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Date : 20150626


Dossier : T-1440-14

Référence: 2015 CF 797

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

demanderesses

et

PHARMACEUTICAL PARTNERS OF CANADA INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté par les demanderesses, Bayer Inc. et Bayer Intellectual Property GmbH (collectivement désignées sous le nom de Bayer), conformément à aux termes de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, à l’encontre de la décision du 26 mars 2015 par laquelle le protonotaire Lafrenière a fait droit à la requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement AC), par l’actuelle défenderesse, Pharmaceutical Partners of Canada Inc. (PPC), en vue d’obtenir une ordonnance radiant toutes les parties de la demande sous-jacente de Bayer dans laquelle cette dernière sollicitait une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (l’AC).

[2]               Pour les motifs énoncés ci-après, l’appel est rejeté.

Contexte

[3]               En mars 2014, PPC a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle pour obtenir un AC relativement à sa solution injectable de chlorhydrate de moxifloxacine (PPC‑Moxifloxacin). Le médicament de référence pour PPC‑Moxifloxacin est AVELOX® I.V., vendu au Canada par Bayer. En mai 2014, PPC a signifié à Bayer un avis d’allégation concernant deux de ses trois brevets inscrits au registre : les brevets canadiens no 2 378 424 (le brevet 424) et no 2 192 418 (le brevet 418) de Bayer.

[4]               Le brevet 424 est intitulé « Composition de sel de cuisine à base de moxifloxacine ». Dans sa demande d’AC, PPC affirmait que le produit PPC‑Moxifloxacin ne contrefera pas les revendications du brevet 424. Le 18 juin 2014, Bayer a intenté une demande fondée sur le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, et l’article 6 du Règlement AC relativement au brevet 424, alléguant notamment que PPC contrefera le brevet 424 ou incitera à sa contrefaçon, et sollicitant une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un AC à PPC (la demande d’interdiction). Le 19 janvier 2015, PPC a présenté une requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement AC afin d’obtenir une ordonnance radiant toutes les parties de la demande d’interdiction de Bayer se rapportant au brevet 424 au motif que cette demande était scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constituait autrement un abus de procédure. La requête dont était saisi le protonotaire, tout comme le présent appel, ne concerne que le brevet 424.

[5]               PPC n’a déposé aucune preuve à l’appui de sa requête en radiation, et n’appuie son allégation de contrefaçon que sur la preuve par affidavit déposée par Bayer dans le cadre de sa demande d’interdiction. Bayer n’a déposé aucune preuve additionnelle en réponse à la requête en radiation, et ses deux déposants n’ont pas été contre-interrogés. Ainsi, la preuve non contestée dont disposait le protonotaire était composée de deux affidavits : celui souscrit le 19 décembre 2014 par Mme Linda Dresser (l’affidavit de Mme Dresser), docteure en pharmacie (Pharm. D.) et professeure adjointe de pharmacie à l’Université de Toronto, ayant plus de vingt-cinq ans d’expérience professionnelle comme pharmacienne d’hôpital; et celui du Dr Roland Grossman, souscrit le 18 décembre 2014 (l’affidavit du Dr Grossman). Le Dr Grossman est médecin membre du personnel du Credit Valley Hospital et professeur de médecine à l’Université de Toronto. Son expertise porte sur l’utilisation des antibiotiques, y compris la moxifloxacine, et sur le traitement des infections respiratoires telles que la pneumonie d’origine extrahospitalière, qui se soigne avec ce médicament.

[6]               Le brevet 424 concerne des préparations aqueuses contenant de la moxifloxacine et du chlorure du sodium à diverses concentrations spécifiées. Les 49 revendications de ce brevet exigent l’inclusion de la moxifloxacine et du chlorure de sodium. La revendication 1 indépendante du brevet 424 concerne : [traduction« une préparation aqueuse comprenant : de 0,04 % à 0,4 % (p/v) de chlorhydrate de moxifloxacine, selon la quantité de moxifloxacine, et de 0,4 % à 0,9 % (p/v) de chlorure de sodium […] ».

[7]               Aucun des experts de Bayer n’a indiqué que PPC contrefera directement le brevet 424, et Bayer a d’ailleurs reconnu qu’il n’y avait aucune preuve de contrefaçon directe lorsqu’elle a comparu devant le protonotaire. La question que celui-ci devait trancher était de savoir si PPC‑Moxifloxacin sera administré en association avec du chlorure de sodium d’une manière qui contrefait le brevet 424 et, le cas échéant, si la monographie de produit de PPC incitera à cette contrefaçon. La requête a été instruite le 5 mars 2015 et accueillie par ordonnance le 26 mars suivant.

Question en litige

[8]               La présente affaire ne soulève qu’une seule question, celle de savoir si le protonotaire a commis une erreur en faisant droit à la requête en radiation de PPC et en concluant qu’il était évident et manifeste que la demande d’interdiction de Bayer, en ce qu’elle se rapportait au brevet 424, devait être rejetée parce qu’elle était manifestement futile.

Décision du protonotaire

[9]               Dans sa décision (Bayer Inc. et Bayer Intellectual Property GmbH c Pharmaceutical Partners of Canada Inc. et Ministre de la Santé, 2015 CF 388, au paragraphe 18 [Bayer]), le protonotaire a noté que l’objet du paragraphe 6(5) du Règlement AC était de permettre à la Cour de trancher promptement les demandes infondées présentées par des premières personnes, en l’occurrence Bayer, et qui n’ont aucune chance de succès. Il s’agit d’un recours extraordinaire qui ne sera accueilli que lorsqu’une demande est « manifestement futile » ou qu’il est « évident et manifeste » qu’elle n’a aucune chance de succès (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 163, aux paragraphes 28 et 36). La seconde personne, en l’occurrence PPC, peut présenter une requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) pour demander le rejet de la demande de la première personne au motif que sa preuve par affidavit ne suffit pas à prouver que les allégations de contrefaçon de la seconde personne ne sont pas justifiées (Novopharm Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167). Dans de tels cas, le fardeau de la preuve revient à la personne qui présente la requête (Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, au paragraphe 33). Pour la trancher, le juge responsable des requêtes doit pouvoir tirer les conclusions factuelles nécessaires, envisagées sous le jour le plus favorable à la première personne, puis appliquer le droit aux faits. En outre, la requête en rejet ne sera accueillie que s’il est apparent qu’il n’existe aucun argument défendable sur le fond de la demande.

[10]           Le protonotaire a conclu que Bayer n’avait produit aucune preuve établissant que PPC contreferait directement le brevet 424. Bayer alléguait plutôt que PPC incitera d’autres à contrefaire le brevet 424 ou leur en donnera les moyens. Plus précisément, Bayer faisait valoir que la monographie de produit PPC‑Moxifloxacin enseignait la contrefaçon et que la vente de ce produit entraînerait la contrefaçon. Le protonotaire a déclaré qu’il était bien établi qu’il n’y a pas de contrefaçon en cas de vente d’un article qui ne contrefait pas lui-même le brevet, quand bien même le vendeur sait que l’acheteur acquiert l’article pour s’en servir dans la contrefaçon d’un brevet (Slater Steel Industries Ltd c R Payer Co., (1968), 38 Fox Pat C 139 [Slater Steel], citant Hatton c Copeland-Chatterson Co., 1906 CarswellNat 10).

[11]           Le protonotaire a estimé qu’il n’était pas suffisant d’alléguer que les pharmaciens ou les médecins prescriraient PPC‑Moxifloxacin d’une manière contrefaisante pour établir de ce fait l’incitation. Ce sont les actes de la seconde personne qui sont en cause, et non la contrefaçon commise par d’autres (Lundbeck Canada Inc. c Ratiopharm Inc., 2009 CF 1102, aux paragraphes 367 à 369 [Lundbeck]). Cependant, la seconde personne peut être impliquée dans la contrefaçon commise par d’autres si elle les y incite.

