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Date : 20160209

Dossier : IMM-3216-15

Référence : 2016 CF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

WENBIN LU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [Loi], à l’encontre d’une décision rendue par un agent des visas [agent] en date du 3 juillet 2015 [décision], dans laquelle il a été conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences d’immigration au Canada en qualité de membre de la catégorie du regroupement familial et que sa demande de visa de résident permanent était refusée.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est né le 8 août 2007 et est un citoyen de la Chine. Son père, Xuzhao Lu [parrain], ainsi que sa mère et ses deux sœurs vivent tous actuellement au Canada.

[3]               Le parrain a entamé le processus de demande de résidence permanente en 2008 par l’intermédiaire de son employeur et du programme des immigrants désignés de l’Alberta, connu sous le nom Alberta Immigrant Nominee Program [AINP]. Le parrain affirme qu’il hésitait à signaler la naissance du demandeur puisqu’il craignait qu’en incluant le demandeur, sa demande soit censurée par les autorités chinoises et que sa famille subirait de graves conséquences ainsi que des sanctions financières en raison de la politique stricte de l’enfant unique en vigueur en Chine.

[4]               La demande de résidence permanente du parrain incluait sa femme et son premier enfant, une fille. Après avoir obtenu sa résidence permanente au Canada en 2009 par voie du programme AINP, le parrain a économisé suffisamment d’argents dans le cadre de son travail comme découpeur de viande afin de payer l’amende imposée par les autorités chinoises pour enregistrer le demandeur en tant que membre de la famille (environ 15 000 $CAN). Le parrain a ensuite commencé à s’informer sur les démarches à prendre pour faire entrer le demandeur au Canada avec sa mère et sa sœur.

[5]               Le parrain affirme avoir reçu des renseignements inexacts de la part du représentant des ressources humaines de son employeur, qui lui a demandé de communiquer avec l’agent ayant traité sa demande en vertu du programme AINP afin de lui signaler directement le changement dans sa situation familiale. Le parrain précise qu’il a par la suite appris que l’agent ne travaillait plus au sein de l’équipe du programme AINP et qu’on l’a conseillé d’attendre à ce qu’il obtienne sa citoyenneté avant de présenter une demande d’adoption du demandeur. Par conséquent, il a poursuivi les demandes de résidence permanente pour sa femme et sa fille (qui sont arrivées au Canada en mai 2010) sans signaler la naissance du demandeur aux autorités canadiennes. Le parrain s’est rendu en Chine en avril 2009 pour visiter le demandeur.

[6]               Peu après la naissance du troisième enfant du parrain et de sa femme au Canada, la famille au complet s’est rendue en Chine pour visiter le demandeur en octobre 2011. Le parrain affirme avoir envoyé régulièrement de l’argent en Chine au demandeur et à ses soignants, c’est­à­dire ses grands­parents. Il ajoute aussi leur avoir remis en 2012 les profits réalisés sur la vente de sa propriété en Chine.

[7]               Le parrain a obtenu la citoyenneté canadienne le 25 avril 2014. En novembre 2014, il a soumis une demande à Citoyenneté et Immigration Canada pour parrainer le demandeur sur des motifs d’ordre humanitaire, l’accent étant mis sur les difficultés que le demandeur aurait à affronter si la demande était refusée. Les soignants du demandeur en Chine présentent des troubles de santé graves imputables au vieillissement, et le parrain a affirmé qu’ils ne sont plus en mesure de prendre soin du demandeur. Le parrain a également soutenu que sa femme souffre de dépression découlant de la séparation de son enfant. Le parrain fait valoir qu’il a suivi les procédures appropriées pour arriver au Canada et que la situation troublante dans laquelle se trouve sa famille découle des conseils inexacts qui lui ont été fournis par une personne en qui il avait confiance.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               Une lettre envoyée par l’agent en réponse à la demande du parrain visant à parrainer le demandeur inclut les motifs de la décision datée du 3 juillet 2015. L’agent y affirme que, même si l’alinéa 117(9)d) s’applique dans ce cas, sous réserve de l’éventuelle application du paragraphe 117(1), l’exemption prévue au paragraphe 117(1) du Règlement sur la protection sur l’immigration et des réfugiés, DORS/2002­227 [Règlement], ne s’applique pas au demandeur puisque son parrain a omis de l’inclure dans sa demande de résidence permanente et à l’obtention de son droit d’établissement. En raison de cette non­divulgation, un agent ne pouvait pas décider que le contrôle du demandeur n’était pas exigé par la Loi. Par conséquent, il a été conclu que le demandeur est exclu du regroupement familial.

