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Date : 20150508


Dossier : T-1933-14

Référence : 2015 CF 614

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 mai 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE BERENS RIVER

demanderesse

et

TERESA GIBSON-PERON

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F­7, à l’encontre de la décision, datée du 11 août 2014, par laquelle l’arbitre James E. McLandress (l’arbitre) a accordé des dommages‑intérêts à la défenderesse, Mme Teresa Gibson­Peron, à la suite de la plainte de congédiement injuste qu’elle avait déposée, en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L­2 (le Code), contre la demanderesse, la Première Nation de Berens River (la PNBR ou la bande). En l’espèce, la demanderesse allègue que l’arbitre n’avait pas compétence pour instruire la plainte et que cette dernière aurait dû être entendue par une instance de compétence provinciale.

[2]               Pour les motifs énoncés ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Le contexte

[3]               Les faits suivants sont tirés de l’exposé conjoint des faits qui a été déposé devant l’arbitre, lors de l’audience relative à la plainte de congédiement injuste, et qui fait partie du dossier dont j’ai été saisie. Les autres faits pertinents relevés par l’arbitre dans sa décision sont résumés ci‑dessous à la section « La décision faisant l’objet du contrôle » des présents motifs. Les parties conviennent que les faits ne sont pas contestés.

[4]               La PNBR se trouve au Manitoba. Elle exploite son propre poste de soins infirmiers au sein de la Première Nation. Le poste de soins infirmiers fonctionne sous la supervision du directeur des services de santé, qui relève du chef et du conseil de la PNBR. Le poste de soins infirmiers a pour mandat d’offrir des services de soins de santé aux résidents des régions environnantes. Il reçoit un financement de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits (la DGSPNI), qui est une organisation fédérale. Il suit les lignes directrices de Santé Canada et est affilié à l’Office régional de la santé d’Entre‑les‑Lacs et de l’Est du Manitoba. Les membres du personnel infirmier qui travaillent au poste sont autorisés à exercer la profession à l’échelle provinciale par le College of Registered Nurses of Manitoba.

[5]               La défenderesse travaillait au poste de soins infirmiers, comme infirmière clinicienne, pour le compte de la PNBR. Elle y a travaillé pour la première fois le ou vers le 5 juillet 2009. Elle a conclu son premier contrat de travail le ou vers le 16 décembre 2009. Au cours des années qui ont suivi, jusqu’au mois de mars 2013, le contrat de la défenderesse a été renouvelé à de multiples reprises, et ses conditions de travail étaient sensiblement les mêmes à chaque fois. La seule exception à la règle s’applique à la période comprise entre le 1er juillet 2011 et le 12 septembre 2012; au cours de cette période, elle a continué de travailler pour la PNBR, mais elle n’avait alors pas de contrat de travail. Le ou vers le 27 mars 2013, la défenderesse s’est fait dire de ne pas se présenter au travail pour les postes de soirée prévus à son horaire les 29, 30 et 31 mars 2013. Le ou vers le 28 mars 2013, la directrice des services de santé de l’époque, qui est maintenant chef de bande, à savoir Mme Jackie Everett, a indiqué à la défenderesse que son contrat de travail, qui prenait fin le 31 mars 2013, ne serait pas renouvelé et qu’aucun nouveau contrat ne lui serait offert.

[6]               Le ou vers le 29 avril 2013, la défenderesse a déposé une plainte auprès du Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), en vertu du Code, alléguant qu’elle avait été injustement congédiée de son poste auprès de la PNBR. La directrice des services de santé a rédigé une lettre à l’intention du Programme du travail de RHDCC, en date du 20 juin 2013, dans laquelle elle alléguait que la défenderesse avait travaillé auparavant, sans contrat de travail, des mois de juin 2012 à mars 2013. Elle y alléguait également que les services de la défenderesse étaient requis dans le cadre du plan de traitement d’un patient qui est décédé et que cela avait amené le chef et le conseil de la PNBR à prendre la décision de ne pas renouveler son contrat. La PNBR n’a jamais fait enquête sur l’incident entourant le décès de ce patient le 17 mars 2013, et la défenderesse n’a pas non plus été questionnée à ce sujet par la PNBR. Sur le relevé d’emploi de la défenderesse, qui est daté du 8 avril 2013, le code « A » a été entré pour justifier son congédiement, ce qui signifie « Manque de travail (mise à pied) ».

[7]               Les 3 et 4 juin 2014, l’arbitre a entendu la plainte de congédiement injuste déposée par la défenderesse et a rendu sa décision de lui accorder une indemnité le 11 août 2014.

Les questions en litige

[8]               Je conviens avec les parties que les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      L’arbitre avait-il compétence pour entendre et trancher la plainte de la défenderesse?

La décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La décision de l’arbitre compte 70 pages et fait référence à un grand nombre de précédents, qui ne sont pas tous cités dans le présent résumé. L’arbitre a énoncé les questions à trancher, qui ont été établies avec l’accord des parties. La première de ces questions est pertinente quant à la présente demande et consiste à établir si la relation de travail entre la PNBR et la défenderesse était assujettie à la réglementation fédérale ou provinciale, dans le but de décider si l’arbitre avait compétence pour entendre la plainte. Plus précisément, si la relation était assujettie à la réglementation fédérale, le Code s’appliquait et l’arbitre avait alors compétence. Si la relation était soumise à la réglementation provinciale, alors l’arbitre n’avait pas compétence pour entendre la plainte.

[10]           L’arbitre a exposé les faits pertinents concernant la question de compétence. Il était convaincu qu’en tant que collectivité éloignée qui élisait son chef et son conseil, la PNBR avait la responsabilité d’offrir un large éventail de services gouvernementaux à ses membres, notamment des soins de santé. La chef Jackie Everett, qui faisait partie des témoins lors de l’audience et qui était directrice des services de santé pendant la période en cause, a convenu que les soins infirmiers étaient un service essentiel au sein de la PNBR. Le poste de soins infirmiers n’a pas été constitué en personne morale distincte, n’est pas établi comme une entité autonome et n’a pas son propre conseil d’administration. Il est plutôt sous la direction suprême du chef et du conseil de la PNBR. Les soins de santé sont la responsabilité du chef et du conseil. Le directeur des services de santé relève du conseiller responsable du portefeuille de la santé, et ses tâches consistent à superviser tous les programmes liés à la santé, dont les soins infirmiers. Il gère les affaires courantes des membres du personnel infirmier, mais la bande conserve le pouvoir d’engager et de congédier ces derniers.

[11]           Tous les fonds alloués aux soins de santé au sein de la PNBR proviennent de la DGSPNI, qui est une division de Santé Canada et une entité fédérale. Le poste de soins infirmiers est exploité conformément aux directives, aux lignes directrices et aux politiques de la DGSPNI et de Santé Canada. La PNBR est une Première Nation qui bénéficie d’un « transfert de pouvoir à la bande », ce qui signifie que la DGSPNI a accordé à la bande le pouvoir d’assurer le recrutement et le maintien en poste des membres du personnel infirmier. Bien que la DGSPNI fournisse le financement global, la bande est responsable de la gestion de ces fonds en vue d’exécuter le mandat qui lui a été confié à l’égard des soins de santé, notamment des membres du personnel infirmier. Les liaisons hiérarchiques au poste de soins infirmiers sont ainsi établies : toutes les questions cliniques liées aux soins infirmiers sont adressées à la DGSPNI et toutes celles qui touchent les ressources humaines (les RH) sont soumises au chef et au conseil; les membres du personnel infirmier relèvent de l’infirmier responsable; l’infirmier responsable travaille sous la responsabilité du directeur des services de santé en ce qui concerne les questions liées aux RH, et ce dernier relève ensuite du conseiller responsable du portefeuille de la santé, ainsi que du chef et du conseil de bande; l’infirmier responsable et, dans certains cas, les membres du personnel infirmier eux‑mêmes font directement affaire avec la DGSPNI pour les questions qui concernent les soins infirmiers.

[12]           L’arbitre a conclu que la seule preuve qui démontrait la participation de la province était que les membres du personnel infirmier étaient assujettis à la réglementation provinciale pour l’obtention de leur permis d’exercice et que le poste de soins infirmiers était affilié à l’Office régional de la santé d’Entre‑les‑Lacs et de l’Est du Manitoba. Rien dans la preuve ne permettait de déterminer la nature de cette « affiliation ». À cet égard, l’arbitre a indiqué que, si cet organisme jouait un rôle quotidien important auprès du poste de soins infirmiers, il se serait attendu à ce qu’au moins un des témoins en ait parlé, mais aucun d’eux ne l’avait fait. L’arbitre a conclu que les activités quotidiennes du poste de soins infirmiers étaient assujetties au contrôle conjoint de la DGSPNI et de la bande quant aux questions cliniques et à celles touchant les RH, respectivement, sans aucune forme pertinente de participation aux opérations par quelque entité provinciale que ce soit. Le poste de soins infirmiers n’était pas exploité comme une unité indépendante de la bande. Il avait plutôt été étroitement intégré à une composante importante des activités de la bande pour permettre à cette dernière de s’acquitter de son obligation d’offrir des services de soins de santé à ses résidents. De plus, une clause de compétence législative avait été ajoutée dans les contrats de travail, suivant la recommandation de l’avocat de la bande, pour indiquer que les lois du Canada s’appliquaient.

[13]           L’arbitre a procédé à une analyse quant à la question de savoir si l’emploi occupé par la défenderesse au sein de la PNBR relevait de la compétence fédérale ou provinciale. Après avoir exposé les motifs pour lesquels la compétence est une question pertinente en l’espèce, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 (R‑U), 30 & 31, Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, app. II, no 5 (la Loi constitutionnelle de 1867), et du droit canadien du travail, l’arbitre a fait remarquer que la loi n’était pas claire au sujet de la question de compétence lors de conflits de travail, en particulier depuis la décision rendue en 2010 par la Cour suprême du Canada dans NIL⁄TU,O Child and Family Services Society c B.C. Government and Service Employees’s Union, 2010 CSC 45 (NIL⁄TU,O).

[14]           L’arbitre a décrit ce qu’il croyait être les principaux éléments de la jurisprudence relative à la question de compétence dans les cas touchant les relations de travail, de même que les facteurs pertinents, établis dans la jurisprudence, qui doivent être pris en considération afin d’analyser si une entité relève de la compétence fédérale. L’arbitre a conclu que l’arrêt de la Cour suprême dans l’arrêt NIL⁄TU,O n’avait pas, en réalité, réorganisé le monde du droit du travail concernant les employés des Premières Nations. Il a conclu que l’arrêt NIL⁄TU,O avait eu une incidence assez limitée et qu’il mettait sur le même plan que toutes les autres entités la réglementation touchant le travail et l’emploi relativement aux Premières Nations.

[15]           Devant l’arbitre, la défenderesse avait fait valoir que la bande était bien l’entité dont il fallait apprécier la nature des activités, tandis que la bande soutenait qu’il fallait examiner le poste de soins infirmiers. L’arbitre a déclaré que s’il devait décider quelle entité devrait être analysée, la bonne approche consisterait alors à se demander si l’activité ou l’opération en question était réalisée de façon suffisamment indépendante pour être considérée comme une entité propre. Dans l’affirmative, le critère fonctionnel peut être appliqué à cette entité, et, dans le cas contraire, il s’applique à l’entité plus grande. Toutefois, selon l’arbitre, la question de savoir à quelle entité s’applique le critère fonctionnel n’entrait pas vraiment en ligne de compte dans la jurisprudence. Il a examiné ce facteur parce que les deux parties avaient présenté des observations sur ce point.

[16]           L’arbitre a également conclu que le fait que les soins infirmiers aient été une activité sous réglementation provinciale n’était pas un facteur déterminant, étant donné que le Parlement pouvait avoir compétence dans le domaine des soins de santé. L’arbitre ne pouvait pas accepter l’observation de la défenderesse selon laquelle l’arrêt NIL⁄TU,O serait dénué de sens si le critère fonctionnel était appliqué à la bande dans son ensemble, étant donné que de nombreuses entités participent à un large éventail d’activités. L’arbitre a conclu que rien dans l’arrêt NIL⁄TU,O ne compromettait l’analyse relative à la nature essentielle d’une bande indienne en vue de déterminer qui a compétence, tel qu’il avait été jugé précédemment dans les arrêts Paul Band Indian Reserve No 133 c R, [1984] 2 WWR 540 (Paul), Francis c Canada (Conseil des relations de travail), [1981] 1 CF 225 (Francis), et Whitebear Band Council c Carpenters Provincial Council of Saskatchewan, [1982] 3 WWR 554 (Whitebear). Au contraire, ces cas appuyaient l’assertion selon laquelle les bandes indiennes mêmes étaient assujetties au Code. L’arbitre a conclu qu’il était normal que la prestation de services de soins de santé aux membres de la bande ait fait partie des activités de l’administration locale de cette dernière, que l’employeur était la PNBR et que le poste de soins infirmiers n’était donc pas une entité distincte. Cela différait fondamentalement différente de la situation de fait observée dans NIL⁄TU,O.

