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Date : 20151118


Dossier : T-1791-13

Référence : 2015 CF 1237

Toronto (Ontario), le 18 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LEO PHARMA INC.

demanderesse

et

TEVA CANADA LIMITED ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

LEO PHARMA A/S

défenderesse/brevetée

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS
(Jugement et Motifs confidentiels émis le 30 octobre 2015)


Table des matières

I.       Aperçu. 3

II.     Le contexte. 5

III.       Le brevet 565. 7

IV.       Les témoins. 9

A.         Les témoins experts de Leo. 10

(1)        Arthur H. Goldberg. 10

(2)        Kenneth Andrew Walters. 11

(3)        Paul Contard. 12

(4)        Neil Shear 13

(5)        Fritz Blatter 13

B.         Les témoins des faits de Leo. 14

(1)        Jens Hansen. 14

(2)        Jacob Anker Rasmussen. 17

(3)        Karen Gow.. 18

(4)        Kang Lee. 18

C.         Les témoins experts de Teva. 18

(1)        Eugene R. Cooper 18

(2)        Gerald G. Krueger 19

(3)        Steven R. Feldman. 20

D.         Le témoin des faits de Teva. 21

(1)        Anna Hucman. 21

V.     Les faits convenus. 21

VI.       Les questions en litige. 22

A.         Les questions préliminaires. 23

(1)        Le fardeau de la preuve. 23

(2)        L’avis d’allégation. 24

(3)        La portée des observations orales. 25

(4)        La règle dégagée dans l’arrêt Browne c Dunn. 26

B.         L’interprétation des revendications. 29

(1)        Le droit applicable. 29

(2)        La personne versée dans l’art 31

(3)        Analyse. 32

C.         L’évidence. 35

(1)        Le droit applicable. 35

(2)        La personne versée dans l’art 39

(3)        La connaissance générale courante. 40

(4)        L’état de l’art 42

(5)        Le concept inventif. 47

(6)        Les différences entre l’art antérieur et le concept inventif. 47

(7)        L’essai allant de soi 48

(8)        La conclusion quant à l’évidence. 57

D.         L’absence d’utilité. 58

(1)        Les dispositions légales applicables. 58

(2)        Analyse. 60

(3)        Conclusion quant à l’absence d’utilité. 67

E.          L’insuffisance. 67

(1)        Les dispositions légales applicables. 67

(2)        Analyse. 69

(3)        Conclusion quant à l’insuffisance. 71

VII.     Conclusion. 71

I.                   Aperçu

[1]               Leo Pharma Inc. (Leo) a présenté une demande en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement) en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Teva Canada Limited (Teva) un avis de conformité (AC) relativement à un onguent composé de 50 µg/g de calcipotriol et de 0,5 mg/g de bêtaméthasone (sous forme de dipropionate) avant l’expiration du brevet canadien no 2,370,565 (le brevet 565).

[2]               L’onguent breveté est utilisé dans le traitement du psoriasis, une affection chronique de la peau.

[3]               Teva a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle auprès du ministre par laquelle elle sollicitait un AC l’autorisant à vendre sa version de l’onguent breveté. Comme le brevet 565 est enregistré à l’encontre de l’onguent breveté sur le registre des brevets tenu par le ministre au titre des articles 3 et 4 du Règlement, Teva devait traiter du brevet 565 conformément à l’article 5 du Règlement avant de pouvoir obtenir un AC.

[4]               Par une lettre datée du 18 septembre 2013 adressée à Leo, Teva a signifié un avis d’allégation (AA) dans lequel elle formulait un certain nombre d’allégations portant que le brevet 565 est invalide et qu’il ne sera pas contrefait par sa version de l’onguent breveté.

[5]               En réponse à l’AA de Teva, Leo a introduit la présente demande le 31 octobre 2013 en déposant un avis de demande dans lequel elle fait valoir que les allégations de Teva ne sont pas justifiées. Suivant l’alinéa 7(1)e) du Règlement, l’introduction de cette demande a marqué le début d’une période de 24 mois au cours de laquelle il est interdit au ministre de délivrer l’AC demandé par Teva. Comme cette période de 24 mois est presque terminée, il est urgent que la présente décision soit prononcée.

[6]               À la date de l’audition de la présente demande, les questions en litige soulevées dans l’AA et dans l’avis de demande avaient été considérablement circonscrites. Les questions de contrefaçon ont été réglées, de sorte que les parties ne contestent plus que les revendications 1 à 8, 10, 11, 15 à 18, 20 et 21 du brevet 565 seraient contrefaites par la version de Teva de l’onguent breveté, et que les revendications 9, 12, 13 et 19 ne seraient pas contrefaites. La revendication 14 n’existe plus en raison d’une renonciation envoyée au Bureau des brevets en 2012 et enregistrée le 4 novembre 2013.

[7]               Au total, trois allégations d’invalidité sont encore en litige : l’évidence, l’absence d’utilité et l’insuffisance. Chacune de ces questions est examinée successivement plus loin dans la présente décision. Pour les motifs exposés, j’ai conclu qu’aucune des allégations d’invalidité restantes de Teva n’est justifiée.

II.                Le contexte

[8]               Comme il a été mentionné précédemment, le psoriasis est une affection chronique de la peau. Le psoriasis n’est pas mortel en général, mais il est incurable et peut être source de beaucoup d’inconfort et d’embarras. Il entraîne habituellement des récidives répétées d’inflammation de la peau et de desquamation. La gravité de la poussée de psoriasis peut varier considérablement; elle peut être légère, modérée ou intense. La gravité est souvent estimée au moyen du Psoriasis Area and Severity Index (PASI), un indice qui tient compte de la taille de la surface touchée, de la rougeur, de l’épaisseur et de la desquamation.

[9]               Comme les poussées de psoriasis sont intermittentes, le traitement, lui aussi intermittent en général, permet de soulager les symptômes. Dans les années 1990, les traitements de choix étaient les corticostéroïdes (dont le dipropionate de bêtaméthasone fait partie) et les analogues de la vitamine D, plus précisément le calcipotriol (aussi appelé calcipotriène). Leo détenait un brevet sur le calcipotriol dans un certain nombre de pays jusqu’à ce que ce brevet expire vers 2009.

[10]           Les corticostéroïdes et le calcipotriol pouvaient être appliqués séparément. Chacun avait ses avantages et ses inconvénients. Au début des années 1990, on a constaté qu’un schéma thérapeutique combinant les deux composés offrait certains avantages. Un traitement séquentiel, au cours duquel le corticostéroïde et le calcipotriol étaient appliqués à différents moments de la journée ou de la semaine, est devenu un traitement bien connu. Le traitement séquentiel entraînait moins d’effets secondaires et moins d’irritation et permettait une guérison plus rapide.

[11]           L’observance du traitement séquentiel par le patient posait toutefois certains problèmes. Par exemple, le patient pouvait se demander quel composé devait être appliqué à un moment précis, ou il n’avait tout simplement pas la patience d’appliquer le traitement deux fois par jour. Il fallait donc trouver une formulation combinée de calcipotriol et d’un corticostéroïde.

[12]           Malheureusement, la mise au point d’une formulation combinée n’a pas été chose simple, car les deux produits ont des pH incompatibles. Cela signifie que leur stabilité optimale respective est atteinte à des valeurs de pH considérablement différentes. Pour parvenir à une stabilité maximale, le calcipotriol requiert une valeur de pH supérieure à 8 (un milieu alcalin), tandis que les corticostéroïdes ont besoin d’un pH se situant entre 4 et 6 (un milieu acide). Cette incompatibilité de pH rendrait la formulation combinée corticostéroïde-calcipotriol instable, puisqu’un des composés, ou les deux, risquerait de se dégrader avant l’application.

[13]           Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir dans quelle mesure les dermatologues ou les patients, avant la mise au point de la formulation brevetée, ont mélangé le calcipotriol et les corticostéroïdes malgré leur incompatibilité. Selon Teva, certains dermatologues demandaient souvent aux patients d’appliquer les deux composés simultanément sur la peau. Leo ne croit pas qu’il s’agissait là d’une méthode de traitement courante. Les témoignages des experts diffèrent également sur ce point. Quoi qu’il en soit, il est bien établi qu’il existait une raison de créer une formulation combinée pour le traitement du psoriasis qui serait stable pendant une période raisonnable, de sorte que les patients ne soient pas obligés de mélanger eux-mêmes deux composés distincts.

III.             Le brevet 565

[14]           Le brevet 565 a été déposé le 27 janvier 2000 et est fondé sur une demande prioritaire qui a été déposée au Danemark le 23 avril 1999. Il a été publié le 2 novembre 2000 et sa date d’expiration est le 27 janvier 2020. Deux inventeurs y sont nommés : Erik Didriksen et Gert Høy. Lorsqu’il a été délivré le 25 novembre 2008, le brevet 565 comportait 21 revendications et la seule revendication indépendante était la revendication 1. Comme je l’ai déjà mentionné, Leo a présenté une renonciation en 2012 à l’égard du brevet 565. Cette renonciation excluait la revendication 14 dans sa totalité et réduisait la portée de la revendication 1. Ni la validité ni l’effet de cette renonciation ne sont en litige dans la présente demande.

[15]           Le brevet 565 décrit et revendique une formulation combinée de deux médicaments contre le psoriasis mentionnés précédemment, avec l’adjonction d’un solvant qui résout le problème d’instabilité qui empêchait auparavant les deux médicaments de se mélanger. La formulation brevetée se présente sous la forme d’une composition pharmaceutique non aqueuse (onguent) à usage dermique, comprenant les composants A et B pharmacologiquement actifs, dans laquelle la différence entre leurs valeurs de pH respectives pour atteindre une stabilité optimale est au moins égale à 1, et contenant, en outre, au moins un composant C, qui est un solvant. La revendication ayant la portée la plus large (revendication indépendante 1) définit les composants A, B et C de la manière suivante :

Composant A : au moins une vitamine D ou un analogue de vitamine D

Composant B : au moins un corticostéroïde

Composant solvant C : au moins un solvant sélectionné parmi le groupement constitué par :

                             (i)            un composé ayant pour formulation générale R3(OCH2C(R1)H)x OR2 (I) où x se trouve entre les limites de 2 à 60, R1 dans chacune des unités x indépendantes est H ou CH3, R2 est C1‑20 alkyle linéaire ou ramifié ou benzoyle, et R3 est H;

                           (ii)            un benzoate de C12-18 alkyle linéaire ou ramifié;

                         (iii)            un C2-4-alkylester linéaire ou ramifié d’acide C10‑18-alcanoïque ou alcénoïque linéaire ou ramifié;

                         (iv)            un diester de propylène glycol avec un acide C8-14-alcanoïque;

                           (v)            un C18-24 alcanol primaire ramifié.

[16]           D’autres revendications figurant dans le brevet 565 définissent les divers composants de façon plus restreinte. Les revendications 2 à 5 réduisent la portée du composant A, la revendication 5 étant axée sur le calcipotriol ou son hydrate. Les revendications 6 à 9 réduisent la portée du composant B. Les revendications 15 à 17 réduisent la portée du solvant C. La revendication 17 précise que le solvant C est de l’éther de polyoxypropylène-15-stéaryle (POP‑15). Fait à souligner, la revendication 10 précise que la composition revendiquée est non aqueuse, et la revendication 11 précise qu’il s’agit d’un onguent. Depuis la renonciation, qui limite la revendication 1 à un onguent non aqueux, les revendications 10 et 11 sont essentiellement redondantes. Comme il est mentionné ci-dessus, la revendication 14 a fait l’objet d’une renonciation intégrale.

[17]           Le brevet 565 présente des données relatives aux résultats d’un essai clinique d’une durée de quatre semaines. L’essai visait à mesurer chez des patients l’efficacité (en variation de pourcentage du score au PASI) d’une composition combinant le calcipotriol (en tant que composant A) et le dipropionate de bêtaméthasone, un corticostéroïde (en tant que composant B), puis de comparer ces résultats à ceux des patients traités soit par le calcipotriol seul, soit par le dipropionate de bêtaméthasone seul, soit par une composition ne contenant aucun de ces principes actifs. La composition combinée a produit les meilleurs résultats.

[18]           Dans le brevet 565, on décrit l’exemple 1 dans lequel un onguent a été soumis à un essai de stabilité. Dans cet exemple, il y avait le calcipotriol comme composant A, le dipropionate de bêtaméthasone comme composant B et le POP-15 comme solvant C. Cet onguent renfermait également de l’alpha-tocophérol, dont la nature et l’objet sont mentionnés plus loin en ce qui concerne l’allégation d’absence d’utilité. L’essai effectué sur l’onguent dans l’exemple 1 a révélé une stabilité adéquate du calcipotriol et du dipropionate de bêtaméthasone.

[19]           Un essai similaire a été réalisé à l’égard d’un autre onguent qui, lui, contenait du propylène glycol comme solvant C au lieu du POP-15, et qui contenait également de la lanoline comme émulsifiant. Cet onguent ne contenait pas d’alpha-tocophérol. Cette fois-ci, le calcipotriol s’est fortement dégradé.