[9]               Pour donner suite à la demande du demandeur visant l’examen des motifs d’ordre humanitaire en application de l'article 25 de la Loi, l’agent a conclu que la demande du demandeur ne présentait pas des motifs suffisants pour justifier une considération favorable. Plus précisément, l’agent n’était pas convaincu que le parrain n’a pas exclu intentionnellement le demandeur de sa demande de résidence permanente soumise en mars 2009. Bien que le parrain ait indiqué ne pas avoir signalé la naissance du demandeur par crainte d’éventuelles répercussions, il a été en mesure de payer l’amende pour cause de violation de la politique de l’enfant unique en juillet 2009, puis d’obtenir un acte de naissance pour le demandeur en septembre 2009. L’agent allègue que, même si le parrain avait pu inclure le demandeur dans sa demande, il a choisi de ne pas le faire.

[10]           De plus, l’agent n’a pas jugé que les difficultés signalées par le demandeur étaient inhabituelles, injustifiées ou excessives puisqu’elles découlaient directement d’un choix fait par le parrain, qui aurait été au courant des répercussions possibles de la séparation. Le parrain aurait pu entamer le processus de parrainage immédiatement après avoir obtenu sa résidence permanente, mais il a retardé le processus jusqu’à ce qu’il obtienne la citoyenneté canadienne en 2014. Rien n’empêche le parrain de visiter le demandeur, et le demandeur peut faire une demande de visa de résident temporaire pour venir visiter le parrain et sa famille au Canada.

[11]           Le parrain a indiqué à l’agent que les possibilités pour le demandeur de mener une bonne vie sont limitées en raison de l’âge et de l’état de santé de ses soignants. Par conséquent, il serait dans l’intérêt supérieur du demandeur, qui est un enfant, de pouvoir venir au Canada pour être réuni avec sa famille. L’agent a répondu à ces arguments en indiquant que [traduction] « l’intérêt supérieur de l’enfant n’est que l’un des nombreux facteurs importants dont le décideur doit tenir compte lorsqu’il rend une décision pour motif d’ordre humanitaire qui touche directement un enfant. »

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Le demandeur avance que ce qui suit est en litige dans la présente instance :

1.      La décision de l’agent était­elle déraisonnable et fondée sur une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire?

2.      L’agent a­t­il appliqué le mauvais critère juridique pour analyser l’intérêt supérieur de l’enfant?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[13]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] a conclu qu’il n’est pas requis d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. En revanche, lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie en jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[14]           La première question porte sur l’évaluation globale du caractère raisonnable de la décision et elle sera examinée selon la norme de la décision raisonnable, avec déférence à l’égard de la décision : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. La deuxième question cherche à déterminer si un mauvais critère juridique a été appliqué et, s’il s’agit d’une pure question de droit, cette question sera réexaminée selon la norme de la décision correcte. Dunsmuir, précité, au paragraphe 128; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61; McKenzie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 719, au paragraphe 52.

[15]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon le caractère raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Visa et documents

Application before entering Canada

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Parrainage de l’étranger

Sponsorship of foreign nationals

13. (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada —other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[17]           Les dispositions suivantes du Règlement sont applicables en l’espèce :

Regroupement familial

Member

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

[…]

[…]

Restrictions

Excluded relationships

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[…]

[…]

(d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

VII.          ARGUMENTS

A.                Première question en litige : La décision de l’agent était­elle déraisonnable et fondée sur une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire?

