à ce titre il ralentissait, ou pouvait ralentir, une évacuation d’urgence. Toutes ont par ailleurs reconnu que la rapidité d’intervention était d’une importance capitale durant une évacuation d’urgence, car elle pouvait sauver des vies. Selon le demandeur, l’ordre de blocage faisait perdre entre 0,5 et 1,5 seconde. Les parties ont fait valoir l’importance de la rapidité d’intervention notant que, plus les glissières d’évacuation étaient déployées rapidement, moins l’évacuation prendrait de temps et plus les passagers quitteraient l’aéronef rapidement pour se mettre en sécurité.

[9]               Bien que le SCFP reconnaisse que l’élimination du caractère obligatoire de l’ordre de blocage permettrait de gagner du temps, il a soulevé un certain nombre d’objections quant à la manière dont la modification a été apportée au MAB.

A.                Contexte précis dans lequel la modification a été demandée et apportée au Manuel de l’agent de bord

[10]           Avant de résumer l’historique procédural de l’affaire et de discuter du dossier et de mes conclusions, j’aimerais décrire plus en détail le contexte dans lequel ont été prises les décisions contestées.

[11]           Sunwing a présenté à Transports Canada une demande visant à être exempté de l’application d’une exigence réglementaire générale alors en vigueur, selon laquelle le ratio entre agents de bord et passagers devait être d’au moins 1 pour 40. Sunwing a demandé que son propre ratio soit de 1 pour 50, et non de 1 pour 40, c’est-à-dire d’avoir un agent de bord pour 50 passagers. Cette exemption aurait pour effet de réduire de cinq (5) à quatre (4) le nombre d’agents de bord (représentés par le demandeur, le SCFP) requis, étant donné que les appareils Boeing 737-800 de la flotte de Sunwing comptent 189 passagers/sièges.

[12]           Le 18 octobre 2013, Transports Canada a approuvé la demande d’exemption de Sunwing, portant le ratio à 1 pour 50. Cette exemption était toutefois assortie d’un certain nombre de conditions auxquelles Sunwing devait satisfaire. L’une de ces conditions (condition 11) était que Sunwing fasse, et réussisse, une démonstration partielle d’une simulation d’évacuation en situation normale et situation d’urgence. Essentiellement, cette condition exigeait que les agents de bord de Sunwing ouvrent 50 % des portes de l’aéronef, déploient les glissières de sécurité et exécutent les autres tâches requises dans un délai de 15 secondes; si les agents de bord y parvenaient, la démonstration partielle serait jugée réussie et la condition d’exemption serait jugée satisfaite.

[13]           Pour satisfaire à cette condition, Sunwing a réalisé quatre démonstrations partielles de ses procédures d’évacuation d’urgence dans un mode d’exploitation normal. Ces démonstrations ont été menées sur deux jours, sous la surveillance étroite de nombreux représentants de Transports Canada et de Sunwing. Des enregistrements vidéo ont aussi été faits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’aéronef.

[14]           Sunwing a échoué les deux premiers essais, car il lui a fallu plus de 15 secondes pour exécuter les diverses tâches requises.

[15]           Les troisième et quatrième essais ont été réalisés le 27 novembre 2013. Bien que l’enregistrement vidéo du troisième essai montre que Sunwing pourrait l’avoir réussi, Transports Canada a déterminé à ce moment-là que Sunwing n’avait pas satisfait aux exigences durant ce test.

[16]           Après avoir visionné les trois premiers essais, et entre les troisième et quatrième essais, Transports Canada a suggéré, et Sunwing a accepté, d’éliminer l’ordre de blocage obligatoire et de rendre l’ordre de blocage facultatif, en ne l’utilisant qu’« au besoin ».

[17]           Cependant, un tel changement nécessitait la modification du Manuel de l’agent de bord de Sunwing. Le 27 novembre 2013, entre les troisième et quatrième essais, à la demande de Sunwing et à la suggestion de Transports Canada, Transports Canada a approuvé verbalement la modification au Manuel de l’agent de bord de Sunwing visant à supprimer l’ordre de blocage obligatoire. Cette décision est la première visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

[18]           Le quatrième essai a été mené le 27 novembre 2013, sans l’utilisation de l’ordre de blocage. Sunwing a exécuté toutes les tâches requises dans le délai prescrit de 15 secondes. En conséquence, Transports Canada a déterminé que cette condition de l’exemption avait été satisfaite.

[19]           Transports Canada a ensuite demandé à Sunwing de procéder à une évaluation des risques découlant de la modification au MAB qui avait été approuvée verbalement. Des représentants de Sunwing se sont réunis le lendemain pour procéder à une évaluation officielle des risques.

[20]           Le 29 novembre 2013, soit deux jours après le dernier essai, Sunwing a présenté une demande écrite à Transports Canada, demandant que soit approuvée une modification à son MAB qui éliminerait le caractère obligatoire de l’ordre de blocage et ferait en sorte que cet ordre ne serait utilisé qu’« au besoin ». Sunwing a joint à sa demande écrite une ébauche de bulletin sur la sécurité des cabines; ce bulletin n’a toutefois pas été envoyé à Transports Canada, ni n’a été demandé ou examiné par le Ministère qui a approuvé la modification au MAB de Sunwing le jour même, par voie de lettre datée du 29 novembre 2013. Le SCFP a présenté deux demandes de contrôle judiciaire distinctes à l’encontre de ces décisions.

[21]           Le SCFP a d’abord présenté une requête (dossier du tribunal no T-1950-13) visant à faire annuler l’exemption conditionnelle touchant le ratio qui avait été accordée le 18 octobre 2013 par Transports Canada. Le juge Bell a entendu la demande de contrôle judiciaire le 13 mai 2015 et a convenu avec les parties que la demande était sans portée pratique. La Cour a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’affaire malgré son caractère théorique. Le caractère théorique a été allégué en raison du fait que le règlement exigeant un ratio de 40 pour 1 avait été modifié en faveur d’un ratio de 50 pour 1 en date du 15 juin 2015 : voir Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (ministre des Transports) 2015 CF 1421, cause dans laquelle la décision a été rendue après l’audience de la présente affaire. À la suite de la modification approuvée le 15 juin 2015, le ratio de 50 pour 1, qui avait été approuvé par le ministre en vertu d’une exemption, est devenu la norme réglementaire pour les exploitants dans la position de Sunwing. Sunwing a dit se baser sur cette nouvelle norme réglementaire pour utiliser un ratio de 50 pour 1 et se baser sur la démonstration partielle des procédures d’évacuation pour tirer avantage du règlement modifié.

[22]           La deuxième procédure de contrôle judiciaire entreprise par le SCFP a été amorcée le 17 décembre 2013. Dans le cadre de cette procédure, le SCFP avait initialement demandé l’annulation des trois décisions suivantes : (1) décision verbale rendue par Transports Canada le 27 novembre 2013, approuvant la modification au MAB de Sunwing; (2) décision de Transports Canada attestant que Sunwing avait satisfait à la condition 11, c’est-à-dire que Sunwing avait réussi la démonstration partielle des procédures d’évacuation et (3) décision écrite rendue par Transports Canada le 29 novembre 2013, approuvant la modification au MAB de Sunwing.

