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Date : 20160112


Dossier : IMM‑2435‑15

Référence : 2016 CF 38

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

OMID SERAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les conclusions quant à l’existence de fausses déclarations ne doivent pas être tirées à la légère. Ces conclusions doivent être appuyées par des éléments de preuve convaincants, selon lesquels un demandeur a fait une fausse déclaration; cette conclusion expose le demandeur à d’importantes conséquences pendant une longue période, en plus de voir sa demande rejetée.

II.                Le contexte

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l’égard de la décision par laquelle un agent d’immigration (l’agent) rejetait, le 10 avril 2015, la demande de résidence permanente qu’il avait présentée au titre du programme des travailleurs qualifiés (fédéral) et concluait que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour fausse déclaration, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[3]               Le demandeur, M. Omid Seraj, est âgé de 35 ans et il est géophysicien et citoyen de l’Iran.

[4]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (CNP 2113) en mai 2014. Dans une lettre datée du 6 novembre 2014, l’agent lui a demandé des renseignements supplémentaires, puisqu’il avait des doutes à propos de l’expérience de travail du demandeur dans le domaine de la géophysique (la lettre de préoccupation) :

[traduction]

J’ai des doutes quant à la validité de votre expérience de travail à titre de géophysicien.

- Veuillez donner une description des activités de l’Institut des arts et de la culture de Baran.

- Veuillez aussi transmettre le dossier d’enregistrement de l’Institut des arts et de la culture de Baran qui a été publié dans la gazette officielle de l’Iran.

- Donner des explications à savoir pourquoi l’Institut des arts et de la culture de Baran a besoin des services d’un géophysicien, et expliquer en quoi les fonctions que vous avez exercées entre 2007 et aujourd’hui correspondent aux responsabilités principales décrites dans votre lettre d’emploi.

(Dossier de l’agent, à la page 8)

[5]               Le représentant du demandeur, M. Mir Jamil Azimzadeh a répondu à la lettre de l’agent le 2 décembre 2014 en lui produisant divers documents à l’appui, notamment : une lettre supplémentaire provenant de l’Institut des arts et de la culture de Baran (IACB) (employeur du demandeur) datée du 15 novembre 2014 (la lettre d’emploi supplémentaire), ainsi qu’une traduction anglaise des documents organisationnels de l’IACB.

[6]               Le 11 février 2015, le demandeur a été convoqué à une entrevue qui devait avoir lieu le 10 mars 2015. Le 31 mars 2015, on a informé le demandeur, au moyen d’une lettre signée par un gestionnaire de programme adjoint, que sa demande ne répondait pas aux exigences de la Loi et qu’il avait effectué une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, qui entraînait ou risquait d’entraîner des erreurs dans l’application de la Loi. Par conséquent, au titre de l’alinéa 40(2)a) de la Loi, le demandeur est interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans à compter de la date de la lettre.

[7]               Dans une lettre subséquente datée du 10 avril 2015, le demandeur a été informé des exigences du paragraphe 11(1) de la Loi (exigences avant d’entrer au Canada); il a aussi été informé du fait qu’il était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations.

III.             Les questions en litige

[8]               Le demandeur cherche uniquement à ce que la conclusion de l’agent selon laquelle il avait fait une fausse déclaration au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi soit annulée. Par conséquent, la seule question déterminante que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations.

IV.             Les positions des parties

[9]               Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il avait fait une fausse déclaration. Tout d’abord, l’agent a omis de tenir compte de faits importants qui démontraient que le demandeur n’avait pas fait de fausses déclarations. L’agent n’a pas conclu que la présence ou l’absence d’un fait important justifiait sa conclusion quant à la fausse déclaration. Deuxièmement, l’agent a contrevenu à l’équité procédurale, puisque le processus visant à établir si le demandeur avait ou non fait une fausse déclaration n’était pas équitable. Troisièmement, la décision de l’agent n’était pas appuyée par des motifs adéquats, puisque ce dernier n’a pas fourni une analyse suffisante pour permettre au demandeur de comprendre comment et pourquoi l’agent a tiré sa conclusion quant à la fausse déclaration.