(1)               Demandeur

[18]           Le demandeur avance que la décision était entièrement déraisonnable. L’agent a mis presque exclusivement l’accent sur l’omission du parrain de divulguer l’existence du demandeur, indiquant au moins à cinq reprises que le parrain a fait le choix de ne pas inclure le demandeur dans la demande. Le demandeur soutient aussi que l’agent n’a pas fait un examen équitable et adéquat des facteurs d’ordre humanitaire, conformément à l’article 25 de la Loi : Sultana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533 [Sultana].

[19]           Comme l’a maintenu la Cour fédérale dans la décision Gan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 824 [Gan] :

[9]        Trancher une demande CH présentée par une personne dont la demande est autrement irrecevable sur le même fondement, ou à peu près le même fondement, que celui qui a motivé la conclusion d’irrecevabilité va à l’encontre de l’intention du législateur de créer un processus distinct à l’égard des demandes CH. La demande CH appelle donc une décision sur le fond, qui fait abstraction dans la mesure du possible de la grave inconduite répétée que la mère a commise en omettant de déclarer la demanderesse à titre de membre de sa famille.

[20]           Un demandeur a le droit d’obtenir une évaluation authentique et sans restriction de sa demande CH, distincte dans la mesure du possible de la demande de parrainage présentée par le parrain : Gan, précité, au paragraphe 7; Weng (Tutrice à l’instance de) c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 778, au paragraphe 36 [Weng]. En l’espèce, l’agent n’a pas effectué une telle analyse et, par conséquent, la décision ne peut être maintenue.

[21]           Le demandeur fait également valoir qu’il est incompréhensible que l’agent ait conclu qu’un garçon de huit ans n’a pas éprouvé des difficultés excessives découlant d’une séparation essentiellement permanente de ses parents. Le fait que les parents n’ont pas visité le demandeur depuis 2011 ne devrait pas être interprété comme un fait qui amoindrit les souffrances du demandeur. Par conséquent, l’agent n’aurait pas évalué véritablement les considérations d’ordre humanitaire. Le demandeur soutient que l’agent lui a reproché les erreurs commises par ses parents à un point tel que sa décision a été fondée sur une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire.

[22]           Le demandeur affirme que l’agent n’a pas mentionné, ni même analysé, divers facteurs importants d’ordre humanitaire de la demande, y compris l’authenticité de la relation entre le demandeur et le parrain; la dépendance financière du demandeur à l’égard de son parrain, et les besoins affectifs de la famille. Le parrain et sa famille ont envoyé régulièrement de l’argent au demandeur en Chine, ils ont fourni au demandeur les profits réalisés sur la vente de leur propriété en Chine et ils ont visité le demandeur quatre mois après la naissance de leur troisième enfant au Canada. De plus, la mère du demandeur est prise de remords accablants découlant de la séparation des membres de sa famille, et elle a reçu un diagnostic clinique de dépression. Ces détails démontrent clairement des liens familiaux solides.

[23]           D’autres facteurs positifs n’ont également pas été traités, notamment la conduite du parrain au moment de présenter sa propre demande : Sultana, précité. Le parrain a suivi les procédures appropriées pour arriver au Canada en tant que travailleur étranger temporaire, et il a travaillé dur pour sa famille pour que sa demande en vertu du programme AINP soit retenue.

(2)               Défendeur

[24]           Le défendeur soutient que l’évaluation de la preuve menée par l’agent était raisonnable et conforme à l’article 11 de la Loi. Il incombait au demandeur de présenter les éléments de preuve relatifs aux circonstances du demandeur, et non aux circonstances du parrain, afin de convaincre l’agent qu’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire. Le demandeur ne s’est pas acquitté de cette obligation et n’a pas été en mesure de démontrer que la décision était fondée sur une conclusion vraiment erronée, tirée de façon arbitraire et sans égard à la preuve.

[25]           Ni l’alinéa 117(9)d) ni les résultats de la décision de l’agent ne sont de nature punitive. L’alinéa 117(9)d) n’entre pas en conflit avec l’objet de réunification des familles stipulé à l’article 3 de la Loi. De plus, son application à la décision n’empêche pas le demandeur de se réunir ultimement avec ses parents puisqu’il y a d’autres façons d’obtenir le statut de résident permanent au Canada.