[17]           L’arbitre a aussi souligné l’importance qu’il fallait accorder au fait que le poste de soins infirmiers n’avait pas été constitué en personne morale distincte, bien qu’il soit possible d’être une entité distincte sans être ainsi constitué. Il a également apprécié la participation du gouvernement fédéral dans les activités quotidiennes du poste de soins infirmiers et a constaté que tous les éléments de preuve l’amenaient à conclure que ce dernier n’était pas suffisamment indépendant de la bande pour être considéré comme une entité distincte afin de statuer sur la question de la compétence. L’entité visée était donc la bande.

[18]           L’arbitre a examiné les décisions citées par la bande pour appuyer l’assertion selon laquelle les membres du personnel infirmier au sein de la PNBR étaient assujettis à la compétence provinciale. Il a conclu qu’une première catégorie de précédents pouvait être écartée au regard des faits, puisqu’il n’était pas question des bandes indiennes mêmes en tant qu’employeur, mais plutôt d’entités distinctes sur le plan opérationnel, liées à une bande indienne (donc le même scénario de faits que dans l’arrêt NIL⁄TU,O); ces précédents n’avaient donc aucun lien avec l’affaire dont il avait été saisi. De l’avis de l’arbitre, les autres décisions citées, à savoir MNU, Local 139 c Norway House Cree Nation, [2011] MLBD No 26 (Norway House), et Munsee-Delaware Nation c Flewelling (Unjust Dismissal), Re, 2013 CarswellNat 1359, 7 CCEL (4th) 278, étaient erronées quant à la question de compétence.

[19]           Finalement, l’arbitre a adopté l’approche traditionnelle afin de déterminer qui avait compétence. Il a tout d’abord examiné la question de la compétence directe. Il s’est posé la question suivante : le poste de soins infirmiers fait‑il partie des activités de la bande, qui visent les Indiens et les terres qui leur sont réservées, ou s’agit‑il d’une entreprise distincte? L’arbitre a examiné les éléments de preuve et a conclu que, pris dans leur ensemble, ils ne permettaient pas de conclure que le poste de soins infirmiers fonctionnait comme une unité séparée, distincte ou autonome; il s’agissait plutôt d’un élément clé au sein de la bande, qui permettait à l’administration locale de cette dernière d’exercer ses activités. En ce qui concerne la compétence dérivée, l’arbitre a conclu que le poste de soins infirmiers était si étroitement lié aux activités de la bande qu’il se devait d’être assujetti adéquatement à la réglementation fédérale, compte tenu des relations professionnelles et des relations de travail qui y étaient entretenues.

[20]           L’arbitre a également examiné la clause de compétence législative et a souligné que la raison même pour laquelle les avocats avaient recours à de telles clauses était qu’ils souhaitaient éviter tout débat concernant les lois régissant la situation. Le fait que les parties avaient choisi de préciser que les lois du Canada s’appliquaient avait donc de l’importance. En outre, comme il s’agissait d’un contrat de travail, elles ne pouvaient faire référence qu’à la législation fédérale concernant les normes en matière d’emploi, y compris le Code.

[21]           Une fois qu’il eut conclu qu’il avait compétence pour entendre la plainte de la défenderesse, l’arbitre en a apprécié le bien‑fondé.

Les dispositions législatives applicables

Code canadien du travail, LRC (1985), c L-2, article 2.

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. In this Act,

« entreprises fédérales »

“federal work, undertaking or business”

« entreprises fédérales » Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :

“federal work, undertaking or business” means any work, undertaking or business that is within the legislative authority of Parliament, including, without restricting the generality of the foregoing

a) ceux qui se rapportent à la navigation et aux transports par eau, entre autres à ce qui touche l’exploitation de navires et le transport par navire partout au Canada;

(a) a work, undertaking or business operated or carried on for or in connection with navigation and shipping, whether inland or maritime, including the operation of ships and transportation by ship anywhere in Canada,

b) les installations ou ouvrages, entre autres, chemins de fer, canaux ou liaisons télégraphiques, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d’une province, et les entreprises correspondantes;

(b) a railway, canal, telegraph or other work or undertaking connecting any province with any other province, or extending beyond the limits of a province,

c) les lignes de transport par bateaux à vapeur ou autres navires, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d’une province;

(c) a line of ships connecting a province with any other province, or extending beyond the limits of a province,

d) les passages par eaux entre deux provinces ou entre une province et un pays étranger;

(d) a ferry between any province and any other province or between any province and any country other than Canada,

e) les aéroports, aéronefs ou lignes de transport aérien;

(e) aerodromes, aircraft or a line of air transportation,

f) les stations de radiodiffusion;

(f) a radio broadcasting station,

g) les banques et les banques étrangères autorisées, au sens de l’article 2 de la Loi sur les banques;

(g) a bank or an authorized foreign bank within the meaning of section 2 of the Bank Act,

h) les ouvrages ou entreprises qui, bien qu’entièrement situés dans une province, sont, avant ou après leur réalisation, déclarés par le Parlement être à l’avantage général du Canada ou de plusieurs provinces;

(h) a work or undertaking that, although wholly situated within a province, is before or after its execution declared by Parliament to be for the general advantage of Canada or for the advantage of two or more of the provinces,

i) les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;

(i) a work, undertaking or business outside the exclusive legislative authority of the legislatures of the provinces, and

j) les entreprises auxquelles les lois fédérales, au sens de l’article 2 de la Loi sur les océans, s’appliquent en vertu de l’article 20 de cette loi et des règlements d’application de l’alinéa 26(1)k) de la même loi.

(j) a work, undertaking or activity in respect of which federal laws within the meaning of section 2 of the Oceans Act apply pursuant to section 20 of that Act and any regulations made pursuant to paragraph 26(1)(k) of that Act;

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3 (R‑U), reproduite dans LRC 1985, Annexe II, no 5.

Autorité législative du parlement du Canada

Legislative Authority of Parliament of Canada

91. Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,

[…]

[…]

24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.

24. Indians, and Lands reserved for the Indians.

Loi sur les Indiens, LRC, 1985, c I-5

Pouvoirs du conseil

Powers of the Council

Règlements administratifs

By-laws

81. (1) Le conseil d’une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l’une ou l’ensemble des fins suivantes :

81. (1) The council of a band may make by-laws not inconsistent with this Act or with any regulation made by the Governor in Council or the Minister, for any or all of the following purposes, namely,

 

a) l’adoption de mesures relatives à la santé des habitants de la réserve et les précautions à prendre contre la propagation des maladies contagieuses et infectieuses;

(a) to provide for the health of residents on the reserve and to prevent the spreading of contagious and infectious diseases;

b) la réglementation de la circulation;

(b) the regulation of traffic;

c) l’observation de la loi et le maintien de l’ordre;

(c) the observance of law and order;

d) la répression de l’inconduite et des incommodités;

(d) the prevention of disorderly conduct and nuisances;

e) la protection et les précautions à prendre contre les empiétements des bestiaux et autres animaux domestiques, l’établissement de fourrières, la nomination de gardes-fourrières, la réglementation de leurs fonctions et la constitution de droits et redevances pour leurs services;

(e) the protection against and prevention of trespass by cattle and other domestic animals, the establishment of pounds, the appointment of pound-keepers, the regulation of their duties and the provision for fees and charges for their services;

f) l’établissement et l’entretien de cours d’eau, routes, ponts, fossés, clôtures et autres ouvrages locaux;

(f) the construction and maintenance of watercourses, roads, bridges, ditches, fences and other local works;

g) la division de la réserve ou d’une de ses parties en zones, et l’interdiction de construire ou d’entretenir une catégorie de bâtiments ou d’exercer une catégorie d’entreprises, de métiers ou de professions dans une telle zone;

(g) the dividing of the reserve or a portion thereof into zones and the prohibition of the construction or maintenance of any class of buildings or the carrying on of any class of business, trade or calling in any zone;

h) la réglementation de la construction, de la réparation et de l’usage des bâtiments, qu’ils appartiennent à la bande ou à des membres de la bande pris individuellement;

(h) the regulation of the construction, repair and use of buildings, whether owned by the band or by individual members of the band;

i) l’arpentage des terres de la réserve et leur répartition entre les membres de la bande, et l’établissement d’un registre de certificats de possession et de certificats d’occupation concernant les attributions, et la mise à part de terres de la réserve pour usage commun, si l’autorisation à cet égard a été accordée aux termes de l’article 60;

(i) the survey and allotment of reserve lands among the members of the band and the establishment of a register of Certificates of Possession and Certificates of Occupation relating to allotments and the setting apart of reserve lands for common use, if authority therefor has been granted under section 60;

j) la destruction et le contrôle des herbes nuisibles;

(j) the destruction and control of noxious weeds;

k) la réglementation de l’apiculture et de l’aviculture;

(k) the regulation of bee-keeping and poultry raising;

l) l’établissement de puits, citernes et réservoirs publics et autres services d’eau du même genre, ainsi que la réglementation de leur usage;

(l) the construction and regulation of the use of public wells, cisterns, reservoirs and other water supplies;

m) la réglementation ou l’interdiction de jeux, sports, courses et concours athlétiques d’ordre public et autres amusements du même genre;

(m) the control or prohibition of public games, sports, races, athletic contests and other amusements;

n) la réglementation de la conduite et des opérations des marchands ambulants, colporteurs ou autres personnes qui pénètrent dans la réserve pour acheter ou vendre des produits ou marchandises, ou en faire un autre commerce;

(n) the regulation of the conduct and activities of hawkers, peddlers or others who enter the reserve to buy, sell or otherwise deal in wares or merchandise;

o) la conservation, la protection et la régie des animaux à fourrure, du poisson et du gibier de toute sorte dans la réserve;

(o) the preservation, protection and management of fur-bearing animals, fish and other game on the reserve;

p) l’expulsion et la punition des personnes qui pénètrent sans droit ni autorisation dans la réserve ou la fréquentent pour des fins interdites;

(p) the removal and punishment of persons trespassing on the reserve or frequenting the reserve for prohibited purposes;

p.1) la résidence des membres de la bande ou des autres personnes sur la réserve;

(p.1) the residence of band members and other persons on the reserve;

p.2) l’adoption de mesures relatives aux droits des époux ou conjoints de fait ou des enfants qui résident avec des membres de la bande dans une réserve pour toute matière au sujet de laquelle le conseil peut établir des règlements administratifs à l’égard des membres de la bande;

(p.2) to provide for the rights of spouses or common-law partners and children who reside with members of the band on the reserve with respect to any matter in relation to which the council may make by-laws in respect of members of the band;

p.3) l’autorisation du ministre à effectuer des paiements sur des sommes d’argent au compte de capital ou des sommes d’argent de revenu aux personnes dont les noms ont été retranchés de la liste de la bande;

(p.3) to authorize the Minister to make payments out of capital or revenue moneys to persons whose names were deleted from the Band List of the band;

p.4) la mise en vigueur des paragraphes 10(3) ou 64.1(2) à l’égard de la bande;

(p.4) to bring subsection 10(3) or 64.1(2) into effect in respect of the band;

q) toute question qui découle de l’exercice des pouvoirs prévus par le présent article, ou qui y est accessoire;

(q) with respect to any matter arising out of or ancillary to the exercise of powers under this section; and

r) l’imposition, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende maximale de mille dollars et d’un emprisonnement maximal de trente jours, ou de l’une de ces peines, pour violation d’un règlement administratif pris aux termes du présent article.

(r) the imposition on summary conviction of a fine not exceeding one thousand dollars or imprisonment for a term not exceeding thirty days, or both, for violation of a by-law made under this section.

[…]

[…]

Les observations des parties

Les observations de la demanderesse

[22]           La demanderesse soutient que l’arbitre a seulement compétence, en vertu du Code, pour entendre et trancher les plaintes déposées par des employés qui sont assujettis à la compétence fédérale. Étant donné que la défenderesse travaillait comme infirmière au sein de la PNBR et que la prestation des services de soins de santé relève de la compétence provinciale, son emploi était régi par le gouvernement provincial.