[23]           Lors de l’audience (après en avoir informé l’avocat adverse peu avant), l’avocat du SCFP a toutefois indiqué que le SCFP ne contestait plus la décision rendue par Transports Canada, selon laquelle Sunwing avait rempli la condition 11; la décision (2) précitée ne faisait donc plus partie des points en litige. En conséquence, les questions dont la Cour est saisie sont les décisions (1) et (3) précitées, soit les approbations verbale et écrite autorisant la modification du Manuel de l’agent de bord de Sunwing.

B.                 Le dossier

[24]           Je m’appuie sur le dossier à titre de question préliminaire. Les décisions qui font l’objet du litige ont été prises par des décideurs de première ligne représentant Sunwing en tant qu’exploitant aérien et partie réglementée, et Transports Canada en sa qualité d’organisme de réglementation. Comme il n’existe pratiquement aucune observation écrite, les deux parties ont déposé des affidavits incluant les pièces à l’appui. Des contre-interrogatoires ont été menés. Bien que le SCFP ait demandé la radiation de certains éléments de preuve déposés par les défendeurs (affidavit Dann), le protonotaire Aronovitch a rejeté cette requête du SCFP le 29 janvier 2015. Le SCFP n’a pas fait appel de cette décision, ajoutant dans son factum qu’il ne s’opposait pas à l’affidavit Dann, le décrivant désormais comme un « élément de preuve marginalement pertinent ». Aucune objection n’a été formulée à l’égard des autres affidavits et pièces déposés. Bien que la position des parties ne soit pas déterminante, je suis d’avis que le matériel déposé par toutes les parties doit être pris en compte dans le contrôle judiciaire, car ce matériel constitue une preuve utile. Le matériel, qui a été déposé sous serment, était connu des parties et est crédible, car il a été soumis à un contre-interrogatoire par les parties. Il est à la fois pertinent et utile; de fait, nonobstant les différences entre un contrôle judiciaire et un examen de novo, je suis d’avis qu’aucun contrôle judiciaire significatif ne pourrait être fait, en l’espèce, sans tenir compte également de l’arrêt suivant : voir Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22.

C.                 Résumé des conclusions

[25]           Pour les motifs énoncés ci-après, je conclus que la décision écrite rendue par Transports Canada, autorisant la modification proposée au Manuel de l’agent de bord de Sunwing, n’était pas raisonnable. Je suis parvenu à cette conclusion en partie du fait que la décision écrite a été rendue sans qu’un « examen approfondi » soit fait comme l’exige le Manuel des inspecteurs de la sécurité des cabines de Transports Canada; ce qui a été fait, en l’espèce, ne peut raisonnablement pas être qualifié d’« examen approfondi », notamment compte tenu du fait que Transports Canada n’a ni demandé, ni examiné, l’évaluation des risques préparée par Sunwing à l’appui de sa demande de modification de son MAB. De plus, la décision écrite s’appuie de façon déraisonnable sur des éléments de preuve anecdotiques incomplets et non pertinents fournis par l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada, et elle est entachée d’autres aspects déraisonnables énoncés ci-après. Si l’on replace les choses en perspective et que l’on examine la décision comme un tout, la décision écrite n’est pas suffisamment justifiée et elle ne fait pas partie des issues possibles du contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie pour les motifs exposés ci-après.

II.                Faits

[26]           Voici un exposé plus détaillé des faits.

[27]           Le demandeur est un grand syndicat national qui représente les agents de bord de Sunwing dans la présente demande. Le demandeur représente également les agents de bord d’autres compagnies aériennes, qui ne sont toutefois pas parties à cette instance.

[28]           Les défendeurs sont le ministre qui est l’organisme de réglementation, et l’organisme assujetti à la réglementation, à savoir l’exploitant aérien Sunwing.

[29]           Les événements ayant mené au dépôt de la demande de contrôle judiciaire ont débuté lorsque Sunwing a présenté une demande d’exemption en vertu de l’article 705.104 du Règlement de l’aviation canadien. Cette exemption, si elle était accordée en vertu du paragraphe 5.9 (2) de la Loi sur l’aéronautique, autoriserait Sunwing à exploiter un aéronef avec un ratio d’un (1) agent de bord pour cinquante (50) passagers, plutôt que d’un (1) agent de bord pour quarante (40) passagers comme le prévoyait le libellé de l’article 705.104 du Règlement alors en vigueur. Le Canada était à l’époque l’un des seuls pays au monde à exiger un ratio de 1 pour 40, la plupart des autres pays ayant établi un ratio de 1 pour 50. Transports Canada était depuis longtemps en faveur d’un ratio de 1 pour 50. Plus récemment, le ratio a été modifié à 1 pour 50 pour tous les exploitants aériens de ce type. Le 18 octobre 2013, Transports Canada a accordé à Sunwing une exemption assujettie à certaines conditions, notamment à la condition 11 qui exigeait une démonstration partielle des procédures d’évacuation d’urgence en utilisant les procédures d’utilisation normale et d’urgence.

[30]           Pour remplir la condition 11 et obtenir une exemption, Sunwing devait réussir une démonstration partielle d’une évacuation d’urgence dans un délai de 15 secondes, une exigence courante selon les normes internationales. Sunwing a échoué les premier et deuxième essais menés le 22 novembre 2013. Lors du premier essai, Sunwing a dépassé le temps alloué à cause de la lenteur des participants à répondre à un ordre, à découvrir une porte bloquée et à ouvrir une porte vitrée embuée. Le deuxième essai a été réalisé dans le délai prescrit, mais la mauvaise porte a été ouverte.

[31]           À la lumière des éléments de preuve présentés, j’estime que l’ordre de blocage n’a pas ralenti les opérations durant le deuxième essai et qu’il a eu peu d’incidence lors du premier.

[32]           Après chaque essai, le personnel de la sécurité de Transports Canada et les représentants de Sunwing qui étaient présents lors du test ont tenu une séance de rétroaction pour discuter des essais ratés et déterminer les raisons de ces échecs et les moyens d’améliorer les mesures de sécurité.

[33]           La deuxième série d’essais a été menée le 27 novembre 2013. Bien que les représentants de Transports Canada aient jugé que Sunwing avait échoué le troisième essai, Sunwing a contesté la décision alléguant qu’il y avait eu erreur de chronométrage. Sunwing s’est appuyé sur les enregistrements vidéo qui montraient que Sunwing avait réussi le test en 15 secondes. Un problème technologique a toutefois empêché les représentants de Transports Canada d’envoyer la vidéo à Ottawa aux fins d’examen. Il semble que le troisième essai ait été réalisé dans le délai de 15 secondes.

[34]           J’en conclus que l’ordre de blocage n’a pas eu d’incidence sur les résultats lors du troisième essai, pas plus qu’il n’en avait eu lors des premier et deuxième essais.

[35]           Comme d’habitude, une séance de rétroaction a eu lieu après le troisième essai. Durant cette séance, l’un des quatre inspecteurs de la sécurité des cabines de Transports Canada présents, l’inspecteur Luc Mayne, a déclaré que l’ordre de blocage verbal « vous et vous devez retenir les autres passagers » était inutile et qu’il ralentissait la démonstration partielle des procédures d’évacuation lors d’un atterrissage d’urgence. Il a ajouté qu’au lieu d’accroître la sécurité, cet ordre rendait au contraire les procédures moins sécuritaires en faisant perdre de précieuses secondes qui pourraient être utilisées autrement en situation d’urgence, si l’ordre de blocage n’était pas obligatoire. Il a ensuite parlé d’une situation où il avait personnellement été en mesure d’atteindre les portes de la cabine rapidement et efficacement pour les ouvrir lors d’une évacuation d’urgence, avant même que les passagers n’aient le temps de quitter leurs sièges, et ce, sans avoir à donner d’ordre de blocage.

