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Date : 20151224


Dossier : T-974-13

Référence : 2015 CF 1419

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

AMIRA FOODS (INDIA) LIMITED

demanderesse

et

LES ENTREPRISES AMIRA INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie de l’appel interjeté par Amira Foods (India) Limited [la demanderesse] en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 [la Loi], d’une décision datée du 28 mars 2013 rendue par la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission], la décision Entreprises Amira Inc. c. Amira Foods (India) Limited, 2013 COMC 54 [la décision]. La Commission a refusé l’enregistrement de la marque de commerce de la demanderesse [la marque], le mot « AMIRA » et le dessin connexe, aux deux motifs suivants :

                    i.            Emploi antérieur – à savoir que, en violation de l’alinéa 30e) de la Loi, la demanderesse a employé la Marque au Canada avant la date de production de la demande d’enregistrement;

                  ii.            Confusion – à savoir que, en violation à l’alinéa 12(1)d) de la Loi, la Marque crée de la confusion avec la marque de commerce déposée par Les Entreprises Amira Inc. [la défenderesse].

II.                Faits

[2]               La demanderesse est une société indienne qui assure la production, la commercialisation et l’exportation de riz et d’autres produits alimentaires. Le riz qu’elle produit est vendu au Canada par l’intermédiaire d’un importateur.

[3]               La défenderesse est une société canadienne qui vend des produits alimentaires au Canada, particulièrement des produits du Moyen-Orient et des spécialités importées. La défenderesse est propriétaire de deux marques de commerce déposées, soit « Amira », numéro d’enregistrement au Canada LMC410723 (9 avril 1994) et « El Amira », numéro d’enregistrement au Canada LMC390629 (22 novembre 1991).

[4]               Le 9 mai 2006, la demanderesse, Amira Foods (India) Limited, a déposé une demande d’enregistrement de la Marque (demande no 1300873), laquelle est présentée ci-dessous :

[5]               La Marque est composée d’une marque verbale, AMIRA, et d’un dessin, une femme assise à côté d’un bol de riz.

[6]               Le 9 février 2009, la défenderesse a déposé une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande d’enregistrement. Les motifs d’opposition allégués sont les suivants :

a.              la demande d’enregistrement ne respectait pas les alinéas 30e), 30h) et 30i) de la Loi;

b.             la Marque n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi;

c.              la demanderesse n’a pas droit à l’enregistrement aux termes des alinéas 16(3)a) et 16(3)c) de la Loi;

d.             la Marque ne possède pas de caractère distinctif.

III.             Décision

A.                Motifs d’opposition fondés sur l’article 30 (Emploi antérieur)

[7]               La Commission a rejeté les deux oppositions de la défenderesse fondées sur les alinéas 30h) et 30i) de la Loi faute de preuve. Elle s’est ensuite penchée sur le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30e), pour lequel la défenderesse a avancé deux arguments :

1)      la demanderesse n’avait pas l’intention d’employer la Marque en liaison avec toutes les marchandises énumérées;

2)      la demanderesse avait employé la Marque au Canada avant la date de production de la demande d’enregistrement.

[8]               Dans un cas d’opposition de marque de commerce, « [i]l incombe à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun de ses motifs d’opposition » (décision Laura Ashley Limited c. Ashley Furniture Industries, Inc., 2010 COMC 89, au paragraphe 20 [Laura Ashley]; voir aussi la décision John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (CF 1re inst.), à la page 298).

[9]               Aux termes de l’alinéa 30e) de la Loi, si l’opposante à une demande d’enregistrement de marque de commerce peut démontrer qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve établissant que la marque de commerce était employée avant la date pertinente du 9 mai 2006, soit la date de production de la demande de la demanderesse, et si la demanderesse ne peut pas apporter de preuve contraire, selon la prépondérance des probabilités, la demande d’enregistrement doit être refusée (Design Inc. c. Moslon Canada 2005, 2010 COMC 111, aux paragraphes 10 et 11).