[23]           Le critère fonctionnel utilisé pour déterminer si une entreprise donnée relève de la compétence fédérale ou provinciale en ce qui concerne les relations de travail a été énoncé dans l’arrêt NIL⁄TU,O et requiert « l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale » (NIL⁄TU,O, au paragraphe 3). L’arbitre a conclu que l’affaire Norway House avait été mal jugée, du fait que le tribunal chargé de cette affaire avait examiné les activités des employés plutôt que celles de la Première Nation de façon plus générale. La demanderesse soutient que l’arbitre a commis une erreur en tirant cette conclusion, étant donné que le tribunal avait examiné et pris en considération le fait que la clinique de soins de santé faisait partie de la Première Nation (Norway House, à l’alinéa 27b). La demanderesse est d’accord avec l’arbitre sur le fait que la compétence repose sur le fondement législatif qui sous‑tend les activités, et non l’employeur, et sur celui qu’une entité pourrait être une unité au sein d’un organisme plus important.

[24]           La demanderesse fait remarquer que l’arbitre a cherché avant tout à cibler l’« entité » visée, afin de déterminer qui avait compétence, et a conclu qu’il s’agissait de la Première Nation, en se fondant principalement sur les arrêts Paul, Francis et Whitebear. La demanderesse soutient que l’arrêt Paul devrait être écarté, étant donné qu’il est inapplicable au regard des faits, dans la mesure où les agents de bande dans cette affaire ne travaillaient pas dans le contexte d’un poste de police, ou qu’elle ne tenait compte d’aucun autre élément que ceux directement associés à la bande même et à ses principales fonctions gouvernementales. En l’espèce, le poste de soins infirmiers est une section séparée de la bande. Bien que l’employeur soit la bande, l’entité réglementée est le poste de soins infirmiers. Dans Francis, les employés en question effectuaient des tâches liées à l’« administration de la bande », ce qui diffère clairement de la situation qui prévaut en l’espèce. Dans Whitebear, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que la fonction même d’un conseil de bande indienne relève de la compétence fédérale, étant donné que ce conseil agit à titre [traduction] d’« administration locale ». La demanderesse reconnaît qu’une bande serait assujettie à la compétence fédérale en ce qui concerne les relations de travail, dans les cas où des unités ou des services de cette bande seraient exploités de façon à donner effet à la « nature d’un gouvernement » de la bande, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Francis.

[25]           La demanderesse soutient que l’arbitre a commis une erreur dans son choix de facteurs, qui l’ont amené à conclure que le poste de soins infirmiers devait être considéré comme faisant partie de la bande, dans le but de déterminer qui a compétence sur les relations de travail. Dans l’arrêt Tessier Ltée c Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23 (Tessier), au paragraphe 49, la Cour suprême a constaté que les entreprises fédérales pouvaient être composées d’unités fonctionnelles particulières pouvant se distinguer structuralement sur le plan constitutionnel du reste de l’entreprise connexe. De plus, il est possible qu’une entité soit réglementée en partie par le fédéral et en partie par la province (NIL⁄TU,O au paragraphe 22).

[26]           Subsidiairement, la demanderesse soutient que la bande n’est pas une entreprise indivisible, au sens où cette notion est utilisée dans l’arrêt Tessier, aux paragraphes 50, 51 et 55. En concluant que le poste de soins infirmiers est une unité indivisible de la bande, l’arbitre a adopté une approche trop rigoureuse et trop stéréotypée. Les faits en l’espèce sont très différents de ceux établis dans Tessier, étant donné que les membres du personnel infirmier qui travaillent au poste de soins infirmiers exercent uniquement cette fonction et ne prennent aucunement part aux autres activités de la bande. Ils offrent un service distinct, dans le cadre d’une activité particulière, qui entre dans la structure de la bande. L’arbitre a commis une erreur en accordant beaucoup de poids à certains facteurs, notamment qui avait la responsabilité de gérer les RH, qui réglementait les normes médicales et qui finançait l’exploitation, dans la mesure où ceux‑ci n’étaient pas pertinents pour déterminer si le poste de soins infirmiers était une entité fonctionnelle distincte (Tessier, au paragraphe 41). Aucune division ni aucune unité ne devraient être créées artificiellement aux fins de la classification constitutionnelle.

[27]           La demanderesse soutient également que l’arbitre a commis une erreur en appliquant un critère structurel plutôt que fonctionnel afin de cibler l’entité visée. Par conséquent, il n’a pas examiné convenablement la question touchant sa compétence.

[28]           La demanderesse fait ensuite valoir que les facteurs jugés décisifs par l’arbitre, dans le but de déterminer si le poste de soins infirmiers serait assujetti à la compétence directe ou dérivée du gouvernement fédéral, ne sont pas déterminants et ne font que ramener le débat sur la question de structure que l’arbitre a examinée au lieu d’appliquer le critère fonctionnel. Subsidiairement, si la bande est l’entité visée, la section composée du poste de soins infirmiers est alors assujettie à la compétence provinciale.

[29]           En outre, la demanderesse soutient que les clauses de compétence législative n’ont pas pour but de remplacer la répartition constitutionnelle des compétences et que cela pourrait créer un précédent peu judicieux. La Cour devrait en venir à la conclusion que la clause de compétence législative n’a pas conféré à l’arbitre une simple reconnaissance de compétence, pas plus qu’elle n’a favorisé le forum conveniens à l’égard de la décision. Par ailleurs, si la Cour estime que la clause lui confère cette compétence, elle devrait alors user de son pouvoir discrétionnaire et refuser d’exercer sa compétence pour des motifs de principe. Dans les litiges portant sur la compétence appropriée dans le cadre d’une procédure, il ne s’agit pas simplement d’observer l’existence d’une clause de compétence législative ou d’élection de forum (2249659 Ontario Ltd c Siegen, 2013 ONCA 354 (Siegen)). Les facteurs importants pour déterminer où se situe la simple reconnaissance de compétence sont les suivants : la PNBR exerce ses activités au Manitoba, le licenciement injustifié qui est allégué aurait eu lieu au Manitoba et le contrat de travail a été conclu au Manitoba. Tous ces facteurs donnent lieu à une présomption de compétence (Siegen, aux paragraphes 22 et 31). La demanderesse admet effectivement que, si la Cour estime que la clause de compétence législative s’applique, celle‑ci serait généralement mise en application. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles comme celles observées en l’espèce, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire et ne pas appliquer cette clause (Northern Sales Co c Saskatchewan Wheat Pool (1992), 78 Man R (2d) 200 (Northern Sales), au paragraphe 4).

[30]           La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de l’arbitre et une ordonnance déclarant que l’emploi de la défenderesse était assujetti à la compétence provinciale quant aux relations de travail.

Les observations de la défenderesse

[31]           La défenderesse soutient que le gouvernement fédéral a compétence en matière de réglementation du travail dans deux circonstances : dans un premier temps, lorsque l’emploi s’exerce dans le cadre d’un ouvrage, d’une entreprise ou d’un commerce relevant du pouvoir législatif du Parlement (compétence directe); dans un deuxième temps, lorsqu’il se rapporte à une activité faisant partie intégrante d’une entreprise assujettie à la réglementation fédérale (compétence dérivée) (Tessier, au paragraphe 17). La défenderesse soutient que le poste de soins infirmiers relève de la compétence fédérale, que ce soit de façon directe ou dérivée.

[32]           En ce qui concerne la compétence directe, il faut déterminer si la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage, du commerce ou de l’entreprise le fait tomber dans un champ de compétence fédérale (Tessier, au paragraphe 18). La question à trancher consiste à déterminer si la PNBR et le poste de soins infirmiers sont des entités distinctes l’une de l’autre ou s’ils font tous deux partie d’une seule et même entreprise fédérale (Westcoast Energy Inc c Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 RCS 322 (Westcoast), au paragraphe 45; Tessier, au paragraphe 44). Pour être considérées comme une entreprise unique, les diverses activités visées doivent être intégrées sur le plan fonctionnel et être assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. Il s’agit là du principal facteur déterminant. Les facteurs non déterminants comprennent les questions de savoir s’il n’existe qu’un seul propriétaire et si les biens ou les services fournis dans le cadre d’une entreprise le sont pour le seul bénéfice de l’autre entreprise ou de ses clients, ou des deux à la fois. Ce critère est fondé sur les faits (Westcoast, aux paragraphes 49 et 65).

[33]           Le Parlement a une compétence législative exclusive sur les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. Il s’agit là de la rubrique de compétence fédérale visée par l’analyse relative à la compétence directe en l’espèce. Lorsqu’un conseil de bande indienne fait ce que le Parlement est exclusivement autorisé à faire, en vertu du paragraphe 92(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais que ces pouvoirs lui sont conférés en vertu de la Loi sur les Indiens, LRC, 1985, ch I­5 (la Loi sur les Indiens), l’activité en question relève directement de la compétence fédérale (Paul, au paragraphe 21; Whitebear, au paragraphe 30; Francis, au paragraphe 27). La défenderesse soutient que, suivant une analyse semblable à celle effectuée dans l’arrêt Paul, lorsqu’un conseil de bande indienne est habilité par la Loi sur les Indiens et qu’il s’engage à offrir des services de santé à ses résidents dans la réserve, une telle entreprise relève directement de la compétence fédérale (Paul, aux paragraphes 16 et 23).

[34]           En l’espèce, le poste de soins infirmiers est exploité par la PNBR, qui a pour mandat de fournir des services de soins de santé aux résidents. La question cruciale consiste à déterminer si le poste de soins infirmiers fait partie de la PNBR, de sorte que les deux entités ne forment qu’une seule entreprise fédérale. Il faut établir si la PNBR et le poste de soins infirmiers sont intégrés sur le plan fonctionnel et s’ils sont assujettis à une gestion, à une direction et à un contrôle communs (Westcoast, au paragraphe 3). La défenderesse soutient que tel est bien le cas, étant donné que tous s’entendent sur le fait que [traduction« la PNBR exploite son propre poste de soins infirmiers au sein de la Première Nation ». Le poste de soins infirmiers existe pour permettre à la bande de s’acquitter de son obligation d’offrir des services de santé à ses membres. En outre, le poste de soins infirmiers fonctionne sous la supervision du directeur des services de santé, qui relève du chef et du conseil de la PNBR. Les liaisons hiérarchiques démontrent également que les entités sont intégrées sur le plan fonctionnel. Le poste de soins infirmiers n’a pas été constitué en personne morale distincte, n’a pas son propre conseil d’administration et n’est pas autrement établi comme une entité autonome. De plus, la PNBR assure la gestion, le contrôle et la direction du poste de soins infirmiers et de ses employés. Par conséquent, le poste de soins infirmiers fait partie de la PNBR, y est intégré sur le plan fonctionnel et est lié au chef ainsi qu’au conseil de la PNBR, en vue d’exercer un pouvoir délégué à la bande en vertu de la Loi sur les Indiens.

[35]           La défenderesse soutient également que la clause de compétence législative prévue dans son contrat de travail, qui stipule de manière expresse que les lois fédérales s’appliquent, confirme d’autant l’opinion selon laquelle le poste de soins infirmiers est intégré à la PNBR sur le plan fonctionnel. En outre, la PNBR n’a soulevé aucune objection concernant la question de compétence lors d’une procédure arbitrale pour congédiement injuste menée quelques mois seulement avant l’arbitrage en litige dans la présente affaire (Ellis c Berens River First Nation, [2014] CLAD No 101).

[36]           Par l’entremise de son poste de soins infirmiers, la PNBR remplit son mandat en ce qui concerne la prestation de services de soins de santé et exerce ainsi un pouvoir qui lui a été délégué par le Parlement, en vertu de la Loi sur les Indiens, en vue de veiller à la santé de ses résidents. La nature fédérale de ce pouvoir délégué repose sur le fait que la PNBR est une Première Nation qui bénéficie d’un plein transfert et qui est autorisée à exploiter ses propres services de santé. Ce pouvoir lui vient également de la DGSPNI, une entité fédérale qui fait partie de Santé Canada et qui a délégué à la PNBR les aspects des soins infirmiers liés aux RH. Le poste de soins infirmiers fait partie de la PNBR et est exploité en vertu d’un pouvoir délégué à la bande par le gouvernement fédéral. Par conséquent, ses activités relèvent directement de la compétence fédérale, comme l’a conclu l’arbitre.

