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Date : 20160201


Dossier : T-1223-15

Référence : 2016 CF 112

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er février 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

MAUREEN B. HINES

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Tribunal de la sécurité sociale – Division d’appel (TSS-DA) a accueilli la demande d’autorisation d’interjeter appel en vertu de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 (LMEDS).

[2]               La demande sera accueillie pour les motifs suivants.

II.                Contexte

[3]               Le 26 février 2006, la défenderesse a présenté une demande de pension de retraite en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (RPC). Sa demande ayant été approuvée, elle touche cette pension depuis le 1er mars 2006.

[4]               La défenderesse a reçu un diagnostic de cancer du sein bilatéral en juin 2008. Même si elle a subi un traitement chirurgical ainsi que des traitements de chimiothérapie et d’hormonothérapie, le risque de récurrence du cancer demeurait élevé. Le dossier indique également que Mme Hines a reçu un diagnostic de trouble dépressif majeur quelque temps avant mars 2011. En mars 2011, un médecin qualifié a souligné qu’elle avait de la difficulté à travailler et qu’elle était incapable de retourner au travail en raison de sa dépression, de sa motivation réduite, de ses troubles de concentration et de ses troubles de mémoire. En mars 2014, un autre médecin a souligné que la défenderesse avait de la difficulté à marcher et à se lever d’une chaise et qu’elle avait non seulement des troubles de mémoire, mais également de la difficulté à organiser ses pensées.

[5]               La défenderesse a présenté, tout au long de sa vie, trois demandes de prestations d’invalidité en vertu du RPC. La troisième demande est celle qui faisait l’objet de la demande d’autorisation d’interjeter appel visée par le présent contrôle judiciaire.

1)      La première demande a été présentée le 2 juin 1992. Elle a été approuvée. Le versement de la pension a pris fin en 1998, car la défenderesse a informé les responsables du RPC qu’elle se cherchait un travail indépendant et, malgré plusieurs demandes, elle a omis de remplir le questionnaire de réévaluation de l’invalidité requis.

2)       La deuxième demande a été présentée le 27 avril 2011. Elle a été refusée parce que la défenderesse ne satisfaisait pas aux exigences législatives applicables à cette prestation, du fait qu’elle touchait déjà une pension de retraite du RPC. La défenderesse a été informée par Services Canada qu’une pension de retraite du RPC ne peut être remplacée par une pension d’invalidité du RPC que si le demandeur est réputé être devenu invalide avant qu’il ne commence à toucher la pension de retraite.

3)      La troisième demande a été présentée le 10 juin 2013. Elle a été refusée par le ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada (EDSC) parce que la défenderesse ne satisfaisait pas à l’exigence législative selon laquelle une personne doit être âgée de 18 à 65 ans pour toucher une pension d’invalidité du RPC. Mme Hines a eu 65 ans le 19 mai 2010.

[6]               Au moment de remplir le questionnaire d’invalidité pour sa troisième demande, la défenderesse a indiqué qu’elle était atteinte d’un déficit cognitif post-chimiothérapie et qu’elle souffrait d’ostéoporose. Par conséquent, elle avait de la difficulté à se concentrer et était incapable de continuer à travailler en tant que commis comptable. Mme Hines a également indiqué qu’elle avait travaillé à temps partiel comme démonstratrice de produits alimentaires dans un entrepôt du 4 mai 2012 au 8 janvier 2013, qu’elle était physiquement incapable de continuer à effectuer ce travail et qu’elle avait tenté sans succès de se trouver un autre emploi.

[7]               Le 24 juin 2013, la défenderesse a demandé que sa troisième demande soit réexaminée. EDSC a maintenu sa décision. La défenderesse a été avisée, dans une lettre datée du 2 mai 2014, qu’elle pouvait déposer un avis d’appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale – Division générale (TSS-DG) dans les 90 jours suivant la date à laquelle elle a reçu la décision révisée. Elle a également été informée des documents et des renseignements requis pour présenter cet avis.

[8]               Le 7 juillet 2014, la défenderesse a fait part de son intention d’interjeter appel de la décision d’EDSC; cependant, elle a omis d’inclure tous les renseignements nécessaires, notamment une copie de la décision révisée d’EDSC.

