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Date : 20151215


Dossier : IMM-1158-15

Référence : 2015 CF 1386

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

FLAMUR VESELAJ

BENAZIRE VESELAJ

ARTUR VESELAJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision qui a rejeté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’affaire correspond bien aux enseignements de la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35 (Cepeda-Gutierrez), plus particulièrement le paragraphe 27 :

Finalement, je dois me demander si la section du statut a tiré cette conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ». À mon avis, la preuve était si importante pour la cause du demandeur que l'on peut inférer de l'omission de la section du statut de la mentionner dans ses motifs que la conclusion de fait a été tirée sans tenir compte de cet élément. Il est d'autant plus facile de tirer cette inférence parce que la Commission a traité dans ses motifs d'autres éléments de preuve indiquant que le retour à Mexico ne constituerait pas un préjudice indu. L'affirmation « passe-partout » selon laquelle la Commission a examiné l'ensemble de la preuve dont elle était saisie n'est pas suffisante pour empêcher de tirer cette inférence, compte tenu de l'importance de cette preuve pour la revendication du demandeur.

II.                Le contexte

[2]               Les demandeurs sont originaires du Kosovo. Flamur et Benazire sont mari et femme, et ils ont deux enfants, dont l’un est canadien.

[3]               Leur demande d’asile a été rejetée et l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision leur a également été refusée.

[4]               Ils ont alors présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, à laquelle était joint le rapport d’un psychologue, le Dr Davis (le premier rapport). La demande a ensuite été étayée par un deuxième ensemble d’observations contenant une déclaration solennelle de Benazire. Cette déclaration décrit certaines des horreurs dont elle a été témoin au Kosovo, y compris des assassinats de nature génocidaire, ainsi que le traumatisme psychologique que cela lui a causé.

[5]               Ce deuxième ensemble d’observation contenait un autre rapport du Dr Davis (le deuxième rapport), lequel mettait l’accent sur les problèmes psychologiques de Benazire. Le deuxième rapport détaillait les répercussions potentielles qu’aurait un retour dans son pays d’origine, étant donné que le traumatisme ainsi que la dépression et le trouble de stress post‑traumatique qui en a résulté découlaient des expériences qu’elle avait vécues au Kosovo.

[6]               Dans la décision sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a déclaré qu’il avait examiné le rapport du Dr Davis, lequel indiquait que les deux demandeurs souffraient de dépression et que Benazire souffrait du trouble de stress post‑traumatique.

[7]               L’agent a traité des autres critères relatifs aux considérations d’ordre humanitaire, mais la décision sur ces aspects est moins pertinente quant au présent contrôle judiciaire.

[8]               Les demandeurs font valoir ce qui suit :

1.                  l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve clés, soit le deuxième ensemble d’observations contenant la déclaration solennelle ainsi que le deuxième rapport;

2.                  si l’agent a effectivement vu ces éléments de preuve, il a omis d’en tenir compte de manière adéquate, en particulier du fait qu’ils contredisaient ses conclusions;

3.                  si l’agent a bel et bien tenu compte de la preuve, il a omis d’en examiner la pertinence à l’égard de la question relative aux difficultés.

Dans l’ensemble, cela a mené à une décision déraisonnable.

III.             Analyse

[9]               Il a été convenu que la norme de contrôle applicable était la « décision raisonnable ».

[10]           La question fondamentale à trancher dans le présent contrôle judiciaire était de savoir si des renseignements cruciaux avaient été écartés et, dans le cas contraire, si la décision était raisonnable.

[11]           Encore une fois, la décision Cepeda-Gutierrez traite du premier aspect au paragraphe 17 :

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » […]

[12]           L’agent n’a jamais expressément traité de la déclaration solennelle ou du deuxième rapport. Certes, l’agent fait référence à ce qu’il appelle [traduction] « le rapport » concernant le trouble de stress post‑traumatique dont souffre la femme.

[13]           Malgré le bel effort fourni par l’avocate du défendeur en vue de me convaincre que, lue dans son contexte, l’expression [traduction] « le rapport » doit être une référence au deuxième rapport, il n’est pas suffisamment clair que c’est le cas.

Il est tout aussi plausible que cela soit une référence au premier rapport, lequel traite également du trouble de stress post‑traumatique (encore que ce ne soit pas de façon aussi large que dans le deuxième rapport). Sur une question aussi fondamentale, une cour ne peut être réduite à deviner.

[14]           De plus, il n’y a pas de réelle analyse des détails du deuxième rapport, en particulier sur des points pour lesquels l’agent a tiré des conclusions incompatibles avec le contenu de ce rapport. Cela donne à penser que peu d’attention, voire aucune, n’a été donnée aux éléments de preuve cruciaux.

[15]           Cette conclusion est suffisante pour accueillir la demande de contrôle judiciaire.

[16]           Le défendeur affirme que l’agent a bel et bien prêté attention au deuxième rapport lorsqu’il a conclu que Benazire avait pu vivre relativement en sécurité avec le trouble de stress post‑traumatique pendant quelques années avant de venir au Canada.

[17]           Toutefois, cette conclusion a été tirée dans le contexte des considérations relatives au risque physique, dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le vrai sens qu’il faut donner au deuxième rapport et aux observations connexes, c’est le risque psychologique d’un retour sur les lieux du traumatisme psychologique. Cet aspect n’a pas été apprécié et il aurait dû l’être.

IV.             Conclusion

[18]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision originale sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, laquelle pourra être mise à jour.

[19]           Il n’y a aucune question en vue de la certification.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision originale est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, laquelle peut être mise à jour.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1158-15

 

INTITULÉ :

FLAMUR VESELAJ, BENAZIRE VESELAJ, ARTUR VESELAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉCEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Norain A. Mohamed

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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