[37]           Subsidiairement, la défenderesse soutient que le poste de soins infirmiers relève de la compétence dérivée du gouvernement fédéral. Une telle décision exige une appréciation en vue de déterminer si la nature fonctionnelle essentielle de l’entreprise, du commerce ou de l’ouvrage est telle que ce dernier fait partie intégrante d’une entreprise fédérale (Tessier, au paragraphe 18). L’analyse met l’accent sur la relation entre l’activité, les employés concernés et l’entreprise fédérale à laquelle le travail des employés est censé profiter (Tessier, au paragraphe 38). La Cour doit examiner le lien entre l’entreprise fédérale et l’activité censée en former une partie intégrante dans la perspective de chacune, appréciant dans quelle mesure l’exploitation efficace des entreprises sous réglementation fédérale de la PNBR dépendent des services fournis par le poste de soins infirmiers et soupesant l’importance de ces services pour le poste de soins infirmiers lui‑même (Tessier, au paragraphe 46). La compétence dérivée du gouvernement fédéral n’est établie que s’il existe entre l’opération connexe et l’entreprise fédérale un lien fonctionnel si essentiel qu’il ferait perdre à l’opération son caractère provincial distinct et la ferait tomber dans la sphère fédérale (Tessier, au paragraphe 45; Westcoast, au paragraphe 111). Le critère applicable est souple (Tessier, au paragraphe 45; Westcoast, aux paragraphes 125 et 128).

[38]           En l’espèce, il faut déterminer si la nature fonctionnelle essentielle du poste de soins infirmiers est telle que ce dernier fait partie intégrante des entreprises sous réglementation fédérale de la PNBR, qui ont, notamment, pour but de veiller à la santé des résidents. La nature fonctionnelle essentielle du poste de soins infirmiers est d’offrir des services de soins de santé. Le poste de soins infirmiers existe pour permettre à la bande de s’acquitter de son obligation d’offrir des services de santé à ses membres, et il s’agit là d’une des façons, si ce n’est la plus importante, dont la PNBR remplit son mandat. En outre, le lien fonctionnel qui existe entre la PNBR et le poste de soins infirmiers est tel que ce dernier a perdu son caractère provincial distinct et fait désormais partie de la sphère fédérale. Le poste de soins infirmiers relève donc de la compétence dérivée du gouvernement fédéral.

[39]           En réponse aux observations de la demanderesse, la défenderesse fait valoir que, bien qu’il convienne d’appliquer le critère fonctionnel dans certains cas où seule une analyse relative à la compétence directe s’impose, ce critère fait, par ailleurs, partie des critères applicables dans le cadre de l’analyse de certains cas relatifs à la compétence directe et de tous ceux liés à la compétence dérivée. Pour procéder à l’analyse relative à la compétence directe lorsque plusieurs opérations sont en cause et qu’au moins une de celles‑ci est réglementée par le gouvernement fédéral, il ne s’agit pas simplement d’appliquer le critère fonctionnel à l’opération concernée pour déterminer si ces opérations forment une seule et même entreprise fédérale. Il faut également apprécier dans une certaine mesure le lien fonctionnel qui existe entre ces opérations. De même, en ce qui concerne la compétence dérivée, il faut évaluer la mesure dans laquelle l’exploitation de l’entreprise fait partie intégrante de certaines autres entreprises sous réglementation fédérale.

[40]           La défenderesse soutient que l’arbitre a conclu que, dans la décision Norway House, le tribunal avait commis une erreur en mettant l’accent uniquement sur les activités de la clinique de soins de santé, alors qu’il aurait dû également tenir compte des opérations générales de la Première Nation afin de déterminer si la clinique était intégrée aux opérations de cette dernière, dans une mesure suffisante pour que les deux entités soient considérées comme une seule entreprise fédérale (compétence directe), ou si elle faisait partie intégrante d’une entreprise fédérale de la Première Nation (compétence dérivée). La divergence d’opinions qui oppose l’arbitre et le tribunal repose donc sur une question de droit.

[41]           La défenderesse fait également valoir que l’arbitre s’est appuyé sur les arrêts Paul, Francis et Whitebear pour étayer sa proposition selon laquelle les bandes indiennes mêmes sont considérées comme un ouvrage, une entreprise ou un commerce fédéral, en vue de déterminer qui a compétence sur les questions qui les concernent en matière d’emploi et de travail. Par conséquent, les distinctions faites par la demanderesse, au regard des faits, pour écarter ces arrêts ne sont pas pertinentes. Quoi qu’il en soit, dans l’arrêt Francis, il a été établi que l’ouvrage était assujetti à la Loi sur les Indiens et qu’il était lié à l’administration de la bande, comme c’est le cas en l’espèce. Selon le ratio decidendi de l’arrêt Whitebear, la fonction exercée par une bande indienne relève du gouvernement fédéral si la bande remplit ainsi le mandat qui lui a été confié par le Parlement. Enfin, la défenderesse soutient que [traduction] « l’examen du lien fonctionnel distinct » auquel fait référence la demanderesse a été réalisé dans le cadre de l’analyse relative à la compétence dérivée. Le critère approprié pour déterminer si un certain nombre d’opérations forment une seule et même entreprise est énoncé dans l’arrêt Westcoast. L’arbitre a tenu compte des facteurs appropriés dans son analyse.

[42]           La défenderesse sollicite une ordonnance de rejet de la présente demande et une ordonnance d’adjudication des dépens.

Première question : quelle est la norme de contrôle applicable?

[43]           La demanderesse soutient que la Cour suprême du Canada a statué que les questions de compétence devraient être assujetties à la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 50). En l’espèce, la principale question à trancher consiste à établir si l’arbitre avait compétence pour entendre la plainte de la défenderesse; il s’agit là d’une véritable question de compétence, où la Cour doit décider si la décision de l’arbitre, selon laquelle il était autorisé à trancher cette question particulière, était correcte (Dunsmuir, au paragraphe 59).

[44]           La défenderesse soutient que la norme de contrôle applicable aux questions constitutionnelles et à celles touchant au partage des compétences entre le Parlement et les provinces est la décision correcte (Dunsmuir, au paragraphe 58). La défenderesse fait également valoir que les conclusions de fait tirées par l’arbitre doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 53).

[45]           Je suis d’accord avec la demanderesse sur le fait qu’il s’agit là d’une véritable question de compétence, qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 59; Commissionnaires (Grands Lacs) c Dawson, 2011 CF 17 (Dawson), au paragraphe 24). La question peut également être considérée comme une question constitutionnelle touchant au partage des compétences et peut, là encore, faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, au paragraphe 58; Canada (Procureur Général) c Nation Munsee-Delaware, 2015 CF 366 (Munsee­Delaware), au paragraphe 16; Anderson et Nation crie de Fox Lake, Re, 2013 CF 1276, au paragraphe 23). Bien que les conclusions de fait d’un arbitre doivent être établies selon la norme de la décision raisonnable (Munsee-Delaware, au paragraphe 16; Dawson, au paragraphe 24), celles tirées par l’arbitre en l’espèce n’ont pas été contestées.

Deuxième question :  l’arbitre avait-il compétence pour entendre et trancher la plainte de la défenderesse?

[46]           À mon avis, la décision de l’arbitre était correcte lorsqu’il a conclu que la plainte de la défenderesse relevait de la compétence fédérale et qu’il avait donc compétence pour l’apprécier sur le fond.

[47]           Le Code s’applique aux employés dans le cadre d’une entreprise fédérale, ainsi qu’à leurs employeurs (Code, article 4). Le terme « entreprises fédérales » fait référence aux installations, aux ouvrages, aux entreprises ou aux secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment à ceux qui sont énumérés (Code, article 2).

[48]           La compétence en matière de relations de travail n’est déléguée ni aux gouvernements provinciaux ni au gouvernement fédéral en vertu de l’article 91 ou 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cependant, il est bien établi que « les tribunaux canadiens ont reconnu que les relations de travail relèveraient de la compétence provinciale et que la compétence du gouvernement fédéral à l’égard des relations de travail est l’exception » (NIL⁄TU,O au paragraphe 11; Tessier, au paragraphe 11; Northern Telecom c Travailleurs en communication, [1980] 1 RCS 115 (Northern Telecom), au paragraphe 31; Four B Manufacturing c Travailleurs unis du vêtement, [1980] 1 RCS 1031 (Four B), au paragraphe 28; Ontario Hydro c Ontario (Commission des relations de travail), [1993] 3 RCS 327, au paragraphe 39).

[49]           En vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement exerce une compétence exclusive sur les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. Cela a soulevé la question, comme c’est le cas en l’espèce, à savoir dans quelles circonstances les ouvrages, les entreprises ou les commerces associés aux bandes indiennes ou exploités par ces dernières pouvaient être considérés comme étant de nature fédérale et donc être assujettis au Code.

[50]           De façon plus générale, la jurisprudence a établi l’analyse appropriée qu’il faut effectuer pour établir si les relations de travail particulières en cause relèvent de la compétence fédérale ou provinciale. Dans l’arrêt Northern Telecom, la Cour suprême du Canada a fait la déclaration suivante au paragraphe 32 :

[32]      Une décision récente du Labour Relations Board de la Colombie-Britannique, Arrow Transfer Co. Ltd. 4, expose la méthode retenue par les cours pour déterminer la compétence constitutionnelle en matière de relations de travail. Premièrement, il faut examiner l’exploitation principale de l’entreprise fédérale. On étudie ensuite l’exploitation accessoire pour laquelle les employés en question travaillent. En dernier lieu on parvient à une conclusion sur le lien entre cette exploitation et la principale entreprise fédérale, ce lien nécessaire étant indifféremment qualifié « fondamental », « essentiel » ou « vital ».

[51]           La Cour suprême du Canada a reformulé cette déclaration dans l’arrêt Tessier, en citant Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] RCS 529 (l’Affaire des débardeurs) :

[14]      Dans des motifs rédigés par chacun des neuf juges, la Cour a répondu à la première question en confirmant à l’unanimité la validité de la loi fédérale et en concluant que, malgré l’arrêt Snider, le Parlement peut légiférer en matière de relations de travail lorsqu’il est établi que la compétence à l’égard d’une entreprise est partie intégrante de la compétence principale du Parlement sur un autre sujet. Ainsi que l’a exposé le juge Abbott :

[traduction] ... les décisions portant sur des sujets tels que la durée du travail, les taux de salaire, les conditions de travail et autres matières analogues constituent à mon avis une partie essentielle de l’administration et de l’exploitation de toute entreprise commerciale ou industrielle. Ceci étant, le pouvoir de réglementer de telles matières dans les entreprises qui tombent sous l’autorité législative du Parlement revient au Parlement et non aux législatures provinciales. [Je souligne; p. 592.]

[52]           Cette conclusion est fondée sur le raisonnement voulant que la compétence exclusive d’un ordre de gouvernement à l’égard d’un ouvrage ou d’une entreprise emporte le pouvoir d’en réglementer les relations de travail (Tessier, au paragraphe 15).

[53]           Dans l’arrêt Tessier, la Cour suprême du Canada établit également le critère à appliquer pour déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale ou provinciale :

[17]      Dans l’Affaire des débardeurs, la Cour a donc établi que le fédéral a compétence en matière de réglementation du travail dans deux circonstances : lorsque l’emploi s’exerce dans le cadre d’un ouvrage, d’une entreprise ou d’un commerce relevant du pouvoir législatif du Parlement ou lorsqu’il se rapporte à une activité faisant partie intégrante d’une entreprise assujettie à la réglementation fédérale, ce qui est parfois appelé compétence dérivée. Dans Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112, p. 1124‑1125, le juge en chef Dickson a indiqué qu’il s’agissait là de deux formes de compétence distinctes mais connexes.

[18]      S’agissant de la compétence fédérale directe en matière de travail, on détermine si la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage, du commerce ou de l’entreprise le fait tomber dans un champ de compétence fédérale, tandis que dans le cas de la compétence dérivée, on détermine si cette nature est telle que l’ouvrage fait partie intégrante d’une entreprise fédérale. Dans les deux cas, l’attribution de la compétence en matière de relations de travail nécessite l’établissement de la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage.