[10]           La décision de la Commission sur ce motif reposait sur le témoignage d’Anita Daing, la directrice financière de la demanderesse. La Commission a conclu que son témoignage en contre-interrogatoire contredisait son affidavit : bien qu’elle ait initialement déclaré qu’il n’y a eu aucune vente au Canada avec la marque de commerce ou le dessin avant janvier 2009, lors du contre-interrogatoire, elle a déclaré que des produits portant la marque Amira ont été vendus au Canada au moins dès 2002. De plus, à un autre moment, elle a affirmé qu’il y avait eu des ventes totalisant 108 000 $ depuis 2005 en liaison avec la marque verbale et la marque figurative. Ces contradictions étaient suffisantes pour permettre à la Commission de conclure que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que sa demande satisfaisait aux exigences de l’alinéa 30e) de la Loi et d’accueillir ce motif d’opposition de la défenderesse (Amira, aux paragraphes 14 à 17).

B.                 Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) (Confusion)

[11]           Puisque les autres motifs d’opposition de la défenderesse incluaient tous la probabilité de confusion entre les marques de commerce déposées ou le nom commercial de la défenderesse, la Commission a tout d’abord décidé de se pencher sur ce qu’elle jugeait être l’argument le plus solide de la défenderesse, soit la confusion entre la Marque et la marque de commerce déposée de la défenderesse, « AMIRA ». Aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, une marque de commerce n’est pas enregistrable si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée. Le paragraphe 6(2) dispose qu’il y a confusion « lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale. » Pour déterminer la probabilité de confusion, la Commission doit prendre en considération toutes les circonstances de l’espèce, en particulier celles énumérées au paragraphe 6(5), notamment :

(a)                le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(b)                la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(c)                le genre de produits, services ou entreprises;

(d)               la nature du commerce;

(e)                le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

[12]           La Commission a conclu en faveur de la défenderesse sur chacune des circonstances énumérées au paragraphe 6(5). Plus précisément, elle a conclu ce qui suit :

(a)                la marque de commerce déposée de la défenderesse présentait à la fois le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis en liaison avec des produits alimentaires;

(b)               la marque de la défenderesse était employée depuis un certain temps;

(c)                les marchandises des deux parties comprenaient le riz;

(d)               les deux parties vendent du riz, donc les voies commerciales empruntées par ces marchandises se chevaucheraient;

(e)                il y a un degré de ressemblance élevé entre les marques puisque le mot AMIRA est l’aspect le plus distinctif et unique des deux marques.

[13]           Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a appliqué le critère en matière de confusion, tel qu’il a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20 [Veuve Clicquot] : « la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé [...] alors qu’il n’a qu’un vague souvenir [...] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. » En accordant un poids précis au degré élevé de ressemblance entre les marques et le fait que les voies commerciales des marchandises (riz) des parties se chevauchaient, la Commission a conclu que la Marque de la demanderesse créerait de la confusion et, par conséquent, a accueilli ce motif d’opposition.

C.                 Motifs additionnels

[14]           La Commission a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer les arguments portant sur les alinéas 16(3)a) et 16(3)c) de la Loi ou sur le caractère distinctif puisque les motifs d’opposition de la défenderesse susmentionnés ont déjà été accueillis (emploi antérieur et confusion).

IV.             Questions en litige

[15]           Trois questions importantes ont été soulevées par la demanderesse dans le présent contrôle judiciaire :

1)             le nouvel élément de preuve et la norme de contrôle correspondante;

2)             la conclusion de la Commission relative à l’emploi antérieur;

3)             la conclusion de la Commission relative à la confusion.

A.                Première question en litige : norme de contrôle et nouvel élément de preuve

1.         Norme de contrôle

[16]           Dans des appels de décision de la Commission devant la Cour, les parties peuvent présenter des éléments de preuve en plus (paragraphe 56(5) de la Loi). Par conséquent, deux normes de contrôle peuvent s’appliquer. Lorsque la Commission a commis une erreur de droit ou lorsque de nouveaux éléments de preuves sont produits qui auraient influé sur la décision de la Commission, la norme de contrôle judiciaire est celle de la décision correcte; autrement, la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Wrangler Apparel Corporation c. Timberland Company, 2005 CF 722, au paragraphe 4 [Wrangler]; Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), 5 CPR 4th 180, à la page 196 [CAF]).