IV.             Les témoins

[20]           Le dossier dans la présente demande comporte la preuve de 13 témoins. Leo avait neuf témoins (cinq témoins experts et quatre témoins des faits) et Teva avait quatre témoins (trois témoins experts et un témoin des faits). Je traite de chacun des témoins brièvement ci‑dessous.

[21]           Chacune des parties a consacré beaucoup d’énergie à plaider que je devrais écarter la preuve de certains des experts de l’autre partie en raison de leur manque d’expertise ou de leur tendance à défendre les intérêts de la partie ayant eu recours à leurs services. J’ai examiné les arguments des parties sur ces points et j’ai tiré la même conclusion sur tous les points. En ce qui concerne l’expertise, je suis convaincu que tous les témoins experts ont l’expertise nécessaire pour donner des opinions pertinentes en l’espèce. En ce qui concerne la partialité des témoins, je reconnais que, bien qu’ils aient l’intention d’être neutres, les témoins ont naturellement tendance à souligner l’importance des points qui sont favorables aux intérêts de leur client et à minimiser l’importance des points qui sont défavorables aux intérêts de leur client. J’ai lu la preuve des experts en gardant cela à l’esprit. Cependant, je ne suis pas convaincu que la preuve de l’un ou l’autre des experts est à ce point viciée à cet égard ou qu’elle établit la partialité de l’un d’eux dans une telle mesure que je ne devrais y accorder que peu de poids, voire aucun.

A.                Les témoins experts de Leo

(1)               Arthur H. Goldberg

[22]           M. Goldberg est un expert en formulation. Titulaire d’un doctorat en chimie pharmaceutique de l’Université du Michigan, il a enseigné pendant quatre ans au College of Pharmaceutical Sciences de l’Université Colombia avant de joindre l’industrie pharmaceutique à titre de formulateur. Dans les postes qu’il a occupés au sein de diverses sociétés pharmaceutiques, il a participé à la mise au point de plusieurs formulations topiques, notamment une préparation à base de goudron de houille pour le traitement du psoriasis qui s’est avérée infructueuse. Il a rédigé un chapitre de livre sur les techniques de dispersion des onguents topiques.

[23]           Dans son affidavit, M. Goldberg a présenté son interprétation du brevet 565 ainsi que son avis au sujet des questions de contrefaçon et de validité du brevet 565. Dans son affidavit, il a principalement traité de la question de l’évidence.

(2)               Kenneth Andrew Walters

[24]           M. Walters est un autre expert en formulation. Il est directeur de la société An‑eX Analytical Services Ltd, un laboratoire indépendant de recherche et de développement contractuel qui est axé sur le domaine dermatologique et transdermique et qui mène régulièrement des études in vitro sur la perméation de la peau humaine. M. Walters a obtenu son doctorat à l’Université de Strathclyde, à Glasgow, après la soutenance de sa thèse intitulée The Effects of Nonionic Surface-Active Agents on Epithelial Membranes (L’effet des agents tensioactifs non ioniques sur les membranes épithéliales). Il a occupé divers postes de recherche et développement sur des systèmes conçus pour administrer des médicaments dans et à travers la peau, et compte plus de 30 ans d’expérience dans le domaine de la conception et de la formulation de dispositifs d’administration de médicaments par voie transdermique. Depuis les années 1980, il a organisé de nombreuses conférences universitaires sur la science de la formulation et de l’absorption percutanée, conférences auxquelles il a également participé.

[25]           Comme M. Goldberg, dans son affidavit, M. Walter a examiné le brevet 565 puis s’est penché sur les questions de contrefaçon et de validité afférentes à celui‑ci. En ce qui concerne l’évidence, M. Walters était d’avis qu’il n’aurait pas été plus ou moins évident pour une personne versée dans l’art d’arriver à l’invention du brevet 565 en fonction de ses connaissances générales courantes et/ou de l’art antérieur. M. Walters a aussi tenu compte de l’utilité et de la portée excessive, et a conclu que les arguments de Teva à cet égard n’étaient pas fondés. Enfin, en ce qui concerne le caractère suffisant, M. Walters a conclu que le brevet 565 divulgue tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention et à la reproduction de celle-ci par un formulateur versé dans l’art.

[26]           M. Walters a également produit un affidavit en réponse à un commentaire formulé par un expert de Teva, M. Eugene Cooper, concernant des formulations de combinaison connues.

(3)               Paul Contard

[27]           Le Dr Contard est professeur clinicien agrégé dans le domaine de la dermatologie à la Mount Sinai School of Medicine. Il travaille aussi comme dermatologue et il traite régulièrement des patients souffrant de psoriasis. Il est titulaire d’un doctorat en médecine de la Mount Sinai School of Medicine et d’un doctorat en biologie de l’Université de la ville de New York.

[28]           Dans son affidavit, le Dr Contard a présenté des notions de base sur le psoriasis et son traitement avant l’invention du brevet 565, en accordant une attention particulière aux traitements par des analogues de la vitamine D et par des corticostéroïdes. Selon lui, ces produits requièrent des valeurs de pH différentes dans leur milieu pour être stables et, avant l’invention brevetée, ils devaient donc être appliqués de façon séquentielle, ce qui entraînait des problèmes d’observance de la part des patients. À son avis, si on combine ces deux produits en une seule formulation stable et efficace, le produit breveté permet de résoudre ce problème, en plus d’offrir de nombreux avantages supplémentaires. Enfin, le Dr Contard a abordé les revendications de Teva concernant le large éventail de posologies visées par le brevet, soutenant que les doses revendiquées et décrites dans le brevet 565 sont appropriées, utiles et suffisamment claires, compte tenu des connaissances de la personne versée dans l’art à l’époque en question.

(4)               Neil Shear

[29]           Le Dr Shear est professeur à l’Université de Toronto. Il travaille aussi comme dermatologue et il traite régulièrement des patients souffrant de psoriasis. Il est titulaire d’un doctorat en médecine de l’Université McMaster et il occupe actuellement le poste de directeur de la Dermatologie au Sunnybrook Health Science Centre.

[30]           Dans son affidavit, le Dr Shear a résumé les enseignements du brevet 565 et a traité de son expérience médicale en ce qui a trait à l’usage du Dovobet, soit le nom de la formulation brevetée de Leo au Canada, qu’il prescrit fréquemment et qu’il juge très efficace.

(5)               Fritz Blatter

[31]           M. Blatter est gestionnaire de projet, Department for Solid-State Development, chez Solvias AG, une société privée qui appuie la recherche et le développement de substances pharmaceutiques et l’optimisation de processus de fabrication pour les sociétés pharmaceutiques, les sociétés de biotechnologie et les sociétés exerçant des activités dans le domaine des sciences de la vie.

[32]           On a demandé à M. Blatter de reproduire une expérience au regard des antériorités et de vérifier si le calcipotriol présent dans les mélanges d’onguent contenant un autre ingrédient pharmaceutique actif serait stable pendant au moins trois mois. Les résultats de cette étude ont confirmé ceux observés dans les antériorités, à savoir qu’une dégradation importante survient lorsque l’essai est de 15 jours et plus.

B.                 Les témoins des faits de Leo

(1)               Jens Hansen

[33]           M. Hansen était vice-président, Analysis and Pharmaceutical Development, chez Leo et le supérieur immédiat des deux inventeurs au moment où l’objet du brevet 565 a été mis au point. Son témoignage a été essentiellement présenté parce que les deux inventeurs n’étaient pas disponibles. Selon M. Hansen, l’un des inventeurs (Erik Didriksen) a pris sa retraite en 2004 et ne voulait absolument pas prendre part au litige. xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx.

[34]           M. Hansen s’est joint à Leo le 1er janvier 1998. À l’époque, Leo était déjà en train de mettre au point une formulation topique pour le traitement du psoriasis. M. Hansen dirigeait l’équipe de développement tout en participant aux discussions sur les formulations en raison de son intérêt pour le sujet. S’appuyant sur des rapports de développement, des carnets de laboratoire, des comptes rendus de réunions, des notes et d’autres documents datant de la période en question, M. Hansen a relaté dans son affidavit l’historique de la recherche et du développement ayant mené à la formulation brevetée. Il a conclu que la mise au point de ce produit était attribuable à une série d’expériences, à des coïncidences et à la chance.

[35]           Teva allègue que la plupart des éléments de preuve fournis par M. Hansen au sujet de la mise au point de la formulation brevetée constituent du ouï‑dire et qu’à ce titre, il ne faut y accorder que peu de poids, voire aucun. À l’appui de cette allégation, la défenderesse invoque l’arrêt R c Khelawon, 2006 CSC 57, qui fournit une définition du ouï-dire (paras 35 et 36), pour réitérer l’importance de la règle du ouï-dire par rapport à l’équité du procès (paras 48 et 49), et pour passer en revue la méthode d’analyse raisonnée applicable aux questions de ouï-dire, qui vise à apprécier la fiabilité et la nécessité de la preuve par ouï-dire (paras 42 et 61).

[36]           La preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible à moins de relever d’une exception à la règle du ouï-dire. Les exceptions traditionnelles continuent présomptivement de s’appliquer : R c Mapara, 2005 CSC 23 au para 15. L’une de ces exceptions a trait aux documents commerciaux, laquelle exception est examinée dans la décision Distrimedic Inc c Dispill Inc, 2013 CF 1043 au para 83 :

Les principales conditions à remplir pour admettre des éléments de preuve constituant du ouï‑dire en vertu de l’exception de la common law concernant les documents commerciaux sont les suivantes : la personne qui a créé le document l’a rédigé au jour le jour en se fondant sur ses connaissances personnelles dont le travail consiste à le faire (Ares c Venner, [1970] RCS 608).

[37]           Les rapports, les carnets, les procès-verbaux, les notes et les autres documents sur lesquels M. Hansen s’est fondé dans son affidavit semblent répondre à ces critères. Teva ne soutient pas le contraire. Par conséquent, je conclus que ces documents satisfont à l’exception à la règle du ouï-dire concernant les documents commerciaux.

[38]           Pour ce qui est du ouï‑dire, Teva conteste principalement les déclarations que M. Hansen a faites relativement à des réunions et à des conversations qu’il avait eues avec les inventeurs et les autres personnes ayant participé à la mise au point de la formulation brevetée avant l’arrivée de M. Hansen chez Leo. En l’espèce, Leo doit se fonder sur la méthode d’analyse raisonnée qui permet d’apprécier la fiabilité et la nécessité des déclarations constituant du ouï-dire. Il faut apprécier la fiabilité d’un point de vue fonctionnel, en se concentrant sur les dangers particuliers que comporte la preuve par ouï‑dire qu’on cherche à présenter, de même que sur les caractéristiques ou circonstances invoquées par la partie qui veut présenter la preuve pour écarter ces dangers : Clayson-Martin c Martin, 2015 ONCA 596 au para 29 (Clayson-Martin). La nécessité doit recevoir une interprétation flexible; elle ne tient pas uniquement à la non‑disponibilité absolue d’un témoin : Clayson-Martin au para 28.

[39]           En ce qui concerne la fiabilité des déclarations de M. Hansen, Teva allègue qu’il n’était pas certain de ce qu’il avait fait (indépendamment de ce que d’autres lui avaient dit) et qu’il avait spontanément fourni des renseignements qu’on ne lui avait pas demandé de fournir au cours du contre‑interrogatoire. Teva soutient que le témoignage de M. Hansen n’est pas fiable. J’ai examiné les allégations de Teva à cet égard et je ne suis pas convaincu que le témoignage de M. Hansen compromet la fiabilité de sa preuve. Je ne suis pas convaincu que ses souvenirs étaient vagues ou qu’il a fait preuve de quelque sorte de partialité que ce soit dans son témoignage.

[40]           En ce qui concerne la question de la nécessité, Teva soutient que la preuve concernant le fait que les inventeurs ne pouvaient pas témoigner est insuffisante. Je ne suis pas du même avis. Pour ce qui est de M. Høy, je suis tout à fait convaincu que Leo a établi qu’il y avait de bonnes raisons de ne pas le faire témoigner. Je n’ai aucune raison de mettre en doute la preuve que Leo a produite à cet égard. La raison pour laquelle Erik Didriksen n’a pas été appelé à témoigner est moins convaincante. C’était tout simplement parce qu’il avait pris sa retraite il y a longtemps et qu’il ne voulait pas participer à l’instance. Cependant, compte tenu de la démarche souple adoptée à l’égard de l’exigence relative à la nécessité, je suis convaincu que le témoignage de M. Hansen satisfait à cette exigence pour les deux inventeurs.

[41]           Dans l’ensemble, je suis convaincu qu’il n’est pas injuste pour Teva d’admettre la preuve par ouï‑dire de M. Hansen. Par conséquent, je conclus que son témoignage est admissible.

(2)               Jacob Anker Rasmussen

[42]           M. Rasmussen travaille pour Leo depuis 1997, plus récemment en tant que vice‑président, Global Patient Solutions Dermatology. Dans son affidavit, M. Rasmussen a fourni l’historique de Leo, ainsi que des détails sur le succès commercial de l’onguent breveté. Ces renseignements comprennent des données sur les ventes de 11 pays, dont le Canada, pour la période allant de 2001, soit le moment où le produit a été lancé, à 2013. M. Rasmussen a aussi fourni des tableaux montrant les ventes comparables des principaux traitements topiques contre le psoriasis en Amérique, en Europe et en Asie de 2011 à 2013.