[19]      Cette évaluation fonctionnelle suppose l’analyse de l’entreprise en tant qu’entreprise active, en fonction de ses caractéristiques constantes uniquement : Commission du salaire minimum c. Bell Telephone Co. of Canada. Des éléments exceptionnels ne sauraient définir la nature fonctionnelle essentielle d’une entreprise. Ainsi, quelques voyages extraprovinciaux occasionnels ne faisant pas partie de ses activités régulières de transport local, par exemple, ne sont pas déterminants pour la nature d’une entreprise de transport maritime (Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien des relations ouvrières, [1969] R.C.S. 851). Un seul contrat ne saurait non plus être déterminant pour la nature d’une entreprise de construction (Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754). De la même façon, un pourcentage ténu d’activité locale ne saurait changer la nature d’une entreprise faisant par ailleurs partie intégrante du service postal (Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178). [Non souligné dans l’original.]

[54]           Cette décision a été réexaminée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt NIL⁄TU,O, et la Cour y fait également référence à l’arrêt Four B, un jugement concernant une opération de fabrication liée à une bande autochtone. La Cour suprême s’est exprimée ainsi aux paragraphes 12 à 16 :

[12]      ...Puisqu’il faut présumer que la réglementation des relations de travail relève de la compétence des provinces, la question précise à trancher dans le cadre d’instances portant sur la compétence en matière de relations de travail est de savoir si une entité en particulier entre dans la catégorie des « travaux, entreprises ou affaires du fédéral » et tombe ainsi sous le régime du Code canadien du travail.

[13]      Les principes qui sous-tendent l’approche déjà bien établie de notre Cour quant à la compétence à l’égard des relations de travail sont énoncés par le juge Dickson, rédigeant au nom d’une Cour unanime, dans Northern Telecom. Cette affaire traitait de la compétence sur les relations de travail d’une filiale d’une société de télécommunications elle-même incontestablement une « entreprise » fédérale visée à l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. En faisant sienne l’opinion majoritaire rédigée par le juge Beetz dans Construction Montcalm, le juge Dickson a décrit comme suit le lien entre le partage des compétences et les relations de travail :

(1) Les relations de travail comme telles et les termes d’un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.

(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s’il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet.

(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l’application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s’il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.

(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l’exploitation d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s’il s’agit d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire fédérale. [p. 132]

[14]      Il a ensuite énoncé un « critère fonctionnel » servant à déterminer si une entité est « fédérale » et doit être assujettie au régime fédéral de relations de travail. Il importe de signaler que le juge Dickson n’a pas eu recours au « contenu essentiel » du chef de compétence sur les télécommunications pour déterminer, dans le cadre de l’analyse fonctionnelle, la nature des activités de la filiale :

(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation.

(6) Pour déterminer la nature de l’exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’« entreprise active », sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière. [Je souligne; p. 132.]

[15]      Dans l’arrêt Four B, rendu la même année que Northern Telecom, la Cour a aussi adopté les principes élaborés dans Construction Montcalm et a conclu là encore que le critère fonctionnel employé pour l’examen des « activités normales ou habituelles » de l’entité était déterminant. Dans Four B, la question était de savoir si les lois ouvrières provinciales s’appliquaient à une entreprise manufacturière constituée en vertu d’une loi provinciale qui appartenait à quatre membres d’une bande indienne, qui employait principalement des membres de la bande et qui exerçait ses activités sur une réserve indienne en vertu d’un permis fédéral. Le juge Beetz, au nom des juges majoritaires, a énoncé les principes directeurs et a conclu que la « nature de l’exploitation » de l’entreprise était provinciale :

À mon avis, les principes établis pertinents à cette question peuvent être résumés très brièvement. En ce qui a trait aux relations de travail, la compétence législative provinciale exclusive est la règle, la compétence fédérale exclusive est l’exception. L’exception comprend, principalement, les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être qualifiés d’entreprises, de services ou d’affaires de compétence fédérale.

Rien dans l’affaire ou l’exploitation de Four B ne pourrait permettre de la considérer comme une affaire de compétence fédérale : la couture d’empeignes sur des souliers de sport est une activité industrielle ordinaire qui relève nettement du pouvoir législatif provincial sur les relations de travail. Ni la propriété de l’entreprise par des actionnaires indiens, ni l’embauchage par cette entreprise d’une majorité d’employés indiens, ni l’exploitation de cette entreprise sur une réserve indienne en vertu d’un permis fédéral, ni le prêt et les subventions du fédéral, pris séparément ou ensemble, ne peuvent avoir d’effet sur la nature de l’exploitation de cette entreprise. Donc, compte tenu du critère fonctionnel et traditionnel, The Labour Relations Act s’applique aux faits de l’espèce et la Commission a compétence.
[Je souligne; p. 1045­46.]

Le juge Beetz a conclu que le critère fonctionnel était concluant et que Four B était une entreprise provinciale.

[16] Lorsqu’il traite du critère fonctionnel, le juge Beetz ne mentionne en aucun cas le « contenu essentiel » du par. 91(24). En fait, il indique clairement que ce n’est que si le critère fonctionnel n’est pas concluant pour déterminer si une entreprise en particulier est « fédérale » que le tribunal devrait examiner si la réglementation provinciale des relations de travail pourrait porter atteinte au « contenu essentiel » de la réglementation fédérale applicable à l’entité.

[55]           La demanderesse soutient que l’arbitre aurait dû s’appuyer sur l’arrêt NIL⁄TU,O et la décision rendue par la suite par l’arbitre dans Norway House pour en venir à la conclusion que le poste de soins infirmiers, en l’espèce, relevait de la compétence provinciale.

[56]           Bien que la demanderesse n’ait pas fait référence à l’arrêt NIL⁄TU,O de façon approfondie, il doit bel et bien être examiné de plus près. Cette affaire concernait une agence d’aide à l’enfance, à savoir la NIL⁄TU,O Child and Family Services Society (la NIL⁄TU,O). Le British Columbia Government and Service Employees’ Union a présenté à la British Columbia Labour Relations Board une demande afin d’être accrédité à titre d’agent négociateur pour les employés de la NIL/TU,O. Celle‑ci s’y est opposée, alléguant que ses relations de travail relevaient de la compétence fédérale sur les « Indiens », en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, puisque ses services étaient destinés aux enfants et aux familles des Premières Nations. En fin de compte, la Cour suprême du Canada a conclu, en se fondant sur les faits de l’espèce, que la NIL⁄TU,O était une entreprise provinciale et que le gouvernement provincial avait compétence concernant les relations de travail.

[57]           La juge Abella, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a déclaré que, pour déterminer si le pouvoir de réglementer les relations de travail d’une entité relèvera du gouvernement fédéral, ce qui aurait pour effet d’écarter la présomption de compétence provinciale, l’arrêt Four B exigeait que le tribunal applique tout d’abord le critère fonctionnel, c’est-à-dire qu’il examine la nature de l’entité, son exploitation et ses activités habituelles pour voir s’il s’agit d’une entreprise fédérale. Si c’est le cas, ses relations de travail seront assujetties à la réglementation fédérale.

[58]           Elle a également fait remarquer qu’en dépit de la démarche appliquée depuis longtemps par la Cour suprême du Canada, il s’est développé un courant jurisprudentiel différent, et ce, uniquement dans le cadre de litiges portant sur le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette « différente analyse » n’a pas été entérinée par la Cour suprême :

[20]      En principe, rien ne justifie que la compétence relative aux relations de travail d’une entité soit abordée différemment lorsque le par. 91(24) est en cause. La nature fondamentale de l’examen est – et devrait être – la même que pour les autres chefs de compétence. Il s’agit d’un examen en deux étapes, la première étape étant l’application du critère fonctionnel. Le tribunal doit passer à la seconde étape seulement si la première étape n’est pas concluante. Si elle n’est pas concluante, la question n’est pas de savoir si les activités de l’entité se rattachent au « contenu essentiel » du chef de compétence fédéral, mais de savoir si le fait que les relations de travail de cette entité sont régies par le gouvernement provincial porte atteinte au « contenu essentiel » de ce chef de compétence.

[59]           La juge Abella a ensuite appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Four B aux circonstances de l’espèce, qui se dégageaient des faits établis concernant la nature des opérations de la NIL⁄TU,O, et elle a conclu ce qui suit :

[45]      La nature essentielle des activités de NIL/TU,O consiste à fournir des services aux enfants et aux familles, une question qui relève de la compétence provinciale. La présence de financement fédéral et le fait que les services de NIL/TU,O visent à répondre à des besoins précis sur le plan culturel ne changent pas, à mon avis, la nature manifestement provinciale de cette entité. La communauté visée par les activités de NIL/TU,O à titre d’agence d’aide à l’enfance ne change pas ce qu’elle fait, soit offrir des services d’aide à l’enfance. Les bénéficiaires visés peuvent et devraient sans doute influencer la façon dont ces services sont rendus, mais ils ne changent rien au fait que la prestation de services d’aide à l’enfance, une entreprise provinciale, est essentiellement la fonction de NIL/TU,O.

[46]      De plus, ni la nature des activités de NIL/TU,O ni la jurisprudence n’exigent un examen portant sur l’« indianité » dans le cadre du présent pourvoi. Les principes établis dans Four B et dans Northern Telecom confirment de façon claire et concluante que NIL/TU,O est une entreprise provinciale. Au cours des quatre‑vingt‑cinq dernières années, la jurisprudence en matière de relations de travail confirme qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse supplémentaire ou différente. La présomption en faveur de la compétence provinciale en matière de relations de travail continue de s’appliquer en l’espèce.

[Souligné dans l’original.]

[60]           Par conséquent, je suis d’avis que l’arbitre en l’espèce n’a pas commis d’erreur en concluant que l’arrêt NIL⁄TU,O n’avait pas réorganisé le monde du droit du travail concernant les employés des Premières Nations (paragraphes 137 et 138).

[61]           À cet égard, dans la décision Munsee-Delaware, le juge LeBlanc a également conclu, dans le même ordre d’idées, que rien dans l’arrêt NIL⁄TU,O ne modifiait les dispositions législatives existantes applicables afin de déterminer si ce sont les lois fédérales ou provinciales qui régissent les relations de travail. Plus précisément, il a conclu que les relations de travail concernant les Premières Nations ne nécessitaient pas l’application d’un critère différent. Comme l’a déclaré le juge LeBlanc :

[36]      L’arrêt Four B est le prédécesseur de l’arrêt NIL/TU,O pour la question de savoir si les relations de travail au sein d’une Première Nation seront régies par les lois provinciales ou par les lois fédérales. Sur ce point, l’arrêt NIL/TU,O ne dit nulle part que les principes énoncés dans l’arrêt Four B doivent être écartés, abandonnés ou discrédités. Au contraire, les juges majoritaires, dans l’arrêt NIL/TU,O, parlent souvent du critère de l’arrêt Four B comme du critère qui devrait être suivi et appliqué (NIL/TU,O, aux paragraphes 3, 15, 18, 23 et 40). Ils évoquent souvent aussi l’arrêt Four B comme étant le précédent, outre l’arrêt Northern Telecom, précité, qui expose « de la manière la plus complète » le critère juridique servant à déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale (NIL/TU,O, au paragraphe 3).

[37]      Dans l’arrêt NIL/TU,O, la Cour suprême a rappelé que ce critère juridique devait être employé quel que soit le chef de compétence fédérale concerné dans une affaire donnée, y compris, comme indiqué dans l’arrêt Four B, le chef de compétence fédérale sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens » (NIL/TU,O, au paragraphe 3). Après avoir appliqué le critère de l’arrêt Four B aux circonstances de l’espèce (NIL/TU,O, au paragraphe 23) – une affaire d’accréditation comme dans l’arrêt Francis – la Cour suprême a jugé que les relations de travail du groupe d’employés en cause relevaient de la compétence provinciale.

[62]           L’arbitre n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’analyse à appliquer; il a plutôt conclu qu’au regard des faits, l’arrêt NIL⁄TU,O était différent de l’affaire dont il avait été saisi. La NIL⁄TU,O était une agence d’aide à l’enfance constituée en personne morale sous le régime des lois provinciales. Cette agence était une entité liée à la Première Nation bénéficiant de ses services, mais elle était indépendante de cette dernière. Plus précisément, l’employeur dans NIL⁄TU,O était une entité juridique distincte, et non la Première Nation même. En outre, dans cette affaire, il était question de la compétence dérivée. Dans sa décision, l’arbitre a soigneusement énoncé les faits qui décrivaient le fonctionnement du poste de soins infirmiers et qui appuyaient sa conclusion selon laquelle le poste relevait de la compétence fédérale au regard des relations de travail, que ce soit selon l’analyse relative à la compétence directe ou celle relative à la compétence dérivée, et il ne pouvait pas en arriver à la même conclusion que celle tirée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt NIL/TU,O.