[26]           Le défendeur soutient que les arguments du demandeur contestent la manière dont l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire pour examiner la preuve. Bien que la réunification des familles soit l’un des nombreux objets de la Loi, un agent a le droit d’accorder un poids déterminant à la conduite du parrain, y compris ses fausses déclarations : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125.

[27]           Le défendeur soutient que rien dans la preuve n’indique que les demandes CH du demandeur n’ont pas été prises en considération. L’agent a pris en compte, ou est présumé avoir pris en compte, toutes les circonstances du demandeur et de sa famille, et il était au courant de la preuve relative aux motifs d’ordre humanitaire, y compris le jeune âge du demandeur, la situation d’emploi, le statut familial au Canada et en Chine, et l’authenticité de la relation du demandeur avec le parrain et les autres membres de sa famille. Le défendeur fait mention explicite de la [traduction] « preuve relative aux motifs d’ordre humanitaire » soumise par le demandeur, puis il affirme que la décision de l’agent satisfait aux exigences stipulées dans l’arrêt Dunsmuir relativement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ».

[28]           L’agent n’était pas tenu de prendre en considération l’intérêt supérieur du demandeur à l’avenir. Aucune preuve ou demande n’a été soumise pour présenter les risques futurs ou les possibles répercussions négatives qui pourraient être pris en considération. De plus, les répercussions futures correspondent à un facteur déterminant en droit de la famille qui ne s’applique pas nécessairement au contexte de l’immigration : Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana].

(3)               Réponse du demandeur

[29]           Le demandeur affirme dans d’autres observations qu’il n’est pas clair sur quels motifs le défendeur se base pour proposer que le seul élément de preuves pertinent à examiner est celui des circonstances du demandeur et non celui des circonstances du parrain. Le demandeur ne peut trouver aucun motif voulant que les circonstances du parrain ne soient pas également pertinentes, surtout lorsque les facteurs d’ordre humanitaire sont liés à une demande de parrainage familial déposée en raison de la séparation des membres de la famille.

[30]           Bien que le défendeur allègue que le demandeur ne fait que contester les conclusions de l’agent et que cela n’est pas suffisant pour juger qu’une décision est déraisonnable, le demandeur soutient qu’il a présenté divers facteurs d’ordre humanitaire détaillés qui n’ont pas été examinés par l’agent. Le demandeur ajoute que, même si l’agent était [traduction] « au courant de la preuve », cela ne signifie pas qu’il a effectué l’analyse requise de cette preuve. Le demandeur n’allègue pas que les motifs invoqués par l’agent sont insuffisants; il affirme plutôt que le fait de faire une simple mention explicite de la preuve sans effectuer une analyse plus approfondie ne répond pas à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncée dans l’arrêt Dunsmuir. Les motifs doivent permettre à la cour de révision de comprendre pourquoi un décideur a pris une décision et ensuite de déterminer si la conclusion du décideur appartient aux issues acceptables. Dans l’espèce, l’examen insuffisant par l’agent des facteurs d’ordre humanitaire soulevés par le demandeur ne permet pas à la cour de révision de faire une telle évaluation.

[31]           Même si le demandeur a souligné la jurisprudence qui énonce que l’un des objets de l’article 25 de la Loi est d’atténuer les répercussions draconiennes découlant de l’alinéa 117(9)d), il n’a pas, comme l’a laissé entendre le défendeur, soutenu que l’alinéa 117(9)d) entre en conflit avec l’objet de réunification des familles. Sultana, précité, au paragraphe 25.

[32]           Le demandeur avance que la suggestion faite par le défendeur, à savoir que l’alinéa 117(9)d) n’empêche pas le demandeur à se réunir avec les membres de sa famille puisqu’il y a d’autres moyens de demander une résidence permanente, frôle l’absurde. Le demandeur ne peut pas être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(9)d) et, puisque le demandeur est un enfant âgé de 8 ans, il ne peut pas faire une demande de résidence permanente d’une façon autre que par le parrainage familial.

B.                 Deuxième question en litige : L’agent a­t­il appliqué le mauvais critère juridique pour analyser l’intérêt supérieur de l’enfant?

