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Date : 20160205


Dossier : IMM-3839-15

Référence : 2016 CF 144

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie­Britannique), le 5 février 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

FRANCISCO JAVIER MENDOZA HERNANDEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Francisco Javier Mendoza Hernandez, un Guatémaltèque de 22 ans, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 juillet 2015 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans sa décision, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, conformément à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et qu’il ne s’agissait pas d’une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi. En outre, conformément au paragraphe 107(2) de la Loi, la SPR a conclu que la demande n’avait pas un minimum de fondement.

[2]               Les questions en litige consistent à déterminer si les conclusions de la SPR concernant la crédibilité et le manque d’un minimum de fondement sont déraisonnables et si un manquement à l’équité procédurale par la SPR justifie le renvoi de l’affaire à un autre commissaire pour nouvel examen.

[3]               Les faits sont constants et je reconnais que la norme de contrôle judiciaire appropriée relativement aux conclusions de la SPR sur la crédibilité et le manque d’un minimum de fondement est celle du caractère raisonnable : Pournaminivas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1099, au paragraphe 5 [Pournaminivas]. De plus, il est constant que la norme de contrôle judiciaire appropriée pour les questions d’équité procédurale dans la présente affaire est celle de la décision correcte : Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50.

[4]               Le demandeur a des antécédents d’immigration en dents de scie. Il est entré illégalement aux États­Unis en 2009 et il a été appréhendé et incarcéré pour avoir commis une infraction mineure portant atteinte à l’ordre public en 2011. Il a ensuite été expulsé, mais il est retourné illégalement aux États­Unis en 2013 et il y est resté jusqu’en octobre ou novembre 2014. Par la suite, il est entré au Canada sans autorisation et n’a pas présenté de demande d’asile avant d’être arrêté pour ivresse publique le 9 mai 2015. Le demandeur et sa petite amie ont ensuite trompé leur premier avocat au sujet de la période de cohabitation dans le but de déposer une demande de parrainage à titre de conjoints de fait.

[5]               Lorsqu’il a été questionné par l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada le 10 mai 2015, le demandeur a indiqué que la raison de sa demande d’asile était que des membres d’une bande voulaient le tuer parce qu’un collègue avait de « nombreux ennemis ». Dans une entrevue avec un autre agent le 11 mai 2015, le demandeur a d’abord déclaré qu’il avait quitté le Guatémala en mai 2014, puis il s’est rétracté et a affirmé qu’il avait quitté le pays en 2013. À ce moment­là, il a raconté qu’il était en danger parce qu’il avait travaillé pour certains chefs religieux au Guatémala.

[6]               La SPR a conclu que la nouvelle version des allégations du demandeur n’était pas cohérente avec les données inscrites dans le formulaire Fondement de la demande d’asile modifié ayant été déposé le 23 juin 2015. Lors de son entrevue initiale, M. Hernandez avait entre autres dit qu’il se trouvait au Canada pour être avec son épouse. La SPR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité en raison de nombreuses incohérences, notamment entre les entrevues réalisées par les deux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le demandeur a admis avoir menti dans son entrevue avec le premier agent parce qu’il n’avait pas d’avocat et qu’il était nerveux. La SPR n’a pas accepté cette explication.

[7]               La SPR a constaté des incohérences dans des lettres reçues d’un ancien employeur du demandeur, de l’archevêque de l’Église orthodoxe maya guatémaltèque, ainsi que de la tante et de la sœur du demandeur. Par conséquent, compte tenu de toutes ces incohérences et de la preuve documentaire insuffisante à l’appui, elle a tiré une conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur. La SPR avait accordé peu de poids à l’affidavit de la conjointe, dans lequel elle reconnaissait avoir menti, avec son conjoint, à un avocat en immigration à qui ils avaient demandé de l’aide concernant le statut du demandeur.

[8]               Deux articles de journaux publiés entre 1988 et 1992, dont les extraits ont été tirés du blogue d’un séminaire et d’un cartable national de documentation du Guatémala, ont également été pris en considération. La SPR a tiré une conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur en raison de la preuve documentaire insuffisante sur les attaques ou les menaces récentes à l’égard d’autres membres de l’Église, y compris ses dirigeants. Par conséquent, la SPR a conclu que la demande ne disposait d’aucun fondement objectif. La seule preuve permettant d’établir un lien entre les allégations du demandeur concernant une attaque ou des menaces et son travail à l’Église était son témoignage.

[9]               La SPR a établi qu’aucun élément de preuve ne permettait de conclure que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention. Le risque auquel il peut être exposé au Guatémala est généralisé. Il ne s’agit pas d’une menace pour sa vie ou d’un risque de peines cruelles et inusitées. La SPR a jugé que le demandeur n’était pas crédible et que ce « manque de crédibilité était sérieux au point de détruire la demande ». Compte tenu des problèmes de crédibilité, la SPR a établi qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour rendre une décision favorable. Par conséquent, elle a statué que la demande du demandeur n’avait pas un minimum de fondement.

[10]           Une conclusion d’» absence d’un minimum de fondement » entraîne de lourdes conséquences. La demande devient alors inadmissible à un examen par la Section d’appel des réfugiés, et le demandeur n’a droit à aucun sursis d’origine législative en attendant le résultat d’un contrôle judiciaire. Étant donné les lourdes conséquences, le seuil à franchir pour qu’une telle conclusion soit tirée est élevé. La SPR doit donc s’assurer qu’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi au dossier pour soutenir la demande avant d’arriver à cette conclusion : Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, aux paragraphes 51 et 52.