[63]           À cet égard, il convient de souligner que la décision Munsee-Delaware, qui a été rendue plus tôt cette année, avait trait à une situation de fait semblable à celle dont l’arbitre avait été saisi. Dans cette affaire, la demanderesse, Mme Flewelling, avait affirmé avoir été congédiée injustement par la Nation Munsee‑Delaware et avait déposé une plainte de congédiement injuste, en vertu du Code. L’arbitre chargé de l’affaire s’était appuyé sur l’arrêt NIL⁄TU,O et avait conclu qu’il n’avait pas compétence pour examiner la plainte de la demanderesse au motif que son emploi était régi par les lois provinciales. Le juge LeBlanc a conclu que le Code s’appliquait et a annulé la décision de l’arbitre.

[64]           Le juge LeBlanc a déclaré que la question soulevée dans cette affaire était de savoir si l’arrêt Francis faisait toujours autorité compte tenu de l’arrêt NIL/TU,O. Dans l’affirmative, cet arrêt liait l’arbitre et la Cour. L’arrêt Francis traitait de l’accréditation, conformément au Code, de l’Alliance de la fonction publique du Canada comme agent de négociation d’un groupe d’employés de la bande indienne de Saint‑Régis, qui pour la plupart s’occupaient « d’administration en matière d’éducation, de l’administration de terres et de patrimoines d’Indiens, de l’administration du bien‑être, de l’administration en matière d’habitation, d’administration scolaire, de travaux publics, de l’administration d’un foyer pour personnes âgées, de l’entretien des routes, de l’entretien d’écoles, de l’entretien du système d’approvisionnement en eau et du système sanitaire, et de l’enlèvement des ordures ménagères » (Francis, au paragraphe 17).

[65]           Tel qu’il a été mentionné précédemment, le juge LeBlanc a conclu que NIL⁄TU,O et Four B, son prédécesseur, n’avaient en rien modifié le critère juridique existant à appliquer pour déterminer si les relations de travail étaient régies par les lois provinciales ou fédérales. Bien qu’il ait été établi, dans l’arrêt NIL⁄TU,O, que les lois provinciales s’appliquaient dans cette affaire, le juge LeBlanc a jugé que cette dernière était différente, du point de vue des faits, de l’arrêt Francis et de l’affaire dont il avait été saisi :

[38]      Toutefois, l’affaire NIL/TU,O était quelque peu différente de l’affaire Francis. D’entrée de jeu, madame la juge Abella, rédigeant les motifs des juges majoritaires, soulignait de la « structure […] unique » de l’employeur (NIL/TU,O, au paragraphe 1). Cet employeur était une société – la NIL/TU,O Child and Family Services Society (la NIL/TU,O) – constituée en vertu de la Society Act de la Colombie‑Britannique par plusieurs Premières Nations situées dans cette province, pour l’établissement d’un service d’aide à l’enfance qui fournirait des services « adaptés à la réalité culturelle » des enfants et des familles de ces communautés. La NIL/TU,O était régie exclusivement par la province, et ses employés exerçaient des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale prévus par la Child, Family and Community Service Act de la Colombie‑Britannique (NIL/TU,O, au paragraphe 36). La NIL/TU,O était financée par la province et par le gouvernement fédéral. Ce financement était la seule participation du gouvernement fédéral dans les activités de l’organisme (NIL/TU,O, aux paragraphes 34 et 40).

[39]      Madame la juge Abella a estimé que le caractère distinctif de la NIL/TU,O en tant que service d’aide à l’enfance pour les collectivités autochtones ne pouvait lui faire perdre « sa nature essentielle d’agence d’aide à l’enfance qui est réglementée à tous égards par la province », et elle a conclu que sa fonction était « incontestablement provinciale »(NIL/TU,O, au paragraphe 39).

[40]      Empruntant les mots employés par madame la juge Abella dans l’arrêt NIL/TU,O, je ne crois pas que l’on puisse dire, dans la présente affaire, que l’employeur est une agence « qui est réglementée à tous égards par la province », que sa fonction est « incontestablement provinciale » et que Mme Flewelling exerçait « des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale » conférés par une loi provinciale. En l’espèce, l’employeur est un conseil de bande auquel s’applique la Loi sur les Indiens, et Mme Flewelling s’occupait de l’administration générale des affaires de la bande, notamment du logement dans la réserve, ainsi que des affaires concernant les terres de la réserve indienne. Ses activités ont été décrites ainsi par l’arbitre :

[traduction]
La plaignante travaillait au service des finances de l’employeur, dans les bureaux de la Nation. Étant la seule employée de ce service, elle accomplissait toutes les tâches habituelles liées à la comptabilité. Elle tenait les registres financiers de l’employeur, notamment les comptes fournisseurs, les comptes clients, le livre de paie, les dépôts bancaires et les états de rapprochement bancaire.

(Non souligné dans l’original.)

[41]      Selon la preuve produite à la Cour, le salaire de Mme Flewelling était payé à même les deniers fédéraux reçus par la Nation; des deniers qui représentaient la majeure partie du financement de la Nation.

[66]           Le juge LeBlanc a souligné que, selon l’arrêt Francis, les affaires ou activités d’un conseil de bande étaient celles d’un gouvernement local tenant son pouvoir de la Loi sur les Indiens et des règlements applicables. Les fonctions ainsi exercées sont considérées comme une « responsabilité globale de la nature d’un gouvernement local ». Le conseil de bande exerce ses fonctions de gouvernance en recrutant des employés des services administratifs (Munsee­Delaware, au paragraphe 42; Francis, au paragraphe 27). Le juge LeBlanc a conclu que Mme Flewelling comptait parmi ces employés.

[67]           Par conséquent, le juge LeBlanc a déclaré ce qui suit :

[43]      Je suis d’accord avec le procureur général pour dire que l’arbitre, dans son analyse, s’abstient de tout examen des fonctions essentielles des bandes indiennes et des conseils de bande, un examen qui faisait partie de l’analyse dans l’arrêt Francis. Il s’est fondé uniquement sur l’arrêt NIL/TU,O, lequel concernait les relations de travail d’un service d’aide à l’enfance, constitué séparément et régi par les lois provinciales, et qui n’avait rien à voir avec les fonctions administratives quotidiennes inhérentes à la gestion des affaires d’une bande indienne. L’arbitre a de ce fait commis une erreur susceptible de contrôle.

[68]           Le juge LeBlanc a conclu que la nature fondamentale des « affaires » ou de l’exploitation d’une bande indienne et d’un conseil de bande, auxquelles s’appliquait la Loi sur les Indiens, comme cela a été dépeint par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Francis, était complètement occultée dans l’analyse de l’arbitre :

[45]      Je ne suis pas disposé à dire que l’arrêt Francis a été renversé par l’arrêt NIL/TU,O. L’absence de tout examen de ce facteur capital justifie à mon avis l’annulation de la décision de l’arbitre. Autrement dit, compte tenu de l’arrêt Francis, le critère fonctionnel permet d’affirmer que l’administration de la bande de la Nation est une entreprise fédérale au sens du Code.

[69]           Cette conclusion est importante, étant donné que la demanderesse soutient que l’arbitre aurait dû examiner les opérations ou le poste de soins infirmiers séparément. Toutefois, en l’espèce, si l’arbitre avait appliqué l’arrêt NIL⁄TU,O aveuglément, sans examiner les fonctions du conseil de bande de la PNBR, sa décision aurait donné lieu à une erreur susceptible de contrôle (Munsee-Delaware, aux paragraphes 43 et 45; Paul, au paragraphe 17). Il n’a pas fait cette erreur, et le fait que l’arbitre en est venu à une conclusion différente de celle tirée dans l’arrêt NIL/TU,O s’explique par les faits qu’il a constatés en l’espèce, lesquels sont décrits ci‑dessous. En outre, contrairement aux constatations faites dans l’arrêt NIL⁄TU,O, le poste de soins infirmiers n’avait pas été constitué en personne morale sous le régime des lois provinciales, ses activités n’étaient pas exclusivement réglementées par la province et ses employés n’exerçaient pas des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale. Le poste de soins infirmiers n’était pas financé conjointement par les gouvernements fédéral et provincial, et le rôle du gouvernement fédéral ne se limitait pas au financement.

[70]           La demanderesse fait valoir que le critère fonctionnel peut être appliqué au poste de soins infirmiers, en considérant ce dernier comme une « entité » non visée par la Loi sur les Indiens ni par les questions touchant les entreprises fédérales. Pour les motifs mentionnés ci‑dessus, je ne suis pas d’accord avec elle. Je ne crois pas non plus qu’il serait approprié, dans ces circonstances, d’appliquer le critère fonctionnel de cette façon, dans le cadre de l’analyse relative à la compétence directe. Comme l’a constaté l’arbitre, la question qu’il devait trancher consistait à établir si le poste de soins infirmiers faisait partie des activités de la bande qui concernaient les Indiens et les terres qui leur étaient réservées ou s’il s’agissait d’une entreprise distincte. C’est dans le cadre de l’analyse relative à la compétence dérivée que la nature fonctionnelle essentielle de l’entité connexe, en l’espèce le poste de soins infirmiers, devait être appréciée comme faisant partie intégrante d’une entité fédérale, à savoir la PNBR. Cette réalité a été correctement admise et prise en compte par l’arbitre (paragraphes 195 à 203). Dans le cadre de cette analyse, l’arbitre a énuméré les facteurs dont il avait tenu compte pour apprécier la nature fonctionnelle essentielle du poste de soins infirmiers (paragraphe 198), et je ne suis pas convaincue qu’il s’est laissé distraire par l’aspect « structurel » de la relation de travail, comme le soutient la demanderesse.

[71]           La demanderesse soutient également que l’arbitre a commis une erreur en concluant que la décision Norway House était erronée, et qu’il aurait plutôt dû appliquer cette décision. L’affaire Norway House portait sur des demandes d’accréditation syndicale. L’arbitre était d’avis que le tribunal, dans cette affaire, s’était uniquement attardé aux activités de la clinique de soins de santé, sans tenir compte de la manière dont elle s’intégrait au sein de la Première Nation. En fait, le tribunal avait tenu compte de ce que les employés de la clinique de soins de santé faisaient, au lieu des activités d’ensemble de la Première Nation.

[72]           Le tribunal, dans la décision Norway House, énonce les motifs de sa décision au paragraphe 28. Ils sont exposés brièvement, et, bien que la demanderesse ait affirmé à juste titre que les motifs précisent que la Nation crie de Norway House [traduction« exploite une clinique de soins de santé communautaire offrant des services de santé communautaires », je ne suis pas convaincue, en l’absence de tout autre élément de preuve plus probant, que cette affirmation appuie sa position selon laquelle le tribunal [traduction« a réfléchi et tenu compte du fait que la clinique de soins de santé faisait partie intégrante de la Première Nation ». Bien que les motifs indiquent également que l’exploitation de la clinique de soins de santé par la Première Nation, ainsi que d’autres facteurs, n’a aucune incidence sur la [traduction] « nature de l’exploitation », il demeure qu’il n’y a aucune analyse des activités générales de la Première Nation.

[73]           Tout comme dans la décision Munsee‑Deleware, le tribunal, dans la décision Norway House, aurait dû pousser plus loin son analyse de la question. Pour cette même raison, je ne peux accepter la position de la demanderesse selon laquelle le rejet, par l’arbitre, de l’appréciation réalisée par le tribunal relativement à l’importance du lien entre la clinique de soins de santé et la Première Nation n’était pas fondé en droit.

[74]           En outre, je ne vois rien dans la décision du tribunal qui appuie l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la décision Norway House établit sans équivoque qu’il serait stérile de prendre en considération la totalité des activités d’une Première Nation comme une entité monolithique et que d’agir ainsi équivaudrait à faire fi du fait qu’une Première Nation, agissant comme un gouvernement, compte différentes composantes qui peuvent être plus ou moins autonomes et indépendantes, mais qui n’en sont pas moins uniques et dotées de fonctions importantes. Le tribunal n’aborde tout simplement pas ce point. L’arbitre a néanmoins reconnu dans sa décision qu’une analyse dérivée pourrait permettre de conclure qu’une bande est partie à plusieurs activités. Cela ne signifie donc pas que toutes ces activités tomberaient automatiquement dans un champ de compétence fédéral (Employees of the Canadian Pacific Railway in Empress Hotel, Victoria (City), Re, [1950] 1 W.W.R. 220 (Empress Hotel), au paragraphe 13). Par conséquent, il était d’autant plus important d’apprécier le lien entre l’activité et l’entité.

