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Date : 20151218

Dossier : IMM-4413-14

Référence : 2015 CF 1397

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 décembre 2015

En présence de madame la juge Heneghan

Entre :

AKIN OLULOPE AKINSUYI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Akin Olulope Akinsuyi (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de l’immigration (la Commission) rendue le 15 mai 2014. Dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur est interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée et pour participation à la criminalité transnationale, au sens de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur est citoyen du Nigéria. Il est devenu résident permanent au Canada le 9 mai 2006.

[3]               Le 4 juillet 2013, le demandeur s’est rendu au comptoir postal de Downsview. À portée de voix d’un agent de la GRC en civil, il a déclaré qu’il attendait un colis pour lequel il avait effectué un suivi. L’employé du comptoir postal a avisé l’agent de la GRC, qui se faisait passer pour un employé et qui attendait dans la pièce arrière, que le demandeur était connu au comptoir postal sous le nom de Jordan Soyar, le locataire de la boîte postale 30033. L’employé a montré le colis au demandeur. Le demandeur a répondu [traduction] « Oui, c’est ça », il a signé pour récupérer le colis et il est parti.

[4]               Le colis contenait de l’héroïne et, à l’insu du demandeur, il avait été intercepté par l’International Crime Team (Border Agency) du Royaume-Uni à l’aéroport Heathrow de Londres le 27 juin 2013. Le colis a été saisi par la GRC le 2 juillet 2013 à son arrivée au Canada. Le 4 juillet 2013, la GRC a obtenu un mandat permettant la livraison contrôlée du colis et elle a effectué la livraison contrôlée le jour même.

[5]               Le demandeur a été arrêté 10 minutes après avoir quitté le comptoir postal. Il avait sur lui deux téléphones cellulaires, dont l’un contenait des messages textes envoyés sous le nom de « Jordan Soyar ».

[6]               Après son arrestation, le demandeur a déclaré au gendarme Hung de la GRC qu’on lui avait versé 950 $ pour recevoir le colis. Il a été arrêté par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) le 7 août 2013.

[7]               Le demandeur a été accusé de quatre infractions, soit :

i.          Importation d’héroïne au Canada, en contravention du paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 (la LRCDAS);

ii.         Complot en vue d’importer de l’héroïne en contravention du paragraphe 6(1) de la LRCDAS et en contravention de l’alinéa 465(1)c) du Code criminel, LRC 1985, c C-46 (le Code);

iii.        Possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic, en contravention du paragraphe 5(2) de la LRCDAS;

iv.        Complot en vue de posséder de l’héroïne dans le but d’en faire le trafic, en contravention du paragraphe 5(2) de la LRCDAS et de l’alinéa 465(1)c) du Code.

[8]               Dans un rapport daté du 31 juillet 2013, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada. Un rapport préparé en application du paragraphe 44(1) de la Loi, daté du 20 septembre 2013, a été examiné par un agent d’exécution le 23 septembre 2013. Le même jour, conformément au paragraphe 44(2) de la Loi, le dossier du demandeur a été déféré en vue d’une enquête.

[9]               Le 3 février 2014, le demandeur a demandé un sursis à la tenue de l’enquête en attendant l’issue de son procès criminel.

[10]           Après une audience tenue le 17 février 2014, la Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire au sens de l’alinéa 37(1)b) de la Loi. Le demandeur n’a pas témoigné à l’audience, mais des observations écrites ont été présentées pour son compte.

[11]           Dans sa décision, datée du 15 mai 2014, la Commission a rejeté les observations du demandeur selon lesquelles il n’était pas interdit de territoire parce que rien ne prouvait qu’il savait que le colis contenait de l’héroïne. Elle a tenu compte du fait que le demandeur a utilisé un faux nom au comptoir postal et qu’il a reçu 950 $ pour aller chercher le colis. Elle a conclu qu’il devait savoir que quelque chose d’illégal se passait, sinon, il n’aurait pas reçu un aussi gros montant pour une tâche si simple.

[12]           La Commission a conclu que, selon la preuve, il existait une possibilité sérieuse que le demandeur eût volontairement participé à un crime transnational et qu’il était raisonnable de croire qu’il était interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée, soit l’importation illégale d’héroïne au Canada.

[13]           Le demandeur soutient maintenant que la Commission a manqué à l’équité procédurale en refusant de surseoir à l’enquête jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les accusations criminelles. Il soutient que le refus de lui accorder un sursis a eu des répercussions sur sa capacité de présenter une réponse et une défense complètes à l’enquête, indépendamment de son droit de ne pas témoigner lors du procès criminel. Bien que la Commission ait mis le dossier d’enquête sous scellé, le demandeur soutient que cette protection ne respecte pas adéquatement le niveau d’équité procédurale auquel il avait droit.

[14]           Le demandeur soutient aussi que la Commission a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle le fait que le demandeur n’a pas personnellement témoigné signifie qu’il n’y avait pas de preuve à l’appui de la théorie qui, de l’avis de la Commission, était la plus probable. Il fait valoir que cette conclusion est abusive parce que c’est la décision de la Commission de ne pas lui accorder un sursis qui l’a empêché de présenter une preuve, par témoignage en personne, à l’appui d’une théorie subsidiaire.

[15]           Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte : voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[16]           Les conclusions de fait de la Commission sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 53.