[12]           Le protonotaire a identifié le critère concernant l’incitation à la contrefaçon tel qu’il a été formulé dans l’arrêt Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc., 2011 CAF 228, au paragraphe 162 [Weatherford] : il l’a qualifié de critère conjonctif et l’a décrit ainsi (au paragraphe 25) :

Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct. Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu. Troisièmement, l’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[13]           Le protonotaire a conclu que Bayer n’avait aucune chance raisonnable de succès au regard du deuxième volet du critère de l’incitation décrit plus haut, eu égard à la preuve dont disposait la Cour. Il a conclu que rien dans la monographie de produit de PPC ne permettait d’établir que PPC contrefera le brevet 424 en incitant d’autres à le faire. Bien que la contrefaçon par incitation puisse être établie à partir d’inférences raisonnablement tirées de la monographie, ou d’éléments de preuve relatifs à la forme posologique, l’étiquetage ou la mise en marché du produit générique (Lundbeck, aux paragraphes 356 et 399), aucun fait en l’espèce, en dehors de l’avis de Mme Dresser, n’étaye l’allégation suivant laquelle PPC [traduction] « enseigne » à d’autres à contrefaire le brevet 424. La question de savoir si la monographie de PPC‑Moxifloxacin contient effectivement de telles instructions en est une de fait et non d’opinion. Le protonotaire a déclaré que c’est une chose qu’un expert assiste la Cour dans l’interprétation des termes techniques, mais que c’en est une autre s’il se prononce sur la question même que la Cour doit trancher. Aucun élément de preuve, hormis des conjectures, n’établissait que PPC tentera de vendre son produit en le combinant à du chlorure de sodium, et rien ne démontrait que PPC tentait ouvertement d’influencer ou d’encourager d’autres à contrefaire le brevet 424.

[14]           Le protonotaire a ensuite conclu que dans l’affaire dont il était saisi, il n’existait aucune instruction ou directive explicite visant l’exécution d’un acte de contrefaçon (Windsurfing International Inc. c Trilantic Corp. (1986), 8 CPR (3d) 241 (CAF)). De plus, quoique des [traduction] « références subtiles » dans une monographie puissent suffire à donner au lecteur l’impression qu’un médicament peut être utilisé d’une manière qui contreferait un brevet (AB Hassle c Genpharm Inc., 2003 CF 1443, au paragraphe 155), en l’espèce, les références générales et génériques au chlorure de sodium dans la monographie de PPC‑Moxifloxacin n’équivalaient pas à de l’incitation. La simple indication que PPC‑Moxifloxacin peut être dilué avec l’une des six solutions intraveineuses énumérées, dont le chlorure de sodium, ou qu’il peut être utilisé de manière séquentielle avec des solutions contenant du chlorure de sodium, sans plus, ne suffit pas pour conclure que PPC incite sciemment les professionnels de la santé à coadministrer le PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium.

[15]           En outre, l’affirmation de Mme Dresser selon laquelle, une fois PPC‑Moxifloxacin sur le marché canadien, PPC devra convaincre les hôpitaux ou les grossistes de distribuer son produit au lieu d’AVELOX® I.V. n’était rien de plus qu’une hypothèse ou une conjecture.

[16]           Le protonotaire a conclu, sur le fondement du dossier dont il disposait, que PPC avait établi qu’il était évident et manifeste que Bayer ne réussirait pas du tout à montrer qu’elle incite ou incitera à la contrefaçon du brevet 424. Comme le critère relatif à l’incitation est conjonctif et que Bayer n’avait produit aucune preuve susceptible de satisfaire à ses trois volets, la demande d’interdiction, en ce qu’elle se rapportait au brevet 424, échouerait inévitablement.

[17]           Par conséquent, la requête de PPC a été accueillie et la radiation des parties de la demande d’interdiction se rapportant au brevet 424 a été ordonnée.

Dispositions législatives pertinentes

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133

6. (5) Sous réserve du paragraphe (5.1), lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :

6. (5) Subject to subsection (5.1), in a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application in whole or in part…

[…]

[…]

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

(b) on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents.

Observations des parties

La thèse des demanderesses

[18]           Bayer soutient qu’il n’est ni évident ni manifeste que la demande d’interdiction n’a aucune chance de succès. La preuve provenant de la monographie de PPC‑Moxifloxacin et de ses deux experts établit que PPC enseignera aux médecins à prescrire et à utiliser le médicament d’une manière contrefaisante. Bayer ajoute que le protonotaire n’avait aucune raison d’écarter les avis d’experts produits. Elle soutient qu’il a commis une erreur en assumant le rôle du juge des demandes et en évaluant le caractère suffisant de sa preuve sans respecter la loi et envisager cette preuve sous le jour qui lui aurait été le plus favorable. Par ailleurs, et contrairement à ce qu’a déclaré le protonotaire, l’avocat de Bayer n’a pas convenu que la preuve se résumait à un seul paragraphe de l’affidavit de Mme Dresser.

[19]           Bayer soutient que la monographie de produit de PPC enseigne aux pharmaciens et aux médecins que PPC‑Moxifloxacin peut être coadministré avec des solutions de chlorure de sodium, et que les avis de ses experts confirment que cela appelle à coadministrer PPC‑Moxifloxacin d’une manière qui entraînera la contrefaçon du brevet 424. Le protonotaire ne pouvait ignorer la preuve des experts, qui sont bien versés dans leur domaine, et adopter plutôt sa propre interprétation du sens qui serait donné à la monographie de produit PPC. Les monographies sont des documents techniques et il était nécessaire que les experts fournissent à la Cour des éléments de preuve indiquant comment ils seraient compris par les médecins et les pharmaciens (Abbott Laboratories c Ministre de la Santé et autres, 2006 CF 1411, au paragraphe 38 [Abbott Laboratories]).

[20]           Bien que PPC n’ait pas encore commercialisé son produit, il en irait de même de toute demande d’interdiction fondée sur le Règlement AC. Dans les demandes concernant une contrefaçon, la Cour et les parties traitent toujours de situations hypothétiques, si bien que les avis de Mme Dresser et du Dr Grossman ne peuvent être écartés en tant que conjectures. D’après Bayer, le protonotaire l’aurait avisée qu’elle pourrait intenter une action pour contrefaçon une fois que PPC entrerait sur le marché et qu’elle inciterait effectivement d’autres personnes à contrefaire le brevet 424. Selon Bayer, son droit d’intenter une telle action ne devrait aucunement influencer l’analyse fondée sur l’alinéa 6(5)b), et cette déclaration mine l’objectif du Règlement AC.

[21]           Bayer fait valoir que le protonotaire a commis une autre erreur en déclarant que rien n’indiquait qu’AVELOX® I.V. serait remplacé par PPC‑Moxifloxacin. Tout d’abord, l’industrie pharmaceutique générique repose sur la commercialisation de produits génériques concurrençant les produits de marque, comme le fait PPC en l’espèce. De plus, l’opinion de Mme Dresser sur ce qui se produira une fois que PPC‑Moxifloxacin entrera sur le marché est fondée sur ses années d’expérience comme pharmacienne d’hôpital. Elle connaît bien les démarches que les compagnies pharmaceutiques génériques doivent effectuer pour que les hôpitaux s’approvisionnent avec leurs médicaments génériques, et sa preuve n’est ni conjecturale ni hypothétique. En outre, il n’est pas nécessaire qu’il y ait tentatives manifestes ou directives explicites de la part PPC pour conclure à l’incitation à la contrefaçon et, de toute façon, la monographie de produit de PPC indique que PPC‑Moxifloxacin peut être coadministré avec du chlorure de sodium, ce qui entraîne une contrefaçon du brevet 424.

[22]           Bayer ajoute que le fardeau de preuve lié à une requête en radiation fondée sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement AC est très lourd. La Cour doit conclure que l’affaire est si manifestement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de succès, ou que la demande d’interdiction ne révèle aucune cause d’action valable (Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, aux paragraphes 33 et 37). C’est au juge des demandes qu’il appartient d’apprécier la preuve produite et de déterminer si elle satisfait au critère de la contrefaçon (Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 250, au paragraphe 12; conf. par 2009 CF 671, au paragraphe 34). L’appel doit être accueilli s’il y a le moindre doute quant à la question de savoir si Bayer a des arguments défendables (Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, au paragraphe 34; Nycomed Canada Inc. c Novopharm Limited, 2008 CF 454, au paragraphe 37). De plus, les demandes de ce type sont déjà vouées à être tranchées par voie de procédure sommaire, et les requêtes fondées sur l’alinéa 6(5)b) devraient être rares (Valeant Canada LP c Canada (Ministre de la Santé), 2013 CF 1254, au paragraphe 38).

