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Date : 20160204


Dossier : T-1273-15

Référence : 2016 CF 138

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 février 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

DIEP HO THI DOAN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Diep Ho Thi Doan, sollicite le contrôle judiciaire aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, d’une décision du ministre des Transports (Transports Canada) rendue le 29 juin 2015, dans laquelle il a refusé d’octroyer une habilitation de sécurité en matière de transport (HST) à la demanderesse à l’aéroport international de Vancouver, au sens de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2. La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Contexte

[2]               Mme Doan occupe le poste d’agente pour les services des passagers à l’aéroport international de Vancouver depuis le mois de février 2014. Lorsqu’elle a commencé à travailler, elle a reçu un laissez-passez de sécurité temporaire pour exécuter ses tâches dans les zones réglementées de l’aéroport. Elle a soumis une demande d’HST à Transports Canada.

[3]               Le 20 août 2014, Transports Canada a reçu un rapport de vérification des antécédents criminels de la part de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) contenant des renseignements défavorables concernant la demanderesse. Selon le rapport, la demanderesse n’a fait l’objet d’aucune condamnation au criminel connue au Canada; cependant, elle a eu des démêlés avec des membres du Service de police de Vancouver à maintes reprises.

[4]               La première occurrence a eu lieu en juillet 2002 lorsque la demanderesse et les autres personnes présentes à un domicile qui abritait une exploitation de culture de marijuana ont été arrêtées. Elle a été relâchée sans accusation, mais deux autres personnes présentes au domicile ont été accusées et déclarées coupables de possession d’une substance réglementée en vue d’en faire le trafic et de production d’une substance réglementée.

[5]               En juillet 2003, les agents du Service de police de Vancouver sont entrés dans un restaurant géré par la demanderesse en l’absence du propriétaire. En entrant, les agents ont constaté que 12 personnes s’adonnaient à des activités de jeu illégales. De nombreuses fusillades et arrestations ont eu lieu à cet emplacement au fil des ans. La demanderesse a reçu un avertissement, mais aucune accusation n’a été portée à son endroit à cette occasion.

[6]               La demanderesse a été interpellée pour excès de vitesse en octobre 2004. À ce moment, elle était accompagnée d’un trafiquant de drogues bien connu et membre d’un groupe du crime organisé. Son permis a été suspendu conformément au code de la route provincial.

[7]               Le 11 septembre 2014, la demanderesse a reçu une lettre de Transports Canada l’informant de renseignements défavorables reçus par le ministère concernant son admissibilité à une habilitation de sécurité. La lettre a informé Mme Doan que sa demande allait faire l’objet d’un examen en raison de ces renseignements défavorables. La lettre décrivait les renseignements comme ils ont été reçus par Transports Canada par la GRC, mais elle ne contenait pas les références aux dispositions législatives. La lettre encourageait la demanderesse [traduction] « à communiquer toute information supplémentaire décrivant les circonstances entourant l’association et les incidents susmentionnés, ainsi que toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes ». La lettre contenait des renseignements sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (PHST) et les coordonnées d’une personne-ressource, y compris le numéro de téléphone direct d’un représentant de Transports Canada.

[8]               Cinq mois plus tard, soit le 16 février 2015, la demanderesse a envoyé un courriel à Transports Canada. Dans son courriel, elle a indiqué que les incidents se sont produits il y a plus de 12 ans et qu’elle [traduction] « ne se rappelle pas vraiment de ce qui s’est passé ». Mme Doan a souligné qu’elle a confirmé n’avoir aucun casier judiciaire en 2010 et qu’elle a tenté sans succès d’obtenir le dossier de sa suspension en 2004. La demanderesse a demandé une deuxième chance de se prouver digne de recevoir l’habilitation.

[9]               Transports Canada a confirmé le jour même avoir reçu la demande de la demanderesse. Le ministère l’a encore une fois encouragée de [traduction] « fournir tous les renseignements utiles » et d’examiner avec soin la lettre et les politiques du PHST sur le site Web de Transports Canada. Il a également informé la demanderesse de soumettre des références écrites concernant sa réputation, si possible.