[9]               Le 11 juillet 2014, la défenderesse a été informée par le TSS-DG que son avis d’appel était incomplet, et on lui a rappelé qu’un avis complet devait être reçu dans les 90 jours suivant la réception de la décision révisée. Le 14 juillet 2014, la défenderesse a déposé d’autres documents, mais a encore une fois omis d’inclure la décision d’EDSC. Le 11 août 2014, le TSS-DG a envoyé une deuxième lettre pour rappeler à la défenderesse que son avis d’appel était incomplet et pour lui indiquer les documents requis.

[10]           Le 15 août 2014, la défenderesse a déposé une copie de la décision révisée.

[11]           Le 14 novembre 2014, le TSS-DG a informé la défenderesse que son avis d’appel semblait avoir été déposé en retard et qu’elle pouvait demander une prolongation du délai pour le dépôt. Il lui a également indiqué comment procéder. Le 28 novembre 2014, la défenderesse a déposé des observations quant aux raisons pour lesquelles une prolongation devrait lui être accordée.

[12]           Le 21 avril 2015, le TSS-DG a rendu sa décision, refusant d’accorder la prolongation de délai pour le motif que la cause n’était pas défendable. Il a conclu que l’appel n’avait été mis en état que le 28 novembre 2014. Le TSS-DG était convaincu que la défenderesse avait toujours l’intention d’interjeter appel, qu’il y avait une explication raisonnable pour le délai ([traduction] « elle ne comprenait tout simplement pas comment procéder ») et qu’une prolongation n’entraînerait aucun préjudice. Néanmoins, le TSS-DG a accordé un [traduction] « poids considérable » à l’absence d’une cause défendable : l’appel de la défenderesse était voué à l’échec, du fait qu’elle avait 68 ans au moment de présenter sa demande en 2013.

[13]           Le 8 mai 2015, la défenderesse a présenté une demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du TSS-DG de ne pas lui accorder une prolongation. La lettre d’appel de Mme Hines ne faisait mention d’aucune erreur dans la décision du TSS-DG et ne soulevait aucun des moyens d’appel énoncés au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[14]           Dans sa lettre d’appel, Mme Hines disait avoir été mise au courant de l’existence d’une pension d’invalidité du RPC par son médecin en mai 2011. La défenderesse a indiqué qu’elle avait reçu un diagnostic de déficit cognitif post-chimiothérapie qui nuisait à sa capacité de comprendre et de prendre des décisions, et qu’elle souffrait de dépression à long terme. Elle a également mentionné que [traduction] « L’ignorance (le fait de ne pas savoir qu’il s’agissait d’un recours possible) n’est peut-être pas considérée comme une cause défendable » et elle a posé la question suivante : [traduction] « N’accorde-t-on aucune concession à une personne qui n’avait pas les facultés mentales ou physiques nécessaires pour présenter une demande de prestations ou interjeter appel à cet égard? ».

[15]           Il y a également lieu de mentionner que dans bon nombre des lettres et documents que Mme Hines a envoyés à EDSC, elle a affirmé ne pas avoir présenté de demande de pension d’invalidité du RPC entre l’âge de 60 et 65 ans parce qu’elle n’était pas au courant de l’existence de ces prestations et ne savait pas qu’il s’agissait d’un recours possible.

III.             Décision de la Division d’appel

[16]           Le 24 juin 2015, le TSS-DA a accueilli la demande d’autorisation d’interjeter appel de la part de la défenderesse.

[17]           Premièrement, le TSS-DA a jugé que son avis d’appel avait été mis en état lorsqu’elle a soumis une copie de la décision révisée le 15 août 2014, un retard de seulement cinq (5) jours, selon eux.

[18]           Deuxièmement, le TSS-DA a calculé que la période minimale d’admissibilité pendant laquelle la défenderesse aurait dû être jugée invalide se terminait le 31 décembre 2005. Le raisonnement derrière ce calcul n’était pas expliqué.