[36]           Également présente lors des essais était Darlene MacLachlan, elle-même inspectrice de la sécurité des cabines et chef d’équipe au sein de Transports Canada.

[37]           Lors de cet essai, l’inspecteur Mayne a déclaré qu’il approuverait verbalement une modification au Manuel de l’agent de bord de Sunwing, qui rendrait l’ordre de blocage verbal non obligatoire. Sunwing a donc demandé de modifier son MAB afin de rendre l’ordre de blocage verbal non obligatoire, et Transports Canada a approuvé verbalement la demande de Sunwing. Transports Canada a fait valoir que, dans ces actions, l’inspecteur Mayne représentait tous les agents de la sécurité de Transports Canada présents durant les essais. Cette décision est la première des deux décisions contestées dans le cadre de la présente demande.

[38]           La quatrième démonstration partielle a donc été réalisée sans que soit donné l’ordre verbal de blocage. Cet essai a été réussi. Toutes les tâches ont été complétées en 15 secondes. Le chef d’équipe de Transports Canada, l’inspectrice MacLachlan, a déclaré que Sunwing avait satisfait la condition 11 de l’exemption. Cette décision faisait initialement partie des questions contestées par le SCFP dans la présente demande, mais elle ne fait plus partie du litige.

[39]           Le 27 novembre 2013, l’inspecteur Mayne a également demandé au personnel de Sunwing d’effectuer une analyse des risques découlant de la modification proposée au MAB, dans le cadre des procédures normales de modification de Sunwing. Le lendemain, le 28 novembre 2013, le personnel de Sunwing s’est réuni pour réaliser une évaluation des risques découlant de la proposition de modification au MAB. L’évaluation des risques réalisée par Sunwing n’a révélé aucun changement dans les risques découlant de la modification proposée.

[40]           Sunwing n’a pas fait d’autres tests, si ce n’est un bref exercice visant à déterminer combien de temps il faudrait à un agent de bord pour aller de son strapontin à une porte; même si aucun chronomètre n’a été utilisé durant cet exercice, la durée a été estimée entre trois et quatre secondes. Sunwing n’a pas fait de test pour déterminer combien de temps il faudrait à un passager pour aller de son siège à bord de l’aéronef jusqu’à la porte. Sur la base de cet unique test, Sunwing a procédé à la quatrième démonstration – sans ordre de blocage verbal; il semble également que Sunwing se soit basé sur cet exercice pour appuyer sa demande de modification au MAB.

[41]           Il n’existe aucune exigence réglementaire ou légale expresse obligeant Sunwing à présenter les résultats de son évaluation des risques à Transports Canada pour faire approuver une modification au MAB.

A.                Manuel des inspecteurs de la sécurité des cabines [MISC]

[42]           Transports Canada a établi un document intitulé Manuel des inspecteurs de la sécurité des cabines [MISC]. Le MISC a été élaboré pour guider les inspecteurs de la sécurité des cabines de Transports Canada (comme ceux présents lors de ces essais) dans l’évaluation de « tout document sur la sécurité des cabines ». Je suis d’avis que les documents présentés à l’appui de la demande de modification du MAB de Sunwing constituent des « documents sur la sécurité des cabines » au titre du MISC.

[43]           Le MISC prévoit un examen en deux étapes lors d’une modification au MAB, soit un « examen préliminaire » suivi d’un « examen approfondi » (au paragraphe 4.12) :

Il convient d’entreprendre, rapidement après l’avoir reçue de l’exploitant aérien et avant d’en entreprendre un examen approfondi, un examen préliminaire de la documentation de Sécurité des cabines soumise. Si cet examen préliminaire révèle que cette documentation est complète et d’une qualité jugée acceptable ou que ses lacunes, mineures, peuvent être rapidement corrigées, son examen approfondi peut alors commencer.

[soulignement ajouté]

A preliminary review should be performed prior to a comprehensive review of any Cabin Safety documents and should be conducted promptly after receipt of the operator’s submission. If after preliminary review, the submission appears to be complete and of acceptable quality, or if the deficiencies are minor and can be quickly resolved, then a comprehensive review of the submission may begin.

[emphasis added]

[44]           Le 29 septembre 2013, Sunwing a envoyé une lettre à Transports Canada demandant au Ministère d’approuver une modification à son MAB visant à supprimer le caractère obligatoire de l’ordre de blocage verbal, afin que cet ordre soit désormais utilisé suivant les circonstances ou « suivant les besoins ». Sunwing a joint à sa demande une ébauche d’un bulletin sur la sécurité des cabines qui devait être distribuée à ses agents de bord et autre personnel concerné, pour les informer des changements dans les procédures relatives aux ordres verbaux. Plus tard cette même journée, Sunwing a reçu une lettre de Transports Canada l’informant que la demande de modification au MAB avait été approuvée. Transports Canada n’a ni demandé, ni reçu, ni examiné l’évaluation des risques faite par Sunwing avant d’approuver la modification au MAB. L’approbation a été signifiée par écrit par l’inspecteur Mayne, un inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada.

III.             Décisions

[45]           Les décisions faisant l’objet d’une demande de contrôle judiciaire sont les suivantes : (1) décision verbale rendue par Transports Canada le 27 novembre 2013, approuvant la demande précitée de modification au Manuel de l’agent de bord de Sunwing et (2) décision écrite subséquente rendue par Transports Canada le 29 novembre 2013, approuvant en détail la demande de modification au MAB.

IV.             Questions en litige

[46]            Le SCFP allègue que les approbations verbale et écrite de la modification au Manuel de l’agent de bord de Sunwing sont déraisonnables. De l’avis du SCFP, même si la raisonnabilité est le critère déterminant, un examen minutieux s’impose, car il en va de la sécurité des passagers. Le SCFP estime que Transports Canada s’est basé sur des éléments anecdotiques et non vérifiés pour approuver les modifications proposées. Je suis d’avis que l’« examen approfondi » exigé en vertu du MISC de Transports Canada n’a pas été fait, et que l’analyse et les justifications comportaient d’autres lacunes, ce qui rend la décision déraisonnable.

[47]           À l’opposé, les défendeurs, le ministre des Transports et Sunwing, font valoir qu’il incombe au demandeur de démontrer qu’une erreur nécessitant une révision a été commise, qu’il n’y a aucune raison d’adopter une norme de contrôle différente ou plus exigeante parce que la décision contestée est binaire, que les représentants de Transports Canada ont agi conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés par la loi, que leurs décisions sont raisonnables et que le SCFP a agi de façon vexatoire en présentant deux demandes de contrôle judiciaire distinctes.

[48]           Je formulerais les questions en litige comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle pour les décisions contestées?

2.                  Les décisions autorisant la modification du Manuel de l’agent de bord de Sunwing étaient-elles raisonnables?