(1)               Demandeur

[33]           En ce qui concerne la deuxième question en litige, le demandeur fait valoir que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique, obligeant ainsi le demandeur à prouver qu’il éprouverait des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou excessives », au lieu de tenir compte de l’intérêt supérieur du demandeur et de le soupeser au regard des autres facteurs d’ordre humanitaire.

[34]           Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés. Par conséquent, le concept de « difficultés injustifiées » ne convient pas à l’évaluation de l’intérêt supérieur d’un enfant. Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 9. Bien que l’emploi du mot « difficulté » par un agent ne signifie pas automatiquement qu’une analyse du seuil de difficulté ait été appliquée, le demandeur soutient que, dans la présente affaire, l’emploi répété de ce mot et l’omission d’effectuer une analyse adéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant – en fait, une seule mention directe d’une telle analyse a été faite – indiquent que l’agent a effectivement appliqué le mauvais critère juridique. Weng, précité, aux paragraphes 22 et 23.

[35]           Pour effectuer une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent doit être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Kolosovs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165 [Kolosovs]. L’agent affirme que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est seulement un des facteurs à examiner avant de prendre une décision pour considération d’ordre humanitaire, mais il ne s’est pas penché sur ces autres facteurs. Il s’avère fort problématique que l’agent n’a pas tenu dûment compte de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, même après que le demandeur a soulevé cette question. De plus, puisque l’agent a appliqué le critère des difficultés, il n’est pas demeuré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur du demandeur.

[36]           Le demandeur soutient en outre que l’agent n’a pas pris en considération ou soupesé les soins de longue durée du demandeur en Chine au regard des autres facteurs d’ordre humanitaire. Cette omission est particulièrement préoccupante puisque l’état de santé des soignants du demandeur détériore; le père du parrain présente des symptômes analogues à ceux d’un accident vasculaire cérébral, et la mère du parrain souffre de diabète et d’hypertension. La sœur cadette du parrain réside aussi en Chine, mais elle n’a aucun intérêt à prendre en charge le demandeur. Il n’y a donc aucune autre possibilité de soignant à long terme pour le demandeur en Chine.

[37]           Bien qu’un agent des visas doive envisager la réunification de la famille au Canada lorsqu’il examine les facteurs de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent en l’espèce a omis de prendre en considération le facteur de réunification et de le soupeser au regard des autres facteurs : Phyang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 81, au paragraphe 20 [Phyang]. La décision n’indique pas clairement s’il est dans l’intérêt supérieur du demandeur d’habiter en Chine sans les membres de sa famille et de seulement les voir lorsqu’ils peuvent se rendre en Chine, ou encore, de vivre loin de sa famille qui demeure au Canada.

[38]           Le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de ses deux sœurs qui, en tant qu’enfants, auraient dû être traitées séparément : Weng, précité, au paragraphe 32. Les deux sœurs du demandeur, âgées d’environ 12 ans et 4 ans, sont des enfants à charge directement touchés par le fait que leur frère réside actuellement en Chine.

[39]           Le demandeur soutient que, dans l’ensemble, l’agent a fait preuve d’un grand manque de sensibilité et d’empathie dans sa décision. Il n’a pas reconnu les souffrances qu’une décision défavorable occasionnerait pour le demandeur, et il lui a sans cesse répété que ses parents avaient choisi de le laisser en Chine. Une analyse adéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément aux exigences de Kolosovs, précité, n’a jamais été menée. Ainsi, la décision devrait être abrogée.

(2)               Défendeur

[40]           Le défendeur soutient que, selon la jurisprudence, l’intérêt supérieur d’un enfant n’est pas une question distincte des difficultés éprouvées; les circonstances personnelles d’un enfant touché par une demande de résidence permanente en attente d’une décision ne sont pratiquement pas dissociables. L’agent n’a pas omis de prendre en compte la situation personnelle du demandeur. Il serait donc peu pratique de lui demander de tirer des conclusions parallèles quant à l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui équivaudrait à tirer une conclusion raisonnable fondée sur celles­ci.