[23]           Bayer soutient ensuite que PPC incitera à la contrefaçon du brevet 424. La partie qui incite une autre à contrefaire un brevet est responsable de la contrefaçon et, en l’espèce, PPC appelle les pharmaciens et les médecins, par l’entremise de la monographie de son produit, à coadministrer PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium, ce qui entraîne la contrefaçon inévitable du brevet 424 (Apotex Inc. c Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, au paragraphe 18). Bayer rappelle le critère relatif à l’incitation (Apotex Inc. c Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, au paragraphe 18; AB Hassle c Canada, 2002 CAF 421, au paragraphe 17) et soutient que la contrefaçon peut être établie à partir d’inférences tirées du contenu de la monographie du médicament générique (Lundbeck, aux paragraphes 356 et 399; Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 11; AB Hassle c Canada, 2002 CAF 421, au paragraphe 55).

[24]           À cet égard, Bayer fait valoir tout d’abord que la preuve établit que le brevet 424 sera contrefait par PPC‑Moxifloxacin. De l’avis de Mme Dresser, lorsque ce médicament est coadministré avec une solution injectable de chlorure de sodium à 0,9 % USP à des ratios allant de […] à […], la préparation obtenue relève des revendications du brevet 424. De plus, Mme Dresser note que la monographie de produit de PPC enseigne au pharmacien qu’AVELOX® I.V. est compatible avec six solutions intraveineuses. Le Dr Grossman a déclaré dans sa déposition que, d’après son expérience, les médecins se fient souvent à l’avis des pharmaciens pour ce qui est de la compatibilité des médicaments. D’après lui, AVELOX® I.V. est couramment administré avec une solution de chlorure de sodium à 0,9 %, et une version générique de la moxifloxacine serait aussi administrée de la même façon. Par conséquent, la preuve non contestée des experts montre clairement que si PPC‑Moxifloxacin entrait sur le marché, il serait coadministré avec du chlorure de sodium, ce qui entraînerait la contrefaçon du brevet 424.

[25]           Deuxièmement, Bayer soutient que la monographie de PPC‑Moxifloxacin appelle à la contrefaçon. D’après la déposition de Mme Dresser, la question de savoir si PPC‑Moxifloxacin sera coadministré avec du chlorure de sodium, comme c’est le cas d’AVELOX® I.V., dépend des renseignements contenus dans la monographie de produit de PPC. Comme la monographie de PPC‑Moxifloxacin indique qu’il peut être administré avec du chlorure de sodium, les pharmaciens estimeraient qu’il doit être utilisé et coadministré de la même façon qu’AVELOX® I.V.

[26]           Troisièmement, Bayer renvoie expressément à deux affaires qu’elle estime particulièrement instructives quant à l’importance de la monographie. Dans AB Hassle c Genpharm, 2003 CF 1443, au paragraphe 155h), la Cour a conclu que la monographie était un « document clé ». Pour la Cour d’appel fédérale, la monographie constituait un élément de preuve dont la Cour pouvait tirer des inférences défavorables et conclure qu’elle inciterait à la contrefaçon. Dans Abbott Laboratories, aux paragraphes 40 à 42, la Cour a estimé que la monographie de produit en cause pouvait être considérée comme un « encourage[ment] [à] la contrefaçon » du brevet. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision (Novopharm c Abbott Laboratories, 2007 CAF 251, aux paragraphes 24 à 27). Dans cette affaire, la Cour a indiqué que les monographies devaient être lues du point de vue des médecins et des pharmaciens (Abbott Laboratories, au paragraphe 38). Bayer soutient qu’en l’espèce, la seule preuve concernant le sens qui serait donné à la monographie de produit de PPC provenait des affidavits de Mme Dresser et du Dr Grossman, dont le protonotaire n’a pas tenu compte, et que l’opportunité de soumettre cette preuve au juge instruisant la demande d’interdiction lui a été refusée.

[27]           Enfin, Bayer fait valoir que PPC incitera sciemment à la contrefaçon. PPC a décidé d’inclure le chlorure de sodium à 0,9 % dans la liste des solutions compatibles figurant dans la monographie de produit, alors qu’elle connaissait parfaitement l’existence du brevet 424. Le juge instruisant la demande d’interdiction devrait être en mesure de tirer l’inférence que PPC incitera sciemment à la contrefaçon. En parvenant à une conclusion différente sur la base de la preuve, le protonotaire a indûment privé Bayer d’un jugement et de l’opportunité de faire examiner la preuve par le juge instruisant la demande d’interdiction pour qu’il tire des inférences.

La thèse de la défenderesse

[28]           PPC soutient en substance que Bayer a commis une erreur en alléguant que la monographie de produit de PPC [traduction« enseigne » ou [traduction« appelle » à coadministrer PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium alors qu’en fait, le document ne mentionne nulle part l’administration en association avec du chlorure de sodium à 0,9 % et indique explicitement qu’aucune dilution n’est nécessaire. Par ailleurs, rien ne prouve que PPC inciterait effectivement à une contrefaçon directe, la déposition des experts de Bayer attestant que les praticiens prendraient leurs décisions de traitement en se fondant sur des facteurs médicaux, et non sous l’influence de PPC. Le protonotaire a bien compris la preuve, il a accepté l’avis des experts de Bayer, mais n’a tiré aucune inférence contredisant le contenu clair et incontestable de la monographie de produit de PPC.

[29]           PPC soutient que l’alinéa 6(5)b) du Règlement AC permet à une seconde personne de présenter une requête en vue de faire rejeter la demande d’interdiction d’une première personne au motif que sa preuve par affidavit ne suffit pas à prouver que les allégations de contrefaçon de la seconde personne ne sont pas justifiées. PPC avance que le protonotaire a correctement appliqué la norme juridique, à savoir : lorsque la demande d’interdiction est si manifestement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de succès, ou qu’il est clair et manifeste qu’elle n’aboutira pas, la requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) sera accueillie et tout le fardeau de la preuve incombe à la partie qui présente la requête (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 163, aux paragraphes 28 et 36; Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, au paragraphe 33).

[30]           PPC fait valoir que l’incitation à la contrefaçon obéit à un critère strict et difficile à remplir. En l’espèce, Bayer n’a produit aucun élément de preuve établissant ou même permettant de penser que PPC contreferait directement le brevet 424. […] et, par conséquent, il n’y a pas de contrefaçon directe. Le protonotaire a correctement défini et appliqué le critère relatif à l’incitation à la contrefaçon (Slater Steel, citant Hatton c Copeland-Chatterson Co (1906), 10 RCÉ 224 (C. de l’É.); conf. par (1906), 37 RCS 651 (CSC)); Dableh c Ontario Hydro (1996), 68 CPR (3d) 129 (CAF), au paragraphe 43). C’est au demandeur qu’il incombe de produire des éléments de preuve concluants pour établir que la contrefaçon directe découle de l’influence du défendeur, et ce critère s’applique à PPC dans le cadre de la présente instance relative à un AC (Hershkovitz c Tyco Safety Products Canada Ltd, 2009 CF 256, au paragraphe 160 [Hershkovitz]; Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 1461, au paragraphe 31). Celle-ci porte sur les actes de la seconde personne, en l’espèce PPC, et non ceux d’autres acteurs, comme les médecins et les pharmaciens (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 10; Aventis Pharma Inc. c Pharmascience Inc., 2006 CAF 229; Lundbeck, aux paragraphes 367 à 371).

[31]           S’agissant du deuxième volet du critère relatif à l’incitation à la contrefaçon, l’incitateur doit exercer une influence suffisante sur le contrefacteur direct, de telle sorte que la contrefaçon n’aurait pas eu lieu sans l’incitation; une responsabilité partielle n’est pas suffisante (Apotex Inc. c Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, conf. par 2012 CAF 195, au paragraphe 20; MacLennan c Products Gilbert Inc., 2008 CAF 35, au paragraphe 38 [MacLennan]; Slater Steel, au paragraphe 41). L’incitateur doit activement faire quelque chose qui amène le contrefacteur direct à commettre la contrefaçon. Dans le contexte d’une instance relative à un AC, la compagnie générique doit faire plus que simplement vendre un produit utilisé par un tiers pour commettre un acte de contrefaçon directe. Par ailleurs, même la connaissance du fait que le produit servira probablement à la contrefaçon directe d’un brevet ne suffit pas pour remplir le critère (AB Hassle c Canada, 2002 CAF 421, au paragraphe 56; Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc., 2006 CAF 357, aux paragraphes 17 et 18; Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 1461, au paragraphe 32). Il ne suffit pas non plus d’alléguer qu’une compagnie de médicaments génériques, par l’entremise de sa monographie de produit, son site Web et ses stratégies de marketing, peut être partiellement responsable de la contrefaçon directe commise par les médecins, les pharmaciens et les patients (Apotex Inc. c Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, conf. par 2012 CAF 195, aux paragraphes 2, 19 et 20).