3.                  La demande de contrôle judiciaire est-elle vexatoire?

V.                Dispositions pertinentes

[49]           Le Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 [RAC] stipule que :

Manuel de l’agent de bord

Flight Attendant Manual

705.139 (1) L’exploitant aérien, autre que l’exploitant aérien qui est autorisé aux termes de son certificat d’exploitation aérienne à transporter uniquement du fret, doit établir et tenir à jour un manuel de l’agent de bord, qui fait partie du manuel d’exploitation de la compagnie, pour aider les agents de bord dans l’utilisation de ses aéronefs.

705.139 (1) Every air operator, other than an air operator that is authorized solely for the transport of cargo in its air operator certificate, shall establish and maintain, as part of its company operations manual, a flight attendant manual for the use and guidance of flight attendants in the operation of its aircraft.

(2) Le manuel de l’agent de bord doit contenir les instructions et les renseignements permettant aux agents de bord d’exercer leurs fonctions en toute sécurité, ainsi que les renseignements qu’exige la Norme relative au manuel des agents de bord.

(2) A flight attendant manual shall contain the instructions and information necessary to enable flight attendants to perform their duties safely and shall contain the information required by the Flight Attendant Manual Standard.

(3) Lorsque la Norme relative au manuel des agents de bord est satisfaite, le ministre approuve les parties du manuel de l’agent de bord portant sur les renseignements visant les procédures de sécurité et les procédures d’urgence contenues dans la partie A de cette norme et toutes les modifications qui sont apportées au manuel.

(3) The Minister shall, where the Flight Attendant Manual Standard is met, approve those parts of a flight attendant manual, and any amendments to those parts, that relate to the safety and emergency information contained in Part A of the Flight Attendant Manual Standard.

(4) L’exploitant aérien doit fournir à chacun de ses agents de bord un exemplaire du manuel de l’agent de bord et toutes les modifications qui y sont apportées.

[soulignement ajouté]

(4) An air operator shall provide a copy of its flight attendant manual, including any amendments to that manual, to each of its flight attendants.

[emphasis added]

[50]           La Norme relative au Manuel des agents de bord est un document schématique qui est rédigé sous forme assez télégraphique, à l’exception de l’encadré « Nota » à la fin. Ce document consiste essentiellement en une liste des différents thèmes qui doivent être abordés dans le MAB de l’exploitant. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

2A.18 Ordres d’évacuation d’urgence - Généralités

•Généralités

◦Objet

◦Technique

◦Utilisation correcte

◦Régulation

 

2A.18 Emergency Evacuation Commands

•General

◦Purpose

◦Technique

◦Correct use

◦Pacing

 

2A.19 Ordres d’évacuation d’urgence - Applications

•Ordres généraux - évacuation au sol; amerrissage imprévu; amerrissage forcé

•Ordres issues bloquées ou coincées

•Ordres aux personnes bien portantes

2A.19 Emergency Evacuation Commands - Applications

•General commands - land; inadvertent water contact; and ditching

•Blocked/jammed exit commands

•ABP commands

...

...

2A.24 Signaux d’évacuation

•Descriptions

•Signal primaire et variantes

•Signal de rechange et variantes

•Responsabilités des membres de l’équipage au signal d’évacuation

•Annulation de l’évacuation

2A.24 Evacuation Signals

•Descriptions

•Primary signal/variations

•Alternate signal/variations

•Crew member responsibilities at the evacuation signal

•Evacuation cancellation

2A.25 Atterrissage ou amerrissage d’urgence préparé - Procédures (Directive technique de sécurité cabine n° 201 - MODULE DE SUPPORT P - Préparation d’urgence/Module de support - Amerrissage forcé)

2A.25 Prepared Emergency Landing/Ditching - Procedures (Cabin Safety Technical Directive No. 201 SUPPORT MODULE P - Emergency Preparation/Support Module-Ditching)

NOTA : L’exploitant aérien doit préparer les procédures dans un format que les membres d’équipage pourront utiliser pour préparer un atterrissage d’urgence ou un amerrissage forcé et qui pourra servir de liste de vérifications. Le format choisi doit comprendre une liste des responsabilités de chaque membre d’équipage relativement à la préparation de la cabine, des passagers, de l’office et pour leur propre préparation. Toutes les annonces à faire aux passagers doivent être incluses dans le format retenu.

NOTE: The carrier must develop procedures in a format that crew members may use when preparing for an emergency landing or ditching that will serve as a checklist. The selected format must include responsibilities of each crew member for the purpose of cabin; passenger; galley; and self preparation. All passenger advisory announcements must be included.

VI.             Observations et analyse

Question en litige 1 : Quelle est la norme de contrôle pour les décisions contestées?

[51]           Pour déterminer la norme de contrôle, je m’appuie sur l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009, CSC 12 [Khosa] qui mentionne ce qui suit :

[52]      Suivant l’arrêt Dunsmuir, « [l]orsqu’elles s’acquittent de leurs fonctions constitutionnelles de contrôle judiciaire, les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité non seulement de maintenir la primauté du droit, mais également d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur » (par. 27).

[53]      Le processus de contrôle judiciaire comporte deux étapes. Premièrement, selon Dunsmuir, « [i]l n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle » (par. 57). La « jurisprudence peut permettre de cerner certaines des questions » qui appellent l’application de la norme de la décision correcte ou de celle de la raisonnabilité (par. 57). Et c’est le cas en l’espèce. L’arrêt Dunsmuir rend théorique le débat devant les juridictions inférieures sur la distinction entre le caractère manifestement déraisonnable et la raisonnabilité. On ne nous a cité aucun précédent qui donnerait à croire que la norme de la « décision correcte » est celle qu’il convient d’appliquer aux décisions rendues par la SAI en vertu de l’al. 67(1)c) de la LIPR. Par conséquent, la « jurisprudence » semble suggérer l’adoption de la norme de la « raisonnabilité ».

[54]      La seconde étape de l’analyse vient renforcer cette conclusion lorsque les catégories établies par la jurisprudence ne sont pas concluantes. Il faut alors considérer les facteurs suivants : (1) l’existence ou l’absence d’une clause privative, (2) la raison d’être de la SAI suivant sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause devant la SAI, et (4) l’expertise de la SAI en ce qui concerne la politique d’immigration (Dunsmuir, par. 64). Il faut considérer ces facteurs globalement, en gardant à l’esprit qu’ils ne seront pas nécessairement tous pertinents dans tous les cas. Une démarche contextuelle s’impose. Les facteurs ne doivent pas être considérés comme des critères inscrits sur une liste de vérification qui doivent être analysés un par un, classés et appréciés dans chaque cas pour déterminer si la déférence s’impose ou non. L’évaluation doit être globale. Toutefois, compte tenu des arguments qui nous ont été présentés, je me propose de commenter chacun des différents facteurs relevés dans Dunsmuir qui, à mon avis, font tous ressortir la norme de raisonnabilité.

[52]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[55]      Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

- Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

- Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

- La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

[56]      Dans le cas où, ensemble, ces facteurs militent en faveur de la norme de la raisonnabilité, il convient de déférer à la décision en faisant preuve à son endroit du respect mentionné précédemment. Il n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit au regard du caractère raisonnable. Il s’agit simplement de confirmer ou non la décision en manifestant la déférence voulue à l’égard de l’arbitre, compte tenu des éléments indiqués.