[19]           Troisièmement, le TSS-DA a jugé que, même si la défenderesse n’avait soulevé aucun des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS, la Division d’appel pouvait [traduction] « décider s’il y avait une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ». Il a ensuite été noté que la décision d’accorder une prolongation était discrétionnaire et que pour faire annuler une ordonnance discrétionnaire, un appelant devait prouver que le décideur avait commis une erreur manifeste et dominante en droit. Le TSS-DA s’est fondé sur l’arrêt Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, paragraphe 23, pour étayer son affirmation.

[20]           Il a conclu que la Division générale avait considéré l’âge de la défenderesse comme un obstacle absolu à l’admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC, sans tenir compte des exceptions applicables à cette règle générale. L’une des exceptions possibles se trouve aux paragraphes 60(8) à 60(11) du RPC. Ces dispositions prescrivent que, dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre du Revenu national peut réputer cette demande de pension avoir été faite antérieurement.

[21]           Le TSS-DA a indiqué que si Mme Hines avait une incapacité continue l’empêchant de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations à partir du moment où elle est devenue incapable jusqu’à la date où elle a présenté sa demande en 2013, elle était peut-être encore admissible à une pension d’invalidité du RPC. Pour ce motif, le TSS-DA a conclu que : [traduction] « bien qu’en fin de compte il n’y ait pas suffisamment d’éléments de preuve, voire aucun, pour appuyer une conclusion d’incapacité, il y a au moins un argument défendable quant à la question de savoir si la Division générale a commis une erreur manifeste et dominante en omettant d’examiner les dispositions relatives à l’incapacité ». Il s’agit du seul motif sur lequel le TSS-DA s’est fondé pour accueillir la demande d’autorisation.

IV.             Dispositions législatives pertinentes

[22]           Les moyens d’appel présentés au TSS-DA sont énoncés dans la LMEDS comme suit :

Moyens d’appel

Grounds of appeal

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58. (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Critère

Criteria

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

Permission accordée

Leave granted

(5) Dans les cas où la permission est accordée, la demande de permission est assimilée à un avis d’appel et celui-ci est réputé avoir été déposé à la date du dépôt de la demande de permission.

(5) If leave to appeal is granted, the application for leave to appeal becomes the notice of appeal and is deemed to have been filed on the day on which the application for leave to appeal was filed.

[23]           Le paragraphe 44(1) du RPC établit les critères d’admissibilité à une pension du RPC :

Prestations payables

Benefits payable

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

44. (1) Subject to this Part,

a) une pension de retraite doit être payée à un cotisant qui a atteint l’âge de soixante ans;

(a) a retirement pension shall be paid to a contributor who has reached sixty years of age;

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

(b) a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty-five years of age, to whom no retirement pension is payable, who is disabled and who

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

(i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period,

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

(ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

(iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1 had not been made;

[24]           La période durant laquelle une personne peut être déclarée invalide est définie de la manière suivante dans le RPC :

Personne déclarée invalide

When person deemed disabled

(2) Pour l’application de la présente loi :

42 (2) For the purposes of this Act,

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

(b) a person is deemed to have become or to have ceased to be disabled at the time that is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person — including a contributor referred to in subparagraph 44(1)(b)(ii) — be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

[25]           La disposition visant le remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité est libellée comme suit dans le RPC :

Demande de cessation de prestation

Request to cancel benefit

66.1 (1) Un bénéficiaire peut demander la cessation d’une prestation s’il le fait de la manière prescrite et, après que le paiement de la prestation a commencé, durant la période de temps prescrite à cet égard.

66.1 (1) A beneficiary may, in prescribed manner and within the prescribed time interval after payment of a benefit has commenced, request cancellation of that benefit.

Exception

Exception

(1.1) Toutefois, le bénéficiaire d’une prestation de retraite ne peut remplacer cette prestation par une prestation d’invalidité si le requérant est réputé être devenu invalide, en vertu de la présente loi ou aux termes d’un régime provincial de pensions, au cours du mois où il a commencé à toucher sa prestation de retraite ou par la suite.