[32]            La Cour d’appel fédérale a insisté sur la nécessité d’appliquer correctement le critère de l’incitation à la contrefaçon dans le contexte des instances relatives à des AC, afin de ne pas étendre artificiellement le monopole du détenteur de brevet en transformant effectivement tous les brevets pharmaceutiques en brevets de composés, ce qui signifie que le détenteur contrôlerait le composé lui-même alors que celui-ci n’est pas protégé par le brevet (AB Hassle c Canada, 2002 CAF 421, aux paragraphes 57 et 58; Aventis Pharma Inc. c Pharmascience Inc., 2006 CAF 229, au paragraphe 58, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée par 2007 CarswellNat 859).

[33]           PPC soutient que la preuve produite par Bayer ne permet pas d’établir l’incitation à la contrefaçon. La monographie de son produit ne contient rien qui démontre qu’elle incitera d’autres à contrefaire le brevet 424. Aucun fait ne vient étayer la conclusion que Bayer invite la Cour à tirer.

[34]           Premièrement, la monographie de produit de PPC n’encourage et n’appelle pas à administrer PPC‑Moxifloxacin en association avec une solution de chlorure de sodium. Le protonotaire a pris acte des affidavits des experts, mais noté la différence entre les faits mentionnés dans la monographie de produit de PPC et l’avis de ces experts quant à la manière dont le document serait interprété et utilisé. Il faut établir l’existence des faits sur lesquels l’avis d’un expert repose pour que celui-ci reçoive un certain poids. L’expert doit proposer au juge des faits des inférences que ce dernier ne peut tirer lui-même en raison du caractère technique des faits. Si le décideur peut tirer ses propres conclusions à partir des faits établis, l’avis de l’expert n’est pas nécessaire (R c Abbey, [1982] 2 RCS 24, aux pages 42 et 46).

[35]           D’après PPC, Bayer fait valoir que la monographie de son produit « enseigne » ou « appelle » à utiliser PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium à des concentrations qui contrefont le brevet 424. La position de Bayer repose sur les six solutions compatibles énumérées et sur une prétendue contrefaçon due à la coadministration avec les éléments de cette liste de compatibilités telle que Mme Dresser l’a identifiée. Cependant, aucun témoin n’a jamais qualifié la liste de solutions compatibles d’[traduction] « enseignement » ou de [traduction] « directive » de coadministrer les produits. Mme Dresser était plutôt d’avis que l’enseignement consistait à prescrire et à utiliser PPC‑Moxifloxacin de la même manière qu’AVELOX® I.V., et notamment à coadministrer le produit de PPC avec une solution saline isotonique lorsque le médecin traitant le juge recommandable, ce que l’avocat de Bayer ayant comparu devant le protonotaire a décrit comme l’[traduction« élément central » du témoignage.

[36]           Cependant, la monographie de produit de PPC n’enseigne nulle part aux professionnels de la santé à coadministrer PPC‑Moxifloxacin avec une solution de chlorure de sodium; elle indique en fait qu’il n’est pas nécessaire de diluer le produit. Lorsque les tribunaux doivent analyser une monographie du point de vue de l’incitation à la contrefaçon, les conclusions de fait concernant sa teneur reposent sur une lecture directe, et non sur la description qu’en fait une partie (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 13; Lundbeck, aux paragraphes 383 à 399). Par ailleurs, même si Bayer soutient que PPC n’avait pas à inclure le chlorure de sodium à 0,9 % dans la liste des solutions compatibles, et que sa décision de le faire devrait entraîner une inférence défavorable, Mme Dresser a déclaré dans sa déposition que les solutions compatibles devaient figurer dans la monographie.

[37]           PPC affirme que la monographie de son produit et que la déposition de Mme Dresser ne peuvent étayer la conclusion juridique suivant laquelle elle incitera les professionnels de la santé à coadministrer PPC‑Moxifloxacin avec une solution de chlorure de sodium, et donc à contrefaire directement le brevet 424. La Cour d’appel fédérale a indiqué que l’incitation à la contrefaçon ne saurait être inférée d’une vague allusion à la réalisation d’un produit breveté dans la monographie du médicament générique (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 11). En l’espèce, la liste des six solutions compatibles est une référence vague au contexte de la thérapie intraveineuse séquentielle. De plus, les cas de H. pylori mentionnés par Bayer peuvent être écartés puisque les brevets qui s’y rapportent supposaient l’utilisation d’un médicament et des références dans les monographies à des études dans lesquelles le médicament s’est avéré efficace pour l’utilisation brevetée. PPC fait valoir qu’il est évident et manifeste, au vu de la preuve disponible, que Bayer ne peut établir la contrefaçon en se basant seulement sur la liste des six solutions compatibles énumérées dans sa monographie, et donc qu’elle ne peut satisfaire au second volet du critère de l’incitation à la contrefaçon.

[38]           Deuxièmement, PPC soutient que la coadministration de PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium serait décidée par les médecins sur la base de considérations médicales. Le Dr Grossman a exposé les étapes du processus décisionnel qu’il suivrait pour déterminer s’il y avait lieu de coadministrer la moxifloxacine avec autre chose. Il a aussi reconnu qu’il ne consultait pas lui-même les monographies de produit pour savoir avec quoi ils sont compatibles. Mme Dresser a également confirmé que la coadministration n’aurait lieu que si le médecin traitant la jugeait recommandable. PPC ne peut être tenue responsable d’incitation à la contrefaçon lorsque toutes les décisions aboutissant à la contrefaçon sont prises par le médecin qui traite le patient et que ce dernier n’est pas influencé par elle. Une preuve concluante doit établir que la contrefaçon directe résulte de l’influence de PPC (Hershkovitz, au paragraphe 160). La responsabilité partielle ne suffit pas et, compte tenu de la preuve, Bayer ne satisfait pas au critère de l’incitation à la contrefaçon (MacLennan, au paragraphe 38; Apotex Inc. c Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, au paragraphe 20).

[39]           Troisièmement, PPC soutient que les témoins experts de Bayer ne traitent pas du critère relatif à l’incitation. Pour compenser cette omission dans la preuve, Bayer a déclaré qu’il est évident que PPC connaît le brevet 424 et sait que des contrefaçons finiront pas être commises, et que la mens rea peut lui être attribuée en tant qu’auteur de la monographie de produit de PPC. Cependant, le Règlement AC obligeait PPC à signifier un avis d’allégation, et Bayer ne peut pas s’appuyer là-dessus pour établir que PPC a sciemment poussé les professionnels de la santé à contrefaire un brevet. On ne peut logiquement inférer que PPC savait qu’elle contreferait le brevet 424 en adressant à Bayer une lettre alléguant qu’elle ne le contrefait pas. Par ailleurs, la monographie de PPC indique expressément que son produit n’a pas à être dilué (et donc coadministré). L’incitation ne peut pas être établie sur la base d’une inférence défavorable (Weatherford, aux paragraphes 155 à 171).

[40]           Le protonotaire était en droit de conclure que l’avis de Mme Dresser sur ce qui pourrait se produire plus tard ne crée pas de faits là où il n’en existe pas, et que même si une preuve plus convaincante pourrait permettre à Bayer d’étayer ses allégations après l’approbation, il ne s’agit pour le moment que de conjectures. Comme les témoins de Bayer n’ont pas réfléchi à l’influence de PPC sur le moindre acte de contrefaçon, et comme rien n’établit une influence délibérée quant à une contrefaçon directe, la demande d’interdiction de Bayer ne peut aboutir. Le maintien de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière permettra donc de protéger l’administration de la justice.

Norme de contrôle

[41]           Les parties conviennent qu’une audience de novo est requise pour l’appel d’une ordonnance d’un protonotaire qui a une importance vitale pour l’issue de l’affaire. C’est le cas de l’ordonnance du protonotaire puisqu’en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement AC, elle rejette toutes les parties de la demande d’interdiction qui se rapportent au brevet 424 au motif qu’elles sont vexatoires (Merck & Co Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, aux paragraphes 17 à 19; ZI Pompey Industrie c ECU-Line NV, 2003 CSC 27, au paragraphe 18; City Centre Aviation Ltd c Jazz Air Lp, 2007 CAF 304, au paragraphe 14; Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2006 CAF 1125, aux paragraphes 16, 17 et 20, conf. par 2007 CAF 163, au paragraphe 8; Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, aux paragraphes 1 et 30). Une fois qu’il est établi qu’une audience de novo est requise, il n’est pas nécessaire de chercher à relever les erreurs dans la décision visée par l’appel (City Centre Aviation Ltd. c. Jazz Air Lp, 2007 CAF 304, au paragraphe 13).