[17]           Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable, les motifs doivent être justifiables, transparents et intelligibles, et doivent appartenir aux issues possibles et acceptables : voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

[18]           La Commission n’a pas manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a rejeté la requête en sursis du demandeur. Le demandeur a demandé que l’on sursoie à l’enquête dans le dossier IMM-620‑14, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre de renvoyer l’affaire pour enquête. La requête en sursis a été entendue le 3 février 2013. Dans une ordonnance rendue le 4 février 2013, le juge Phelan a rejeté la requête.

[19]           La Commission est maîtresse de sa procédure : voir le paragraphe 161(1) de la Loi et l’article 49 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229. Je renvoie aux pages 189 à 199 du dossier certifié du tribunal, où la Commission a traité de la nouvelle requête en sursis du demandeur, au début de l’enquête le 17 février 2014.

[20]            Je ne relève rien qui donne à penser que la Commission a commis une erreur dans sa décision quant à cette requête. Les arguments du demandeur ont été présentés et la Commission en a tenu compte. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, une question portant sur la procédure en cours, soit l’enquête, devait être tranchée. Les exigences en matière d’équité procédurale doivent être examinées en tenant compte du contexte : voir l’arrêt Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, à la page 654, récemment examiné dans l’arrêt Trinity Western University c The Law Society of British Columbia, 2015 BCSC 2326, au paragraphe 91, où le juge en chef Hinkson a expliqué :

[traduction]

La Cour suprême du Canada a longtemps reconnu que tant le processus que l’issue d’une décision administrative doivent être conformes à la raison d’être du régime mis sur pied par la législature. Comme monsieur le juge Le Dain l’a écrit, exprimant l’avis unanime de la Cour dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653 [Cardinal], « En common law, une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, les privilèges ou les biens d'une personne ».

[21]           La Commission devait tenir compte des droits du demandeur en matière d’équité procédurale dans le cadre de l’enquête. Elle n’avait aucune responsabilité quant aux protections procédurales accordées par la loi dans le cadre d’un procès criminel, ni aucun rôle à jouer à cet égard.

[22]           Les procès criminels se caractérisent par deux principes clés, soit la présomption de l’innocence et la preuve hors de tout doute raisonnable que l’infraction alléguée a bien été commise : voir l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320.

[23]           Comme je l’ai noté, les exigences en matière d’équité procédurale doivent être examinées en fonction de [traduction] « la raison d’être du régime mis sur pied par la législature ».

[24]           L’objet d’une enquête est de déterminer si une personne est interdite de territoire. Une enquête a lieu devant la Section de l’immigration.

[25]           Une telle audience est une procédure administrative, pas un examen des accusations assujetties au Code et aux principes légaux qui s’appliquent aux procès criminels.

[26]           Le demandeur avait le choix de témoigner ou non devant la Section de l’immigration.

[27]           La Loi prévoit clairement que toute personne qui cherche à entrer au Canada, y compris le demandeur, a le fardeau de prouver qu’elle n’est pas interdite de territoire et qu’elle satisfait aux exigences de la Loi : voir le paragraphe 11(1) de la Loi. Le demandeur savait, ou était censé savoir, qu’il devait prouver qu’il était admissible au Canada. Il ne peut pas soutenir que sa capacité à le faire a été limitée par son droit de présenter une défense pleine et entière à des accusations criminelles en instance.

[28]           Les arguments du demandeur au sujet d’un manquement à l’équité procédurale ont une incidence sur sa contestation des conclusions de fait de la Commission, soit sa conclusion selon laquelle le demandeur faisait partie d’un complot visant à importer de l’héroïne. Il fait valoir que sa capacité à présenter une preuve à l’appui d’une théorie subsidiaire a été compromise par le fait que la Commission a refusé d’accorder le sursis en attendant la tenue du procès pour les accusations criminelles.

[29]           En fait, la contestation du demandeur des conclusions de fait de la Commission est fondée sur sa décision de ne pas témoigner et de ne pas présenter de preuve pour contrer la preuve déposée par le défendeur.

[30]           La preuve dont la Commission était saisie comprenait le rapport d’arrestation de la GRC, le témoignage du gendarme Hung et le témoignage de l’agent Clare de l’ASFC, qui a arrêté le demandeur le 7 août 2013.

[31]           Conformément à l’article 33 de la Loi, la norme de preuve mentionnée à l’article 37 est celle des « motifs raisonnables de croire ». Cette norme exige davantage qu’un simple soupçon, mais moins que la preuve fondée sur la prépondérance des probabilités. Pour que des motifs raisonnables de croire existent, la croyance doit avoir un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : voir l’arrêt Mugesera c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCS 100, au paragraphe 114.

[32]           À mon avis, la preuve des policiers et le rapport d’arrestation, susmentionnés, constituent un fondement objectif à la croyance de la Commission. L’alinéa 37(1)b) de la Loi inclut le trafic international de drogues; voir les décisions Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Dhillon (2012), 413 FTR 21, au paragraphe 66 et Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2012), 424 FTR 110, au paragraphe 35. La preuve était suffisante pour appuyer la conclusion de la Commission selon laquelle il existait une possibilité sérieuse que le demandeur se soit livré en toute connaissance de cause à la criminalité internationale, c’est-à-dire l’importation d’héroïne.

[33]           Je suis convaincue que la conclusion finale de la Commission au sujet de l’interdiction de territoire du demandeur au Canada était raisonnable et satisfait au critère de la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Dunsmuir, précité. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

[34]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La demande ne soulève aucune question pour la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, il n’y a aucune question pour la certification.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4413-14

 

INTITULÉ :

AKIN OLULOPE AKINSUYI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 18 DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

LAURENCE COHEN

POUR LE DEMANDEUR

JUDY MICHAELY

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laurence Cohen

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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