[17]           Par conséquent, si de nouveaux éléments de preuve sont présentés en appel à la Cour, elle « doit apprécier les éléments de preuve présentés [...] en vue d’établir si ceux-ci auraient pu avoir une incidence importante sur la décision [de la Commission] » (Servicemaster Company c. 385229 Ontario Ltd. [Masterclean Service Company], 2014 CF 440, au paragraphe 5). Pour déclencher un examen selon la norme de contrôle de la décision correcte, ces éléments de preuve doivent avoir une incidence : « [u]ne preuve qui ne fait que compléter ou confirmer des conclusions antérieures ou qui se rapporte à des faits postérieurs à la date pertinente ne suffit pas pour écarter la norme déférente de la décision raisonnable » (Hawke & Company Outfitters LLC c. Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, au paragraphe 31 [Hawke]).

[18]           La demanderesse a soumis deux nouveaux éléments de preuve : un nouvel affidavit d’Anita Daing, la directrice des finances de la demanderesse [affidavit de Mme Daing], et un affidavit de Pamela Christoforakis, une assistante judiciaire au cabinet d’avocats de l’avocat de la demanderesse [affidavit de Mme Christoforakis].

2.             Nouveaux éléments de preuve : affidavit de Mme Daing

[19]           L’affidavit de Mme Daing vise à invalider les conclusions tirées par la Commission selon lesquelles la Marque a été employée avant la demande d’enregistrement. Il indique que la Commission a mal compris la preuve présentée précédemment par Mme Daing concernant le premier emploi de la marque : ce qu’elle a voulu dire, c’est que seule la marque verbale AMIRA, non la marque figurative, a été employée au Canada avant 2009 :

[traduction] J’ai lu la décision rendue par Mme Folz, membre. Dans cette décision, elle exprime sa confusion à l’égard de mon élément de preuve sur le premier emploi de la marque de commerce, qui fait l’objet de la présente demande. Par souci de clarté, ce que je voulais dire et ce que je pensais avoir exprimé au paragraphe 5 de mon affidavit daté du 14 décembre 2009, c’est que la marque de commerce faisant l’objet de la demande est utilisée depuis janvier 2009 ou aux alentours de cette date. L’élément de preuve du contre-interrogatoire mentionné dans la décision visait à répondre à la question portant sur l’emploi du mot « Amira », non de la marque figurative faisant l’objet de la demande d’enregistrement de marque de commerce. Je pensais avoir énoncé clairement ce point (aux pages 69 et 70 du dossier de demande).

[20]           La demanderesse soutient que cet élément de preuve aurait eu une incidence importante sur la décision de la Commission puisqu’il clarifie les déclarations de Mme Daing et aurait mené à une conclusion différente sur la question du moment du premier emploi de la Marque.

[21]           La défenderesse réplique que l’affidavit de Mme Daing fait tout simplement double emploi avec les éléments de preuve déjà présentés et que ces éléments de preuve n’ont aucune importance probante : l’affidavit contient la simple affirmation susmentionnée, sans fournir de documents à l’appui, et ne précise pas ce qu’est « l’élément de preuve du contre-interrogatoire mentionné dans la décision ». La défenderesse souligne également que l’affidavit de Mme Daing ne traite pas les incohérences signalées par la Commission, à savoir « qu’il y a eu des ventes depuis 2005 en liaison avec la marque verbale et la marque figurative » (au paragraphe 17 de la décision).

[22]           Je suis d’accord avec l’affirmation de la défenderesse selon laquelle l’affidavit de Mme Daing n’aurait pas eu une incidence importante sur la décision. L’affidavit revient à l’assertion par la déposante que la Commission a commis une erreur relativement à son interprétation de son témoignage; une prétention qui nécessite d’autres éléments de preuve à l’appui. De plus, l’affidavit de Mme Daing ne traite pas de la conclusion de la Commission relativement aux ventes depuis 2005. Si ce « nouvel élément de preuve » avait été présenté à la Cour au moment de la décision, il n’aurait que renforcé l’incertitude causée par le témoignage de Mme Daing dans l’ensemble puisqu’il contredit les déclarations de Mme Daing lors du contre-interrogatoire.