Analyse

[42]           À mon avis, le protonotaire n’a pas commis d’erreur en faisant droit à la requête en radiation de la demande d’interdiction de Bayer, en ce qu’elle se rapporte au brevet 424, puisque la demande n’a aucune chance d’être accueillie à l’audience.

[43]           Dans leurs observations, les parties ont énoncé les principes juridiques généraux applicables à une demande fondée sur le paragraphe 6(5) du Règlement AC. Elles ne contestent pas ces principes, mais plutôt la manière dont ils s’appliquent aux présents faits. En substance, ces principes veulent que le paragraphe 6(5) du Règlement AC ait pour objet de disposer des demandes d’interdiction qui n’ont aucune chance de succès. Il s’agit d’un recours extraordinaire et le fardeau de la preuve qui incombe à la partie qui présente la requête en radiation est très lourd (Nycomed GmbH c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 330, aux paragraphes 76-77; Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, aux paragraphes 33, 34 et 37). La demande doit être si « manifestement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de succès », ou il doit être « évident et manifeste » que le demandeur n’a aucune chance d’avoir gain de cause (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 163, au paragraphe 28; Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 671, au paragraphe 33). Il convient d’accueillir avec parcimonie les requêtes en radiation et de ne pas les encourager (Valeant Canada LP c Canada (Ministre de la Santé), 2013 CF 1254, au paragraphe 38). Le juge des requêtes doit tirer les conclusions de fait nécessaires en les envisageant de la façon la plus favorable pour la première personne, et appliquer le droit aux faits (Abbott Laboratories Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 622, au paragraphe 37; Nycomed Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2008 CF 454, au paragraphe 37).

[44]           Tout en gardant ces considérations à l’esprit, il faut également se rappeler que cette disposition fait partie du Règlement AC et donc que le seuil relatif à une requête fondée sur le paragraphe 6(5) ne devrait pas être impossible à atteindre. De plus, l’existence d’éléments de preuve éventuels futurs démontrant la contrefaçon n’est que pure hypothèse et ne peut recevoir le moindre poids dans le cadre d’une requête fondée sur le paragraphe 6(5), telle que la présente (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 13; Nycomed Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2008 CF 454, aux paragraphes 36, 37).

[45]           Nous devons commencer notre analyse en notant qu’il est clair et incontesté que rien ne démontre en l’espèce de contrefaçon directe de la part de PPC. Le brevet 424 se rapporte à des préparations comprenant la moxifloxacine et du chlorure de sodium à certaines concentrations spécifiées. L’affidavit de Mme Dresser a permis d’établir que […]. Bayer affirme néanmoins que les professionnels de la santé contreferont le brevet 424 du fait de la coadministration résultant directement de l’influence exercée par PPC dans sa monographie et de ses tentatives pour remplacer AVELOX® I.V. par PPC‑Moxifloxacin.

[46]           Le critère de l’incitation à la contrefaçon a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc., 2011 CAF 228, au paragraphe 162 :

[…] Une conclusion d’incitation requiert l’application d’un critère à trois volets. Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct. Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu. Troisièmement, l’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon : Dableh c. Ontario Hydro,[1996] 3 C.F. 751, paragraphes 42 et 43 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [1996] C.S.C.R. no 441; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), 2002 CAF 421, 22 C.P.R. (4th) 1, paragraphe 17 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [2002] C.S.C.R. no 531; MacLennan c. Produits Gilbert Inc., 2008 CAF 35,67 C.P.R. (4th) 161, paragraphe 13. […]

[47]           Dans des décisions subséquentes, les cours ont précisé ce qu’il fallait établir pour remplir les trois volets du critère de l’incitation à la contrefaçon, en énonçant notamment le principe suivant : [traduction« la vente d’un article qui ne contrefait pas en lui-même le brevet, quoi qu’il puisse servir à cette fin, ne constitue pas une contrefaçon dudit brevet», et ce quand bien même le vendeur sait que l’article sera utilisé pour contrefaire un brevet (Slater Steel, au paragraphe 27; citant Hatton c Copeland Chatterson Co (1906), 10 RCÉ 224 (C.Can.Ex)). Il ne suffit pas non plus que les pharmaciens ou les médecins prescrivent le produit d’une manière contrefaisante; la Cour doit plutôt examiner les actes de la seconde personne, en l’espèce PPC. Ce sont les actes du fabricant générique, et non les prévisions quant à ce qui pourrait arriver, qui sont en cause dans une telle demande (Lundbeck, aux paragraphes 367 à 371). Le fabricant de produits génériques doit être impliqué pour conclure qu’il y a eu incitation à la contrefaçon (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 10). Le Règlement AC vise à prévenir la contrefaçon de brevets par les fabricants, mais non par les patients ou, comme dans l’affaire qui nous occupe, par les pharmaciens ou les médecins (Aventis Pharma Inc. c Pharmascience Inc., 2006 CAF 229, au paragraphe 57).

[48]           En outre, « [l’]exécution de l’acte de contrefaçon doit résulter de l’influence du contrefacteur direct » (Hershkovitz, au paragraphe 160). D’après la Cour d’appel fédérale, « il n’est généralement pas possible de conclure qu’il y a eu incitation à la contrefaçon à partir d’une simple mention de la nouvelle utilisation dans la monographie, par exemple, dans des explications relatives aux contre-indications ou à l’interaction médicamenteuse ou dans une bibliographie scientifique » (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 11).

[49]           S’agissant du deuxième volet du critère de l’incitation à la contrefaçon, l’incitateur, PPC en l’espèce, doit établir une influence suffisante et telle que sans elle, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu. N’alléguer qu’une responsabilité partielle ne suffit pas (Apotex Inc. c Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, aux paragraphes 19 et 20). Le prétendu incitateur doit exercer sciemment son influence (MacLennan c Gilbert Tech Inc., 2008 CAF 35, au paragraphe 38). La simple vente d’un produit générique ne suffit pas, il doit y avoir autre chose (AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2002 CAF 421, au paragraphe 56; Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc., 2006 CAF 357, aux paragraphes 17 et 18). Par ailleurs, le simple fait de savoir que le produit sera probablement utilisé d’une manière contrefaisante ne suffit pas non plus (Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 1461, au paragraphe 32, conf. par 2006 CAF 357).

[50]           La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale insiste également sur la nécessité d’appliquer prudemment le droit relatif à l’incitation dans les instances concernant les AC, et ce, pour des raisons politiques. Si les demandes d’interdiction présentées par des détenteurs de brevet aboutissent alors qu’il est seulement possible que quelqu’un utilise le médicament générique d’une manière brevetée, cela reviendrait à étendre artificiellement le monopole des détenteurs. Quoique les faits en présence soient un peu différents, puisque ce n’est pas seulement l’utilisation du composé qui est en cause, mais sa coadministration avec une autre solution, les mêmes préoccupations politiques entrent en jeu. Comme l’a déclaré le juge Sexton dans AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2002 CAF 421, au paragraphe 57 :

Par conséquent, Apotex ne peut être empêchée d’obtenir un avis de conformité pour le seul motif qu’elle vendra de l’oméprazole. Affirmer le contraire soulèverait de graves questions de politique. S’il y avait une quelconque possibilité qu’un patient consomme un produit générique pour une utilisation brevetée, alors le produit générique ne serait pas approuvé. Cela empêcherait l’autorisation de nouvelles utilisations de médicaments existants, car il est toujours possible que quelqu’un, quelque part, utilise le médicament pour l’objet breveté et interdit. Cette position mènerait à une véritable injustice : comme la société qui fabrique des génériques ne peut raisonnablement contrôler comment chacun dans le monde utilise son produit, empêcher le fabricant de génériques de commercialiser son produit contribuerait à conforter et élargir davantage le monopole des titulaires de brevet. Les titulaires de brevet se trouveraient de ce fait à contrôler effectivement non seulement les nouvelles utilisations d’un composé existant, mais le composé lui-même, même si celui-ci n’est pas protégé par le brevet au départ. Les titulaires de brevet auraient ainsi un avantage qu’ils ne devaient pas avoir. En fin de compte, la société serait privée de l’avantage des nouveaux modes d’utilisation des produits pharmaceutiques existants, disponibles à un coût inférieur.