(1.1) Subsection (1) does not apply to the cancellation of a retirement pension in favour of a disability benefit where an applicant for a disability benefit under this Act or under a provincial pension plan is in receipt of a retirement pension and the applicant is deemed to have become disabled for the purposes of entitlement to the disability benefit in or after the month for which the retirement pension first became payable.

[26]           Les dispositions du RPC portant sur l’incapacité prescrivent ce qui suit :

Incapacité

Incapacity

(8) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

60 (8) Where an application for a benefit is made on behalf of a person and the Minister is satisfied, on the basis of evidence provided by or on behalf of that person, that the person had been incapable of forming or expressing an intention to make an application on the person’s own behalf on the day on which the application was actually made, the Minister may deem the application to have been made in the month preceding the first month in which the relevant benefit could have commenced to be paid or in the month that the Minister considers the person’s last relevant period of incapacity to have commenced, whichever is the later.

(9) Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :

(9) Where an application for a benefit is made by or on behalf of a person and the Minister is satisfied, on the basis of evidence provided by or on behalf of that person, that

a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;

(a) the person had been incapable of forming or expressing an intention to make an application before the day on which the application was actually made,

b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;

(b) the person had ceased to be so incapable before that day, and

c) que la demande a été faite, selon le cas :

c) the application was made

(i) au cours de la période — égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois — débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,

(i) within the period that begins on the day on which that person had ceased to be so incapable and that comprises the same number of days, not exceeding twelve months, as in the period of incapacity, or

(ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.

(ii) where the period referred to in subparagraph (i) comprises fewer than thirty days, not more than one month after the month in which that person had ceased to be so incapable,

le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

the Minister may deem the application to have been made in the month preceding the first month in which the relevant benefit could have commenced to be paid or in the month that the Minister considers the person’s last relevant period of incapacity to have commenced, whichever is the later.

Période d’incapacité

Period of incapacity

(10) Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.

(10) For the purposes of subsections (8) and (9), a period of incapacity must be a continuous period except as otherwise prescribed.

Application

Application

(11) Les paragraphes (8) à (10) ne s’appliquent qu’aux personnes incapables le 1er janvier 1991 dont la période d’incapacité commence à compter de cette date.

(11) Subsections (8) to (10) apply only to individuals who were incapacitated on or after January 1, 1991.

V.                Questions en litige

[27]           La seule question en litige dans le présent appel concerne le caractère raisonnable de la décision du TSS-DA d’accueillir la demande d’autorisation d’interjeter appel.

VI.             Norme de contrôle

[28]           La norme de contrôle applicable à la décision du TSS-DA est celle de la décision raisonnable. Je souscris à l’analyse de madame la juge Roussel dans Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, au paragraphe 17.

VII.          Observations des parties

A.                Position du demandeur

[29]           Le demandeur soutient que la décision du TSS-DA était raisonnable pour deux raisons : le TSS-DG n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’y avait pas de cause défendable, et le TSS-DG n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte des dispositions relatives à l’incapacité.

(1)               Le TSS-DG n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’y avait pas de cause défendable.

[30]           Conformément à l’alinéa 44(1)b) du RPC, un demandeur doit être âgé de moins de 65 ans pour être admissible à une pension d’invalidité. La défenderesse n’est pas admissible à une pension d’invalidité du RPC parce qu’elle avait 68 ans au moment de présenter sa demande en 2013.

[31]           Conformément à l’alinéa 44(1)b) du RPC, une personne ne peut toucher une pension d’invalidité si elle reçoit une pension de retraite. La défenderesse n’est pas admissible à une pension d’invalidité du RPC parce qu’elle recevait déjà une pension de retraite au moment de présenter sa demande en 2013.

[32]           Conformément à l’article 66.1 du RPC, une pension de retraite ne peut être annulée que si le pensionné âgé de moins de 65 ans devient invalide dans le mois précédant la date à laquelle il a commencé à toucher sa pension. Par conséquent, il aurait fallu que Mme Hines devienne invalide au plus tard en avril 2006.

[33]           Conformément à l’alinéa 42(2)b) du RPC, en aucun cas une personne n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande. En conséquence, Mme Hines aurait pu être réputée invalide au plus tôt en mars 2012.