3.                   Nouveaux éléments de preuve : affidavit de Mme Christoforakis

[23]           L’affidavit de Mme Christoforakis vise à présenter deux nouveaux éléments de preuve. Tout d’abord, Mme Christoforakis affirme qu’elle était [traduction] « frappée par l’observation de la Commission selon laquelle « Amira » n’est pas un nom courant » (à la page 23 du dossier de demande). En réponse, elle a effectué des recherches du mot « Amira » dans Google. Ces recherches géographiquement concentrées sur le Canada lui ont permis de conclure que [traduction] « diverses professionnelles et leur entreprise sont nommées « Amira » (à la page 24 du dossier de demande). Les résultats de la recherche effectuée par Mme Christoforakis sont joints à son affidavit.

[24]           Ensuite, Mme Christoforakis affirme, en ce qui concerne la conclusion de la Commission sur le témoignage de Mme Daing relativement à l’emploi antérieur, qu’elle [traduction] « est d’avis que la preuve démontre que le mot « Amira » a été employé avant la date de production de la demande, pas la marque de commerce faisant l’objet de la présente demande d’enregistrement » et que [traduction] « sa propre recherche indépendante ne révèle aucun emploi de la marque de commerce faisant l’objet de la demande d’enregistrement avant la date de production de cette demande » (à la page 24 du dossier de demande). Un imprimé sur « Amira (Nature Foods Ltd. », tiré de Yahoo Canada Finance – le produit de cette recherche – est aussi joint à son affidavit.

[25]           La défenderesse fait valoir que les recherches n’auraient pas pu avoir un effet important sur l’évaluation du caractère distinctif effectué par la Commission pour les raisons suivantes :

           la plupart des résultats ne démontrent pas que les personnes ou l’entité étaient présentes au Canada à la date de la décision (en l’espèce, le 28 mars 2013, soit la date pertinente qui s’applique à la non-enregistrabilité, en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi (arrêt Alticor Inc. c. Nutravite Pharmaceuticals Inc., 2005 CAF 269, au paragraphe 11);

           le cas échéant, les dates sont postérieures à la date de la décision;

           les résultats sont trop peu nombreux (17 résultats) pour mener à une différente conclusion que celle tirée par la Commission sur la question visant à déterminer si le Canadien moyen dirait que « AMIRA » est un mot inventé.

[26]           De plus, la défenderesse fait valoir que les convictions de la déposante ne sont pas importantes et que ses déclarations sur ce que Mme Daing avait l’intention de dire constituent du ouï-dire. Pour ce qui est de la [traduction] « recherche indépendante », l’affidavit ne décrit pas les méthodes de recherche utilisées, et il n’est pas indiqué clairement que la déposante a joint tous les résultats de sa recherche.

[27]           Une fois encore, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les éléments de preuve présentés dans l’affidavit de Mme Christoforakis n’auraient pas eu une incidence importante sur la décision de la Commission.

[28]           La Commission n’a jamais conclu qu’Amira était un [traduction] « mot inventé ». Elle a tout simplement conclu que, pour le Canadien moyen, selon toute vraisemblance ce mot serait interprété comme étant un mot inventé. Bien qu’il soit certainement possible que le Canadien moyen reconnaisse Amira comme étant un nom propre, l’élément de preuve relatif à 17 personnes au Canada – en supposant même que ces personnes étaient présentes au Canada à la date pertinente – constitue un échantillon trop limité pour tirer toute conclusion pertinente.

[29]           De plus, la recherche est postérieure à la décision. Une preuve postérieure à la décision ne peut pas être déterminante dans la décision de la Commission (voir Wrangler, au paragraphe 10, et Hawke, au paragraphe 31). Cela est particulièrement vrai en l’espèce, car il n’y a aucun moyen de déterminer si les personnes identifiées par la déposante étaient présentes au Canada à la date pertinente.

[30]           En bref, aucun des nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse n’aurait eu une incidence importante sur la décision. De plus, les arguments de la demanderesse relativement à l’appel se rapportent dans leur totalité à l’interprétation des faits de la Commission et à l’application de la loi à ces faits. La demanderesse n’a allégué aucune erreur de droit.