(Voir aussi Aventis Pharma Inc. c Pharmascience Inc., 2006 CAF 229, au paragraphe 58.)

[51]           La jurisprudence a également établi que la monographie de produit pouvait remplir un « rôle clé » dans l’établissement des intentions du fabricant de médicaments génériques et de la probabilité de contrefaçon (AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2002 CAF 421, au paragraphe 55; Abbott Laboratories, au paragraphe 36). La Cour a également indiqué que les monographies doivent être lues du point de vue des pharmaciens et des médecins (Abbott Laboratories, au paragraphe 38). De plus, la contrefaçon par incitation peut être établie en « infér[ant] raisonnablement la contrefaçon du contenu de la monographie du médicament générique » (Lundbeck, au paragraphe 356; voir aussi Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 11).

[52]           À présent, comment faut-il appliquer ces principes eu égard aux faits de la présente affaire?

[53]           L’affidavit de Mme Dresser évoque les utilisations d’AVELOX® I.V., principalement dans le contexte de sa coadministration. Mme Dresser poursuit en décrivant la manière dont les hôpitaux achètent et gardent en stock les médicaments, plus particulièrement les antibiotiques intraveineux. Elle traite ensuite de la question de savoir si PPC‑Moxifloxacin serait coadministré de la même manière qu’AVELOX® I.V.

[54]           S’agissant de ce dernier point, Mme Dresser déclare qu’il lui a été [traduction« expressément demandé si PPC‑Moxifloxacin serait coadministré de la même manière qu’AVELOX® I.V. avec des solutions salines isotoniques ». La monographie de produit de PPC était jointe comme pièce à son affidavit, tout comme celle d’AVELOX® I.V. Elle précise que son analyse de la question dépendra largement des renseignements figurant dans la monographie de produit de PPC, et indique qu’il est question de la « coadministration » de PPC‑Moxifloxacin avec des solutions compatibles à la page 20 de la monographie de produit de PPC, où se trouvent énumérées les mêmes six solutions intraveineuses compatibles que dans la monographie d’AVELOX® I.V. Elle conclut, en se basant sur la monographie de PPC, qu’elle informerait les médecins que PPC‑Moxifloxacin peut être prescrit, utilisé et administré de la même manière qu’AVELOX® I.V. Elle estime donc que [traduction« conformément aux enseignements contenus dans la monographie de produit de PPC, les médecins prescriraient et utiliseraient celui-ci de la même manière qu’AVELOX® I.V. », et notamment l’administreraient en association avec une solution saline isotonique si le médecin traitant le jugeait recommandable (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 42).

[55]           Elle conclut également que si PPC‑Moxifloxacin était coadministré avec une solution de chlorure de sodium à 0,9 % selon certains ratios, la préparation obtenue contiendrait de la moxifloxacine et du chlorure de sodium à une concentration qui se situerait dans les intervalles visés par le brevet 424 (affidavit de Mme Dresser, aux paragraphes 76 et 77). Il convient de noter que Mme Dresser reconnaît plus tôt dans son affidavit que la solution injectable de chlorure de sodium à 0,9 % USP, inscrite comme solution compatible avec AVELOX® I.V. et PPC‑Moxifloxacin dans leurs monographies respectives, est couramment désignée comme une solution saline isotonique (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 19). Par ailleurs, il faut également préciser que sur les six solutions énumérées, c’est l’une des deux solutions dont l’usage est le plus fréquent (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 22).

[56]           Dans son affidavit, le Dr Grossman a également témoigné au sujet de l’utilisation d’AVELOX® I.V., sur le fondement de son expérience et de sa pratique. Il a déclaré que les modalités de traitement d’une pneumonie extrahospitalière dépendent d’un certain nombre de facteurs et de considérations (affidavit du Dr Grossman, au paragraphe 16). Il a indiqué que l’avocat de Bayer lui avait demandé si, à sa connaissance et dans sa pratique, AVELOX® I.V. est administré en association avec une solution de chlorure de sodium à 0,9 % et, le cas échéant, pourquoi et comment. Le Dr Grossman a indiqué qu’il ne consultait pas souvent les monographies de produit pour déterminer la compatibilité des médicaments, mais qu’il s’adressait et s’en remettait d’habitude aux pharmaciens d’hôpital pour confirmer la compatibilité de médicaments aux fins de coadministration (affidavit du Dr Grossman, au paragraphe 32). Il a expliqué que lorsque des patients sont admis à l’hôpital pour le traitement d’une pneumonie extrahospitalière, ils y restent généralement plusieurs jours et doivent recevoir de nombreuses doses d’antibiotiques intraveineux. Dans ce cas, il est souvent préférable que la même ligne intraveineuse soit connectée à la veine du patient pendant la durée de son séjour, ce qui nécessite un écoulement continu de solution dans la tubulure afin de garder la veine ouverte. La solution le plus couramment utilisée à cette fin est une solution de chlorure de sodium à 0,9 %, généralement désignée comme une solution saline (affidavit du Dr Grossman, aux paragraphes 34 à 36).

[57]           La solution saline est administrée par une tubulure principale, et tous les antibiotiques ou autres médicaments nécessaires le sont par une tubulure secondaire. Comme une seule tubulure est introduite dans la veine du patient, les tubulures primaire et secondaire sont connectées par un raccord en « Y ». Le Dr Grossman a expliqué que la ligne principale pouvait parfois être fermée lorsqu’un médicament est administré, mais qu’il était souvent préférable de poursuivre l’administration simultanée de la solution saline et du médicament (affidavit du Dr Grossman, aux paragraphes 36 et 37). Il a déclaré que le choix de solution saline dépend de sa compatibilité avec le ou les médicaments administrés. La solution saline le plus couramment utilisée est une solution de chlorure de sodium à 0,9 %, compatible avec AVELOX® I.V. et généralement prescrite pour être coadministrée avec ce médicament (affidavit du Dr Grossman, au paragraphe 46). Il a conclu que si la moxifloxacine générique présentait les mêmes compatibilités qu’AVELOX® I.V., il s’attendrait à ce qu’elle soit utilisée de la même manière (affidavit du Dr Grossman, au paragraphe 49).

[58]           Le second volet du critère relatif à la contrefaçon par incitation exige que l’exécution des actes de contrefaçon soit influencée par les actes des prétendus incitateurs au point que la contrefaçon directe n’aurait pas lieu sans cette influence. Dans leurs affidavits, Mme Dresser et Dr Grossman n’abordent pas la question de l’influence. Ils avancent plutôt que, parce que la monographie de produit de PPC et celle d’AVELOX® I.V. décrivent comment ces deux médicaments peuvent être « coadministrés » de la même façon avec des solutions salines intraveineuses, ils seraient utilisés de cette manière. Mme Dresser va jusqu’à dire que « conformément aux enseignements contenus dans la monographie de produit de PPC, les médecins prescriraient et utiliseraient celui-ci de la même manière qu’AVELOX® I.V., et notamment l’administreraient en association avec une solution saline isotonique si le médecin traitant le jugeait recommandable » (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 42).

[59]           Cependant, comme l’a conclu le protonotaire, la monographie de produit de PPC parle d’elle-même en l’espèce. Le document n’« enseigne » ni n’« appelle » à « coadministrer » PPC‑Moxifloxacin avec autre chose. La seule mention de la solution injectable de chlorure de sodium à 0,9 % USP figure sous la rubrique « Administration intraveineuse » et explique que PPC‑Moxifloxacin devrait être administré pendant 60 minutes par perfusion directe ou par une perfusion intraveineuse en Y peut-être déjà en place :

[traduction] Traitement séquentiel iv / oral

[…]

Comme il y a peu de données sur la compatibilité entre la solution intraveineuse de moxifloxacine et les autres solutions intraveineuses, aucun additif ni médicament ne doit être ajouté à la solution injectable de moxifloxacine ni administré en même temps par la même tubulure. Si la même tubulure est employée pour la perfusion séquentielle d’autres médicaments, il faut la purger avant et après la perfusion de la solution injectable de moxifloxacine avec une solution de perfusion qui lui est compatible et avec le ou les autres médicaments administrés par cette tubulure.