[41]           Cette affaire, affirme le défendeur, se distingue de l’arrêt Kolosovs, précité. Dans l’affaire Kolosovs, le demandeur était à la fois l’enfant touché et le demandeur; beaucoup moins d’éléments de preuve ont été soumis en l’espèce. Par ailleurs, même si l’intérêt supérieur d’un enfant est d’une importance primordiale, il ne constitue pas un facteur déterminant pour trancher la question dont était saisi l’agent.

[42]           En ce qui concerne le fardeau de la preuve lorsqu’il est question de considérations d’ordre humanitaire, il revient incontestablement au demandeur de soumettre des observations à l’appui de sa demande : voir Kisana, précité, au paragraphe 35. Aucune obligation n’est imposée à l’agent de prendre en compte toutes les observations possibles qui pourraient avoir été soumises. Les observations présentées en l’espèce touchaient principalement le parrain, et non le demandeur. Aucune observation n’a été faite (autre qu’une déclaration générale des difficultés éprouvées) à savoir pourquoi une vie au Canada offrirait au demandeur de meilleures possibilités qu’en Chine, ou la raison pour laquelle la séparation de sa famille lui occasionne des difficultés excessives.

(3)               Réponse du demandeur

[43]           Le demandeur reconnaît qu’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas toujours décisive, et il soutient ne pas s’en tenir à l’affaire Kolosovs pour faire valoir que cet intérêt doit toujours revêtir une importance primordiale. Cette décision est plutôt citée pour ses facteurs critiques, lesquels doivent être pris en compte par l’agent lorsqu’il est question de l’intérêt supérieur d’un enfant, au lieu de s’en tenir à l’analyse des difficultés. L’arrêt Kolosovs n’a pas été infirmé par l’arrêt Kisana. Au contraire, il s’agit toujours d’une loi valide citée plus d’une centaine de fois par la Cour.

[44]           Le demandeur conteste l’affirmation du défendeur selon laquelle une analyse de l’intérêt supérieur d’un enfant n’a pas besoin d’être considérée séparément des difficultés éprouvées puisqu’il s’agit d’un enfant d’âge mineur. Il est établi en droit que le contraire est vrai : voir Phyang, précité, au paragraphe 25. La prise en considération de l’intérêt supérieur d’un enfant est une question délicate. Il faut donc examiner attentivement l’analyse de l’agent, ou l’absence de celle­ci. La prise en compte doit être manifeste, et l’agent doit analyser les circonstances globales du demandeur en misant sur les facteurs visant l’intérêt supérieur d’un enfant. Le demandeur a soumis les facteurs suivants, lesquels n’ont pas été pris en compte par l’agent : le demandeur pleure sans cesse et demande à voir sa famille; ses grands­parents vieillissent et très bientôt ne seront plus en mesure de s’occuper de lui (des rapports médicaux corroborant ce fait ont aussi été soumis); les entretiens téléphoniques avec ses parents et ses sœurs ne peuvent pas remplacer la réunification avec sa famille. Ainsi, il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant de le réunir avec les membres de sa famille au Canada. Le demandeur avance qu’il est possible de déduire ses souffrances de ces seuls faits, et qu’il est évident dans la décision que l’agent ne s’est tout simplement pas montré réceptif, attentif ou sensible à son intérêt supérieur.

VIII.       ANALYSE

[45]           La partie de la décision traitant des observations du demandeur aux termes du paragraphe 25(1) peut, en substance, se résumer comme suit :

a)      Le demandeur (un garçon de huit ans) n’éprouvera aucune difficulté inhabituelle ou excessive découlant de la séparation de ses parents et de ses sœurs s’il reste en Chine puisqu’il s’avère [traduction] « un résultat direct du choix personnel de [son] parrain ».

b)      « Bien qu’il faille accorder un poids considérable aux facteurs touchant les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est que l’un des nombreux facteurs importants dont le décideur doit tenir compte lorsqu’il rend une décision pour motif d’ordre humanitaire qui touche directement un enfant. »