(3)               Karen Gow

[43]           Mme Gow est actuellement vice-présidente, Market Access et Business Intelligence, chez Leo, et travaille pour la société depuis 2009. Dans son affidavit, elle a fourni certains renseignements généraux concernant le litige actuel.

(4)               Kang Lee

[44]           M. Lee est avocat et travaille pour le cabinet Fasken Martineau DuMoulin, qui représente Leo. Il a reproduit des documents et des renseignements concernant certains documents relatifs au brevet soulevés dans les arguments des parties.

C.                 Les témoins experts de Teva

(1)               Eugene R. Cooper

[45]           M. Cooper a obtenu son doctorat en chimie à l’Université d’État de l’Iowa. Il a consacré sa carrière professionnelle à la recherche et au développement des nanotechnologies liées à l’administration des médicaments. Il possède de l’expérience dans la mise au point de formulations, et a élaboré une théorie permettant de prévoir le transport cutané des médicaments à partir des propriétés moléculaires et de concevoir des améliorants de pénétration. Même si Leo a vivement contesté l’expertise de M. Cooper, je suis convaincu que son témoignage est admissible et qu’il ne devrait pas être écarté.

[46]           Dans son affidavit, M. Cooper a interprété le brevet, puis il a examiné la question de savoir si l’invention brevetée était évidente. Il a conclu que la personne versée dans l’art aurait été amenée directement et sans difficulté à fabriquer l’onguent non aqueux décrit et revendiqué dans le brevet 565. M. Cooper était aussi d’avis que le brevet 565 n’avait pas d’utilité, étant donné que la personne versée dans l’art n’aurait pas pu prédire, en fonction des renseignements fournis dans le brevet 565, que tous les onguents non aqueux revendiqués seraient stables et efficaces. Pour ce qui est de l’insuffisance, M. Cooper a mentionné à titre subsidiaire que le brevet 565 ne fournissait pas assez de renseignements pour permettre à la personne versée dans l’art de mettre au point des onguents à partir de toute la gamme des composés revendiqués. M. Cooper a conclu son affidavit en formulant des observations au sujet des affidavits de M. Hansen, de M. Walters et de M. Goldberg.

[47]           M. Cooper a aussi fourni un affidavit en réplique pour répondre à l’affidavit en réponse de M. Walters.

(2)               Gerald G. Krueger

[48]           Le Dr Krueger est professeur de dermatologie au Health Sciences Center de l’Université de l’Utah, où ses recherches portent sur le diagnostic et le traitement du psoriasis. Il a occupé plusieurs postes spécialisés relativement à l’étude et au traitement du psoriasis, notamment celui de président du comité d’évaluation de la recherche sur le psoriasis du National Institute of Health.

[49]           Dans son affidavit, le Dr Krueger a fait part de son expérience dans le traitement du psoriasis avant 1999, lorsqu’il prescrivait généralement une application simultanée, une fois par jour, de calcipotriol et d’un corticostéroïde topique. Il continue de prescrire ce traitement aujourd’hui. Même s’il a également prescrit la formulation brevetée, ce n’est pas celle qu’il privilégie en raison de certains facteurs d’efficacité et de coût. Le Dr Krueger a également répondu aux affidavits des Drs Shear et Contard.

(3)               Steven R. Feldman

[50]           Le Dr Feldman est professeur de dermatologie à Wake Forest Baptist Health, où il dirige le Center for Dermatology Research et le Psoriasis Treatment Center. Il est titulaire d’un doctorat en médecine et d’un Ph. D. de l’Université Duke, et son expertise en tant que clinicien concerne surtout le traitement du psoriasis. Il a publié de nombreux articles et chapitres de livres dans le domaine de la dermatologie. Dans son affidavit, il a fourni des renseignements généraux sur le psoriasis et le traitement de celui-ci, et il a expliqué son interprétation du brevet 565 en tant que dermatologue.

[51]           Le Dr Feldman est d’avis que, du point de vue de l’efficacité et des effets secondaires, la formulation brevetée n’est pas meilleure que les schémas de combinaison calcipotriol‑corticostéroïde topiques qui étaient prescrits par les dermatologues en janvier 1999. Le Dr Feldman a également répondu aux experts de la demanderesse, le Dr Shear, le Dr Contard et M. Rasmussen.

[52]           De plus, le Dr Feldman a fourni un affidavit en réplique pour répondre à l’affidavit en réponse de M. Walters.

D.                Le témoin des faits de Teva

(1)               Anna Hucman

[53]           Mme Hucman est une parajuriste travaillant pour le cabinet Aitken Klee LLP, qui représente Teva. Dans ses affidavits, elle a reproduit l’AA ainsi que de nombreuses publications portant sur les questions en litige.

V.                Les faits convenus

[54]           Les parties s’entendent sur de nombreux faits pertinents. Il n’y a pas de désaccord quant au fait que la vitamine D et les analogues de la vitamine D, en particulier le calcipotriol, étaient connus pour le traitement du psoriasis avant le brevet 565, ce qui était également le cas des corticostéroïdes. Les parties ne contestent pas le fait que Leo détenait un brevet sur le calcipotriol qui a expiré vers 2009.

[55]           En 1994, au plus tard, il était bien établi qu’un traitement séquentiel par le calcipotriol et un corticostéroïde était avantageux par rapport à un traitement seul. Les parties ont convenu que, en raison de cette synergie, on souhaitait créer une formulation combinant le calcipotriol et un corticostéroïde. Par contre, il était impossible de mélanger tout simplement ces deux médicaments, en raison de l’instabilité du calcipotriol dans un milieu où le pH favorisait la stabilité d’un corticostéroïde, et vice versa.

[56]           Les parties s’entendent sur les qualités que possède la personne versée dans l’art en fonction de laquelle le brevet 565 doit être interprété et les allégations d’invalidité doivent être examinées. La personne versée dans l’art met au point des formulations topiques. Le brevet 565 vise aussi les cliniciens (dermatologues).

[57]           Enfin, comme je l’ai mentionné précédemment, les parties admettent que la version de Teva de l’onguent breveté contreferait les revendications 1 à 8, 10, 11, 15 à 18, 20 et 21 du brevet 565, mais ne contreferait pas les revendications 9, 12, 13 et 19.

VI.             Les questions en litige

[58]           Comme je l’ai déjà mentionné, les allégations d’invalidité du brevet 565 qui sont encore en litige sont celles relatives à l’évidence, à l’absence d’utilité et à l’insuffisance. Comme il a été reconnu que la version de l’onguent breveté de Teva contrefait certaines revendications, Leo pourra obtenir l’ordonnance qu’elle sollicite dans la présente demande si elle parvient à établir que, pour au moins l’une des revendications en cause, toutes les allégations d’invalidité de Teva ne sont pas justifiées.

[59]           Les parties ont présenté de nombreux arguments concernant ces deux questions. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées concernant certains de ces arguments, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les autres arguments. Par conséquent, je n’ai pas tiré de conclusions à l’égard de certains de ces autres arguments.

A.                Les questions préliminaires

[60]           Avant d’aborder les questions d’invalidité en litige, je dois examiner quelques questions préliminaires.

(1)               Le fardeau de la preuve

[61]           Les parties ne semblent pas être en désaccord en ce qui concerne le fardeau de la preuve applicable aux allégations de Teva relatives à l’invalidité du brevet 565 dans la présente demande. Toutefois, comme le fardeau de la preuve est complexe et un peu contre‑intuitif dans le contexte d’une demande au titre du Règlement, il vaut la peine que je m’y attarde.

[62]           Le principe général applicable dans une demande est que le fardeau de la preuve incombe au demandeur. Ce principe s’applique dans la présente demande, même pour les questions portant sur la validité du brevet.

[63]           Comme le para 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4, crée une présomption de validité du brevet, la jurisprudence a établi qu’une fois que l’existence du brevet est établie, le fardeau passe au défendeur (Teva, en l’espèce), à qui il incombe alors de mettre ses allégations d’invalidité « en jeu » : Pharmascience Inc c Canada (Santé), 2014 CAF 133 au para 32 (Pharmascience). Il peut le faire en présentant une preuve qui n’est pas « clairement inapte à étayer ses allégations d’invalidité » : Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CAF 209 au para 109. Le fardeau du défendeur à cet égard a aussi été considéré comme la nécessité de « produire assez d’éléments de preuve pour donner à ses allégations “un semblant de réalité” ». La norme de preuve applicable est moins élevée que la prépondérance des probabilités : Pharmascience au para 33; Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 971 au para 51, conf. par 2009 CAF 8 (Pfizer). Cependant, le défendeur ne peut pas s’acquitter de son fardeau en se contentant de détailler ses allégations dans son AA : Pharmascience au para 36.

[64]           Une fois que le défendeur a dûment mis en jeu ses allégations d’invalidité, le fardeau se déplace et il incombe alors au demandeur (Leo, en l’espèce), d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ces allégations ne sont pas justifiées.

[65]           Leo prétend que les allégations d’invalidité de Teva n’ont pas été mises en jeu et que le fardeau de la preuve n’a donc pas été déplacé sur Leo. Pour les besoins de la présente demande, j’ai tenu pour acquis, sans me prononcer sur la question, que les allégations d’invalidité de Teva qui étaient dûment soulevées dans son AA avaient effectivement été mises en jeu et que le fardeau de la preuve avait effectivement été déplacé sur Leo.

(2)               L’avis d’allégation

[66]           Leo soutient également que Teva a soulevé à tort de nouveaux arguments qu’elle n’avait pas prévus dans son AA. Leo prétend que Teva n’a pas le droit de soulever de nouveaux arguments, de nouvelles allégations, de nouveaux faits ou de nouveaux documents d’antériorité qui ne sont pas mentionnés dans l’AA : Alcon Canada Inc c Apotex Inc, 2014 CF 791 au para 75 (Alcon); Bayer Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 1061 aux paras 34 à 36. Il en est ainsi parce que cela serait injuste pour Leo, qui a décidé d’introduire la présente demande, et qui a rédigé son avis de demande et sa preuve, en fonction de l’AA de Teva, de devoir composer avec des allégations et des faits mouvants.

[67]           Quant à elle, Teva allègue qu’il existe une exception reconnue à cette règle générale qui lui permet de se défendre contre les arguments de Leo et de répondre à la preuve de Leo : AstraZeneca Canada Inc c Teva Canada Limited, 2013 CF 245 au para 54 (AstraZeneca).

[68]           Essentiellement, il n’est pas nécessaire que je tranche la question de savoir si les objections de Leo à l’égard de cette question sont fondées. Dans bien des cas, je n’ai pas refusé de tenir compte des arguments de Teva simplement parce qu’ils n’avaient pas été soulevés dans l’AA. Je traite des cas où j’ai refusé de tenir compte de l’argument de Teva dans mon analyse des questions pertinentes.

(3)               La portée des observations orales

[69]           Chaque partie soutient également que, lors de l’audition de la présente demande, l’autre a fait des observations orales qui n’avaient pas été incluses dans son mémoire des faits et de droit et qui devraient donc être écartées. À mon avis, cela importe peu. La plupart des arguments de ce genre ont été soulevés par Leo à l’encontre de Teva. Cependant, je n’ai exclu aucun des arguments de Teva simplement parce qu’ils n’étaient pas mentionnés dans son mémoire des faits et du droit.

(4)               La règle dégagée dans l’arrêt Browne c Dunn

[70]           Cette question a été soulevée à l’audience par Teva relativement à un argument présenté par Leo. Leo prétend que je devrais accorder moins de poids au témoignage livré par les Drs Feldman et Krueger (des témoins de Teva), parce que certaines des opinions qu’ils ont exprimées dans leurs affidavits ne sont pas compatibles avec les opinions qu’ils avaient exprimées dans des publications antérieures. Teva s’oppose à cet argument, en se fondant sur la règle dégagée dans l’arrêt Browne c Dunn, (1893), 6 R 67 (HL) [Browne c Dunn]. Cette règle a fait l’objet d’une discussion dans l’arrêt Green c Canada (Treasury Board) (2000), 254 NR 48 (CAF) au para 25 :

La jurisprudence Browne v. Dunn pose pour règle de preuve que dans le cas où la crédibilité d’un témoin est mise en doute à la lumière d’éléments de preuve qui contredisent son témoignage, il faut lui donner la pleine possibilité d’expliquer cette contradiction. Il s’agit là d’une règle fondée sur la justice et la raison. Son application est fonction des circonstances de la cause. Le juge des faits est toujours habilité à mettre en doute ou à rejeter tout témoignage rendu (J. Sopinka, S.N. Lederman et A.W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1999), pages 954 à 957).

[71]           En ce qui concerne le Dr Feldman, je ne relève pas de contradiction dans son témoignage. Dans son affidavit, il a mentionné que la combinaison brevetée sous forme d’onguent ne serait pas son premier choix dans le traitement du psoriasis, en raison de sa texture graisseuse et de son prix dispendieux. Dans une publication antérieure, il avait discuté de plusieurs des avantages de la combinaison brevetée sous forme d’onguent. Cependant, ces avantages ne sont pas en contradiction avec ses affirmations quant à la texture et au prix de l’onguent. Il s’ensuit que je n’ai pas à me pencher sur l’application de la règle dégagée dans l’arrêt Browne c Dunn relativement au Dr Feldman.