[31]           Par conséquent, la Cour doit examiner la décision selon la norme de la décision raisonnable. Dans un examen du caractère raisonnable « [l]a question est de savoir si la décision de la Commission est étayée par des motifs qui peuvent résister "à un examen assez poussé" et si elle n’est pas "manifestement erronée" » (Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 40, citant l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, aux paragraphes 56 et 60). Un examen du caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

B.                 Deuxième question en litige : emploi antérieur – alinéa 30e)

[32]           L’argument de la demanderesse à cet égard dépend largement des affidavits de Mme Daing et de Mme Christoforakis. La demanderesse soutient que la Commission a tiré une conclusion déraisonnable dans son interprétation des déclarations de Mme Daing. La demanderesse affirme que l’unique interprétation raisonnable des déclarations contradictoires dans le témoignage et l’affidavit initial de Mme Daing est qu’elle voulait dire que le mot « Amira » avait été utilisé au Canada avant 2009, pas la Marque (qui est composée du mot « Amira » et du dessin).

[33]           La défenderesse soutient que la décision était raisonnable puisque la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau ultime d’établir, à la lumière de l’opposition de la défenderesse, qu’elle respectait l’alinéa 30e), c’est-à-dire de démontrer que la Marque n’était pas employée avant la date de production de la demande. La défenderesse soutient en outre qu’aucun des nouveaux affidavits ne permet à la demanderesse de s’acquitter de ce fardeau.

[34]           Ayant déjà déterminé qu’aucun des affidavits n’aurait une incidence importante sur la décision de la Commission, la Cour n’accorde aucun poids considérable à cette analyse. Les deux affidavits font une simple affirmation voulant que l’interprétation qu’a faite la Commission des déclarations antérieures de Mme Daing soit incorrecte, sans fournir de preuve pour appuyer cette prétention. L’affidavit de Mme Christoforakis révèle effectivement que Mme Christoforakis a mené une [traduction] « recherche indépendante » n’ayant fourni aucune preuve de l’emploi la Marque avant la date de la demande. Cependant, aucun renseignement n’est fourni sur l’étendue de cette recherche et sur la méthode de recherche. Par conséquent, l’affidavit de Mme Daing et l’affidavit de Mme Christoforakis ne servent pas tant de preuve que de réitérations de la position actuelle de la demanderesse à l’égard des conclusions initiales de la Commission.

[35]           Les conclusions initiales, quant à elles, ne comportent pas d’erreur susceptible de révision. La tâche qui incombe à la Cour ne consiste pas à mener sa propre analyse des déclarations de Mme Daing. La Cour doit plutôt examiner s’il était loisible pour la Commission de conclure, en se fondant sur les témoignages contradictoires – les seuls éléments de preuve disponibles sur la question – que la demanderesse n’a pas pu prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la demande respectait l’alinéa 30e) de la Loi (Emploi antérieur). J’ai examiné les paragraphes 14 à 17 de la décision. Il est clair que la Commission a pris en considération les éléments de preuve disponibles, qu’elle a signalé les déclarations contradictoires dans le témoignage de Mme Daing et qu’elle a examiné les arguments de la demanderesse et de la défenderesse sur la question avant d’en arriver à une conclusion justifiable et, par conséquent, raisonnable.

C.                 Troisième question en litige : confusion – alinéa 12(1)d)

[36]           La demanderesse soutient que la Commission a commis diverses erreurs, y compris ce qui suit :

                             (i)            « Amira » est un mot inventé et, par conséquent, possède un caractère distinctif;

                           (ii)            la marque de commerce de la défenderesse possédait un caractère distinctif en ce qui concerne le riz ou a même été utilisée par la défenderesse en liaison avec du riz;

                         (iii)            il y a un degré de ressemblance élevé entre la Marque de la demanderesse et la marque de commerce de la défenderesse.

[37]           Comme l’a indiqué le juge Evans dans l’arrêt Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., (1999), 3 CPR (4th) 224, au paragraphe 34, en réexaminant des conclusions tirées par la Commission sur la question de confusion, la Cour doit respecter ses conclusions :

[A]près avoir évalué ces facteurs, que, malgré l’ajout dans la Loi sur les marques de commerce d’un droit d’appel non restreint et du droit de présenter des éléments de preuve additionnels, la cour d’appel doit faire preuve d’un degré considérable de retenue envers les conclusions de fait tirées par le registraire, à la condition du moins qu’aucun nouvel élément de preuve de poids n’ait été fourni relativement à une question de fait et qu’aucune erreur de droit n’ait été invoquée.