[46]           Le deuxième motif (visant apparemment l’analyse de l’intérêt supérieur d’un enfant) est tout simplement une déclaration générale de la loi. Il n’aborde même pas les particularités en l’espèce et ne tente pas d’expliquer, compte tenu des difficultés auxquelles fera face l’enfant s’il reste en Chine, pourquoi les motifs ne sont pas suffisants pour justifier une considération favorable. L’agent aurait tout aussi bien pu dire : [traduction] « J’ai examiné votre demande et, selon moi, les motifs ne sont pas suffisants pour justifier une considération favorable pour des motifs d’ordre humanitaire. » S’il en était ainsi, en aucun cas une décision pour considération d’ordre humanitaire utilisant ces termes généraux ne serait annulée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Selon la jurisprudence de la Cour, il faut davantage d’éléments de preuve.

[47]           Dans l’arrêt Kim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 244, la Cour a annulé une décision de l’agent énonçant :  « Il n’y a aucun mode d’analyse qui puisse amener le lecteur, au vu de la preuve, à conclure comme l’a fait le décideur et ils ne contiennent aucune explication défendable qui soit conforme à la norme applicable, soit la décision raisonnable. » (au paragraphe 28).

[48]           Les observations du demandeur et les éléments de preuve présentés à l’agent étaient suffisants pour attirer au moins l’attention sur un nombre considérablement élevé de questions soulevées quant aux motifs d’ordre humanitaire. La décision à cet égard comporte une série de conclusions déraisonnables non appuyées par des faits, lesquelles n’étaient pas fondées sur une évaluation judicieuse. L’agent n’était pas du tout ouvert à l’évaluation de la réalité et de l’intérêt supérieur du jeune garçon. Le demandeur et sa famille méritaient bien mieux.

[49]           Les problèmes posés par la décision sont bien énoncés dans les observations du demandeur, et ils peuvent se résumer comme suit :

a)      L’agent se penchait uniquement sur le fait que le parrain n’avait pas déclaré le demandeur comme membre de sa famille, et ce, aux dépens de tous les autres faits. Il n’a donc pas été en mesure d’évaluer véritablement les facteurs d’ordre humanitaire qui lui ont été présentés par le demandeur, ce qui constitue une erreur susceptible de révision. Voir  Sultana, précité, au paragraphe 30, et Gan, précité, aux paragraphes 34 et 35.

b)      Le raisonnement de l’agent voulant que le demandeur ne soit pas aux prises avec des difficultés démesurées puisque son parrain aurait eu l’occasion de lui rendre visite et qu’il avait choisi de ne pas se rendre en Chine au cours des trois dernières années et demie n’était pas raisonnable. Un garçon de huit ans n’a aucun contrôle sur la décision de ses parents de lui rendre visite ni sur l’incidence de leur choix sur les difficultés du demandeur s’ils ne lui rendent pas visite.

c)      L’agent ne détermine et n’aborde aucunement les principales considérations d’ordre humanitaire soumises par le demandeur. Ces considérations sont les suivantes :

                                i.            la relation du demandeur avec les membres de sa famille au Canada, notamment ses deux parents et ses deux sœurs;

                              ii.            la dépendance financière du demandeur sur son parrain, soit son père;

                            iii.            les besoins affectifs de la famille entière. Sa mère, plus particulièrement, souffre de grave dépression parce qu’elle a dû laisser son fils en Chine. Le demandeur pleure constamment puisqu’il veut retrouver sa famille;

                            iv.            les échanges réguliers entre le demandeur en Chine et les membres de sa famille au Canada, ainsi que leur ferme volonté et leur besoin d’être réunis en tant que famille sous un seul toit;

                              v.            la conduite du parrain au moment de présenter sa propre demande;

                            vi.            le fait que la famille a laissé le demandeur avec ses grands­parents en Chine, qui ne pouvait s’en occuper que temporairement jusqu’à ce qu’il puisse être réuni avec sa famille au Canada. Ces derniers vieillissent, et ils ne peuvent plus continuer à s’en occuper puisqu’ils sont atteints d’incapacités. En outre, personne d’autre en Chine ne peut accueillir un garçon de huit ans. Le demandeur n’a donc pas de soignant à long terme;

                          vii.            l’agent ne prend pas en compte l’incidence de son refus sur le bien­être du demandeur (voir Phyang, précité, paragraphe 22);

                        viii.            l’agent n’établit aucunement la nécessité ou la volonté du demandeur d’être réuni avec sa famille au Canada, et il ne soupèse rien en fonction d’autres scénarios possibles.