[72]           La situation du Dr Krueger est différente. Son affidavit contient plusieurs allégations selon lesquelles, avant la date de revendication du brevet 565, il avait prescrit l’application simultanée de calcipotriol et d’un corticostéroïde dans le traitement du psoriasis et en avait discuté publiquement. Une publication dont il est coauteur, publication qui remonte à la période suivant la date de revendication du brevet 565, mais précédant l’introduction de la présente demande, faisait mention des traitements recommandés pour le psoriasis. Bien que la publication mentionne l’application séquentielle de calcipotriol et d’un corticostéroïde (e.g. appliquer des corticostéroïdes deux fois par jour pendant deux semaines, puis appliquer du calcipotriol deux fois par jour pendant une semaine, puis alterner le nombre de semaines pour chaque médicament), elle est clairement silencieuse sur le sujet du traitement simultané. Pour Leo, cela ne concorde pas avec l’affidavit du Dr Krueger.

[73]           En ce qui concerne la règle énoncée dans l’arrêt Browne c Dunn, Leo soutient qu’elle a montré cette publication au Dr Krueger lors de son contre-interrogatoire et qu’elle lui en a lu certains passages. Je note toutefois que Leo n’a pas tenu compte des passages qui portent sur les schémas thérapeutiques recommandés pour traiter le psoriasis. Le contre-interrogatoire a plutôt mis l’accent sur un énoncé selon lequel le calcipotriol [traduction] « est une molécule relativement instable qui est inactivée par un pH acide. Il n’est donc pas compatible avec certains traitements de combinaison ». Leo n’a pas présenté la déclaration censément contradictoire au Dr Krueger.

[74]           Leo prétend aussi que son renvoi à ces publications antérieures dont ces témoins étaient auteurs ne vise pas à attaquer leur crédibilité. Leo porte à mon attention l’arrêt R c Quansah, 2015 ONCA 237, qui contient le passage suivant au para 81 :

[traduction]

Il n’est pas nécessaire que chaque élément de preuve à l’égard duquel une partie désire contredire le témoin de la partie adverse soit porté à l’attention de ce témoin lors du stade du contre‑interrogatoire pour se conformer à la règle dégagée dans l’arrêt Browne c Dunn. Le contre‑interrogatoire devrait confronter le témoin au moyen de questions de fond au sujet desquelles la partie cherche à attaquer la crédibilité du témoin et à l’égard desquelles le témoin n’a pas eu la possibilité de donner une explication, parce que personne n’a laissé entendre d’aucune façon que le récit du témoin n’est pas accepté.

[Souligné dans l’original.]

[75]           En ce qui concerne l’omission dans la publication corédigée par le Dr Krueger de reconnaître l’utilisation de l’application simultanée de calcipotriol et d’un corticostéroïde dans le traitement du psoriasis, je confirme l’objection de Teva sur la base de la règle énoncée dans l’arrêt Browne c Dunn. À mon avis, Leo s’est manifestement fondée sur les passages en question afin de mettre en doute la crédibilité du Dr Krueger, et ce dernier avait le droit de voir ces passages (ou du moins leur sujet) portés à son attention au cours du contre-interrogatoire afin de pouvoir expliquer l’absence de référence à l’application simultanée du calcipotriol et d’un corticostéroïde.

B.                 L’interprétation des revendications

[76]           L’interprétation des revendications en cause doit précéder toute décision quant aux questions d’invalidité discutées ci‑dessous. Cela s’explique par le fait qu’il est nécessaire de comprendre le sens de ces revendications avant de pouvoir se prononcer sur leur validité.

[77]           La question de l’interprétation des revendications est également importante pour déterminer le concept inventif du brevet 565. D’après Leo, cela concerne la stabilité de l’onguent breveté, tandis que Teva souligne que les revendications ne font pas mention de la stabilité et qu’elles définissent simplement une composition pharmaceutique non aqueuse (onguent) à usage dermique comprenant certains composants définis.

(1)               Le droit applicable

[78]           L’interprétation des revendications précède l’examen des questions de validité et de contrefaçon : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 43 [Whirlpool].

[79]           Le brevet n’est pas adressé à une personne ordinaire du public, mais plutôt à celle versée dans l’art, laquelle est décrite de la manière suivante :

[…] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’«homme raisonnable» retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher de la difficulté ou viser l’échec.

[Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, au paragraphe 44, citant Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4éd., Toronto: Carswell, 1969, à 184]

[80]           Comme il a été mentionné dans Catnic Components Ltd c Hill & Smith Ltd, [1982] RPC 183 aux pp 242-243, qui a été cité dans l’arrêt Whirlpool au para 44 :

[…] Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt que l’interprétation purement littérale découlant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est la suivante: les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l’invention est destinée à servir comprendraient‑elles que le breveté voulait que l’interprétation stricte d’une expression ou d’un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l’invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s’il se peut qu’elle n’ait aucun effet important sur la façon dont l’invention fonctionne.

[En italiques dans l’original.]

[81]           Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la p 520 :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation [[1950] R.C.S. 36]), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada [[1934] R.C. S. 570], à la p. 574: [TRADUCTION] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son v. Safety Lighting Company [(1876), 4 Ch. D. 607]. Il a dit qu’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ».

[82]           Dans l’interprétation des revendications d’un brevet, (1) on peut se reporter à la partie divulgation du mémoire descriptif pour mieux comprendre les termes employés dans les revendications; (2) il n’est pas nécessaire de s’y référer lorsque l’énoncé de la revendication est clair et non équivoque, et (3) on ne peut à bon droit y avoir recours pour modifier la portée des revendications : Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2002 CAF 309 au para 37, modifié sur d’autres questions, 2004 CSC 34.

[83]           Les mots employés dans les revendications doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu’il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif : Whirlpool au para 52, citant W.L. Hayhurst, « The Art of Claiming and Reading a Claim », dans G.F. Henderson, éd, Patent Law of Canada (Toronto: Carswell, 1994), à la p 190.

(2)               La personne versée dans l’art

[84]           Comme je l’ai mentionné précédemment, la personne versée dans l’art pour les besoins de l’interprétation des revendications est un développeur de formulations dermatologiques et un dermatologue.

(3)               Analyse

[85]           Tel qu’il est précisé ci-dessus, Teva prétend que les revendications du brevet 565 ne devraient pas être interprétées comme incluant des éléments de stabilité, puisque le libellé des revendications ne fait aucune référence à la stabilité. Comme les revendications ne se limitent pas explicitement à des compositions stables, Teva soutient qu’elles pourraient englober des compositions instables.

[86]           Teva prétend que les propres experts de Leo ont convenu que la stabilité de la composition brevetée n’est pas le concept inventif. Teva cite à cet égard le para 181 de l’affidavit de M. Walters :

[traduction] Le brevet ne précise pas que le composant C est un stabilisant. Il est précisé qu’un onguent non aqueux, composé d’un agent A actif sur le plan thérapeutique et d’un agent B actif sur le plan thérapeutique avec un solvant C, est stable et efficace. Dans la formulation de comparaison de l’exemple 2 du brevet, le propylène glycol était utilisé comme solvant (pas un solvant C) et il n’était pas stable. Le brevet 565 n’a rien à voir avec la découverte des propriétés stabilisantes de certains solvants, contrairement à ce qu’affirme Teva.

[Non souligné dans l’original.]

[87]           Teva renvoie aussi au para 54 de l’affidavit de M. Goldberg :

[traduction] Teva allègue que le composant solvant est un agent de stabilisation (ou stabilisant). J’ai lu le brevet à maintes reprises et je n’ai vu nulle part, ni interprété, que le composant C « est ce qui agit pour stabiliser une combinaison ». Le brevet précise simplement qu’on a observé que, dans des compositions de combinaison contenant le solvant C, les composants actifs peuvent coexister sans se dégrader malgré leurs profils de stabilité ou de pH différents. La tendance des composés actifs à influer sur un autre selon le pH est minime ou absente.

[Non souligné dans l’original.]

[88]           À mon avis, Teva interprète incorrectement les déclarations de MM. Walters et Goldberg. Par leurs déclarations, ces témoins ne sont pas venus à la conclusion que la stabilité n’était pas le concept inventif, mais ils soutenaient plutôt que (i) l’invention du brevet 565 concerne la découverte selon laquelle la combinaison de composants A, B et C est stable, et (ii) qu’il est erroné d’en conclure que le composant C agit comme stabilisant. Autrement dit, la combinaison est stable, mais rien n’est suggéré quant aux rôles de chacun des composants quant à l’atteinte de cette stabilité. Cette nuance est importante. Il convient aussi de noter que MM. Walters et Goldberg ont tous les deux déclaré explicitement dans leur affidavit que la stabilité fait partie du concept inventif : voir les paras 41 et 120, respectivement.

[89]           Teva fait également remarquer que le libellé des revendications n’est pas exhaustif (on utilise le mot « comprenant » plutôt que le terme « consistant en »), ce qui signifie que d’autres composants pourraient être ajoutés à la composition sans qu’on dépasse la portée des revendications. Selon Teva, rien dans le préambule des revendications ([traduction] « [une] composition pharmaceutique non aqueuse sous la forme d’un onguent à usage dermique ») ne laisse entendre qu’elles sont restreintes aux compositions qui permettent de traiter le psoriasis. En outre, Teva prétend que la revendication 1 englobe par conséquent les compositions qui comprennent un deuxième solvant, en plus du solvant C. Ce deuxième solvant pourrait être le propylène glycol.

[90]           Je ne souscris pas non plus à cet argument. Premièrement, comme le souligne Leo, l’argument selon lequel les revendications du brevet 565 devraient être interprétées de manière à permettre l’inclusion d’autres ingrédients (ce qui rendrait la composition non fonctionnelle et, par conséquent, non valide) n’a jamais été soulevé dans l’avis d’allégation de Teva. Il n’incombe pas à Leo d’établir qu’une telle allégation d’invalidité, non soulevée dans l’avis d’allégation, est injustifiée.

[91]           En outre, en ce qui concerne le propylène glycol, la personne versée dans l’art qui lirait le brevet 565 dans son ensemble remarquerait qu’une composition utilisant du propylène glycol comme solvant n’est pas stable. Si on garde à l’esprit que cette personne tente de connaître le succès et non de rechercher les difficultés ou de viser l’échec, celle-ci aurait tendance à éviter d’utiliser un composé qui ne s’est pas avéré efficace. La personne versée dans l’art éviterait également d’utiliser d’autres composés réputés pour nuire à l’objectif de l’onguent breveté (traiter le psoriasis), même si les revendications n’excluent pas de façon explicite ces composés qui causent de l’interférence.

[92]           Teva soutient par ailleurs que, si les revendications du brevet 565 se limitent plus ou moins aux compositions qui seront efficaces pour traiter le psoriasis, alors elles sont invalides, parce qu’elles revendiquent un résultat plutôt qu’une composition précise : Sanofi-Aventis Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 230 aux paras 62 à 67. Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec Teva. Les compositions revendiquées dans le brevet 565 sont restreintes à un ensemble fini de combinaisons de composants A, B et C possibles, et sont définies de façon à ce qu’une personne versée dans l’art sache quelles sont les combinaisons possibles. Il ne s’agit pas d’une situation où le breveté tente de revendiquer tout ce qui donne le résultat escompté.

[93]           Pour conclure quant à la question de l’interprétation des revendications, ces dernières devraient être interprétées de manière à faire en sorte que la stabilité soit l’une des caractéristiques des composés pharmaceutiques revendiqués. Il n’est pas nécessaire de traiter d’un argument selon lequel les revendications englobent des formulations qui ne sont pas stables, puisqu’une telle allégation n’a pas été formulée dans l’AA.

C.                 L’évidence

(1)               Le droit applicable

[94]           L’examen relatif à la question de l’évidence s’amorce avec l’article 28.3 de la Loi sur les brevets :

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[95]           Conformément à l’alinéa 28.3b), une revendication d’un brevet sera invalide si, compte tenu de l’information qui était accessible au public avant la date de la revendication (en l’espèce, le 23 avril 1999), son objet aurait été évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet (la personne versée dans l’art).

[96]           Il est entendu depuis longtemps que le seuil de l’inventivité (la non‑évidence) est faible. Comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, à la p 294 (CAF) [Beloit] :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que les inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[…]

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, qu’une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez‑vous pas fait? »

[97]           La Cour suprême du Canada (CSC) a traité de la question de l’évidence dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi‑Synthelabo]. Au para 67 de cet arrêt, la CSC a emprunté la méthode d’appréciation de l’évidence élaborée dans l’arrêt Pozzoli SPA c BDMO SA, [2007] FSR 37 (p 872), [2007] EWCA Civ 588 au para 23. Cette méthode est reproduite ci‑dessous :

(1)        (a)        Identifier la « personne versée dans l’art »;

(b)        Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)        Définir l’idée originale de la revendication en cours, au besoin par voie d’interprétation;

(3)        Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4)        Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[98]           La CSC a ensuite mentionné que la quatrième étape de cette méthode peut soulever la question de savoir si l’invention était un « essai allant de soi ». Elle a indiqué que, dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué dans les cas où il peut y avoir de nombreuses variables interreliées avec lesquelles il est possible d’expérimenter. Les parties ne contestent pas que le critère est indiqué en l’espèce.