[75]           Je suis également d’accord avec l’arbitre lorsqu’il affirme que les arrêts Paul, Francis et Whitebear demeurent d’excellents exemples de la jurisprudence et qu’ils n’ont pas été supplantés par NIL⁄TU,O (Munsee‑Delaware, au paragraphe 45). Ces arrêts se distinguent par leur analyse relative à la nature essentielle d’une bande indienne afin de se prononcer sur la compétence et se fondent sur l’arrêt Four B et le critère fonctionnel (voir Paul, aux paragraphes 16, 21 et 23; Francis, au paragraphe 20; Whitebear, aux paragraphes 13 à 20 et 30). Plus précisément, ces arrêts se distinguent parce qu’ils appuient la proposition selon laquelle les bandes indiennes qui effectuent elles‑mêmes des fonctions qui leur sont déléguées par le Parlement, au lieu de les confier à des entités qui leur sont rattachées, comme c’était le cas dans l’arrêt NIL⁄TU,O, peuvent être assujetties au Code. Dans l’arrêt NIL⁄TU,O, les faits étaient simplement différents, comme cela a été mentionné dans les paragraphes précédents (décision, aux paragraphes 164 à 171).

[76]           La demanderesse soutient également que l’arbitre s’est fondé principalement sur ces trois affaires pour conclure que le poste de soins infirmiers faisait partie intégrante de la Première Nation. Or, un examen de la décision de l’arbitre permet de constater que ce n’est pas du tout le cas. L’arbitre a invoqué ces arrêts au soutien de la proposition selon laquelle [traduction« les bandes indiennes mêmes (contrairement aux entités qui leur sont rattachées) sont assujetties au Code » (décision, au paragraphe 169). S’il est vrai que l’arbitre résume les faits et les conclusions de ces arrêts, il ne les invoque pas pour leurs scénarios factuels, mais pour faire ressortir le principe général. Cela étant, la situation différente de la demanderesse par rapport aux situations énoncées dans ces arrêts ne signifie pas que l’arbitre n’aurait pas dû se fier aux principes ressortant de ces affaires. L’arbitre a appliqué le critère fonctionnel aux faits qui lui avaient été présentés.

[77]           Quoi qu’il en soit, j’aimerais souligner que les faits énoncés dans l’arrêt Paul appuient la position de la défenderesse. Dans cette affaire, il s’agissait de décider si l’Alberta Labour Act s’appliquait aux relations de travail de la bande et de ses agents de police spéciaux. Le conseil de bande a été considéré comme l’employeur. La Cour d’appel de l’Alberta, se fondant sur l’arrêt Four B et le critère fonctionnel, a affirmé que les employés devaient être classés dans des catégories d’emploi afin de déterminer de qui ils relevaient, non pas sur la foi des activités qu’ils réalisaient dans le cadre de leur emploi, mais sur la foi de l’essence ou de la nature de l’exploitation de l’employeur pour qui ils travaillaient, et du pouvoir législatif qui régissait cette exploitation. Le critère décisif a donc été établi comme étant « le pouvoir législatif sur l’exploitation » (Paul, au paragraphe 9).

[78]           La Cour d’appel de l’Alberta n’a pas assimilé la situation qui lui était présentée à celles dans lesquelles l’employeur était une société privée distincte du conseil de bande (Four B) ou une exploitation particulière d’un employeur ne faisant pas partie intégrante de ses activités principales (Empress Hotel). Elle a conclu que le conseil de bande, en appliquant les lois provinciales dans la réserve, exerçait l’un des pouvoirs qui lui étaient conférés par l’article 81 de la Loi sur les Indiens, à savoir la réglementation de la circulation, l’observation de la loi et le maintien de l’ordre, lequel faisait partie intégrante des activités normales confiées à la bande :

[traduction]

[20]      Les seules opérations ou activités qu’un conseil de bande a le droit de réaliser sont celles autorisées par le Parlement au titre de la Loi sur les Indiens, et en particulier par l’article 81, libellé ainsi :

81. Le conseil d’une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l’une ou l’ensemble des fins suivantes :

a) l’adoption de mesures relatives à la santé des habitants de la réserve et les précautions à prendre contre la propagation des maladies contagieuses et infectieuses;

b) la réglementation de la circulation;

c) l’observation de la loi et maintien de l’ordre;

[…]

[79]           De même, en l’espèce, l’exercice des pouvoirs du conseil de bande avait lui aussi trait à l’administration des affaires de la bande, prévue dans la Loi sur les Indiens. Plus précisément, il s’agissait du pouvoir d’assurer la santé des habitants de la réserve. Ce poste de soins infirmiers était exploité par la PNBR afin d’offrir des services de soins de santé, ce qui constitue l’un de ses devoirs administratifs à titre de bande.

[80]           En outre, la PNBR est une Première Nation qui bénéficie d’un « transfert de pouvoir à la bande ». L’arbitre a conclu que la DGSPNI, un organe de Santé Canada, verse un financement global pour les soins de santé, mais qu’il incombe à la bande de gérer ces fonds dans le cadre de son mandat relatif aux soins de santé, qui comprend le recrutement, le maintien en poste et la formation du personnel infirmier. À la lumière de ces faits, je considère que la PNBR agissait elle aussi comme un organe du gouvernement fédéral en s’acquittant de son rôle administratif qui consiste à assurer l’administration de la bande.

[81]           Les relations de travail entre la PNBR et son personnel infirmier sont comparables aux relations de la bande dans l’arrêt Paul, où les agents de police spéciaux relevaient de l’administration de la bande. Je ne pense pas qu’il y ait un élément distinctif pertinent entre les deux affaires tenant au fait que le personnel infirmier travaillait principalement à l’extérieur d’un poste, lequel n’avait pas été constitué en personne morale distincte et était exploité, aux dires de la PNBR, comme un organisme interne, alors que cela ne semblait pas être le cas des agents de police spéciaux dans l’arrêt Paul.

[82]           Dans l’arrêt Whitebear, le conseil de bande s’était engagé, dans l’intérêt des membres de la bande, à gérer les programmes qui leur étaient destinés en concluant un accord de contribution consolidé avec le ministère fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien. À l’issue d’une analyse relative à la compétence tenant compte de l’arrêt Four B et du critère fonctionnel, la Cour d’appel de la Saskatchewan avait conclu que le conseil de bande était l’employeur et participait directement au travail de ses employés et en était responsable, une conclusion qui s’écartait donc sérieusement de celle de l’arrêt Four B, et que la compétence fédérale s’appliquait. La Cour d’appel de la Saskatchewan avait ajouté ce qui suit :

[traduction]

[32]      Selon moi, l’activité particulière réalisée par le Conseil de bande Whitebear et ses menuisiers — la construction de résidences dans la réserve conformément à l’accord « de contribution unique » — ne peut être séparée de l’activité du conseil de bande dans son ensemble et isolée, ni se voir attribuer une nature différente de celle dont elle fait partie — la fonction générale du conseil de bande. Cela équivaudrait à aller à l’encontre des principes de détermination cités dans Montcalm, précité, et à prendre en considération des exceptions ou des facteurs occasionnels, au lieu des activités professionnelles normales ou habituelles de l’employeur en tant qu’« entreprise active », afin d’éviter que la Constitution cesse de s’appliquer, tel que l’a expliqué le juge Beetz dans Montcalm. Par conséquent, je suis convaincu que la construction de résidences dans la réserve, dans les circonstances, s’inscrit dans l’exploitation générale du conseil de bande et ne peut être retirée de ses activités normales et considérée comme une activité industrielle ordinaire dans la province et tomber dans un champ de compétence provincial; cette conclusion, selon moi, a été tirée à tort par la Labour Relations Board.

[83]           Bien qu’en l’espèce, l’arbitre devait se prononcer sur les services offerts par le personnel infirmier, l’analyse et la conclusion relatives aux menuisiers dans l’arrêt Whitebear sont tout aussi applicables.

[84]           La demanderesse concède que la PNBR serait assujettie à la réglementation fédérale en ce qui a trait à ses relations de travail avec les unités ou les secteurs de la bande dont le mandat est d’appliquer la nature gouvernementale de la bande, comme il est expliqué dans l’arrêt Francis. J’estime que c’est le cas en l’espèce.

[85]           La demanderesse s’appuie aussi fortement sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Tessier, qui, au paragraphe 55, a conclu ce qui suit :

[55]      Pour résumer, une entreprise indivisible et intégrée ne doit pas être artificiellement scindée aux fins de classification constitutionnelle.  Des travaux et entreprises locaux ne seront assujettis à la réglementation fédérale que si leur nature dominante fait partie intégrante d’une entreprise fédérale; autrement, ils continuent à relever de la province […]

[86]           Il convient tout d’abord de noter que l’arrêt Tessier portait sur le paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui concerne la compétence en matière de navigation et de transport maritime, et sur le cadre analytique servant à trancher la question de savoir si une activité connexe fait partie intégrante d’une entreprise fédérale, soit l’analyse relative à la compétence dérivée. La Cour suprême du Canada avait conclu que la nature fonctionnelle essentielle de Tessier était locale, et que ses services de débardage, qui étaient intégrés à ses autres activités, constituaient une partie relativement minime de son entreprise globale. Écarter la compétence provinciale à l’égard de ces employés entraînerait leur assujettissement à la réglementation fédérale sur le fondement d’activités intermittentes de débardage, en dépit du fait que l’activité de Tessier était principalement constituée d’activités assujetties à la réglementation provinciale.

[87]           En l’espèce, l’arbitre a pris acte de la conclusion exposée dans l’arrêt Tessier (décision, paragraphe 130), laquelle a été acceptée dans l’arrêt NIL⁄TU,O, au paragraphe 22, selon laquelle « […] il est possible qu’une entité soit réglementée en partie par le fédéral et en partie par la province ». De plus, l’arbitre n’était effectivement pas en désaccord avec la Cour suprême du Canada, dans Tessier, qui a déclaré que le critère fonctionnel pouvait être appliqué pour établir si une partie d’une entreprise peut être considérée comme une « unité fonctionnelle particulière » (Tessier, paragraphe 49). L’arbitre a simplement conclu que, si l’on applique le critère aux faits de l’espèce, le poste de soins infirmiers faisait partie intégrante de la PNBR et que la compétence fédérale s’appliquait.

[88]           L’arbitre a correctement cerné et pris en considération les facteurs qui tendaient vers l’indépendance, ou l’absence d’indépendance, du poste de soins infirmiers et il a conclu que la bande était l’entité pertinente pour l’application du critère fonctionnel (qu’il a désignée comme l’« approche traditionnelle »). Pour étayer sa conclusion, il a fait remarquer que les activités quotidiennes du poste de soins infirmiers relevaient conjointement de la DGSPNI pour les affaires d’ordre clinique et de la bande pour les affaires relatives aux ressources humaines, sans aucune participation utile d’une entité provinciale. Les activités et la chaîne de commandement étaient directement liées à la bande, qui était l’employeur. Le poste de soins infirmiers représentait l’un des moyens, sinon le moyen le plus important, par lesquels la bande s’acquittait du volet de son mandat relatif aux soins de santé. Un facteur important, même s’il n’a pas en soi une valeur déterminante, est le fait que le poste de soins infirmiers n’a pas été constitué en personne morale distincte. L’unique élément de compétence provincial entrant en ligne de compte était le fait que le personnel infirmier était régi par la réglementation provinciale. Cela étant, comme c’était le cas dans les arrêts Paul, Francis et Whitebear, la bande était l’entité à analyser, et il appert qu’elle offrait un vaste éventail de services gouvernementaux à ses membres, y compris des soins de santé. À l’instar de l’arbitre, je suis d’avis que cette analyse relative à l’identité de l’entité à examiner n’était pas nécessaire, puisque cet aspect faisait déjà partie de l’analyse relative à la compétence directe et dérivée.

[89]           Je conclus donc, comme l’arbitre, que le poste de soins infirmiers relève de la compétence fédérale, que ce soit directement ou de manière dérivée (Tessier, au paragraphe 17).

[90]           L’arbitre a à juste titre conclu, concernant la compétence fédérale directe en matière de travail, qu’il fallait décider si la nature fonctionnelle essentielle de l’entité la faisait tomber dans un champ de compétence fédérale (Tessier, au paragraphe 18; décision, au paragraphe 130(j)). La question à trancher était donc de savoir si le poste de soins infirmiers faisait partie intégrante des activités de la bande relativement aux Indiens et aux terres réservées pour les Indiens, ou si elle était une entité distincte (décision, au paragraphe 197). L’analyse vise donc à établir si le poste de soins infirmiers et la PNBR sont intégrés sur le plan fonctionnel. Pour ce faire, il faut procéder à une analyse des faits.