La solution injectable de moxifloxacine est compatible avec les solutions intraveineuses suivantes, dans un rapport de 1:10 à 10:1 :

•           soluté injectable de chlorure de sodium à 0,9 % USP;

•           soluté injectable de chlorure de sodium molaire;

•           soluté injectable de dextrose à 5 % USP;

•           eau stérile pour injection USP;

•           soluté injectable de dextrose à 10 % USP;

•           soluté lactate de Ringer injectable.

Si la solution de moxifloxacine est administrée dans une tubulure de perfusion en Y déjà en place, on recommande d’interrompre temporairement l’administration de toute autre solution pendant la perfusion de chlorhydrate de moxifloxacine.

[60]           De plus, comme le précise le paragraphe 31 de la monographie de produit de PPC, [traduction« AUCUNE AUTRE DILUTION DU PRODUIT N’EST NÉCESSAIRE ».

[61]           Par conséquent, bien que la preuve d’expert soit utile pour expliquer comment les pharmaciens et les médecins utiliseront probablement PPC‑Moxifloxacin s’il est commercialisé, la monographie de ce médicament n’enseigne et n’appelle pas à le coadministrer avec une solution de chlorure de sodium à 0,9 %. Elle se contente d’indiquer qu’il est compatible avec cette solution. Par ailleurs, comme l’a expliqué le Dr Grossman, la question de savoir si et comment une telle solution sera utilisée dépendra de l’état du patient. Mme Dresser estime que PPC‑Moxifloxacin et AVELOX® I.V. seront utilisés de la même manière et reconnaît que [traduction« [d]épendamment de l’état du patient, le médecin traitant peut décider d’administrer AVELOX® I.V. avec une solution saline et/ou un autre médicament » (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 16). Mme Dresser ajoute que [traduction« [l]a décision d’interrompre ou pas la perfusion d’une solution saline isotonique pendant l’administration d’AVELOX® I.V. revient au médecin traitant. L’opportunité de l’interruption dépendra principalement de l’état du patient » (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 21). Par ailleurs, le médecin administrerait PPC‑Moxifloxacin [traduction« en association avec une solution saline isotonique s’[il] le jugeait recommandable » (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 42).

[62]           Il est également significatif que Mme Dresser reconnaisse clairement dans son affidavit que :

[traduction] Les renseignements importants sur le médicament, notamment sa compatibilité avec d’autres médicaments ou solutions aux fins de coadministration doivent figurer dans la monographie […]

(Au paragraphe 12)

[63]           En outre, l’affidavit de Mme Dresser précise que [traduction« la monographie de produit fournira également des renseignements sur les interactions possibles et la compatibilité du médicament avec d’autres produits » (au paragraphe 13).

[64]           Une simple lecture de la monographie de produit de PPC montre bien qu’il s’agit des renseignements fournis relativement aux six solutions compatibles énumérées. À mon avis, le protonotaire a à bon droit conclu que cette référence générale au chlorure de sodium dans la monographie de produit de PPC n’équivalait pas à de l’incitation. Déclarer simplement que PPC‑Moxifloxacin peut être utilisé avec les six solutions intraveineuses compatibles énumérées, y compris le chlorure de sodium à 0,9 %, ou que si la même tubulure sert à la perfusion séquentielle d’autres médicaments, elle doit être purgée avant et après la perfusion de PPC‑Moxifloxacin avec une solution compatible, « sans plus », ne suffit pas pour conclure que PPC incite sciemment les professionnels de la santé à coadministrer PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Apotex Inc., 2006 CAF 357, au paragraphe 18).

[65]           Bayer fait aussi valoir que PPC n’aurait pas dû inclure le chlorure de sodium à 0,9 % dans la monographie de son produit. Cependant, comme nous venons de le voir, l’affidavit de Mme Dresser indique clairement que la liste des compatibilités avec d’autres médicaments ou solutions [traduction] « doit figurer dans la monographie de produit » (affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 12). Par conséquent, il n’était pas loisible à PPC d’omettre cette information nécessaire, et je ne pense pas que le fait de l’avoir énoncée revenait à appeler à la contrefaçon ou à l’encourager.

[66]           Bayer invoque les décisions AB Hassle c Genpharm, 2003 CF 1443, et Abbott Laboratories, et fait valoir que la monographie est un document clé et que l’avis des experts doit servir à déterminer comment il serait interprété dans la pratique.

[67]           À mon avis, la décision AB Hassle c Genpharm, 2003 CF 1443 est peu utile pour Bayer. Dans cette affaire, les brevets en cause concernaient la nouvelle utilisation de l’oméprazole, un composé existant et connu servant au traitement des infections à Campylobacter pylori (H. pylori). Genpharm alléguait que sa version générique serait utilisée pour les anciennes indications et donc qu’elle ne contreferait pas le brevet. Le juge du procès avait qualifié la monographie de produit de document clé, et estimé qu’elle contenait quatre passages qui pouvaient sans doute attester l’intention de la compagnie générique de destiner son produit à la nouvelle indication.

[68]           La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge du procès. S’étant également référée aux passages de la monographie visée, elle a noté que rien n’expliquait que Genpharm inclue dans sa monographie de produit une étude concernant des patients infectés par H. pylori, si ce n’était pour indiquer que l’oméprazole pouvait être utilisé pour supprimer les sécrétions d’acide gastrique dans le traitement des infections causées par cette bactérie, soit la nouvelle utilisation protégée par le brevet.

[69]           La Cour d’appel fédérale a notamment déclaré :

[20]      Genpharm conteste fortement la conclusion de la juge Layden-Stevenson au sujet de la monographie du produit. Genpharm affirme qu’aucune preuve produite par Astra n’établissait que la monographie du produit entraînerait la contrefaçon des brevets ‘668 ou ‘762. Toutefois, la monographie du produit avait été déposée en preuve et la juge Layden-Stevenson pouvait en tirer une conclusion défavorable.

[70]           En l’espèce, la monographie de produit de PPC était un élément de preuve se passant de commentaires. Cependant, contrairement à la monographie d’oméprazole, une simple lecture révèle que les termes invoqués par Bayer et ses experts n’étayent pas l’inférence ou la conclusion suivant laquelle cette monographie incitera à la contrefaçon. Les conclusions factuelles nécessaires en l’espèce peuvent découler directement de la lecture de la monographie (Sanofi-Aventis Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au paragraphe 13; Lundbeck Canada Inc. c Ratiopharm Inc., 2009 CF 1102, aux paragraphes 383 à 399).

[71]           Pour des motifs analogues, j’estime que la décision Abbott Laboratories n’est pas utile pour Bayer dans les présentes circonstances (voir les paragraphes 41 et 42).

[72]           Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Novopharm Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167, au paragraphe 11, en ce qui regarde une nouvelle utilisation « […] il n’est généralement pas possible de conclure qu’il y a eu incitation à la contrefaçon à partir d’une simple mention de la nouvelle utilisation dans la monographie, par exemple, dans des explications relatives aux contre-indications ou à l’interaction médicamenteuse ou dans une bibliographie scientifique ». En l’espèce, la mention concerne les solutions intraveineuses compatibles et ne peut pas étayer une inférence défavorable quant à l’incitation à la contrefaçon.

[73]           Comme dans Lundbeck, il s’agit de savoir si la monographie de produit incitera à la contrefaçon. Dans cette affaire, la juge Mactavish a estimé que la monographie visée ne faisait aucune référence au traitement d’association et qu’elle n’indiquait nulle part que ratiopharm voulait faire approuver la vente de mémantine aux fins d’utilisation combinée avec un autre médicament. S’agissant de la décision AB Hassle, la juge Mactavish a noté que, dans cette affaire, la preuve établissait que la monographie contient des références à une étude particulière qui seraient considérées comme renvoyant  à une utilisation contrefaisante particulière du médicament en cause (AB Hassle c Genpharm Inc., 2003 CF 1443). Cependant, dans l’affaire dont elle était saisie, l’étude en question n’était pas mentionnée par son nom ni citée dans la bibliographie de la monographie, et aucun médecin ou pharmacien désintéressé n’a déclaré que la monographie de ratiopharm l’inciterait à utiliser ratio-mémantine dans le cadre d’un traitement d’association. La juge Mactavish a examiné les autres références pertinentes dans la monographie et conclu :

[399]    Comme l’a fait observer la juge Layden‑Stevenson dans la décision Genpharm, une « mention subtile » dans une monographie de produit peut suffire pour donner au lecteur l’impression qu’un médicament peut être utilisé d’une manière qui contreferait le brevet : voir le paragraphe 155. À mon avis toutefois, les références à l’étude de Tariot dans le projet de monographie de produit de Ratiopharm ne sont pas seulement subtiles, elles sont à la fois obscures et trompeuses. J’estime qu’elles n’inciteraient personne à prescrire la mémantine en association avec un inhibiteur de l’acétylcholinestérase en polythérapie.