[34]           Si l’article 66.1 et l’alinéa 42(2)b) sont lus ensemble, il est impossible pour Mme Hines de faire annuler sa pension de retraite en raison de sa demande de pension d’invalidité de 2013.

(2)               Le TSS-DG n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte des dispositions relatives à l’incapacité.

[35]           Le procureur général prétend qu’il n’y a aucune obligation de tenir compte des dispositions relatives à l’incapacité lorsqu’aucune preuve n’appuie la conclusion selon laquelle l’état du demandeur correspond à la définition.

[36]           Le demandeur fait valoir que l’article 60 du RPC doit être interprété de manière étroite : « [i]l n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité, mais seulement et tout simplement “la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande” » [Canada (Procureur général) c. Danielson, 2008 CAF 78, au paragraphe 5]. Le procureur général a également soutenu qu’un manque de connaissance quant à l’admissibilité à une pension ne constitue pas une incapacité à former ou à exprimer une intention de présenter une demande en vertu du RPC.

[37]           Par ailleurs, les éléments de preuve présentés au TSS-DG empêchent d’en arriver à la conclusion que la défenderesse n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer une intention de faire une demande de prestations. Comme le juge Létourneau l’a mentionné dans Canada (Procureur général) c. Kirkland, 2008 CAF 144, au paragraphe 7 : « les activités d’un demandeur pendant une période d’incapacité alléguée “peuvent être pertinentes pour nous éclairer sur son incapacité permanente de former ou d’exprimer l’intention requise, et devraient donc être examinées” ». Citant Danielson (précité), le juge Létourneau a ajouté que « la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur de prestations ». [Voir aussi Ramlochan v. AG (Canada), T-148-13, aux paragraphes 34 et 35].

[38]           Selon le demandeur, le dossier établit que Mme Hines, entre 2006 et 2013, avait la capacité de former et d’exprimer l’intention de présenter une demande de prestations. Il souligne le fait que la défenderesse a pris soin de sa mère de 2005 à 2007, a présenté une demande de prestations de maladie de l’assurance-emploi en 2008 ainsi qu’une demande de pension d’invalidité en son propre nom en avril 2011, et qu’elle a travaillé à temps partiel pendant huit (8) mois en tant que démonstratrice de produits alimentaires dans un entrepôt en 2013.

B.                 Position de la défenderesse

[39]           La défenderesse s’est représentée elle-même dans les procédures. Elle n’a pas déposé de documents écrits avant l’audience.

[40]           Peu avant la date prévue de l’audience, Mme Hines a écrit à la Cour pour demander que des dispositions soient prises pour lui permettre de comparaître par téléphone. Dans sa lettre, elle a fourni plusieurs raisons expliquant pourquoi il serait peu pratique, voire impossible pour elle de se présenter en personne étant donné ses limitations physiques et sa situation financière difficile. Elle n’a pas demandé d’ajournement et n’a pas laissé entendre que sa situation s’améliorerait dans un avenir prévisible de manière à lui permettre de se présenter en personne à l’audience en cas d’ajournement. Par conséquent, elle a reçu une directive de la Cour lui permettant de comparaître par téléphone afin de présenter ses observations orales à partir de la maison.

[41]            Mme Hines a comparu par téléphone à la date prévue de l’audience. En réponse aux questions de la Cour, elle a indiqué qu’elle était capable d’entendre les procédures clairement et qu’elle comprenait la nature du processus. La Cour n’a eu aucune difficulté à entendre ou à comprendre Mme Hines, car elle s’exprimait clairement et de manière articulée, et elle a répondu adéquatement aux questions qui lui étaient posées.

[42]           Dans ses observations orales, Mme Hines a expliqué qu’elle avait subi de graves blessures à la suite d’un accident de voiture survenu en 1989. Elle a été en congé d’invalidité de longue durée durant les années 1990, puis est retournée travailler comme commis comptable. Elle souffrait d’une dépression et avait de la difficulté à élever deux enfants en tant que mère monoparentale, en plus de s’occuper de sa mère qui était en phase terminale. À la suite de son diagnostic de cancer, de sa chirurgie et de sa chimiothérapie, elle a expliqué avoir souffert de ce qu’elle qualifiait de « cerveau chimio ». Selon un extrait du site Web Wikipédia qu’elle a présenté à l’appui de sa demande, cet état d’esprit est décrit comme une « perturbation cognitive post-chimiothérapie ». N’étant plus capable d’exercer les fonctions de commis comptable, elle a accepté un poste de démonstratrice de produits alimentaires. Son médecin lui a recommandé de quitter ce poste et depuis 2012, elle est incapable d’obtenir ou d’exercer un emploi.