[99]           Au para 69 de son arrêt, la CSC a donné la liste suivante, qui n’est pas exhaustive, de facteurs applicables dans l’appréciation du critère de l’essai allant de soi :

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue, de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[100]       La CSC a aussi fait remarquer que, bien que l’évidence a surtout trait à la manière avec laquelle une personne versée dans l’art aurait agi à la lumière de l’art antérieur, il n’y a aucune raison d’exclure la preuve portant sur l’historique de l’invention en question, surtout lorsque la connaissance des personnes ayant participé à la découverte de l’invention est au moins égale à celle à laquelle on s’attendrait de la personne versée dans l’art.

[101]       Le premier des facteurs énumérés dans la liste qui s’applique aux critères de « l’essai allant de soi » (soit la question de savoir s’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux) a parfois été traduit comme étant la question de savoir « s’il était évident ou manifeste qu’il y avait des chances raisonnables de succès » : Eli Lilly Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 178 au para 150 [Eli Lilly]; AstraZeneca au para 41; Pfizer Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 612 au para 171.

(2)               La personne versée dans l’art

[102]       La première des étapes exposées dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo en ce qui a trait à l’appréciation de l’évidence est de déterminer le concept théorique de personne versée dans l’art. Il est généralement entendu que cette personne est suffisamment versée dans l’art pour comprendre la nature et la description de l’invention, et qu’elle se garde raisonnablement à jour des avancées dans le domaine, mais qu’elle ne fait pas preuve d’imagination. Je répéterai ici une partie de l’extrait de l’arrêt Beloit qui a été reproduit ci‑dessus, qui a trait à la personne versée dans l’art :

La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit.

[103]       En règle générale, les attributs et la capacité de la personne versée dans l’art pour les besoins de l’examen relatif à l’évidence sont les mêmes que pour les besoins de l’interprétation du brevet : D.H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd (Toronto: Carswell, 2013) à 4:13(b) (MacOdrum), citant Ratiopharm Inc c Pfizer Limited, 2009 CF 711 au para 30.

[104]       Par conséquent, et comme il a été mentionné précédemment, la personne versée dans l’art, du point de vue duquel le brevet devrait être lu et interprété, est un développeur de formulations dermatologiques et un dermatologue.

[105]       Leo affirme de plus que la personne versée dans l’art ne prend pas de risques. Cependant, elle n’a pas été en mesure de présenter un précédent à l’appui de son affirmation. Bien que je reconnaisse que la personne versée dans l’art détient certains attributs de la prudence, je n’ai pas connaissance de quelque précédent que ce soit selon lequel l’aversion au risque est l’un de ces attributs. Je ne souscris pas à la thèse selon laquelle la personne versée dans l’art évite le risque.

[106]       Je remarque que deux des témoins experts de Leo avaient l’impression, selon leurs affidavits, que la personne versée dans l’art n’aime pas prendre de risque : soit M. Goldberg, au para 171, et M. Walters, au para 33. Bien que cette impression soit erronée, je juge qu’elle n’a pas d’incidence défavorable sur la pertinence de leur témoignage d’opinion. Je ne me suis pas fondé sur les aspects de leur témoignage d’opinion qui dépendaient de la thèse selon laquelle la personne versée dans l’art n’est pas une personne qui prend des risques.

(3)               La connaissance générale courante

[107]       La connaissance générale courante s’entend de la connaissance généralement détenue par les personnes versées dans l’art en question lors de la période pertinente : Sanofi‑Synthelabo au para 37. Cependant, l’information à laquelle la personne versée dans l’art a accès ne relève pas nécessairement des connaissances générales courantes. Il a été mentionné dans la décision Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 2009 CF 991 au para 97, citant l’arrêt General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co Ltd, [1972] RPC 457 aux pp 482-483, qui citait lui-même l’arrêt British Acoustic Films (53 RPC 221, à la p 250) :

[…] Une connaissance précise divulguée dans un document scientifique ne devient pas une connaissance générale courante simplement parce que le document est lu par de nombreuses personnes et encore moins parce qu’il a un fort tirage. Une telle connaissance fait partie des connaissances générales courantes uniquement lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par ceux versés dans l’art particulier; en d’autres mots, lorsqu’elle fait partie du lot courant des connaissances se rapportant à l’art.

[108]       Comme nous l’avons dit plus haut dans la section des faits convenus de la présente décision, les parties s’entendent sur plusieurs éléments de connaissances générales courantes connus avant la date de revendication :

  1. la vitamine D et les analogues de vitamine D, en particulier le calcipotriol, étaient un traitement connu pour le psoriasis;
  2. les corticostéroïdes étaient un traitement connu pour le psoriasis;
  3. il est reconnu que le traitement du psoriasis par l’application séquentielle du calcipotriol et d’un corticostéroïde donne de meilleurs résultats que l’un ou l’autre des composés employés seuls, et que ce traitement était souvent prescrit;
  4. il est impossible de combiner le calcipotriol et un corticostéroïde sans tenir compte de leurs pH incompatibles : le calcipotriol requiert un pH supérieur à 8 pour atteindre une stabilité maximale, tandis que les corticostéroïdes ont besoin d’un pH se situant entre 4 et 6.

[109]       De plus, les parties ne contestent pas le fait que tous les analogues de la vitamine D et les corticostéroïdes mentionnés et revendiqués dans le brevet 565 étaient connus pour ce qui est du traitement du psoriasis.

[110]       Comme le psoriasis cause des lésions sèches, un traitement par une composition sèche (une composition à base d’huile, comme un onguent) était généralement privilégié. La gelée de pétrole était la base la plus utilisée dans les onguents.

[111]       Le calcipotriol et le dipropionate de bêtaméthasone étaient vendus séparément sous forme d’onguent.

[112]       Le problème de pH concerne l’eau et les milieux aqueux. En l’absence d’eau, les problèmes d’incompatibilité de pH ne se posent pas.

(4)               L’état de l’art

[113]       En plus de la connaissance commune générale, connaissance détenue par la personne versée dans l’art, l’article 28.3 de la Loi sur les brevets prévoit qu’il est aussi pertinent de tenir compte de toute communication « qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public ». Selon la jurisprudence, l’art antérieur pertinent pour les besoins de l’examen de l’évidence est celui qu’aurait révélé une recherche diligente effectuée par une personne versée dans l’art : Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Ltée, 2012 CF 113 au para 80; Pfizer au para 108; et Illinois Tool Works Inc c Cobra Fixations, 2002 CFPI 829 au para 100, modifiée sur les dépens, 2003 CAF 358.

[114]       Des doutes ont été exprimés quant à la question de savoir s’il est correct de limiter la portée de l’art antérieur pertinent aux résultats de la recherche diligente qui a été effectuée, puisque le libellé de l’article 28.3 n’est pas si limité : MacOdrum, à 4:11(i); R.H. Barrigar, Canadian Patent Law Annotated, 2e éd (Aurora: Canada Law Book, 1994), à PA-341. Cependant, ces doutes ont été rejetés dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Teva Canada Limited, 2015 CF 770 au para 53. De plus, la Cour d’appel fédérale a récemment refusé l’occasion de réexaminer la question : E Mishan & Sons, Inc v Supertek Canada Inc, 2015 FCA 163 au para 21.

[115]       Teva s’appuie fortement sur un argument selon lequel une personne versée dans l’art aurait pris connaissance du POP-15, et en particulier d’une certaine antériorité utilisant le POP‑15, que j’appellerai antériorité Turi, du nom de l’inventeur et auteur principal du brevet et de l’étude mentionnés ci-dessous. Teva soutient que, non seulement une personne versée dans l’art aurait trouvé l’antériorité Turi après une recherche diligente, mais que l’antériorité Turi faisait également partie des connaissances générales courantes. L’antériorité Turi comprend :

  1. une étude intitulée « Effects of Polyoxypropylene 15 Stearyl Ether and Propylene Glycol on Percutaneous Penetration Rate of Diflorasone Diacetate » (Effets de l’éther de polyoxypropylène-15-stéaryle et du propylène glycol sur la vitesse de pénétration percutanée du diacétate de diflorasone), publiée dans le Journal of Pharmaceutical Sciences, vol. 68, no 3, mars 1979;
  2. le brevet américain no 4,083,974, délivré le 11 avril 1978.

[116]       L’étude de Turi a fait appel à un modèle animal (qui, à la date de revendication du brevet 565, n’était plus considéré comme fiable) pour évaluer les effets de différentes quantités de POP-15 ou de propylène glycol sur la vitesse de pénétration cutanée du diacétate de diflorasone, qui est l’un des corticostéroïdes envisagés dans le brevet 565. Le brevet de Turi revendique des compositions élaborées au cours de la même étude de recherche, faisant état de leurs propriétés non irritantes et lubrifiantes, de même que de propriétés antibactériennes et antifongiques étonnantes.

[117]       Teva fait remarquer que le POP-15 était utilisé dans un certain nombre de produits pharmaceutiques vendus sur le marché avant la date de revendication, notamment le Florone, le Maxiflor et le Psorcon E. Ces trois produits semblent apparentés et semblent avoir des propriétés anti-inflammatoires du fait de la dissolution du diacétate de diflorasone dans le propylène glycol. Teva mentionne également que Leo a elle-même mentionné à la Food and Drug Administration des États‑Unis que le POP-15 était présent dans 41 produits cosmétiques en 1998.

[118]       Selon moi, l’antériorité Turi n’aurait pas fait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Elle n’était pas généralement connue d’une personne versée dans l’art traitant le psoriasis, et le POP-15 n’était pas répertorié dans les sources de renseignements habituelles comme solvant ou comme traitement pour le psoriasis.

[119]       Cependant, l’antériorité Turi était clairement accessible au public, et une personne versée dans l’art aurait eu à sa disposition un certain nombre de moyens pour la trouver lors d’une recherche diligente. À titre d’exemple, une recherche dans PubMed (une base de données de publications médicales) effectuée lors du contre-interrogatoire de M. Walters à l’aide des mots clés « corticostéroïde », « solvant » et « topique » a permis de trouver l’étude de Turi parmi 186 résultats. Vu le caractère général de ces mots clés, il semble qu’une recherche diligente faite par une personne versée dans l’art aurait en effet permis de trouver des renseignements sur l’antériorité Turi. En revanche, rien dans le dossier n’indique qu’on aurait trouvé cette antériorité par une autre combinaison précise de termes de recherche généraux qu’une personne versée dans l’art aurait pu utiliser pour tenter de résoudre le problème d’incompatibilité des pH lorsqu’on combine le calcipotriol et un corticostéroïde. Je constate que l’expert de Teva, M. Cooper, a laissé entendre au départ que la personne versée dans l’art aurait cherché des [traduction] « articles liés à des formulations contenant du calcipotriol (aussi appelé calcipotriène) et du dipropionate de bêtaméthasone, de même que des renseignements sur la stabilité des deux principes actifs ». Il semble peu probable que ces critères de recherche auraient permis de trouver l’antériorité Turi. Quoi qu’il en soit, et comme je l’ai expliqué précédemment, je n’ai pas à me prononcer sur la question de savoir si l’antériorité aurait été découverte lors d’une recherche diligente. J’ai supposé qu’elle serait accessible à la personne versée dans l’art.

[120]       Leo souligne que l’antériorité Turi visait un produit à usage cosmétique, et non un traitement pour le psoriasis. Elle précise que cette antériorité date de la fin des années 1970, soit bien des années avant la mise au point du produit breveté, et qu’elle ne traite pas de la combinaison de principes actifs différents ni de problèmes de stabilité. Leo prétend que toute recherche ayant permis de trouver l’antériorité Turi aurait aussi permis de trouver bien d’autres documents d’antériorité et que, même si la personne versée dans l’art aurait trouvé l’antériorité Turi au cours d’une recherche diligente, cette antériorité ne l’aurait pas dirigée vers l’invention du brevet 565. Ces questions sont examinées ci-après afin d’évaluer si l’invention revendiquée allait de soi.

[121]       Teva soutient que l’application topique simultanée (et non pas séquentielle) de calcipotriol et d’un corticostéroïde dans le traitement du psoriasis faisait également partie des connaissances générales courantes à la date de revendication. Leo conteste cette affirmation. À mon avis, la preuve favorise Leo sur ce point. Le Dr Krueger a affirmé qu’il prescrivait l’application simultanée de calcipotriol et d’un corticostéroïde depuis 1995, et qu’il continuait de le faire aujourd’hui. Il a également déclaré avoir parlé de ce schéma thérapeutique dans de nombreuses présentations et allocutions avant la date de revendication. Cependant, il n’a pas mentionné que d’autres dermatologues avaient adopté cette méthode de traitement.