[…]

[64]      L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

[53]           En l’espèce, aucune des deux parties n’a présenté de jurisprudence pour établir la norme de contrôle appropriée. Il n’y a pas de clause privative ni question de droit revêtant une importance capitale pour notre système juridique en l’espèce. Je suis d’avis que la raisonnabilité est le point de départ de la norme de contrôle.

[54]           L’élément le plus substantiel aux fins de l’analyse contextualisée requise pour établir la norme de contrôle est le suivant : le ministre des Transports et ses délégués au sein de Transports Canada sont régis par un régime administratif distinct et particulier. Les décideurs – les inspecteurs de la sécurité des cabines de Transports Canada – possèdent une expertise spéciale dans le domaine de la sécurité des passagers d’un aéronef lors d’une évacuation. Je suis d’avis que le Manuel de l’agent de bord et la Norme relative au Manuel des agents de bord ont notamment pour but d’assurer la sécurité des passagers; l’un des objectifs premiers de la modification proposée en l’espèce était d’améliorer la sécurité des passagers lors d’une évacuation.

[55]           En conséquence, j’en conclus que ces décisions de Transports Canada devraient faire l’objet d’un contrôle judiciaire en regard de la norme de raisonnabilité. Ces décisions commandent la déférence. Je reconnais qu’il existe dans ce contexte différentes marges d’appréciation et je suis d’avis qu’un large éventail d’appréciations devrait s’offrir aux représentants de Transports Canada intervenant dans ce dossier, étant donné que les décisions ayant une incidence sur la sécurité des passagers dans ce contexte s’appuient sur des éléments d’appréciation des faits, de spécialisation et d’expertise.

[56]           Le demandeur, le SCFP, allègue que le contrôle judiciaire devrait être mené dans le cadre d’un examen minutieux. Je n’admets pas que cela soit la règle de droit. Il suffit que la Cour examine la demande de contrôle judiciaire de la décision en regard de la norme de raisonnabilité, en tenant compte du fait que le contexte, à savoir la décision contestée, influe directement sur la sécurité du public voyageur lors d’une évacuation d’urgence d’un aéronef de passagers.

[57]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Question en litige 2 : Les deux décisions autorisant la modification du Manuel de l’agent de bord de Sunwing étaient-elles raisonnables?

A.                Le cadre réglementaire : Règlement de l’aviation canadien, Manuel de l’agent de bord, Norme relative au Manuel des agents de bord

[58]           En l’espèce, la question fondamentale est de savoir si les décisions rendues par Transports Canada sont raisonnables. Je suis d’avis que la décision verbale était raisonnable. En revanche, la décision écrite qui a été rendue par la suite ne l’était pas. Les motifs de mon jugement sont présentés ci-après.

[59]           Nul ne conteste le fait que la modification au Manuel de l’agent de bord de Sunwing doive satisfaire à la Norme relative au Manuel des agents de bord, conformément au paragraphe 705.139 (3) du Règlement de l’aviation canadien selon lequel :

705.139(3) Lorsque la Norme relative au manuel des agents de bord est satisfaite, le ministre approuve les parties du manuel de l’agent de bord portant sur les renseignements visant les procédures de sécurité et les procédures d’urgence contenues dans la partie A de cette norme et toutes les modifications qui sont apportées au manuel.

[soulignement ajouté]

705.139(3) The Minister shall, where the Flight Attendant Manual Standard is met, approve those parts of a flight attendant manual, and any amendments to those parts, that relate to the safety and emergency information contained in Part A of the Flight Attendant Manual Standard.

[emphasis added]

[60]           Je suis d’avis que le MAB modifié est conforme à ce paragraphe de la Norme car, ainsi qu’il a été mentionné, la Norme relative au Manuel des agents de bord est rédigée presque entièrement dans un style télégraphique. Cette Norme ne contient pratiquement aucun texte et ne fait qu’énumérer les éléments dont il faut tenir compte lors d’une modification au manuel de l’agent de bord. La Norme ne précise pas l’information devant être incluse sous un point précis. La disposition réglementaire à l’appui, le paragraphe 705.139 (3) du Règlement de l’aviation canadien, exige uniquement que les prescriptions de la Norme relative au Manuel des agents de bord soient « satisfaites » avant qu’une modification soit approuvée. On pourrait donc faire valoir que le processus qui a été suivi en l’espèce est conforme au paragraphe 705.139 (3) du Règlement de l’aviation canadien, parce que la modification touche l’un des sujets prévus dans la Norme.

[61]           À mon humble avis, toutefois, j’estime que la Norme relative au Manuel des agents de bord n’est pas la seule disposition pertinente régissant les activités d’un exploitant aérien qui souhaite modifier les procédures d’évacuation d’urgence prévues dans son manuel de l’agent de bord. Je suis d’avis qu’un inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada doit suivre les dispositions du Manuel des inspecteurs de la sécurité des cabines (MISC) avant d’approuver ce type de modification au manuel de l’agent de bord. Le MISC définit les rôles et les responsabilités d’un inspecteur de la sécurité des cabines; il définit en fait la description de poste de l’inspecteur ainsi qu’elle a été rédigée et approuvée par le ministre.

[62]           À mon avis, le MISC exige qu’un inspecteur de la sécurité des cabines procède à un examen en deux étapes de la documentation, cet examen étant une condition préalable à l’approbation de toute modification au Manuel de l’agent de bord de Sunwing. Il doit premièrement y avoir un « examen préliminaire ». L’inspecteur de la sécurité des cabines doit ensuite procéder à un « examen approfondi » de la documentation (voir le MISC, page 4-6, par. 4.12) :

Il convient d’entreprendre, rapidement après l’avoir reçue de l’exploitant aérien et avant d’en entreprendre un examen approfondi, un examen préliminaire de la documentation de Sécurité des cabines soumise. Si cet examen préliminaire révèle que cette documentation est complète et d’une qualité jugée acceptable ou que ses lacunes, mineures, peuvent être rapidement corrigées, son examen approfondi peut alors commencer.

[soulignement ajouté]

A preliminary review should be performed prior to a comprehensive review of any Cabin Safety documents and should be conducted promptly after receipt of the operator’s submission. If after preliminary review, the submission appears to be complete and of acceptable quality, or if the deficiencies are minor and can be quickly resolved, then a comprehensive review of the submission may begin.

[emphasis added]

[63]           Le MISC s’applique aux demandes présentées par des exploitants qui touchent « tout document lié à la sécurité des cabines ». Je suis d’avis que la documentation présentée à l’appui de la modification du MAB fait partie des « documents liés à la sécurité des cabines », car la modification porte sur la façon dont les agents de bord doivent mener une évacuation d’urgence en toute sécurité.

[64]           À mon avis, le MISC est une ligne directrice imposée par Transports Canada; les inspecteurs de la sécurité des cabines sont généralement assujettis à cette norme et devraient s’y conformer pour approuver des modifications à un manuel de l’agent de bord. Je suis d’avis que les exigences relatives à la conduite de l’examen préliminaire et de l’« examen approfondi » prévus dans le MISC sont des exigences obligatoires liées à la sécurité. L’utilisation du conditionnel (« devraient ») ne diminue pas cette conclusion concernant la sécurité des passagers. À mon avis, les exigences du MISC ont pour but d’améliorer la sécurité des passagers; or la sécurité des passagers pourrait être compromise si, comme il est indiqué ci-après, les exigences du MISC ne sont pas prises en compte ou ne le sont que partiellement par l’inspecteur de la sécurité des cabines en l’espèce.