[43]           Lorsqu’on le lui a demandé, Mme Hines a été incapable de présenter un élément de preuve dans le dossier démontrant qu’elle avait une incapacité permanente au sens de la loi durant les périodes visées. Elle a plutôt reconnu avec franchise qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait présenter une demande de pension d’invalidité en vertu du RPC alors qu’elle y était encore admissible.

VIII.       Analyse

[44]           Bien que la situation de Mme Hines soit très malheureuse, je suis d’accord avec le demandeur que la décision du TSS-DA est déraisonnable et qu’elle doit être annulée. Dans sa demande d’autorisation d’interjeter appel, Mme Hines n’a pas soulevé la question d’incapacité, et les éléments de preuve ne permettent pas de conclure qu’elle était incapable de former ou d’exprimer une intention de présenter une demande de prestations à tout moment après que sa maladie est devenue aiguë. En l’absence d’éléments de preuve, le tribunal n’a pas besoin de tenir compte de toutes les exceptions ou de tous les motifs de redressement possibles.

[45]           Le TSS-DG n’a pas commis d’erreur en concluant que Mme Hines était inadmissible à une pension d’invalidité en vertu du RPC. Il a eu raison de conclure qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences légales concernant l’admissibilité aux prestations, étant donné qu’elle était âgée de plus de 65 ans et qu’elle touchait déjà une pension de retraite du RPC. Le seul motif possible pour appuyer un appel était qu’elle était incapable de former ou d’exprimer une intention de présenter une demande au moment opportun. Le dossier d’appel ne contenait toutefois aucun élément de preuve permettant d’appuyer cette conclusion.

[46]           Les motifs pour lesquels la Division d’appel a accueilli la demande d’autorisation d’interjeter appel n’avaient pas la transparence, l’intelligibilité ou le bien-fondé nécessaires pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable. L’agent de la Division d’appel n’a fait aucune constatation selon laquelle le dossier contenait des éléments de preuve de l’incapacité qui justifieraient une exception à la limitation d’âge prescrite par la loi; il a néanmoins invité les parties à présenter des observations sur ce point.

[47]           La Cour d’appel fédérale a confirmé que l’incapacité devait être examinée à la lumière de son sens ordinaire : Sedrak c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2008 CAF 86, paragraphes 3 et 4. Elle doit être déterminée d’après les éléments de preuve médicaux et les activités de la personne visée. Malheureusement pour Mme Hines, un manque de connaissance quant à l’admissibilité à une pension d’invalidité ne relève pas de la portée de l’incapacité.

[48]           Selon une lecture normale de la décision, l’agent de la Division d’appel a accueilli la demande d’autorisation en se fondant sur des motifs purement théoriques qui n’étaient pas étayés par le dossier en ce qui concerne le seul motif d’appel. Les facteurs examinés auraient milité en faveur d’une conclusion d’invalidité si la défenderesse avait été admissible, mais pas en faveur d’une conclusion d’incapacité. J’éprouve de la compassion pour Mme Hines; toutefois, elle n’a pas prouvé qu’elle avait une incapacité durant les périodes visées.

[49]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision du TSS-DA sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent de la Division d’appel afin qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec ces motifs.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, la décision du TSS-DA est annulée, et l’affaire est renvoyée aux fins de nouvelle décision par un autre agent du TSS-DA, en conformité avec les présents motifs.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1223-15

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. MAUREEN B. HINES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 1ER FÉVRIER 2016

COMPARUTIONS :

Vanessa Luna

Pour le demandeur

Maureen B. Hines

LA DÉFENDERESSE, en son propre nom

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

 

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