[122]       Le Dr Feldman a affirmé qu’avant la date de revendication, d’autres dermatologues et lui‑même prescrivaient l’application simultanée, une fois par jour, de calcipotriol et d’un corticostéroïde. Or, les seules publications citées par le Dr Feldman à ce sujet soulignaient les difficultés que pose la combinaison de calcipotriol et de corticostéroïdes. Par exemple, dans un article rédigé par Patel (« Compatibility of calcipotriene with other medications », J Amer. Acad. of Dermatology, juin 1998, p. 1010), l’auteur mentionne au premier paragraphe que les patients emploient parfois le calcipotriol en association avec d’autres traitements appliqués sur la peau, puis il enchaîne immédiatement en faisant mention de cas où [traduction] « les pharmaciens ou les patients les combinent dans un même contenant sans tenir compte de la compatibilité des agents ». [Non souligné dans l’original.]

[123]       Pour Leo, le Dr Contard et le Dr Shear ont mentionné qu’avant la date de revendication, ils n’avaient jamais entendu parler d’un patient auquel on aurait prescrit l’application simultanée de calcipotriol et d’un corticostéroïde pour le traitement du psoriasis.

[124]       Bien que les avantages d’un schéma de traitement du psoriasis qui combine le calcipotriol et un corticostéroïde fussent bien connus, il ne semble pas que l’utilisation simultanée de ces deux médicaments était une pratique courante en dermatologie.

(5)               Le concept inventif

[125]       À la lumière de l’analyse que j’ai présentée ci-dessus dans la section de l’interprétation des revendications, je comprends que le concept inventif du brevet 565 est l’élaboration d’une composition pharmaceutique à usage cutané (sous la forme d’un onguent non aqueux) comprenant trois composants (A, B et C) qui soit suffisamment stable pour être employée concrètement comme composition pharmaceutique. La stabilité est de toute évidence le principal objet dont il est question dans le brevet 565, et il serait déraisonnable, à mon avis, de formuler une conclusion au sujet du concept inventif sans tenir compte de la divulgation et de sa préoccupation constante à l’égard de la stabilité.

[126]       Les deux parties reconnaissent qu’on ne savait pas trop, au moment du dépôt de la demande du brevet 565 et par la suite, comment ni pourquoi la composition des composants qui y est décrite et revendiquée fonctionne. Aucun des témoins experts n’a pu fournir d’hypothèse raisonnable quant aux raisons pour lesquelles le composé décrit à l’exemple 1 du brevet 565 était stable, alors qu’un onguent similaire, ayant le propylène glycol comme solvant à la place du POP‑15 et contenant de la lanoline comme émulsifiant, n’était pas stable.

(6)               Les différences entre l’art antérieur et le concept inventif

[127]       La différence entre le concept inventif et l’art antérieur avant la date de revendication est plutôt simple : il s’agit d’une avancée qui permet de passer de (i) une composition de deux composés pharmaceutiques actifs (A et B) qui, en raison de l’incompatibilité du pH des composés, commençait à se dégrader dès leur combinaison et ne présentait pas, par conséquent, d’intérêt comme produit pharmaceutique, à (ii) une composition incluant les deux mêmes composés, avec l’ajout d’un solvant C, qui reste suffisamment stable pour présenter un intérêt comme produit pharmaceutique.

[128]       Aucune autre avancée dans l’état de l’art n’était décrite dans le brevet 565.

(7)               L’essai allant de soi

[129]       Comme il a été mentionné ci‑dessus, les facteurs suivants devraient être pris en compte dans l’appréciation de la question de savoir si l’invention était un essai allant de soi; il ne s’agit pas d’une liste exhaustive :

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue, de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[130]       Il est plus convenable de discuter de ces facteurs dans l’ordre inverse.

(a)                Le motif de rechercher la solution

[131]       En ce qui concerne la motivation, il est clair qu’à la date de revendication, on voulait obtenir une composition qui combinerait deux traitements topiques bien connus contre le psoriasis (un analogue de la vitamine D et un corticostéroïde), dans l’objectif de simplifier le traitement, et qui soit suffisamment stable pour être employée concrètement.

[132]       Évidemment, cette motivation est une arme à double tranchant en ce qui a trait à l’évidence. D’un côté, la personne versée dans l’art était motivée à consacrer des ressources substantielles à la recherche d’une solution au problème de l’instabilité. On peut prétendre que cela peut avoir facilité la tâche d’une personne dépourvue d’imagination à réaliser l’invention. D’un autre côté, le défaut des personnes versées dans l’art, compte tenu de leur motivation et au cours d’une période substantielle, d’avoir trouvé la solution pourrait laisser entendre de l’inventivité : AstraZeneca Canada Inc c Ranbaxy Pharmaceuticals Canada Inc, 2013 CF 232 au para 82.

[133]       Leo présente un argument qui repose sur la question classique, qui a été citée ci‑dessus et qui est tirée de l’arrêt Beloit, à la p 294 :

[traduction]

Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « pourquoi ne l’avez‑vous pas fait? »

[Non souligné dans l’original.]

[134]       Leo soutient qu’il y avait un motif clair de combiner le calcipotriol et un corticostéroïde dans une formulation stable depuis au moins 1994. Si l’invention était évidente, selon Leo, quelqu’un aurait trouvé une solution plus tôt.

[135]       Teva signale que Leo avait un brevet relatif au calcipotriol qui n’a expiré au Canada et aux États-Unis qu’en 2009 environ. Teva soutient qu’en raison de ce brevet, toute autre entreprise pharmaceutique que Leo aurait été dissuadée, avant la date de revendication (avril 1999), de mener des recherches sur une formulation combinée incluant le calcipotriol. Même si ses recherches étaient couronnées de succès, l’entreprise n’aurait pas pu exploiter la formulation combinée sans l’autorisation de Leo. M. Cooper a déclaré que [traduction] « les entreprises pharmaceutiques n’élaborent pas des formulations qui contiennent un ingrédient actif breveté avant que le brevet du composé soit près d’expirer ». À mon avis, cela explique bien pourquoi aucune autre entreprise pharmaceutique, y compris Teva, n’a réalisé l’invention avant Leo.

[136]       Leo conteste la théorie voulant que les entreprises pharmaceutiques ne mènent pas de recherches sur un composé protégé par brevet. Pour étayer cet argument, Leo invoque (avec vigueur) la demande de brevet présentée par Teva elle-même (no 2,670,425) qui, de façon assez semblable au brevet 565 dont il est ici question, portait sur des compositions combinant des analogues de la vitamine D, dont le calcipotriol, et des corticostéroïdes. Leo soutient qu’il est « surprenant » que Teva affirme qu’une entreprise pharmaceutique ne mènerait pas de recherches sur un composé protégé par brevet, alors que c’est précisément ce qu’elle a fait pour le composé en cause.

[137]       Malheureusement pour Leo, l’argument qu’il avance à ce sujet comporte une faille majeure. La demande de brevet de Teva a été déposée en août 2007 et se fondait sur une demande prioritaire déposée en août 2006. À ce moment, le brevet de Leo pour le calcipotriol approchait de sa date d’expiration. Compte tenu de ce fait et de l’affirmation de M. Cooper selon laquelle la réticence des entreprises pharmaceutiques à mener des recherches sur un composé breveté cesserait [traduction] « peu avant l’expiration du brevet relatif au composé », je ne vois aucune raison de conclure que les recherches de Teva démentent de quelque façon l’argument voulant qu’aucune autre entreprise pharmaceutique que Leo n’eût intérêt à élaborer une formulation combinant le calcipotriol et un corticostéroïde.

[138]       Teva soutient également que Leo elle-même était peu encline à mettre au point une nouvelle formule combinant le calcipotriol et un corticostéroïde, ce qui pourrait expliquer pourquoi elle n’a pas réalisé l’invention plus tôt. Teva affirme que Leo se voyait comme [traduction] « la société qui offrait aux patients un produit antipsoriasique aussi efficace que les corticostéroïdes, sans les effets secondaires » xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx.

[139]       xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx. Je ne tire pas du contre-interrogatoire de M. Hansen la conclusion que préconise Teva. Selon moi, le document d’évaluation commerciale en question ne précise pas que Leo était peu encline à élaborer une formulation combinée de calcipotriol et d’un corticostéroïde. Il aurait été évident, pour Leo, que la réussite d’un tel projet entraînerait probablement une augmentation considérable de sa part de marché.

[140]       En résumé, il y avait dans l’art antérieur une motivation à trouver le moyen de combiner le calcipotriol et un corticostéroïde dans une seule formulation. Leo avait de bonnes raisons d’agir sur la base de cette motivation. Le brevet de Leo a dissuadé les autres entreprises d’agir sur la base de cette motivation. Cependant, cet effet dissuasif ne démontre pas l’évidence.

(b)               La nature, l’ampleur et la quantité d’effort requis

[141]       Le deuxième des facteurs qui doit être examiné dans l’appréciation de la question de savoir si une invention était un essai allant de soi est la nature, l’ampleur et la quantité d’effort requis pour réaliser l’invention. Il convient de relever deux éléments en lien avec ce facteur. Tout d’abord, l’expérimentation effectuée pour confirmer si une combinaison particulière de composés est stable dans le contexte actuel est plutôt simple et courante. Dans les faits, une personne doit uniquement créer les conditions nécessaires aux essais, puis attendre. Le deuxième élément est que si l’on accepte le scénario dans lequel la personne versée dans l’art effectuant une recherche diligente trouverait l’art antérieur de Turi, nous devons aussi accepter que cette personne trouverait aussi plusieurs centaines (possiblement, plusieurs milliers) d’autres renvois à l’art antérieur, dénotant tous de possibles solutions différentes.

[142]       Même si les essais en ce qui a trait à la stabilité sont relativement simples, l’ampleur des efforts requis pour réaliser l’invention sera très élevée, à moins que le nombre de combinaisons puisse être réduit. Par conséquent, le principal défi dans la conception de l’invention serait de réduire la portée des possibles compositions pour les besoins de l’essai, de manière à en avoir un nombre plus praticable.

(c)                Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?

[143]       L’argument de Teva à cet égard est que la personne versée dans l’art, ayant retrouvé l’art antérieur de Turi, aurait pu être conduite vers la combinaison revendiquée et elle aurait conclu qu’il était plus ou moins évident que cette combinaison allait être fructueuse. En d’autres mots, il y avait des chances raisonnables de succès.

[144]       Teva signale que Turi fait état d’un onguent comprenant un corticostéroïde (diacétate de diflorasone) et le POP-15. Teva mentionne également que le calcipotriol et le dipropionate de bêtaméthasone étaient tous deux vendus séparément sous forme d’onguents.

[145]       Teva soutient qu’il serait évident, pour une personne versée dans l’art, que l’utilisation d’une base non aqueuse pouvait régler un problème d’incompatibilité du pH de deux composés à réunir dans une même formulation. Leo reconnaît que l’utilisation d’une base non aqueuse réduirait effectivement la teneur en eau et, de fait, l’importance du problème de compatibilité du pH. Cependant, Leo affirme que de petites quantités d’eau se retrouvent dans les ingrédients de la composition, ce qui ne résout pas entièrement le problème. Cela pourrait être vrai, mais rien ne prouve que la quantité d’eau qui peut rester dans une base non aqueuse soit suffisante pour réduire la stabilité individuelle d’un analogue de la vitamine D et d’un corticostéroïde qu’elle renfermerait. Sans davantage d’éléments, je ne suis pas prêt à croire que l’argument de Leo sur ce point tienne la route.

[146]       Toutefois, l’argument de Teva concernant l’évidence de l’utilisation d’une base non aqueuse pour résoudre le problème d’incompatibilité du pH ne suffit pas pour établir que l’invention visée par le brevet 565 était évidente. Pour établir l’évidence, il faudrait démontrer que cette solution permet à elle seule d’obtenir une composition stable lorsqu’on combine le calcipotriol avec un corticostéroïde; ainsi, une simple combinaison de calcipotriol et d’un corticostéroïde (sans POP-15) dans une base non aqueuse serait stable. La preuve n’appuie pas cette affirmation. L’exemple infructueux décrit dans le brevet 565, dans lequel le calcipotriol et le dipropionate de bêtaméthasone avaient été combinés dans un onguent non aqueux en utilisant du propylène glycol comme solvant et de la lanoline comme émulsifiant, donne à penser le contraire. Comme il est mentionné ci-dessus, on ne sait pas précisément pourquoi cette composition était instable, alors que la composition incluant le POP-15 était stable.

[147]       Teva répond à ce point en soulignant qu’à la date de revendication, il n’était pas généralement connu par le public que la composition incluant le propylène glycol comme solvant ne fonctionnerait pas et, par conséquent, il n’y avait aucune raison pour que la personne versée dans l’art n’ait pas d’attentes de succès raisonnables, même avec une composition incluant le propylène glycol.

[148]       Pour sa part, Leo réplique que le propylène glycol était un solvant couramment utilisé dans les produits pharmaceutiques, contrairement au POP-15, qui ne faisait pas partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Qui plus est, le propylène glycol a une teneur en acide et en eau plus faible que celle du POP-15. Ainsi, la personne versée dans l’art aurait mis à l’essai le propylène glycol (comme l’a mentionné M. Cooper dans son contre-interrogatoire) avant de mettre à l’essai le POP-15. Les résultats infructueux de cette tentative, combinés à la connaissance générale des propriétés plus favorables du propylène glycol sur le plan de la teneur en acide et en eau, auraient enlevé à la personne versée dans l’art toute attente réaliste de succès quant à la mise à l’essai du POP-15. Je souscris à la position de Leo.