[10]           Le 3 mars 2015, l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport a passé en revue le dossier de la demanderesse et a recommandé le refus de la demande d’habilitation de sécurité en raison des renseignements figurant dans le rapport de vérification des antécédents criminels. L’organisme consultatif a indiqué que les demandes de la demanderesse ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper les doutes à son égard, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle pourrait être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile.

[11]           Le 25 juin 2015, la directrice générale de la sûreté aérienne (représentante du ministre) a souscrit à la recommandation de l’organisme consultatif et a refusé la demande d’HST de Mme Doan au nom du ministre des Transports. Une lettre a été envoyée à la demanderesse le 29 juin 2015 pour l’informer de la décision. Le jour suivant, elle a été informée que son emploi allait prendre fin puisqu’elle n’a pas accès aux zones réglementées de l’aéroport. Mme Doan est en congé sans solde depuis la fin de son emploi en attendant la résolution de cette affaire.

[12]           Mme Doan est la mère célibataire d’un enfant de sept ans et d’un autre enfant né en novembre 2015.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[13]           Selon le compte rendu de la décision et l’avis envoyé à Mme Doan, la décision de la représentante du ministre reposait sur l’examen du dossier de la demanderesse, sur les renseignements figurant dans la lettre envoyée à Mme Doan par Transports Canada le 11 septembre 2014, les observations écrites de la demanderesse, la recommandation de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport et les politiques du PHST.

[14]           La représentante du ministre a expliqué la décision comme suit :

[TRADUCTION]

Les renseignements au sujet de votre participation ou de votre relation très étroite avec un membre participant à l’exploitation de culture à votre domicile, votre participation à des activités de jeu illégales et votre relation avec des criminels d’origine asiatique ou les Independent Soldiers font naître des doutes relatifs à votre jugement, votre loyauté et votre fiabilité. Je constate qu’au mois de juillet 2002, une exploitation de culture s’étendant à trois (3) chambres a été trouvée dans le sous-sol de votre domicile, entraînant la saisie d’une quantité importante de marijuana, soit 12,74 kg. La valeur marchande de la quantité de marijuana saisie s’élevait à 520 000 $. Je constate également qu’au mois de juillet 2003, des inspecteurs du Service de police de Vancouver ont découvert que vous gériez un restaurant où 12 personnes s’adonnaient à des activités de jeu illégales et où de nombreuses fusillades et arrestations ont eu lieu au fil des ans. Je souligne également qu’au mois d’octobre 2001 [sic], vous étiez au volant d’une voiture accompagnée d’un trafiquant de drogues bien connu membre d’un groupe du crime organisé Independent Soldiers. Après avoir examiné tous les renseignements au dossier, j’ai des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que vous pouvez être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. J’ai examiné votre déclaration; cependant, les renseignements présentés ne suffisent pas à dissiper mes doutes. Pour ces motifs, au nom du ministre des Transports, je refuse votre demande d’habilitation de sécurité.

IV.             Questions en litige

[15]           La seule question en litige de la présente demande est de savoir si Transports Canada a violé le droit de la demanderesse à l’équité procédurale. Les parties sont d’accord et j’accepte la norme de la décision correcte pour cette question dans le contexte de l’habilitation de sécurité en matière de transport : Weekes c. Canada (Procureur général), 2015, CF 853, au paragraphe 9 [Weekes]; Meyler c. Canada (Procureur général), 2015, CF 357, au paragraphe 26 [Meyler]; Peles c. Canada (Procureur général), 2013 CF 294, au paragraphe 9.

V.                Argumentation et analyse

[16]           La demanderesse soutient qu’étant donné qu’elle occupait déjà l’emploi et qu’elle possédait un laissez-passer temporaire, le degré d’équité auquel elle a droit devrait être supérieur à celui d’un simple candidat au poste. Cet argument repose sur la décision Salmon c. Canada (Procureur général), 2014, CF 1098, dans lequel madame la juge Kane fait la déclaration suivante au paragraphe 45 :

Les parties conviennent que la portée ou l’étendue de l’obligation d’équité procédurale varie et dépend du contexte et qu’elle est plus vaste en cas de révocation d’une habilitation de sécurité existante qu’en cas de refus d’accéder à une demande d’habilitation de sécurité. Bien que l’obligation imposée en l’espèce ne se limite pas au strict minimum, je conviens avec le défendeur qu’elle n’est tout de même pas stricte.