B.                 Approbation verbale rendue le 27 novembre 2013

[65]           En l’espèce, la décision verbale de Transports Canada d’approuver la modification proposée au Manuel de l’agent de bord était raisonnable. Je reconnais la nécessité dans le cas présent d’apporter des changements rapidement, lorsque des questions d’efficacité et de sécurité sont en jeu. Les examens préliminaire et « approfondi » ont été regroupés alors que l’aéronef était au sol, dans l’attente de la fin des quatre essais. La décision d’approuver verbalement la modification était raisonnable, en ce que cette décision a facilité efficacement le processus d’essai en offrant une confirmation raisonnable des inefficacités relevées lorsque l’ordre de blocage verbal devait être donné dans tous les cas. L’approbation verbale n’était pas déraisonnable dans les circonstances; il s’agissait d’une décision à court terme, qui était directement liée et qui se limitait strictement aux essais en cours. Le but n’était pas de l’appliquer à des aéronefs transportant réellement des passagers. Il s’agissait d’une décision raisonnable et la demande visant à annuler cette décision est rejetée.

C.                 Décision écrite rendue le 29 novembre 2013

Absence d’« examen approfondi » conformément au MISC

[66]           En revanche, je ne peux conclure que ce qui a été fait après le quatrième essai, et qui a mené à la décision écrite rendue le 29 novembre 2013, constitue un « examen approfondi » selon les exigences du MISC de Transports Canada. À ce sujet, je note que les représentants de Sunwing se sont réunis et ont rédigé une évaluation des risques le 28 novembre 2013, le lendemain de la quatrième démonstration partielle réussie des procédures d’évacuation. Transports Canada savait qu’une évaluation des risques avait été faite, car c’est le Ministère lui-même qui avait commandé cette évaluation. Qui plus est, Sunwing fait référence à l’évaluation des risques dans l’ébauche de bulletin sur la sécurité des cabines qui a été présentée :

[Traduction] L’utilisation de cet ordre verbal a fait l’objet d’une évaluation interne des risques, au terme de laquelle on a conclu à un niveau de sécurité équivalent.

[67]           Je ne peux conclure que l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada, qui était tenu de faire un « examen approfondi » selon le MISC, s’est raisonnablement acquitté de ses obligations en vertu du MISC, en partie du fait que Transports Canada a approuvé la modification au MAB sans examiner l’évaluation des risques que Sunwing avait préparée à la demande même du Ministère.

[68]           Dans la réponse, il est indiqué (comme cela s’est produit) que l’évaluation des risques a conclu qu’il n’y avait eu aucun changement dans les risques, avant et après la modification. Je ne considère pas cela comme une réponse à la demande de contrôle judiciaire. Il appartient à Transports Canada, et non à la Cour, d’effectuer l’« examen approfondi » exigé. Cela signifie qu’il incombe à Transports Canada, et non à la Cour, d’examiner l’évaluation des risques faite par Sunwing : voir Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, aux paragraphes 10 et 11. En l’espèce, l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada aurait dû examiner l’évaluation des risques dans le cadre de l’« examen approfondi » exigé, mais il ne l’a pas fait et cela est déraisonnable.

[69]           On a également fait valoir qu’il n’existe aucune prescription légale obligeant Sunwing à soumettre l’évaluation des risques à l’inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada. Bien que personne ne puisse invoquer pareille obligation, cette objection est à mon humble avis sans fond, car l’obligation de mener un « examen approfondi » incombe à Transports Canada et non à Sunwing. Ayant demandé à Sunwing de procéder à une évaluation des risques, et sachant qu’une telle évaluation avait été faite, Transports Canada aurait agi de manière raisonnable et dans l’intérêt de la sécurité des passagers s’il avait demandé à Sunwing de lui fournir cette évaluation. Transports Canada aurait alors pu examiner cette évaluation avant d’approuver la modification au Manuel de l’agent de bord de Sunwing. J’ajouterais que Transports Canada pourrait également avoir à tenir compte d’autres éléments dans le cadre de l’« examen approfondi » exigé. Il appartient là encore à Transports Canada de déterminer quels doivent être ces autres éléments.

[70]           On laisse entendre que le ministre (Transports Canada) n’a qu’un rôle minimal à jouer dans l’approbation des modifications au MAB, que le ministre n’a qu’à s’assurer que la Norme relative au manuel des agents de bord est « satisfaite » conformément au paragraphe 705.139 (3) du Règlement de l’aviation canadien (RAC). Cette disposition s’énonce comme suit :

705.139(3) Lorsque la Norme relative au manuel des agents de bord est satisfaite, le ministre approuve les parties du manuel de l’agent de bord portant sur les renseignements visant les procédures de sécurité et les procédures d’urgence contenues dans la partie A de cette norme et toutes les modifications qui sont apportées au manuel.

[soulignement ajouté]

705.139(3) The Minister shall, where the Flight Attendant Manual Standard is met, approve those parts of a flight attendant manual, and any amendments to those parts, that relate to the safety and emergency information contained in Part A of the Flight Attendant Manual Standard.

[emphasis added]

[71]           Je conviens que l’utilisation du présent « approuve » traduit généralement une obligation. Je reconnais également, ainsi qu’il fut mentionné précédemment, que la Norme relative au Manuel des agents de bord consiste simplement en une liste d’éléments devant être pris en compte lors de toute modification apportée à un MAB. Je reconnais par ailleurs que la Norme ne précise pas l’information qu’un exploitant aérien devrait, ou ne devrait pas, inclure dans son MAB au sujet de quelque point.

[72]           Cela étant dit, je n’accepte pas l’allégation voulant que le ministre n’a qu’un rôle minimal à jouer dans l’approbation des modifications au MAB en vertu du paragraphe 705.139 (3) du RAC, si ce n’est que de s’assurer que chacun des éléments de la Norme est abordé. Le rôle de Transports Canada n’est pas simplement de s’assurer que chaque thème a été abordé, sans tenir compte de ce que l’exploitant aérien inscrit réellement sous chacun de ces thèmes. Une telle approche ne serait pas sécuritaire et serait donc déraisonnable de la part de l’organisme chargé de réglementer la sécurité des aéronefs.

[73]           À mon avis, le paragraphe 705.139 (3) du RAC oblige le ministre ou ses délégués à examiner la substance de toute modification proposée à un MAB. J’estime que le ministre et ses délégués auraient agi de façon raisonnable en s’assurant que le libellé utilisé décrit d’une manière intelligente et raisonnable des procédures d’évacuation d’urgence sécuritaires. C’est dans ce contexte qu’il m’apparaît que Transports Canada a agi de façon déraisonnable, en omettant d’examiner l’évaluation des risques faite par Sunwing. L’inspecteur de la sécurité des cabines aurait notamment dû procéder à un « examen approfondi » de la documentation comme l’exige le MISC. Je suis d’avis que la Norme relative au Manuel des agents de bord, le MAB et le MISC s’harmonisent avec le paragraphe 705.139 (3) du RAC et qu’ensemble ces documents obligeaient Transports Canada à faire un « examen approfondi » axé sur la sécurité de la modification proposée au MAB de Sunwing.