(Voir aussi Aventis Pharma Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 1461)

[74]           De même, en l’espèce, la mention des solutions intraveineuses compatibles ne peut être comprise comme une incitation à la contrefaçon.

[75]           L’avis de Mme Dresser selon lequel « conformément aux enseignements contenus dans la monographie de produit de PPC, les médecins prescriraient et utiliseraient celui-ci de la même manière qu’AVELOX® I.V., et notamment l’administreraient en association avec une solution saline isotonique si le médecin traitant le jugeait recommandable », n’est pas étayé par le libellé clair de la monographie. Par ailleurs, cela dépendrait également de l’évaluation par le médecin traitant de l’état de son patient. La monographie de produit de PPC n’« enseigne » et n’« appelle » nulle part à « coadministrer » PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium à 0,9 %. Ces mots ne figurent pas dans la monographie de produit. La seule mention du chlorure de sodium à 0,9 % se rapporte à la liste des six solutions intraveineuses compatibles. Même s’il est établi qu’une « référence subtile » dans une monographie de produit peut donner au lecteur l’impression qu’un médicament peut être utilisé d’une manière qui contrefait le brevet, la référence au chlorure de sodium en l’espèce me paraît insuffisante pour constituer de l’incitation (AB Hassle c Genpharm Inc., 2003 CF 1443, au paragraphe 155). Le fait que la monographie de produit de PPC contient cette phrase en caractères gras [traduction« AUCUNE AUTRE DILUTION DU PRODUIT N’EST NÉCESSAIRE », le corrobore. La contrefaçon à laquelle Bayer fait référence est une contrefaçon directe commise par les médecins et les pharmaciens, et non une contrefaçon induite par PPC au moyen de sa monographie de produit. Par ailleurs, déclarer simplement que le produit est compatible avec du chlorure de sodium à 0,9 % ne suffit pas à établir que PPC incite sciemment les professionnels de la santé à contrevenir au brevet 424 en administrant PPC‑Moxifloxacin en association avec du chlorure de sodium à 0,9 %.

[76]           Bien qu’il n’ait pas été soulevé par les parties, le fait que Bayer allègue l’incitation à la contrefaçon sur la base de l’utilisation du générique proposé en association avec ce que ses experts décrivent comme la solution saline la plus courante, peut réveiller une préoccupation d’ordre politique. Plus spécifiquement, l’administration de la solution saline peut s’avérer nécessaire du point de vue médical sans égard à la prescription de moxifloxacine. Par conséquent, les patients devraient-ils se voir refuser un générique simplement parce que l’administration de PPC‑Moxifloxacin avec une solution saline isotonique, dans un certain intervalle étroit de concentration, contreferait le brevet 424? Cependant, cette question n’ayant pas été soulevée, je ne le trancherai pas.

[77]           Quoique Bayer n’ait pas fait valoir dans son appel que l’affidavit de Mme Dresser établit qu’une fois le PPC‑Moxifloxacin commercialisé, PPC devra approcher les hôpitaux ou les grossistes pour les convaincre de distribuer son produit au lieu d’AVELOX® I.V., je conviens avec le protonotaire que cette preuve relève de la conjecture. Par ailleurs, l’affidavit de Mme Dresser précise que lorsque des génériques sont disponibles, la décision de l’hôpital d’inscrire un antibiotique sur son formulaire sera prise généralement en fonction du composé agissant plutôt que d’une marque particulière; il indique que [traduction« [l]a question de savoir quel produit l’hôpital inscrira sur son formulaire sera généralement déterminée à l’issue d’un processus d’offre » (affidavit de Mme Dresser, aux paragraphes 29-31) et :

[traduction] Les hôpitaux publient généralement des appels d’offres et attendent que les fabricants de médicaments soumettent leur offre. Ce sont les fabricants de médicaments qui approchent les hôpitaux pour proposer leurs produits. Par conséquent, une fois que le produit de PPC sera commercialisé au Canada, PPC devra aller voir les hôpitaux ou les grossistes pour les convaincre de passer d’AVELOX® I.V. à son produit.

(Affidavit de Mme Dresser, au paragraphe 35)

[78]           Je vois mal en quoi le fait de répondre à un appel d’offres émis par un hôpital équivaut à ce que PPC soit obligée d’approcher les hôpitaux pour les convaincre de changer de produit. Je ne vois aucune preuve étayant le moindrement les allégations d’incitation à la contrefaçon.

[79]           Au paragraphe 30 de sa décision, le protonotaire indiquait qu’aucune preuve ne démontrait que PPC cherchera à vendre son produit en association avec du chlorure de sodium. Bayer affirme que cela signifie que les demandes présentées au titre du Règlement AC n’aboutiront jamais puisqu’elles sont antérieures à la vente réelle des produits. Cependant, le protonotaire faisait référence à la vente de PPC‑Moxifloxacin avec du chlorure de sodium, qui n’est établie par aucune preuve. La seule preuve pertinente en l’espèce est la monographie de PPC‑Moxifloxacin et la déposition des deux experts, et elles n’indiquent pas que PPC‑Moxifloxacin serait vendu avec du chlorure de sodium d’une manière qui contreferait directement le brevet 424 ou inciterait d’autres à le faire. L’observation du protonotaire ne signifie donc pas qu’aucune demande présentée au titre du Règlement AC n’aboutirait. Il notait simplement, compte tenu des faits particuliers de la présente affaire, que rien ne démontrait une contrefaçon directe ou par incitation résultant de la vente du produit avec du chlorure de sodium, et qu’il serait plus indiqué que Bayer attende et intente une action pour contrefaçon, si cela devait se produire.

[80]           En résumé, pour satisfaire au deuxième volet du critère de l’incitation à la contrefaçon, l’incitatrice PPC doit exercer suffisamment d’influence sur le contrefacteur direct, soit les médecins ou les pharmaciens, de telle sorte que la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu « sans » l’incitation. Pour les motifs qui précèdent, ni la monographie de PPC ni la déposition des experts ne remplissent ce critère. Non seulement le deuxième volet du critère de l’incitation à la contrefaçon n’est-il pas rempli, mais il est également probable que le troisième ne le serait pas davantage dans les circonstances. Ce troisième volet veut que « l’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon » (Weatherford, au paragraphe 162). Comme je l’ai indiqué dans les paragraphes précédents, la seule mention du chlorure de sodium à 0,9 % se trouve dans la liste des solutions compatibles, qui doit figurer dans la monographie. De plus, la monographie de PPC précise que le produit n’a pas à être dilué avant d’être coadministré, ce qui n’étaye pas l’allégation de Bayer d’après laquelle PPC incite sciemment à la contrefaçon au moyen de la coadministration évoquée dans sa monographie. Toutefois, comme le deuxième volet du critère de l’incitation n’est pas rempli, il n’est pas nécessaire de tirer de conclusion définitive quant au troisième volet.

[81]           PPC s’est acquittée de son fardeau d’établir qu’il est évident et manifeste que Bayer n’a aucune chance d’établir qu’elle incite ou incitera à la contrefaçon du brevet 424, eu égard à la preuve produite. Comme le deuxième volet du critère de l’incitation à la contrefaçon échouera inévitablement, les parties de la demande d’interdiction se rapportant au brevet 424 doivent à bon droit être radiées et, par conséquent, l’appel est rejeté. Il convient dans les circonstances d’accorder un montant forfaitaire de 2 500 $ pour les dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.      L’appel visant la décision du protonotaire est rejeté;

2.      PPC recouvrera ses dépens, fixés au montant forfaitaire global de 2 500 $.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1440-14

 

INTITULÉ :

BAYER ET AL c PHARMACEUTICAL PARTNERS OF CANADA INC ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 mai 2015

 

ordonnance ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Frédéric Lussier

 

POUR LES demanderesseS

 

Tim Gilbert

Nathaniel Lipkus

Zarya Cynader

 

pour la défenderesse PHARMACEUTICAL PARTNERS OF CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demanderesseS

 

Gilbert’s LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse PHARMACEUTICAL PARTNERS OF CANADA INC.

 

 

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