[17]           Les parties conviennent que l’obligation d’équité procédurale dans ce contexte est plus que minimale, sans exiger un niveau de protection procédurale élevé. Les protections procédurales se limitent au droit de connaître les faits reprochés contre la demanderesse et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits : décision Salmon, ci-dessus, au paragraphe 46.

[18]           Cependant, il ne m’apparaît pas évident que le niveau d’obligation est plus élevé lorsque la personne concernée ne détient qu’un simple laissez-passer de sécurité temporaire en attente du traitement de la demande d’habilitation de sécurité soumise à Transports Canada. La jurisprudence reconnaît un niveau légèrement supérieur d’obligation d’équité dans le contexte de la révocation d’une habilitation de sécurité déjà octroyée; cependant, cela semble s’appliquer aux personnes qui détiennent une habilitation depuis un certain temps.

[19]           La demanderesse soutient avoir été privée de la possibilité de répondre directement aux allégations à son endroit énumérées dans la lettre du 11 septembre 2014. Elle fait valoir que puisqu’elle a clairement indiqué ne pas se souvenir des détails des incidents décrits dans la lettre, il incombait à Transports Canada de lui fournir des renseignements supplémentaires sur les dates, les heures, les emplacements et la nature des activités criminelles. Sans ces renseignements, la demanderesse affirme qu’elle n’était pas au courant des exigences auxquelles elle devait répondre.

[20]           Pour appuyer cet argument, la demanderesse établit une analogie avec l’affaire Meyler (ci-dessus). Dans cette affaire, la demande d’HST de Mme Meyler a été refusée en raison de son implication dans une enquête de la GRC qui était en cours. Pour cette raison et parce qu’un informateur de police avait reconnu Mme Meyler, Transports Canada et la GRC ont dévoilé très peu de renseignements. À la lumière de ces faits, le juge Rennie a conclu que Mme Meyler n’était pas en mesure de donner sa version des faits, puisqu’elle ignorait l’heure, la date et l’activité précises à l’origine de la révocation.

[21]           À mon avis, la présente affaire diffère de l’affaire Meyler. La lettre envoyée à Mme Doan par Transports Canada donne suffisamment de détails sur les événements en question pour mettre la puce à l’oreille de toute personne raisonnable sur les relations et les incidents précis qui soulèvent des inquiétudes. Les deux personnes avec qui Mme Doan avait une relation étaient impliquées dans des incidents précis et soulevaient des inquiétudes en matière d’application de la loi. De plus, dans l’affaire Meyler, la demanderesse n’était pas au courant qu’elle faisait l’objet d’une enquête policière. En l’occurrence, Mme Doan a été arrêtée, mise en garde ou sanctionnée par la police après chaque événement énuméré dans la lettre.

[22]           La demanderesse a eu maintes occasions de nier ou d’expliquer pourquoi les allégations énumérées dans la lettre ne devraient pas être considérées comme une menace à la sûreté aérienne. Ces éléments n’étaient pas présents dans l’affaire Meyler. Dans cette affaire, le juge Rennie a expliqué soigneusement aux paragraphes 30 et 31 la présence d’omissions importantes dans les communications avec la demanderesse présentées à Transports Canada dans le rapport de vérification des antécédents criminels.

[23]           Dans la présente affaire, la réponse de Mme Doan à la lettre portant sur les événements qui lui étaient reprochés était qu’elle [traduction] « ne se rappelle pas vraiment de ce qui s’est passé ». Elle n’a pas nié les événements ou les relations et elle n’a pas demandé de renseignements supplémentaires à Transports Canada. Elle a eu une deuxième chance de donner sa version des faits et elle a été informée qu’elle pouvait soumettre des références concernant sa réputation. Elle ne l’a pas fait.