[149]       Leo soutient que la majeure partie de l’art antérieur allait dans le sens contraire de la combinaison d’un analogue de la vitamine D et d’un corticostéroïde dans la même composition. À mon avis, il s’agit d’une représentation erronée de l’art antérieur. Il est vrai que des indices clairs laissaient présager les difficultés que poserait la combinaison de ces médicaments. Or, rien dans l’art antérieur n’aurait mené la personne versée dans l’art à croire que l’ajout du POP-15 à la composition combinée ne résoudrait pas le problème de stabilité. Rien n’incitait la personne versée dans l’art à ne pas étudier cette solution. En ce sens, l’art antérieur n’allait pas dans le sens contraire de la solution enseignée dans le brevet 565.

[150]       Comme je l’ai mentionné précédemment, aux fins de la présente analyse, je présume qu’une recherche diligente, effectuée par une personne versée dans l’art, aurait révélé l’antériorité Turi. Même si la personne versée dans l’art connaissait les travaux de Turi, je suis d’avis qu’ils ne l’auraient pas menée à la solution enseignée dans le brevet 565. Il y aurait eu beaucoup d’autres antériorités à prendre en compte; tellement, en fait, qu’il semble peu réaliste de s’attendre à ce que la personne versée dans l’art les ait toutes mises à l’essai. Par conséquent, pour que la personne versée dans l’art ait retenu l’antériorité Turi parmi toutes les possibilités, il aurait fallu qu’il y ait dans cette antériorité quelque chose de prometteur. Je ne vois pas de telle promesse. La valeur du POP-15 n’aurait été apparente qu’après la réalisation de l’invention.

[151]       Par ailleurs, même si la personne versée dans l’art avait été menée à combiner un analogue de la vitamine D, un corticostéroïde et le POP-15, cela aurait été sans attente raisonnable de succès. L’antériorité Turi n’offre aucune solution au problème d’incompatibilité du pH entre les analogues de la vitamine D et les corticostéroïdes, ni entre d’autres composés. En outre, rien dans l’antériorité Turi ne concernait la stabilité d’une éventuelle formulation. Une personne versée dans l’art n’aurait pas été amenée à se concentrer sur l’antériorité Turi pour résoudre le problème abordé dans le brevet 565.

(d)               Mesures concrètes ayant mené à l’invention

[152]       Ce quatrième facteur est mentionné au para 70 de l’arrêt Sanofi-Synthelabo de la Cour suprême. Teva signale que Leo avait fait l’essai d’une composition incluant le POP-15, parce qu’elle l’avait déjà employé auparavant. Teva soutient qu’il n’y avait donc rien d’inhabituel ou de surprenant à ce qu’elle envisage l’utilisation du POP-15. Teva souligne que le POP-15 aurait été un candidat intéressant pour la réalisation d’essais, car il était déjà utilisé dans des produits commercialisés, et qu’il était donc vraisemblablement sécuritaire et non irritant. Teva souligne également que Leo avait connu du succès rapidement et facilement en mettant au point une composition stable incluant du calcipotriol et un corticostéroïde.

[153]       Toutefois, le fait que Leo ait disposé du POP-15 et ait décidé de l’utiliser dans ses analyses ne change pas mon point de vue selon lequel la personne versée dans l’art ne se serait pas trop attendue à un succès en agissant ainsi. Le témoignage de M. Hansen l’a confirmé. Bien que rien ne donne à croire que cela ne valait pas la peine que le POP-15 fasse l’objet d’une recherche, rien ne permet d’affirmer qu’il était la solution. En outre, le fait que la solution à un problème ait été trouvée rapidement par hasard n’annule pas l’inventivité.

(8)               La conclusion quant à l’évidence

[154]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, et principalement parce que la combinaison brevetée n’était pas un « essai allant de soi » à la lumière des nombreuses autres combinaisons possibles qui pouvaient faire l’objet d’un essai, je conclus que les revendications en cause du brevet 565 ne sont pas évidentes.

[155]       Je n’ai pas jugé nécessaire de me pencher sur les arguments des parties concernant le facteur secondaire lié au succès commercial.

D.                L’absence d’utilité

(1)               Les dispositions légales applicables

[156]       Selon l’article 2 (définitions) de la Loi sur les brevets, une invention doit présenter le caractère d’utilité. Par conséquent, tous les brevets valides doivent limiter la portée de leurs revendications à des réalisations ayant un caractère d’utilité.

[157]       La Cour d’appel fédérale a effectué une analyse utile en ce qui a trait aux exigences liées au caractère d’utilité dans l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2014 CAF 250 au para 64 :

Les tribunaux reconnaissent cependant depuis longtemps que les exigences minimales en matière d’utilité au sens de la Loi sont assez souples. Premièrement, il n’est pas nécessaire que l’inventeur expose l’utilité de l’invention dans le brevet. Tout ce qu’exigent les tribunaux, lorsque l’inventeur doit prouver l’utilité de son invention, est que celui‑ci puisse établir que l’utilité était démontrée ou valablement prédite au moment de la date de dépôt du brevet. Deuxièmement, le seuil à franchir pour établir l’utilité est en général peu élevé, puisqu’on dit que « la moindre parcelle d’utilité suffit ».

[Renvois omis.]

[158]       Par conséquent, à compter de la date de dépôt du brevet 565 (le 27 janvier 2000), l’utilité des revendications de ce dernier doit avoir été démontrée ou valablement prédite.

[159]       Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 au para 70, la règle de la prédiction valable comporte trois éléments :

  1. la prédiction doit avoir un fondement factuel;
  2. l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;
  3. il doit y avoir une divulgation suffisante.

[160]       Pour être valable, la prédiction ne doit pas nécessairement correspondre à une certitude, car elle n’exclut pas le risque que puisse ultérieurement être établi le défaut d’utilité de certains composés entrant dans le champ revendiqué : la décision Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2010 FC 1265 au para 484 (Merck).

[161]       Teva prétend que le deuxième élément du critère de la prédiction valable se concentre sur l’inventeur, non la personne versée dans l’art. À l’appui de cet argument, Teva cite le passage suivant tiré de la décision Sanofi-Aventis Canada c Apotex Inc, 2009 CF 676 au para 151, qui est reproduit presque mot à mot dans la décision Merck  au para 498, et dans la décision Teva Canada Limited c Novartis AG, 2013 CF 141 au para 271 :

Les inventeurs doivent être en mesure d’établir qu’ils disposaient, à la date pertinente, d’un fondement factuel à partir duquel ils pouvaient inférer le résultat souhaité. Il est important de noter le caractère subjectif de la perspective examinée à ce stade‑ci. L’appréciation de la prédiction valable ne nous contraint pas à examiner l’invention avec les yeux de la personne versée dans l’art. Ce sont plutôt les connaissances, les activités et les efforts des inventeurs eux‑mêmes qui doivent être pris en compte.

[162]       Bien qu’il ressorte du passage susmentionné que le point de vue des inventeurs doit être pris en compte, je ne crois pas que l’on exclut le point de vue de la personne versée dans l’art. En réalité, il est affirmé dans ce passage que le point de vue de la personne versée dans l’art est pertinent lorsque l’on précise que l’appréciation de la prédiction valable « ne nous contraint pas à examiner l’invention avec les yeux de la personne versée dans l’art » [Non souligné dans l’original.]. En outre, dans l’arrêt Apotex Inc c Allergan Inc, 2015 CAF 137, la Cour d’appel fédérale a clairement précisé que le point de vue de la personne versée dans l’art est pertinent. Voici les observations de la cour au para 9 :

Comme notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Ltée, 2013 FCA 219, 449 N.R. 111, aux paragraphes 152 et 153, le fondement factuel, le raisonnement et le niveau de divulgation requis en vertu de la règle de la prédiction valable doivent être appréciés en fonction des connaissances qu’aurait une personne versée dans l’art pour fonder cette prédiction ainsi que de la compréhension que cette personne aurait du raisonnement logique conduisant à établir l’utilité de l’invention.

[163]       Comme le raisonnement clair s’adresse à une personne versée dans l’art, les éléments de la règle de la prédiction valable qui seraient évidents par eux‑mêmes à la personne versée dans l’art en raison de ses connaissances générales courantes n’ont pas besoin d’être explicitement divulgués dans le mémoire descriptif : arrêt Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2013 CAF 219 au para 154.

[164]       L’utilité d’un brevet ne doit pas nécessairement correspondre presque exactement à l’idée originale : arrêt AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CAF 158 au para 11.

(2)               Analyse

[165]       Teva signale qu’une seule formulation réussie de la composition brevetée est décrite dans le brevet 565. Celle-ci comprend le calcipotriol comme composant A, le dipropionate de bêtaméthasone comme composant B et le POP-15 comme solvant C. La preuve révèle que Leo a aussi mis à l’essai d’autres formulations contenant du myristate d’isopropyle comme solvant C et du clobétasol comme composant B. Pour toutes les autres formulations qui sont visées par les revendications en litige du brevet 565, Leo ne peut pas invoquer l’utilité démontrée de l’invention. Les parties semblent convenir que Leo doit, par conséquent, montrer que l’utilité de ces autres formulations pouvait être prédite valablement au 27 janvier 2000.

[166]       Les arguments de Teva concernant l’absence de prédiction valable reposent sur le fait que l’utilité du brevet 565 est une formulation stable et efficace qui combine un analogue de la vitamine D et un corticostéroïde. Mais, comme nous l’avons vu précédemment, Teva soutient également que le concept inventif du brevet 565 ne concerne pas la stabilité de la composition. Consciente de cette divergence entre l’utilité et le concept inventif en ce qui concerne la stabilité, Teva s’empresse d’ajouter que l’utilité d’un brevet ne coïncide pas forcément avec son concept inventif. Quoi qu’il en soit, il n’est pas contesté que l’utilité de l’invention tient à la stabilité et à l’efficacité de la composition revendiquée.

[167]       Teva se fonde sur deux motifs distincts pour soutenir que les revendications en litige du brevet 565 ne satisfont pas à la règle de la prédiction valable :

  1. Dans la mesure où les revendications ne fixent aucune limite quant à la quantité de solvant C que contiennent les formulations revendiquées, et sans données sur les taux de libération des médicaments de ces formulations et la pénétration dans la peau à la suite de leur application, la personne versée dans l’art ne pouvait pas prédire valablement que toutes ces formulations seraient efficaces;
  2. Les revendications du brevet 565 prévoient tellement de variations des composants A, B et C que ces revendications englobent des millions de formulations; il était impossible de prédire valablement la stabilité et l’efficacité de toutes ces formulations.

[168]       En réponse à ces arguments, Leo avance qu’ils ne devraient même pas être pris en compte, parce qu’ils n’ont pas été soulevés dans l’AA. Je suis d’accord avec Leo pour ce qui est du premier argument ci-dessus, à savoir qu’il était impossible de prédire valablement l’utilité sans données sur la libération des médicaments pour différentes quantités de solvant C. Rien dans l’AA n’évoque cet argument. Bien qu’une partie de l’AA (aux pages 20 et 21) soit consacrée aux préoccupations entourant l’absence de renseignements sur le dosage dans le brevet 565, ces préoccupations concernent exclusivement les composants A et B. L’AA ne renferme aucune allégation semblable à propos du solvant C. Qui plus est, je ne suis pas convaincu que cet argument avancé par Teva fait suite à l’un des points soulevés par Leo.

[169]       Toutefois, même en examinant le premier des deux arguments de Teva concernant l’absence de prédiction valable, j’arrive néanmoins à la conclusion selon laquelle il est dénué de fondement.

(a)                L’absence de renseignement au sujet de la libération du médicament et de la pénétration dans la peau

[170]       Teva invoque l’article de Turi, selon lequel la modification de la quantité de solvant peut avoir une grande incidence sur la libération du médicament et la pénétration dans la peau. Si la libération du médicament et la pénétration dans la peau ne sont pas adéquates, la formule pourrait avoir une efficacité réduite.

[171]       À mon avis, les préoccupations de Teva au sujet de la libération du médicament et de la pénétration dans la peau sont exagérées. Assurément, il est important de veiller à ce que ces propriétés soient uniformes et stables lorsqu’un produit pharmaceutique sera administré à des patients. La norme réglementaire est élevée, mais le droit des brevets applique une norme d’utilité beaucoup moins rigoureuse (la moindre « parcelle d’utilité » suffit). Ce point est abordé dans la décision AstraZeneca Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023 au para 163. De plus, dans la mesure où le brevet doit seulement fournir une prédiction valable de l’utilité, il n’est pas nécessaire que cette norme moins rigoureuse soit respectée avec certitude. Je suis convaincu que la preuve au dossier est adéquate en ce qui concerne la libération du médicament et la pénétration dans la peau. L’absence de données précises ne m’incite pas à conclure que le brevet 565 n’inclut pas une prédiction valable de l’utilité. La personne versée dans l’art se serait attendue à ce qu’en employant les connaissances générales courantes, une expérimentation limitée suffise pour obtenir une libération du médicament et une pénétration dans la peau adéquate.