[10]           À l’inverse, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur avait bel et bien fait une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, puisque les descriptions qu’il avait données au sujet de ses fonctions principales à titre de géophysicien étaient vagues et qu’il avait fait une présentation erronée de ses fonctions dans la lettre d’emploi en vue d’être admissible. Deuxièmement, la présentation erronée du demandeur portait sur un fait assez important pour avoir une incidence sur le processus décisionnel. Troisièmement, l’agent n’a pas commis un manquement à l’équité procédurale, puisque le demandeur a reçu la lettre de préoccupation avant l’entrevue, dans laquelle les doutes se rapportant aux incompatibilités apparentes en ce qui a trait à son expérience de travail et le contenu de la lettre d’emploi étaient exposés. Le demandeur a eu la possibilité, au cours de l’entrevue, de traiter de ces doutes.

V.                La norme de contrôle applicable

[11]           L’appréciation, par un agent d’immigration, de la question de savoir si un demandeur a commis une fausse déclaration est une conclusion mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Oloumi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 23 (Oloumi); Paashazadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 327, au paragraphe 13).

VI.             Analyse

[12]           Un demandeur qui demande l’autorisation d’entrer au Canada doit porter une attention minutieuse au fait que les renseignements produits, par lui ou par son conseiller, ne constituent pas, directement ou indirectement, une présentation erronée ou une réticence exprimée à l’égard de faits importants qui pourraient entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Il convient d’accorder une interprétation large à l’alinéa 40(1)a) de la Loi, compte tenu de l’objectif de cet alinéa, qui est de dissuader une personne  de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration (Oloumi, précitée, au paragraphe 23). Il n’est pas nécessaire que la présentation erronée soit faite de manière volontaire ou intentionnelle (Berlin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1117, au paragraphe 12); et les demandeurs doivent être tenus responsables du conseiller qu’ils ont retenu et des observations présentées par ce dernier (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 678, au paragraphe 10).

[13]           L’agent a conclu, dans sa décision datée du 31 mars 2015, que le demandeur avait fait de fausses déclarations, et ce, pour les motifs suivants. Tout d’abord, la lettre d’emploi du demandeur datée du 5 mai 2014 (la lettre d’emploi) présentait de manière erronée les fonctions exercées par le demandeur lorsque ce dernier travaillait pour l’IACB. Deuxièmement, au cours de l’entrevue, la description qu’a donnée le demandeur au sujet des fonctions qu’il avait exercées auprès de l’IACB était vague et ne correspondait pas à ce qui était mentionné dans la lettre d’emploi. Troisièmement, le site Web de l’IACB ne fait pas mention de l’entité pour laquelle le demandeur travaille et livre des services de géophysique pour des clients, et l’agent n’était pas convaincu de l’explication donnée par le demandeur à cet égard. Quatrièmement, la lettre d’emploi ne fait pas mention du fait que le demandeur prête son assistance lors de la production de films ou de films d’animation.

[14]           L’agent a conclu que la lettre d’emploi n’était pas crédible, parce que les fonctions du demandeur y avaient été formulées de manière à ce qu’elles correspondent à la liste des fonctions de la CNP 2113, ce qui constitue un élément déterminant quant à la conclusion relative aux fausses déclarations.

[15]           La Cour a conclu, par le passé, que l’emploi d’un libellé similaire à celui du code de la CNP dans une lettre de recommandation [traduction« ne constitue pas, en soi, un motif de rejet » d’une lettre de recommandation, mais que cela peut toutefois être raisonnable de la part d’un agent d’avoir des doutes quant à la question de savoir si un demandeur répond aux exigences, puisque l’agent « ne peut pas être sûr que le demandeur a effectivement l’expérience requise, étant donné qu’il ne peut pas formuler, dans ses propres mots, son expérience, ses fonctions ou ses responsabilités, et qu’il ne peut pas les relier à l’emploi qu’il a effectivement exercé » (Ansari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 849, au paragraphe 32).