[91]           L’étude des faits de l’espèce sous l’angle d’une analyse fonctionnelle incite à conclure que le poste de soins infirmiers faisait partie intégrante de la bande ou y était intrinsèquement lié, ce qui signifie qu’il relevait de la compétence fédérale. Lorsqu’une bande indienne offre des services gouvernementaux qui lui sont délégués par le Parlement par l’entremise de la Loi sur les Indiens, les activités relèvent de la compétence fédérale (Paul; Francis; Whitebear; Munsee‑Deleware). Le poste de soins infirmiers est le moyen choisi par la PNBR pour exécuter son mandat consistant à offrir des services de soins de santé à ses résidents et, ainsi, exercer un pouvoir qui lui est délégué par le Parlement en vertu de la Loi sur les Indiens. Cette activité relève directement de la compétence fédérale. L’arbitre a à juste titre tiré la conclusion suivante :

[traduction]

[199]    Lorsque l’on regarde le poste de soins infirmiers dans son ensemble, rien n’indique qu’il est exploité comme une entité distincte, indépendante ou autonome. Il constitue plutôt une composante clé de la bande pour réaliser les activités de l’administration locale de cette dernière. Pour dire les choses simplement, il fait partie de la bande. Le fait de le séparer pour des motifs de compétence serait complètement artificiel.

[92]           Si le poste de soins infirmiers était considéré comme une entreprise distincte de la bande, il faudrait déterminer s’il fait partie intégrante d’un ouvrage, d’un commerce ou d’une entreprise assujetti à la réglementation fédérale et s’il tombe dans le champ de compétence fédéral dérivé (Tessier, au paragraphe 18). En fait, il s’agirait de déterminer s’il existe entre l’opération connexe et l’entreprise fédérale un lien fonctionnel si essentiel qu’il fait perdre à l’opération son caractère provincial distinct et la fait tomber dans la sphère fédérale. Le critère est souple, les facteurs pris en ligne de compte diffèrent d’une décision à l’autre, et il n’existe pas de critère simple et décisif (Tessier, au paragraphe 45). Dans le cas qui nous occupe, l’arbitre, se fondant sur les faits, a conclu que le poste de soins infirmiers faisait partie intégrante des activités de la bande :

[traduction]

[203]    Encore une fois, même si nous partons du principe que le poste de soins infirmiers relève de la compétence provinciale, les activités qui y sont exercées sont si étroitement liées aux activités de la bande qu’elles doivent relever de la compétence fédérale aux fins des relations de travail et de l’emploi.

[93]           Je ne puis conclure que l’arbitre a commis une erreur sur ce point.

[94]           La demanderesse souligne le fait que le personnel infirmier employé par le poste de soins infirmiers offrait un service distinct. Même si c’était le cas, il n’en demeure pas moins que les activités du poste de soins infirmiers étaient fonctionnellement intégrées aux activités de la PNBR ou faisaient partie intégrante de l’entreprise sous réglementation fédérale de la PNBR, à qui le mandat a été confié d’offrir des services de soins de santé à ses résidents, comme il a été expliqué précédemment.

[95]           La demanderesse fait également valoir qu’en l’espèce, aucun règlement administratif n’a été adopté pour autoriser la prestation de soins de santé par la bande. Or, la réalité est que la bande a mis sur pied le poste de soins infirmiers, embauché du personnel infirmier et instauré une voie hiérarchique, chapeautée par le conseil de bande. Par conséquent, qu’il y ait eu règlement administratif ou non, la PNBR était responsable de cette activité. Pour répondre à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le pouvoir de prendre des règlements administratifs conféré au conseil de bande au titre de l’article 81 de la Loi sur les Indiens relève davantage de la prise de décisions politiques que de la gouvernance, je souligne qu’aucune source à l’appui n’a été citée pour corroborer cette position, avec laquelle je suis en désaccord. Les règlements administratifs sont définis dans la 10e édition du Black’s Law Dictionary, sous le mot « by‑laws », comme [traduction« une règle ou une disposition administrative adoptée par une organisation pour les besoins de sa gestion interne et de ses opérations externes. Bien que les règlements administratifs puissent être le document constitutif d’une organisation faisant le plus autorité, ils sont subordonnés à une charte ou à des statuts ou un acte constitutifs » [non souligné dans l’original]. En l’espèce, les règlements administratifs, pour peu qu’ils existent, auraient été adoptés en vertu d’un pouvoir explicitement conféré par la législation fédérale, à savoir l’article 81 de la Loi sur les Indiens et le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, et ne sauraient être qualifiés de simples énoncés de principes, comme le laisse entendre la demanderesse, et auraient eu pour fonction la gestion interne de la bande.

[96]           Enfin, la demanderesse, bien qu’elle ne l’ait pas affirmé explicitement dans ses observations écrites, soutient que le conseil de bande de la PNBR ne doit pas son existence à la Loi sur les Indiens. Il s’agit d’une entité d’une espèce particulière, d’une entité unique ou distincte, qui fonctionne simultanément en tant qu’administration municipale, provinciale et fédérale. Il s’agit donc d’une entité entièrement autonome. Il faut cependant comprendre que ce ne sont pas toutes les activités des Indiens qui tombent sous la compétence fédérale et que la PNBR jouissait de droits inhérents à l’autonomie. Ces droits ne sont pas reconnus par le critère fonctionnel, mais doivent être pris en considération par la Cour.

[97]           Ces observations, ou à tout le moins la nature de celles‑ci, semblent être similaires aux observations présentées au juge LeBlanc dans la décision Munsee‑Deleware. Dans cette décision, le juge LeBlanc avait conclu que, s’il est vrai que les Premières Nations ne doivent pas leur existence à la Loi sur les Indiens ni à quelque autre loi et qu’une bande indienne est davantage qu’une création de la loi, elles constituent néanmoins des entités qui, comme les bandes et les conseils, sont régies par la Loi sur les Indiens et exercent leurs pouvoirs conformément à cette Loi. En outre, tant dans cette affaire qu’en l’espèce, le droit des Autochtones à l’autonomie gouvernementale n’a pas été établi ni défendu devant l’arbitre. En l’espèce, aucun argument constitutionnel pour étayer cette observation n’a même été avancé. Par conséquent, l’argument de la PNBR selon lequel son autorité gouvernementale ne lui est pas déléguée par le Parlement, mais découle de son droit à l’autonomie gouvernementale, ne peut être accepté. Certes, certaines des activités de la PNBR pourraient relever de la compétence provinciale d’après l’analyse fonctionnelle, mais en offrant des services de soins de santé la PNBR exerce un pouvoir qui lui est explicitement délégué par le Parlement, et c’est pourquoi le poste de soins infirmiers relève de la compétence fédérale.

[98]           Concernant l’ajout de la clause de compétence législative au contrat d’emploi, l’arbitre a conclu que ce point revêtait une grande importance. Sans avoir une valeur déterminante en l’espèce, compte tenu de la conclusion précédente selon laquelle le poste de soins infirmiers relève d’une compétence fédérale directe ou dérivée, l’arbitre a à juste titre conclu que les parties avaient fait un choix conscient d’appliquer les lois du Canada, et non celles du Manitoba. Les parties à un contrat sont libres de préciser le régime de droit qui régira le contrat (Vita Food Products Inc c Unus Shipping Co, [1939] UKPC 7, au paragraphe 12; Nike Informatic Systems Ltd c Avac Systems Ltd, [1980] 1 W.W.R. 528, aux paragraphes 10 et 13).

[99]           La demanderesse cite les arrêts Van Breda c Village Resorts Ltd, 2012 CSC 17 (Van Breda), et Siegen pour faire valoir que la détermination de la compétence applicable pour une procédure ne se limite pas à respecter l’existence d’une clause de compétence législative ou de choix d’une instance. Ce qui compte plutôt, c’est la simple reconnaissance de compétence et les facteurs énoncés dans Van Breda, qui sont les suivants : le défendeur exploite une entreprise dans la province; le délit a été commis dans la province; un contrat lié au litige a été conclu dans la province (Van Breda, au paragraphe 90).

[100]       Ces affaires, toutefois, peuvent être distinguées de la présente espèce. Tout d’abord, elles concernent des procédures judiciaires, alors qu’en l’espèce, il est question de relations de travail. En deuxième lieu, il s’agissait, dans ces affaires, de déterminer laquelle, entre deux compétences possibles distinctes, devait prévaloir. En l’espèce, il s’agit plutôt de trancher entre l’application des lois du Manitoba et l’application des lois du Canada, c’est‑à‑dire de déterminer qui, du Manitoba ou du Canada, a la compétence pour se prononcer sur un conflit de travail. Les facteurs relatifs à la simple reconnaissance de compétence ne sont pas très utiles dans ce contexte, puisque toutes les actions qui ont lieu au Manitoba ont simultanément lieu au Canada, et c’est ce qui distingue cette affaire des affaires susmentionnées portant sur le choix d’une instance. De plus, bien que les soins de santé soient un champ de compétence relevant habituellement des provinces, le poste de soins infirmiers, dans ce cas‑ci, permet à la PNBR de remplir son mandat, qui est d’offrir des services de soins de santé. Or, je rappelle qu’une Première Nation est une entité assujettie à la compétence fédérale. Cela nous place donc dans une impasse, car les facteurs relatifs à la simple reconnaissance de compétence énoncés dans la décision Van Breda pourraient inciter à conclure que la compétence est provinciale, puisque l’emploi dans le domaine des soins de santé relève habituellement de la compétence provinciale, mais également fédérale, puisqu’il s’agit d’une entité faisant partie intégrante d’une communauté des Premières Nations, lesquelles relèvent habituellement de la compétence fédérale. Étant donné que les facteurs relatifs à la simple reconnaissance de compétence ne nous permettent pas de trancher sur la compétence devant s’appliquer, la clause de compétence législative figurant dans le contrat d’emploi entre en jeu pour déterminer lequel des deux régimes de droit et compétences possibles devrait prévaloir. Comme la clause dans le contrat d’emploi de la défenderesse indique sans équivoque que les lois du Canada s’appliquent, le Code s’applique.

[101]       Cette clause énonce explicitement l’intention des parties, et, puisqu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant d’appliquer la clause (Northern Sales, au paragraphe 4).

Conclusion

[102]       L’arbitre a à juste titre conclu qu’il avait compétence pour instruire cette affaire, puisque le poste de soins infirmiers de la PNBR relève de la compétence fédérale si le critère fonctionnel établi dans la jurisprudence est appliqué. L’arrêt NIL/TU,O n’a pas pour effet de réfuter l’analyse établie à laquelle il convient de procéder pour déterminer si la compétence fédérale ou provinciale s’applique à une question de travail ou d’emploi. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a tiré une conclusion différente à la lumière des faits précis dont elle disposait, lesquels diffèrent de ceux dont avait été saisi l’arbitre. Dans le cas présent, le poste de soins infirmiers est l’un des moyens, sinon le moyen le plus important, par lesquels la PNBR, une entité assujettie à la compétence fédérale, remplit son mandat, qui consiste à offrir des soins de santé à ses résidents. L’unique participation provinciale est l’accréditation du personnel infirmier par le gouvernement provincial, lequel n’intervient aucunement dans les activités du poste de soins infirmiers. Par conséquent, le poste de soins infirmiers fait partie intégrante de la PNBR parce qu’il n’est pas exploité comme une entité distincte, séparée ou autonome et qu’il relève directement de la compétence fédérale. La situation peut être vue sous un autre angle, c’est‑à‑dire que le poste de soins infirmiers fait partie intégrante d’une entreprise fédérale essentielle qu’est la PNBR et qu’il relève de la compétence fédérale dérivée. En outre, la clause de compétence législative incluse par les parties dans le contrat d’emploi confirme que la compétence fédérale s’applique.

[103]       Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[104]       La Cour avait demandé aux parties de proposer, sans égard à l’issue de l’instance, une somme forfaitaire pour les dépens sur laquelle elles se seraient entendues. Le chiffre sur lequel elles se sont entendues est de 5 000 $. Par conséquent, la défenderesse aura droit aux dépens, fixés à cette somme.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      La défenderesse a droit aux dépens, fixés à 5 000 $.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifié conforme

C. Laroche



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