[D]espite the inclusion in the Trade-marks Act of an untrammelled right of appeal and the right to adduce additional evidence, a considerable degree of deference is called for on the part of the appellate Court when reviewing the Registrar’s finding of confusion, provided at least that no significant new evidence has been adduced on a factual issue and it is not alleged that an error of law has been committed.

 

i) Caractère distinctif inhérent du mot « Amira »

[38]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant erronément, en l’absence de preuve, que le mot « Amira » est un mot inventé : Amira est un mot arabe qui signifie « princesse ». Il s’agit aussi d’un nom courant d’entreprises et de personnes au Canada. Puisqu’il existe déjà une jurisprudence de la Commission concluant que des noms propres ne présentent pas un caractère distinctif inhérent (voir, par exemple, Laura Ashley, au paragraphe 26), et que les nouveaux éléments de preuve démontrent qu’Amira est un nom courant au Canada, la Commission a commis une erreur en concluant que la marque de commerce de la défenderesse possédait un caractère distinctif.

[39]           La Commission n’a cependant pas conclu que le mot « Amira » était un mot inventé. Elle a plutôt conclu que « le Canadien moyen considérerait le mot AMIRA comme un mot inventé » (la décision, au paragraphe 25). Cette conclusion est sur le fait que « rien ne permet de conclure que le Canadien moyen connaîtrait la signification arabe du mot AMIRA » (la décision, au paragraphe 24).

[40]           La demanderesse a présenté l’affidavit de Mme Christoforakis pour combler cette absence de preuve, mais, comme il a été mentionné plus haut, l’affidavit n’est pas suffisant pour justifier une conclusion suivant laquelle, selon la prépondérance des probabilités, le Canadien moyen reconnaîtrait que le mot Amira est un nom propre. L’affidavit n’a désigné que 17 personnes au Canada nommées Amira, ce qui est nettement insuffisant pour conclure raisonnablement que le Canadien moyen connaîtrait une personne portant ce nom.

[41]           Il était donc loisible à la Commission, d’après les éléments de preuve qui lui avaient été soumis, de tirer la conclusion qu’il serait probable que le Canadien moyen interprète Amira comme étant un mot inventé et que, par conséquent, la marque de commerce déposée de la défenderesse avait un caractère distinctif. Même dans le cas contraire, l’analyse effectuée en vertu du paragraphe 6(5) tient compte du caractère distinctif inhérent et du caractère distinctif acquis (c’est-à-dire « la mesure dans laquelle ils sont devenus connus »). La Commission a jugé qu’il était clair, d’après les éléments de preuve soumis, y compris la couverture médiatique, les chiffres des ventes et les factures, que la marque de commerce de la demanderesse « a obtenu un caractère distinctif en ce qui concerne l’exploitation d’une entreprise d’importation et d’exportation spécialisée dans des produits alimentaires et non alimentaires du Moyen-Orient, et en liaison avec divers autres produits alimentaires » (la décision, au paragraphe 33).

ii) Caractère distinctif et emploi en liaison avec le riz

[42]           Sur ce point, la demanderesse fait d’abord valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que la marque de commerce déposée de la défenderesse avait un caractère distinctif en liaison avec le riz. La demanderesse affirme que, au moins jusqu’en 2011, la défenderesse a réalisé des ventes et a fait de la publicité pour des produits de riz dont l’étiquette portait la mention de « Shivnath Rai Harnarain » [SRH], la source initiale de ce riz. La demanderesse soutient qu’une marque de commerce ne peut pas avoir de caractère distinctif si elle renvoie les consommateurs à diverses sources. Si une autre partie tire profit de l’achalandage associé à la marque, la marque n’a donc pas de caractère distinctif.

[43]           Il est important, par contre, que la conclusion tirée par la Commission à ce sujet soit comprise dans son contexte plus large. Plus précisément, la Commission a jugé que, même si la défenderesse vendait du riz basmati avec une étiquette SRH jusqu’en 2011 au moins, elle vendait aussi d’autres types de riz : « les éléments de preuve de [la défenderesse] montrent aussi l’emploi de la marque AMIRA en liaison avec d’autres produits de riz, dont le riz égyptien » (la décision, au paragraphe 33). La Commission a conclu que la marque de commerce de la défenderesse conservait tout de même un caractère distinctif en ce qui concerne les produits de riz, malgré les étiquettes SRH, puisque ces étiquettes sont seulement en liaison avec un des produits de riz vendus par la défenderesse.