[11]           À mon avis, la conclusion de la SPR, selon laquelle la demande n’avait pas un minimum de fondement, est raisonnable. La preuve documentaire, évaluée sans le témoignage du demandeur, était insuffisante du point de vue du droit pour établir la demande en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Les documents guatémaltèques objectifs qui permettent d’établir un lien entre les menaces et les prêtres de l’Église ont été rédigés il y a plus de 20 ans. Il était loisible à la SPR de juger que la lettre de l’archevêque était insuffisante pour établir le fondement objectif de la demande du demandeur, et il n’y avait aucun autre élément de preuve objectif quant aux menaces actuelles qui pèsent sur les membres de l’Église. Les lettres envoyées par la sœur et la tante du demandeur sont les seuls éléments de preuve restants. La SPR n’a pas émis de commentaires particuliers au sujet de ces éléments de preuve, mais a noté que la preuve documentaire crédible et objective quant au risque récent auquel s’exposent les membres de l’Église était insuffisante.

[12]           Les lettres provenant de la tante et de la sœur du demandeur n’étaient pas suffisamment détaillées pour appuyer la demande à elles seules, et la preuve documentaire indépendante et objective ne corroborait pas l’existence d’un risque actuel. Même si la lettre de l’archevêque a été acceptée, elle ne permettait pas à elle seule, du point de vue du droit, d’établir la demande en vertu de la Loi. Par conséquent, il était raisonnable pour la SPR de tirer une conclusion d’absence d’un minimum de fondement.

[13]           Le présent cas est différent de l’affaire Pournaminivas précitée, où le juge Boswell a conclu qu’il était irraisonnable pour la SPR de ne pas tenir compte des nombreux éléments de preuve documentaire au sujet de la persécution des homosexuels en Inde et du témoignage non contesté de l’un des témoins du demandeur.

[14]           Comme dans le cas de la conclusion défavorable quant à la crédibilité, la SPR a tiré des conclusions raisonnables concernant les mensonges que le demandeur a racontés à un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada et à un avocat, les incohérences entre les entrevues et le formulaire Fondement de la demande d’asile modifié, le retard du demandeur à formuler une demande et le manque de détails dans les lettres à l’appui. En l’espèce, les conclusions de la SPR ne reposent pas sur une analyse microscopique, et le compte rendu ne présente aucune incohérence exagérée. La SPR a pris en considération les explications du demandeur, mais y a accordé peu de poids. Le fait de vouloir éviter une expulsion n’est pas une raison de mentir, et l’évaluation de la crédibilité est au cœur de la responsabilité de la SPR.

[15]           L’argument relatif au manquement à la justice naturelle est soulevé, car pour appuyer sa décision, la SPR a indiqué que le demandeur n’avait pas déposé de demande d’asile aux États­Unis.

[16]           Tandis qu’il présentait ses observations lors de l’audience de la SPR, l’avocat du demandeur avait demandé des précisions pour savoir si le fait que M. Hernandez n’avait pas présenté de demande d’asile aux États­Unis demeurait une question en litige. Le président de l’audience avait répondu par la négative. En conséquence, le demandeur est d’avis que la SPR ne lui a pas permis de présenter des arguments sur cette question.

[17]           Le défendeur reconnaît que la SPR a commis une erreur en tenant compte du fait que le demandeur n’avait pas présenté de demande d’asile aux États­Unis dans le cadre de son évaluation de la crédibilité. Le défendeur soutient que dans les cas visés par un manquement à la justice naturelle, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder de recours lorsque le résultat est inévitable : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada­Terre­Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, aux pages 228 et 229, et Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 125.

[18]           Nonobstant le manquement à la justice naturelle, il est évident que la décision doit être maintenue si le décideur aurait tiré la même conclusion sans cette information et que le renvoi de l’affaire pour nouvel examen ne changerait pas le résultat. Toutefois, ce n’est pas le cas si une nouvelle audience et un nouveau tribunal permettraient d’arriver à une conclusion différente quant à la crédibilité : Abasalizadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1407, au paragraphe 24.

[19]           La SPR a émis des commentaires sur le fait que le demandeur n’avait pas présenté de demande d’asile aux États­Unis dans 1 des 22 paragraphes de la décision. À la fin de ce paragraphe, la SPR tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité et juge que le demandeur ne peut pas présenter une demande d’asile au Canada pendant qu’il est détenu par la police. Il s’agissait d’une question importante que l’avocat a abordée dans le cadre de ses observations lorsque le commissaire de la SPR a répondu à sa question au sujet de l’absence de demande d’asile aux États­Unis.

[20]           Au cours du contrôle judiciaire, lorsqu’on lui a demandé quelles observations supplémentaires il aurait pu faire au nom du demandeur au sujet de l’absence de demande d’asile aux États­Unis, l’avocat a indiqué qu’il aurait pu établir un lien avec la peur du demandeur d’être expulsé de nouveau en raison de son expulsion antérieure. À mon avis, cela n’aurait eu aucune incidence sur le résultat. Ultimement, même si la question de l’absence de demande d’asile aux États­Unis n’a pas été abordée, la SPR disposait d’un fondement suffisant pour établir le manque de crédibilité du demandeur.

[21]           Par conséquent, je suis convaincu que la décision était raisonnable et que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale dans l’analyse et la décision de la SPR.

[22]           Aucune question n’a été proposée et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3839-15

INTITULÉ :

FRANCISCO JAVIER MENDOZA HERNANDEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie­Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 5 février 2016

COMPARUTIONS :

Conor Smith

POUR LE DEMANDEUR

Kim Sutcliffe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conor Smith

Avocat­procureur

Vancouver (Colombie­Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney, c.r.

Sous­procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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