[24]           La demanderesse invoque également la décision de monsieur le juge Annis dans l’affaire Weekes (précité). L’affaire Weekes est semblable à l’affaire Meyler dans la mesure où le demandeur possédait une habilitation de sécurité pour une longue période après laquelle elle a été révoquée. De plus, les allégations à son endroit n’ont jamais été précisées. Même si le demandeur n’a pas répondu à la lettre relative à l’équité, le juge Annis estime qu’il était peu probable que la réponse à toute demande soit positive. Comme je l’ai souligné, les renseignements fournis par Transports Canada dans la présente affaire étaient pertinents et je n’ai aucune raison de conclure qu’une demande de renseignements supplémentaires soumise par Mme Doan aurait été en vain comme dans l’affaire Meyler.

[25]           Par conséquent, je suis convaincu qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

[26]           Cette conclusion est suffisante pour rejeter la présente demande; cependant, je constate que la demanderesse émet de nombreuses observations qui semblent contester le caractère raisonnable de la décision de Transports Canada. La demanderesse affirme que rien n’indique que Transports Canada a tenu compte de ses commentaires ou des graves répercussions du rejet de demande d’HST sur son emploi et sur son admissibilité aux prestations de maternité. Elle soutient que le commentaire du délégué selon lequel la réponse de la demanderesse ne suffisait pas à dissiper ses doutes est « insuffisante et opaque », citant les conclusions du juge Harrington dans la décision Ho c. Canada (Procureur-général), 2013, CF 865, au paragraphe 28.

[27]           Je conviens avec le défenseur que les circonstances dans la décision Ho sont très différentes de celles de la présente affaire. Dans la décision Ho, le juge Harrington a conclu que le demandeur a offert une explication raisonnable à Transports Canada pour dissiper les doutes au sujet de la possibilité de sa participation à des activités de blanchiment d’argent. La Cour a conclu que la conclusion selon laquelle l’explication du demandeur ne suffisait pas à dissiper les doutes était déraisonnable dans ces circonstances et elle a renvoyé l’affaire aux fins de réexamen. Aucune comparaison comparable n’a été présentée dans ce cas.

[28]           De plus, la demanderesse n’a pas justifié son affirmation selon laquelle Transports Canada aurait dû tenir compte des répercussions de sa décision sur son emploi ou sur son admissibilité aux prestations de maternité. Ces observations sont sans aucun doute importantes aux yeux de la demanderesse; cependant, elles ne concernent en rien la question de la sûreté aérienne.

[29]           La période entre les événements au sujet desquels Transports Canada s’inquiète et la demande d’habilitation de sécurité peuvent constituer un élément à considérer pour déterminer si la sûreté aérienne encourt un risque. Néanmoins, la période écoulée ne suffit pas à éliminer les préoccupations si la demanderesse ne fournit aucune explication permettant de minimiser leur gravité ou démontrer que la demanderesse a tourné la page sur ce chapitre de sa vie et n’entretient plus de relation avec des personnes participant à des activités criminelles.

VI.             Conclusion

[30]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Transports Canada a respecté la norme d’équité procédurale. La demanderesse était suffisamment informée par Transports Canada des allégations à l’origine des préoccupations. Il a été recommandé à la demanderesse d’examiner la politique du PHST, qui décrit l’éventail de facteurs, de considérations et de critères qui peuvent être étudiés par Transports Canada pour prendre une décision sur l’admissibilité de la demanderesse à l’habilitation de sécurité. Elle a eu deux occasions de présenter des observations et des preuves pour illustrer qu’elle ne pourrait pas être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. Il est compréhensible que ses souvenirs sur les activités à l’origine de l’affaire soient flous; cependant, il ne s’agit pas d’un motif valable pour conclure à une violation de l’équité procédurale.

[31]           Le défendeur réclame des dépens en l’espèce. Étant donné la situation actuelle de la demanderesse, j’ai décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et de ne pas adjuger de dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1273-15

INTITULÉ :

DIEP HO THI DOAN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 4 FÉVRIER 2016

COMPARUTIONS :

Ben E. Tarnow

Pour la demanderesse

Nathan Murray

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ben E. Tarnow Law Corporation

Richmond (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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