[74]           De plus, ainsi qu’il fut mentionné précédemment, le MISC définit en quelque sorte la « description de poste » de l’inspecteur de la sécurité des cabines, conformément aux politiques et aux procédures de Transports Canada. Ces inspecteurs sont autorisés à approuver ou à rejeter les modifications proposées à un MAB. À mon avis, il était de la responsabilité de l’inspecteur de la sécurité des cabines chargé d’étudier la modification proposée au MAB d’appliquer le paragraphe 705.139 (3) du RAC et le MISC et donc de procéder à l’« examen approfondi » axé sur la sécurité qui était exigé.

[75]           En l’espèce, une étape a été omise dans le processus décisionnel, du fait qu’aucun « examen approfondi » n’a été fait. À mon humble avis, il est raisonnable et à bon droit d’exiger un « examen approfondi » : aussi utile fut-elle lorsqu’elle fut approuvée verbalement aux fins du quatrième essai, la modification proposée au MAB, une fois approuvée par écrit, aurait une incidence sur la sécurité réelle des passagers et des membres d’équipage s’il devait réellement y avoir évacuation d’urgence. Le fait que Transports Canada n’ait pas mené l’« examen approfondi » requis sème le doute sur l’intégrité de la décision finale, au point de pouvoir miner la confiance en l’application de son mandat en matière de sécurité des passagers aériens. Cette lacune pourrait mettre en danger la sécurité des passagers et de l’équipage durant une évacuation d’urgence, ainsi qu’il est énoncé ci-après. Je suis donc d’avis que le défaut de mener un « examen approfondi » était déraisonnable en l’espèce, notamment du fait que l’évaluation des risques commandée par Transports Canada n’a été ni examinée ni prise en compte par le Ministère lui-même.

D.                Autres questions liées à la raisonnabilité de la décision

[76]           Outre le caractère déraisonnable basé sur le défaut de mener un « examen approfondi », qui a été mentionné précédemment, le SCFP a soulevé d’autres questions au sujet de la décision de Transports Canada d’approuver le MAB modifié.

L’anecdote

[77]           Premièrement, lorsqu’il a parlé au nom de l’équipe de Transports Canada ou en son nom personnel, l’inspecteur de la sécurité des cabines Mayne a déclaré que le fait de rendre l’ordre de blocage verbal non obligatoire raccourcirait le temps nécessaire pour la démonstration partielle. Cette suggestion faisait suite à une anecdote qu’il avait relatée, l’inspecteur Mayne ayant déclaré à Sunwing que, alors qu’il travaillait à bord d’un aéronef ayant dû faire un atterrissage d’urgence, il avait été en mesure de se rendre de l’arrière de l’appareil jusqu’à la porte avant que quelque passager se lève de son siège, et ce, sans avoir à donner d’ordre de blocage. À mon humble avis, que Transports Canada se base sur ce récit anecdotique pour approuver la modification au MAB pose problème, car rien n’a été dit au sujet du type d’appareil ou de la taille de l’appareil à bord duquel travaillait l’inspecteur Mayne au moment de l’incident. On ne sait pas s’il s’agissait d’un aéronef de faible ou de gros tonnage, si l’appareil comptait de nombreuses issues ou s’il n’y en avait que quelques-unes, si les issues se trouvaient loin, ou près, du passager le plus éloigné, et si cette expérience était récente ou non. Il serait déraisonnable de se fier à cette anecdote sans évaluer ces variables, car la question n’était pas de savoir à quelle vitesse un agent de bord pouvait atteindre une porte et l’ouvrir de façon générale, mais bien de savoir à quelle vitesse cela pouvait être fait à bord d’un appareil de la série Boeing 737-800 qui faisait l’objet du litige en l’espèce. Je reconnais que ces variables auraient été connues de l’inspecteur de la sécurité des cabines Mayne qui a relaté l’anecdote et qui a approuvé verbalement la modification au MAB. Tout compte fait, je ne suis pas porté à considérer cet aspect de la décision comme étant déraisonnable en soi, même si le dossier est loin d’être totalement transparent sur ce point, en raison de la déférence due à ce décideur spécialisé.

Économies de temps « découvertes »

[78]           Deuxièmement, le SCFP conteste le passage dans l’ébauche du bulletin sur la sécurité des cabines faisant référence au temps nécessaire pour ouvrir les portes de la cabine, Sunwing disant avoir « découvert » qu’il fallait moins de temps lorsque l’ordre de blocage verbal n’était pas donné :

[traduction] Nous avons constaté que l’équipage de cabine pouvait ouvrir une porte armée en moins de temps qu’il n’en faudrait à un passager pour détacher sa ceinture de sécurité et se ruer vers la sortie. Le temps de réponse nécessaire pour ouvrir les issues sera réduit, en évaluant les conditions à l’extérieur et en ouvrant immédiatement les portes.

[79]           Il me semble que cette affirmation pose problème si elle laisse croire que l’économie de temps a été découverte grâce aux quatre essais, car l’ordre de blocage verbal a eu peu, ou pas, d’incidence sur l’incapacité de Sunwing de réussir les trois premières démonstrations. Il est vrai que la quatrième démonstration partielle s’est déroulée plus rapidement que les trois autres et que l’ordre de blocage verbal n’a pas été utilisé durant ce dernier essai. Tout compte fait, cette conclusion de la part des représentants de la sécurité de Sunwing et de Transports Canada est raisonnable.

Essai de chronométrage – Temps requis par l’agent de bord par rapport à celui requis par un passager

[80]           Troisièmement, le SCFP conteste la pertinence de l’essai mené par Sunwing pour déterminer combien de temps il faudrait à un agent de bord pour aller de son strapontin à une porte. Il m’apparaît très problématique de dépendre de cet essai, car aucun chronomètre n’a été utilisé; qui plus est, les estimations de temps semblent être approximatives (trois à quatre secondes ou plus). De plus, ce test est peu ou pas pertinent, car il ne porte pas sur la question en litige, à savoir combien de temps il faudrait à un passager pour déboucler sa ceinture de sécurité, quitter son siège et atteindre la porte. Ce temps aurait pu être très différent de celui dont aurait eu besoin un agent de bord pour aller de son strapontin à la porte. La dépendance à l’égard de cet exercice jette également un doute sur la raisonnabilité pour Transports Canada de se fier à cet aspect de l’économie de temps « découverte ».

Aucune documentation complémentaire n’a été fournie

[81]           Dans une optique plus générale, le SCFP conteste le fait que Sunwing n’a fourni à Transports Canada aucune documentation complémentaire à l’appui de la lettre rogatoire et de l’ébauche du bulletin sur la sécurité des cabines. Je reconnais qu’aucune donnée mesurable ou vérifiable n’a été présentée à l’appui de la modification proposée au MAB. Les observations présentées par Sunwing étaient presque entièrement basées sur l’expérience des participants aux essais menés par Sunwing, et sur les commentaires des représentants de Transports Canada présents durant les deux jours d’essai. Cela étant dit, je ne trouve pas que ces préoccupations soient déraisonnables en soi, étant donné l’expérience des décideurs et la nature factuelle des enquêtes sur la sécurité. Cette question met toutefois en lumière les problèmes découlant du fait qu’aucun « examen approfondi » n’a été effectué, un élément que j’ai déjà qualifié de déraisonnable en l’espèce.