[172]       Teva rapporte un passage du contre-interrogatoire de M. Walters au cours duquel, lorsqu’on lui a demandé si une formulation renfermant 1 % de POP-15 serait efficace, il a répondu ceci : [traduction] « Je ne peux pas l’affirmer à partir des renseignements dont je dispose ici, mais j’imagine qu’une concentration de 1 % serait – donnerait une réponse thérapeutique ».

[173]       Teva soutient que l’on ne saurait guère affirmer que la réponse de M. Walters (qui admet que « je ne peux pas l’affirmer », mais que « j’imagine ») est une prédiction valable. Je ne puis souscrire à cet argument. À mon avis, M. Walters admet précisément, dans sa réponse, le genre d’incertitude qui est permise, voire prévue, lorsque l’on fait une prédiction valable.

(b)               Les combinaisons de composés A, B et C revendiquées ne peuvent pas toutes faire l’objet d’une prédiction valable quant à leur stabilité et leur efficacité

[174]       Le second argument de Teva selon lequel il y a absence de prédiction valable d’utilité concernant le brevet 565 réside essentiellement dans le fait que le nombre de combinaisons possibles des composés A, B et C est tellement grand (Teva soutient qu’il s’agit de millions) qu’aucune prédiction valable ne pourrait être faite pour affirmer qu’elles seraient toutes utiles, c’est-à-dire qu’elles seraient toutes stables et efficaces.

[175]       À titre d’observation préliminaire, l’argument susmentionné semble trouver appui dans l’AA, à la page 18, sous la rubrique [traduction] « les composés non analysés A, B et C n’ont pas été démontrés ni prédits valablement ». Par conséquent, je conclus que l’argument mérite d’être examiné.

[176]       J’aimerais ensuite souligner que je crois que l’analyse de cet argument peut être grandement simplifiée si l’on considère la revendication 17. Essentiellement, la revendication 17 établit que le composant C est le POP-15, ce qui exclut la possibilité d’utiliser tout autre solvant comme composant C. De fait, cela réduit considérablement le nombre de combinaisons possibles qui sont revendiquées dans le brevet 565. La revendication 17 englobe seulement les combinaisons des composants A (analogues de la vitamine D) et B (corticostéroïdes) qui sont visés par la revendication 1. Cela réduit le nombre de combinaisons possibles de plusieurs millions, selon les calculs de Teva, à plusieurs milliers.

[177]       Teva fait remarquer que Leo a reconnu n’avoir jamais compris pourquoi la combinaison brevetée de calcipotriol, de dipropionate de bêtaméthasone et de POP-15 était stable. En conséquence, Teva affirme que Leo n’était guère en mesure de prédire valablement que les combinaisons d’autres composés apparentés seraient stables.

[178]       Ici, il est important de se rappeler que la prédiction d’utilité de Leo se fonde sur différents analogues de la vitamine D et corticostéroïdes dont l’usage était déjà connu pour le traitement du psoriasis. Toutes les substances pouvant être employées comme composants A et B dans la revendication 1 du brevet 565 font partie des traitements connus. De plus, dans ses commentaires sur la validité de la prédiction de l’utilité du brevet 565, M. Walters s’appuie sur le fait que toutes les possibilités revendiquées ont la même structure chimique de base. À son avis, il s’agissait d’une base valable qui permettait de prédire l’utilité des composés n’ayant pas été mis à l’essai. Je suis du même avis. Qui plus est, les composants A et B sont définis dans la revendication 1 comme étant pharmacologiquement actifs. Il est aussi important de réitérer que Leo n’est pas tenue d’établir de manière presque certaine que toutes les combinaisons seraient utiles.

[179]       Le fait que Leo ne pouvait pas expliquer pourquoi la composition revendiquée est stable alors qu’au moins une autre composition similaire n’est pas stable ne change rien au fait que les prédictions d’utilité de Leo, à tout le moins en ce qui concerne la revendication 17, sont fondées sur les modalités connues de traitement du psoriasis au moyen d’analogues de la vitamine D et de corticostéroïdes. Avec les renseignements relatifs à l’exemple 1 fructueux dans le brevet 565, la personne versée dans l’art aurait compris le fondement factuel de la prédiction d’utilité et le raisonnement connexe, sans que ces derniers soient abordés dans le mémoire descriptif du brevet.

[180]       Par ailleurs, Leo soutient que son choix de mettre à l’essai le calcipotriol comme composant A dans l’exemple 1 du brevet 565 fournissait une prédiction valable de l’utilité d’autres analogues de la vitamine D, parce que le calcipotriol compte parmi les analogues de la vitamine D les plus instables. Selon le raisonnement de Leo, si le calcipotriol pouvait être stable dans la combinaison brevetée, il était raisonnable de s’attendre à ce que les autres analogues de la vitamine D le soient également. xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx. Néanmoins, le raisonnement de Leo demeure valable.

[181]       Teva avance que ce n’est pas le solvant POP-15 qui assure la stabilité de la combinaison d’un analogue de la vitamine D et d’un corticostéroïde dans l’exemple 1 qui est décrit dans le brevet 565. Teva soutient que c’est en fait l’alpha-tocophérol qui stabilise la combinaison. Teva mentionne également qu’aucune des revendications en litige n’inclut l’alpha-tocophérol.

[182]       En réponse, Leo souligne qu’il s’agit là d’un argument tout à fait nouveau que Teva a soulevé pour la première fois au cours de sa plaidoirie, et il ne figure ni dans son mémoire des faits et du droit ni dans son AA. Leo soutient que les observations de Teva sur ce point ne devraient donc pas être examinées.

[183]       Je n’ai pas à décider si l’AA soutient l’argument de Teva, car, même si j’en tiens compte, je ne souscris pas à celui-ci. Comme l’a mentionné Teva, l’alpha-tocophérol est un antioxydant. Aucun témoignage d’expert n’est requis pour que l’on sache qu’un antioxydant peut agir comme stabilisateur en prévenant l’oxydation. Toutefois, cette qualité ne semble pas intervenir dans la stabilisation qu’exige l’incompatibilité de pH dans la présente affaire. Je peux prendre connaissance d’office du fait que l’oxydation concerne l’oxygène, tandis que le pH concerne l’hydrogène.

(3)               Conclusion quant à l’absence d’utilité

[184]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus qu’il n’y a pas absence d’utilité au moins pour la revendication 17 du brevet 565.

E.                 L’insuffisance

(1)               Les dispositions légales applicables

[185]       Le para 27(3) de la Loi sur les brevets prévoit l’obligation de décrire adéquatement l’invention qui figure dans le mémoire descriptif du brevet. La disposition est ainsi libellée :

Mémoire descriptif

Specification

(3) Le mémoire descriptif doit :

(3) The specification of an invention must

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and


d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

[186]       La description de l’invention visée par un brevet doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation : arrêt Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2008 CAF 108 au para 35, citant l’arrêt Pioneer Hi Bred Ltd c Canada (Commissaire aux brevets), [1989] 1 RCS 1623, à la p 1638. Un brevet dont la description ne satisfait pas au critère susmentionné est invalide pour cause d’insuffisance.

(2)               Analyse

[187]       Teva avance un seul argument concernant l’insuffisance du brevet 565. Cet argument se fonde sur une partie du contre-interrogatoire de M. Hansen, où il affirme que xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx xxxxx.

[188]       Teva souligne que le brevet 565 ne précise pas lequel des composants A et B qui y sont décrits et revendiqués doit être dissous dans le solvant, le cas échéant. Teva soutient que, puisque le brevet 565 ne mentionne pas que le calcipotriol (composant A) doit être dissous, la personne versée dans l’art n’a pas tous les renseignements dont elle a besoin pour mettre en œuvre l’invention à partir uniquement de la description du brevet et de ses propres connaissances.

[189]       Leo soutient qu’il s’agit là d’un argument tout à fait nouveau qui n’avait pas été soulevé dans l’AA de Teva, et qui ne devrait donc pas être examiné. Teva répond que cet argument fait implicitement partie de son allégation générale d’insuffisance qui est contenue dans l’AA. Teva avance en outre que cet argument découle du témoignage présenté par Leo et auquel il a le droit de répondre.

[190]       J’admets que Teva a le droit de répondre aux témoignages présentés par les témoins de Leo. Toutefois, ce droit de réponse ne s’étend pas à la présentation d’allégations d’invalidité totalement nouvelles qui ne figurent pas dans l’AA : décision Alcon aux paras 90 à 96. Rien dans l’AA ne pouvait être interprété comme soulevant la question de l’insuffisance pour défaut de divulguer l’ordre dans lequel les composants revendiqués devaient être mélangés. Les allégations d’insuffisance avancées par Teva sont beaucoup plus générales que cela. Il serait inéquitable d’imposer à Leo l’obligation de répondre à une allégation d’insuffisance qui est aussi précise que celle mise de l’avant par Teva à ce stade-ci en fonction d’allégations générales présentées dans l’AA.

[191]       De surcroît, j’estime que l’allégation d’insuffisance de Teva est, de toute façon, dénuée de fondement. Comme Teva l’affirme elle-même dans son mémoire des faits et du droit, les procédés de fabrication d’onguents étaient bien connus à l’époque concernée. Teva se fonde sur le témoignage de M. Cooper pour affirmer qu’une personne versée dans l’art aurait pu fabriquer un certain nombre d’onguents contenant les ingrédients pertinents en quelques jours et mettre à l’épreuve leur stabilité au moyen de techniques courantes bien connues. Notamment, M. Cooper a déclaré que la dissolution ou la dispersion d’un ingrédient actif dans un solvant est une pratique courante et utile, en particulier quand l’ingrédient actif est une poudre. J’en conclus qu’une personne versée dans l’art serait capable de fabriquer la formulation revendiquée en employant ses connaissances, possiblement par quelques essais successifs non inventifs (ce qui est permis par la décision Valence Technology, Inc c Phostech Lithium, Inc, 2011 CF 174 au para 224), sans qu’on lui ait indiqué explicitement que le calcipotriol doit être dissous dans le solvant C.

(3)               Conclusion quant à l’insuffisance

[192]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que la description contenue dans le brevet 565 n’est pas insuffisante.

VII.          Conclusion

[193]       Compte tenu de l’analyse susmentionnée des questions en litige, je conclus que les allégations d’évidence et d’insuffisance présentées par Teva concernant le brevet 565 ne sont pas justifiées. En outre, les allégations d’absence d’utilité présentées par Teva ne sont pas justifiées, à tout le moins en ce qui concerne la revendication 17.

[194]       Étant donné que Leo a réussi à démontrer que toutes les allégations d’invalidité présentées par Teva ne sont pas justifiées, à tout le moins en ce qui concerne la revendication 17, et puisqu’il n’est pas contesté que la version de l’onguent breveté de Teva contreferait la revendication 17, il convient que je rende l’ordonnance que Leo m’a demandé de prononcer dans la demande en l’espèce.

[195]       Leo devrait se voir accorder les dépens. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, je recevrai leurs observations, comme cela est prévu dans le jugement qui suit. À ce stade-ci, je dirai que je ne suis pas disposé à accorder des dépens majorés, comme Leo semble le demander, en raison du fait que Teva n’a pas, lors de l’audience, poursuivi diverses allégations qu’elle avait présentées dans son AA. Bien que Teva ait abandonné certaines allégations (je tiens pour acquis qu’elle les jugeait faibles), elle a également poursuivi un certain nombre d’autres allégations (je tiens pour acquis qu’elle les jugeait plus solides). Les parties devraient être encouragées à reconnaître et à abandonner les arguments faibles dans un litige, et je ne voudrais pas les décourager pour avoir agi ainsi. Si Leo a une plainte légitime à formuler contre Teva, du fait que la conduite de celle-ci a en quelque sorte inutilement augmenté ses frais dans la présente instance, et que je devrais en tenir compte dans l’adjudication des dépens, je n’en ai pas été avisé.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;
  2. Il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Teva Canada Limited relativement à un onguent renfermant 50 µg/g de calcipotriol et 0,5 mg/g de bêtaméthasone (sous forme de dipropionate) avant l’expiration du brevet canadien no 2,370,565;
  3. Les dépens suivront l’issue de la cause. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens payables par Teva Canada Limited à Leo Pharma Inc, Leo doit signifier et déposer ses observations quant aux dépens, d’au plus 15 pages, dans les 15 jours suivant la date de la présente décision. Teva dispose de 15 jours suivant la réception des observations de Leo pour signifier et déposer ses observations quant aux dépens qu’elle formulera en réponse, qui ne devront pas non plus dépasser 15 pages. Par la suite, Leo peut, dans les 5 jours suivant la réception des observations en réponse présentées par Leo, signifier et déposer une réponse aux observations quant aux dépens d’au plus 5 pages;
  4. Il n’y a pas d’adjudication de dépens en faveur ou à l’encontre du ministre de la Santé.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1791-13

 

INTITULÉ :

LEO PHARMA INC c TEVA CANADA LIMITED ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LEO PHARMA A/S

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 14 au 17 SeptembRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS ÉMIS :

 

LE 30 OctobRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS ÉMIS :

LE 18 NOVEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Julie Desrosiers

Christian Leblanc

Marie Lafleur

Kang Lee

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jonathan Stainsby

Leslie Caswell

 

POUR LA DÉFENDERESSE

TEVA CANADA LIMITED

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Aitken Klee LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la défenderesse

TEVA CANADA LIMITED

 

 

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