[16]           Le demandeur, après avoir reçu la lettre de préoccupation de l’agent, a produit une lettre d’emploi supplémentaire ainsi qu’une traduction vers l’anglais des documents organisationnels de l’IACB. La lettre d’emploi supplémentaire atteste l’emploi du demandeur auprès de l’IACB à titre d’expert en géophysique et mentionne que ses fonctions comprennent l’exécution de recherche en matière géophysique. La lettre fait aussi état du fait que l’IACB a besoin d’experts pour les aider dans la réalisation de films d’animation et de films dans le domaine de la géologie et de la géophysique; c’est à cet égard que le demandeur a été embauché. De plus, la traduction vers l’anglais des procès‑verbaux de l’IACB datés du 4 octobre 2006 fait état de [traduction« besoin d’embaucher des spécialistes dans […] les domaines de la géophysique, de l’architecture et de l’environnement […]. [N]ous avons besoin de créer des sections d’architecture, de géologie, de géophysique et d’environnement, en fonction des recherches scientifiques demandées et de la documentation visuelle; la réunion convient d’établir ces sections à l’unanimité » (affidavit de M. Mir Jamil Azimzadeh, 23 juin 2015, à la page 9).

[17]           L’agent n’était pas convaincu, après une entrevue avec le demandeur, que ce dernier avait bel et bien exercé les fonctions décrites dans la lettre d’emploi. Non seulement était‑il d’avis qu’il n’y avait pas suffisamment d’information en ce sens, mais il a aussi conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée quant aux fonctions qu’il exerçait. Après examen de toute la preuve mentionnée ci‑dessus, soit la lettre d’emploi supplémentaire et la traduction vers l’anglais des documents organisationnels de l’IACB, il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure à l’existence de fausses déclarations. La preuve, lorsqu’examinée dans son ensemble, fait jaillir, même au premier regard, une interprétation différente quant au contexte même dans lequel la preuve s’inscrit, compte tenu des fonctions qui pouvaient avoir été attribuées au demandeur. Tirer une conclusion nécessite certes un examen approfondi afin de comprendre le contexte dans lequel le demandeur exerçait ses fonctions, et il ne semble pas qu’un tel examen ait été entrepris adéquatement. Or, un tel examen aurait permis de tirer une conclusion raisonnable.

[18]           L’agent semble avoir confondu le caractère insuffisant de la preuve avec une fausse déclaration. Il ne fait aucun doute que l’agent aurait pu conclure qu’il n’y avait pas une preuve suffisante pour démontrer que le demandeur exerçait des tâches décrites dans la lettre d’emploi; cependant, l’agent ne pouvait pas, comme il l’a fait en l’espèce, tirer raisonnablement une conclusion portant que le demandeur ou son conseiller avait fait une présentation erronée. Le demandeur est titulaire d’une maîtrise en géophysique et en géoélectricité, ainsi que d’un baccalauréat en physique. Le demandeur a présenté des éléments de preuve non contredits portant qu’il avait été embauché par l’IACB en raison de son expertise en géophysique, puisque ses fonctions comprenaient de prêter assistance à l’IACB dans ses projets de films et d’animation portant sur la géophysique et de la géologie.

[19]           Par conséquent, en l’absence d’explications adéquates, la Cour conclut, après examen des observations des parties et de l’ensemble de la preuve, qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur avait fait de fausses déclarations à son sujet ou au sujet de ses fonctions, compte tenu de la preuve elle‑même.

VII.          Conclusion

[20]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie .


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et qu’une nouvelle décision quant à la présente affaire sera rendue par un autre agent. Il n’y a pas de question grave de portée générale à des fins de certification.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2435‑15

INTITULÉ :

OMID SERAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑bRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 12 JANVIER 2016

COMPARUTIONS :

Richard Kurland

POUR LE DEMANDEUR

Brett Nash

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kurland Tobe

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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