Absence d’évaluation des risques pour l’équipage

[82]           Cinquièmement, le SCFP laisse entendre qu’un agent de bord pourrait être piétiné ou même poussé hors de l’appareil durant une évacuation si l’ordre de blocage verbal n’était pas donné, et que des passagers pourraient même mourir dans certaines circonstances en l’absence d’ordre de blocage obligatoire. À ce sujet, le SCFP conteste l’évaluation des risques produite par Sunwing, même si celle-ci n’a été ni communiquée à Transports Canada, ni examinée par le Ministère. Transports Canada a reconnu que de nombreux décès pouvaient survenir dans certaines circonstances sans ordre de blocage verbal. Cependant, l’évaluation des risques de Sunwing ne fait aucune mention de multiples décès, des « blessures graves » étant le risque le plus grave mentionné. Je suis d’accord avec le SCFP que l’évaluation des risques peut comporter des failles, vu le défaut de reconnaître les multiples décès comme étant un risque qu’il serait raisonnable d’évaluer. Cependant, je conviens avec les défendeurs que de multiples décès pourraient survenir, avec ou sans ordre de blocage obligatoire. Là encore, le règlement de ce litige met en lumière des faits que j’ai déjà fait valoir, à savoir le caractère déraisonnable, pour la sécurité des passagers et de l’équipage, de la décision que Transports Canada a rendue sans tenir compte de l’évaluation des risques qu’il avait lui-même commandée dans le cadre de l’« examen approfondi » exigé. De fait, je suis loin d’être certain que quelque « examen approfondi » ait été fait.

[83]           Cela étant dit, il n’appartient pas à la Cour saisie de la demande de contrôle judiciaire de déterminer si l’évaluation des risques réalisée par Sunwing appuie la demande présentée par Sunwing de modifier son MAB. Cette évaluation relève de la compétence d’un inspecteur de la sécurité des cabines de Transports Canada. Ces inspecteurs possèdent l’expertise nécessaire pour déterminer si l’évaluation des risques a su adéquatement reconnaître et évaluer le risque de multiples décès, en plus du risque de blessures graves. Aucune évaluation de ce type n’a été faite en l’espèce.

VII.          Conclusion

[84]           La cour de révision doit examiner la décision dans son ensemble; le contrôle judiciaire ne se veut pas une chasse aux erreurs, ligne après ligne. De nombreux éléments et facteurs doivent être pris en considération dans la décision de Transports Canada d’approuver la modification au MAB. L’évaluation du caractère raisonnable global de la décision ne consiste pas simplement à faire la somme des points positifs que j’ai mentionnés précédemment, puis à en soustraire les éléments négatifs.

[85]           Après examen des deux décisions dans leur ensemble, j’en conclus que la décision d’approuver par écrit la modification demandée par Sunwing était déraisonnable. Le défaut de mener un « examen approfondi » tenant compte de l’évaluation des risques, combiné aux autres lacunes soulevées, prive la décision des justifications nécessaires. Il en résulte également que la décision ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’exige la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et la décision écrite rendue le 29 novembre 2013 est annulée.

[86]           Je ne peux conclure que la décision verbale dans son ensemble était déraisonnable. Il s’agissait d’une décision préliminaire temporaire. Transports Canada a donné son approbation verbale pour permettre la tenue du quatrième essai. Je suis d’avis que la décision verbale est devenue périmée une fois le quatrième essai terminé; Sunwing ne pouvait pas modifier officiellement son MAB sur la base d’une approbation verbale. Si Sunwing voulait que la modification soit maintenue, Sunwing devait présenter une demande officielle pour que son MAB soit modifié; Sunwing ne pouvait plus se baser sur la décision verbale. Pour ces motifs, la demande visant à annuler la décision verbale approuvant la modification au MAB est rejetée.

VIII.       Suspension

[87]           Il ressort de ce qui précède, et j’en conviens, que la modification au MAB demandée par Sunwing et acceptée ne peut être abrogée ni abrogée et remplacée du jour au lendemain, en raison du processus même de modification du MAB, de la formation d’appoint devant être offerte au personnel et d’autres éventualités qui pourraient ne pas avoir été prises en compte. Il m’apparaît également que l’annulation de la décision écrite autorisant la modification du MAB devrait être suspendue durant une période courte, mais raisonnable, pendant laquelle Sunwing pourrait décider de revenir de manière ordonnée au libellé antérieur du MAB, ou d’entreprendre un nouveau processus de modification du MAB auprès de Transports Canada.

[88]           Pour ces motifs, je vais suspendre l’annulation de la décision écrite rendue le 29 novembre 2013 pour une période de 30 jours à compter de la date du dépôt du présent arrêt.

[89]           Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord avec cette suspension ou sa durée, elle peut présenter des observations en faveur d’une durée de suspension différente ou de la levée de la suspension.

Question en litige 3 : La demande de contrôle judiciaire est-elle vexatoire?

[90]           Même s’il eût peut-être été plus efficace d’entendre les deux demandes de Sunwing ensemble, je ne peux déclarer que la demande était vexatoire. Je rejette donc cet argument.

IX.             Dépens

[91]           J’ai demandé des observations concernant le montant global des dépens à attribuer. Si le demandeur a gain de cause, les parties ont convenu que des dépens d’un montant de 8 000 $ lui seront attribués, chaque défendeur devant verser 4 000 $; si les défendeurs ont gain de cause, le demandeur versera à chacun des dépens d’un montant de 5 000 $. Quel que soit le cas, les « dépens » font référence à un montant global unique, incluant les honoraires, débours et taxes.

[92]           Comme le demandeur a eu gain de cause, et comme son état de frais est raisonnable, j’alloue au demandeur des dépens d’un montant de 8 000 $, chaque défendeur devant verser 4 000 $. Les « dépens » font ici référence à un montant global unique qui inclut les honoraires, débours et taxes. Si j’avais rendu une décision en faveur des défendeurs, j’aurais accepté leur proposition comme étant raisonnable et leur aurait attribué des dépens en conséquence.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision du ministre communiquée par lettre datée du 29 novembre 2013 est annulée et l’affaire est renvoyée à un différent décideur pour révision.

3.                  La demande visant à faire annuler la décision verbale rendue par le ministre le 27 novembre 2013 est rejetée.

4.                  Des dépens d’un montant de 8 000 $ sont alloués au demandeur, chaque défendeur devant lui verser un montant de 4 000 $; les « dépens » s’entendent d’un montant global unique qui inclut les honoraires, débours et taxes.

5.                  Le jugement est suspendu pour une période de trente (30) jours à partir de la date des présentes; chaque partie est libre de présenter des observations écrites dans les quatorze jours de la date des présentes si elle estime que la durée de cette suspension devrait être différente ou que la suspension devrait être levée.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2056-13

 

INTITULÉ :

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE c. CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

SUNWING AIRLINES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Stephen J. Moreau

Nadia Lambek

 

Pour le demandeur

 

Sean Gaudet

POUR LE DÉFENDEUR

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

 

M. Paul Michell

Matthew Law

 

POUR LE DÉFENDEUR

SUNWING AIRLINES INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

SUNWING AIRLINES INC.

 

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