[50]           Abstraction faite de ces questions d’ordre général, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant visant le demandeur n’est rien de plus qu’un exposé général du droit, et l’intérêt de ses jeunes sœurs au Canada n’est pas pris en compte. Voir l’arrêt Weng, précité, au paragraphe 32.

[51]           En bref, la décision est loin d’être une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable pour une famille comptant trois enfants. Pendant ce temps, un jeune garçon demeure en Chine avec ses grands­parents vieillissants dont la santé est fragile, et ce, sans possibilité de soignant à long terme et sans la présence de sa famille immédiate qui souhaite plus que jamais être réunie avec lui. L’agent en l’espèce semble d’avis que la situation est acceptable, somme toute, puisque le père a choisi de laisser son fils derrière lorsqu’il est lui­même venu au Canada avec sa famille pour s’y établir. Ce très jeune garçon ne peut malheureusement rien faire quant aux choix difficiles qu’a dû faire sa famille en quittant la Chine. Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt Sultana, précité, au paragraphe 36 :

[36]      […]  L’agent d’immigration ne devrait pas avoir à présumer sur la façon dont un enfant sera touché par sa décision, mais il serait ridicule d’exiger que le demandeur fasse une démonstration détaillée et minutieuse des conséquences défavorables d’une telle décision lorsque celles­ci peuvent être déduites des faits qui ont été portés à son attention.

[52]           Les choix de ses parents n’ont rien à voir avec le dénuement dans lequel se trouve actuellement le demandeur. La décision est remplie d’erreurs susceptibles de révision selon l’ancienne loi, et elle devrait faire l’objet d’un réexamen quoi qu’il en soit. Cette loi a changé considérablement depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61.

[53]           Il est troublant pour la Cour que le ministre choisisse de défendre une décision inhumaine comportant autant d’erreurs évidentes susceptibles de révision par son effet sur un jeune enfant, ainsi que sur sa famille immédiate.

[54]           À mon avis, l’agent n’aurait pu parvenir à ces conclusions qu’en ignorant les éléments de preuve dans cette affaire ou en faisant preuve d’aveuglement volontaire quant aux faits dont il disposait, lesquels appuyaient la demande pour considération d’ordre humanitaire.

[55]           L’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F­7, donne à la Cour la capacité d’annuler une décision comportant des directives qu’elle juge inappropriées. Le pouvoir d’ajouter des directives quant à la nature d’un verdict imposé lui est conféré dans l’alinéa susmentionné, mais il s’agit, bien entendu, d’un pouvoir exceptionnel : voir Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31. Même s’il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre conclusion quant à l’issue préférée à celle du décideur précédent, compte tenu des circonstances et de la récente jurisprudence de la Cour suprême du Canada, cette décision se situe tellement en dehors des issues possibles qui pourraient être considérées comme justifiables au regard des faits et du droit, qu’il serait négligent de ma part de ne pas souligner, dans les faits qui me sont présentés, que les arguments avancés sont très convaincants et que l’affaire doit être examinée d’urgence pour veiller à ce que ce jeune demandeur ne soit pas laissé en Chine sans la protection à long terme de membres de sa famille proche. En outre, aucun élément de preuve dont je dispose ne semble aller à l’encontre d’une décision favorable sur des motifs d’ordre humanitaire.

[56]           Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La décision est annulée.

2.      Dans les 30 jours suivant la date de l’ordonnance, un autre agent réexaminera le dossier pour des motifs d’ordre humanitaire et prendra une décision fondée sur mes motifs.

3.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3216-15

 

INTITULÉ :

WENBIN LU c. CANADA (MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE :

Le 9 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Brenda Kwan

Pour le demandeur

 

Norain Mohamed

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Calgary Legal Guidance

Avocats­procureurs

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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