[44]           J’estime qu’il était raisonnable pour la Commission d’examiner le contexte plus large plutôt que de simplement limiter son analyse aux produits de riz basmati : on ne peut pas s’attendre à ce qu’un consommateur pressé et n’ayant qu’un vague souvenir de la marque de commerce fasse la distinction entre les types de riz de deux marques de commerce susceptibles de porter à confusion (voir Veuve Clicquot, au paragraphe 20).

[45]           La demanderesse soutient également qu’aucune preuve n’a été présentée à la Commission pour déterminer que l’opposante employait la marque de commerce déposée au sens de la Loi :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4(1) A trade-mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[46]           Cependant, un élément de preuve a effectivement été soumis à la Commission concernant l’emploi, y compris « un échantillon de riz de [la défenderesse] vendu au Canada pendant plusieurs années sous la marque de commerce AMIRA » (la décision, au paragraphe 27). Il était donc raisonnable pour la Commission de conclure que cet élément de preuve ainsi que les autres pièces présentées par la défenderesse fournissaient suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à l’existence des faits allégués à l’appui du présent motif d’opposition (voir Laura Ashley, au paragraphe 20).

iii) Ressemblance entre les marques en question

[47]           Enfin, la demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il y avait un degré de ressemblance élevé entre la Marque et la marque de commerce déposée de la défenderesse, « Amira ». L’une des marques est une marque figurative, tandis que l’autre est une marque verbale. De plus, [traduction] « les idées évoquées par les deux marques de commerce sont très différentes ». La Marque de la demanderesse évoque [traduction] « un produit de haut de gamme et de qualité supérieure d’origine indienne », alors que la marque de commerce de l’opposante [traduction] « fait référence à une employée de la société Les Entreprises Amira », soit la sœur du propriétaire (à la page 1 364 du dossier de demande). Dans le même ordre d’idées, la demanderesse prétend que la Marque, contrairement à la marque de commerce de la défenderesse, est une marque à caractère très distinctif puisque c’est le dessin de la Marque qui est dominant et non le mot.

[48]           Compte tenu de la conclusion tirée par la Commission à l’égard du caractère distinctif du mot « Amira », il n’y a aucune erreur facilement identifiable dans l’analyse de la Commission pour ce motif. Le mot « Amira » est bien en vue pour les deux marques. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 64, pour déterminer le degré de ressemblance entre des marques, l’aspect « frappant ou unique » de toute marque doit être déterminant dans l’analyse. Étant donné que la Commission a conclu qu’il est plus probable que le mot Amira soit interprété comme étant un mot inventé, le mot lui-même serait l’aspect le plus frappant pour un consommateur; le degré de ressemblance serait alors élevé.

[49]           La jurisprudence établit clairement que, dans un examen du caractère raisonnable d’une analyse relative à la confusion menée par la Commission, la Cour doit faire preuve de beaucoup de retenue. Il n’y a aucune erreur identifiable dans les observations de la demanderesse au sujet de l’issue de la demande faisant valoir que la Cour devait annuler les conclusions de la Commission.

V.                Conclusion

[50]           Ni le nouvel élément de preuve de la demanderesse, qui n’aurait pas eu une incidence importante sur la décision ni ses arguments sur le caractère déraisonnable de la décision, ne m’ont convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en refusant l’enregistrement de la marque de la demanderesse. Par conséquent, le présent appel est rejeté, avec dépens en faveur de la défenderesse.

[51]           Les parties ont accepté de fournir une proposition conjointe sur les dépens fixes engendrés par l’examen de la présente décision. Elles ont 15 jours pour présenter ce montant à la Cour (c’est-à-dire, d’ici le 20 janvier 2016).


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1)      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2)      Les dépens proposés doivent être présentés d’ici le 20 janvier 2016.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-974-13

 

INTITULÉ :

AMIRA FOODS (INDIA) LIMITED c. LES ENTREPRISES AMIRA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Scott Hazard

 

Pour la demanderesse

 

John Cotter

Janet Chong

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hazzard & Hore

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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