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Date : 20150916


Dossier : T-156-15

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

NENA FELICILDA AMPO

défenderesse

JUGEMENT

APRÈS avoir entendu la présente demande à Toronto (Ontario), le mardi 1er septembre 2015;

APRÈS avoir entendu les avocats des parties et pris connaissance des documents déposés;

APRÈS avoir sursis au prononcé de la décision;


ET APRÈS avoir conclu au rejet de la demande pour les motifs suivants :

[1]               Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, conteste la décision par laquelle le Bureau de la Citoyenneté a accordé la citoyenneté à la défenderesse, Nena Felicilda Ampo.

[2]               Le ministre fait valoir que le juge de la Citoyenneté a commis une erreur en concluant que Mme Ampo a satisfait au critère relatif à l’établissement de sa résidence canadienne entre les dates de références, soit du 24 août 2006 au 24 août 2010.

[3]               Le dossier révèle des problèmes initiaux quant à la preuve de résidence. On a par conséquent demandé à Mme Ampo de produire ses passeports. Or, malgré cette demande formelle, Mme Ampo n’a pas produit l’un des passeports pertinents et deux pages étaient manquantes dans son passeport daté de 2003. En raison de ces irrégularités, on a exigé que Mme Ampo remplisse un questionnaire sur la résidence. Sa demande a ensuite été transmise au Bureau de la citoyenneté, car ces irrégularités préoccupaient CIC.

[4]               Le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a failli à sa tâche de dissiper les ambiguïtés relevées concernant la résidence. À l’appui de sa prétention, il a essentiellement fait valoir que le juge de la citoyenneté n’avait pas exigé la production des deux pages manquantes du passeport de Mme Ampo daté de 2003. Son argument repose sur l’absence de ces deux pages dans le dossier certifié du tribunal (DCT), absence qui permettrait d’inférer que Mme Ampo n’a jamais produit les pages manquantes. En effet, elles se seraient autrement retrouvées dans le DCT selon le ministre.

[5]               Le ministre cherche à tirer une inférence similaire en ce qui concerne la preuve additionnelle de résidence que le juge de la citoyenneté a demandée à l’audience. Mme Ampo a souscrit un affidavit attestant la remise au Bureau de la citoyenneté de ces documents supplémentaires au cours de la première semaine complète de janvier 2015, mais ils ne figurent pas non plus au DCT. Le ministre fait valoir que le Bureau de la citoyenneté a donc rendu sa décision sans avoir pu prendre connaissance de ces documents et après avoir lui-même constaté à l’audience la faiblesse de la preuve additionnelle de Mme Ampo concernant la résidence.

[6]               L’inférence que j’ai tirée à partir de la preuve n’est pas que Mme Ampo n’a pas produit devant le Bureau de la citoyenneté les passeports complets ou la documentation supplémentaire au sujet de sa résidence, mais plutôt que le Bureau de la citoyenneté n’a pas fait de copies de tout ce qui lui a été présenté.

[7]               Mme Ampo a souscrit un affidavit qui atteste la production de ses passeports originaux devant le Bureau de la citoyenneté (voir la page 2 du dossier de demande, au paragraphe 7). Le ministre a quant à lui choisi de ne pas contre-interroger Mme Ampo et, comme il n’était pas représenté à l’audience, il n’est pas en mesure de contester la preuve qui a été présentée. Il convient également de souligner la déclaration, dans la décision du Bureau de la citoyenneté, selon laquelle Mme Ampo [traduction] « a remis des copies complètes de tous les passeports valides pendant la période pertinente (voir les pièces jointes) et aucune incompatibilité avec les éléments déjà portés à la connaissance du Bureau n’a été constatée ».

[8]               Fait également important, Mme Ampo a clairement remis une copie de son passeport manquant à l’audience parce que le DCT contient une copie complète de ce document, ce qui corrobore d’une façon indépendante le témoignage de Mme Ampo selon lequel elle a apporté ses passeports à l’audience.

[9]               Compte tenu de cette preuve, je ne suis pas disposé à inférer que les deux pages manquantes du passeport de Mme Ampo daté de 2003 n’ont pas été produites devant le Bureau de la citoyenneté. Vu les apparentes pratiques administratives laxistes de ce bureau, il serait plus probable de conclure que le juge de la citoyenneté a examiné le passeport original de Mme Ampo et, ne constatant aucune irrégularité, le lui a remis sans faire de copies des pages manquantes. Cette hypothèse dans une certaine mesure également étayée par le fait que Mme Ampo a produit devant moi les deux pages manquantes du passeport. Elles ne contiennent aucune annotation importante et Mme Ampo n’aurait eu aucune raison de ne pas les présenter au Bureau. Je tiens compte de ces éléments de preuve non pas pour compléter le dossier dont disposait le Bureau de la citoyenneté, mais pour clarifier ce qui s’est probablement passé à l’audience.

[10]           La préoccupation du ministre au sujet de l’absence de toute autre documentation concernant la résidence dans le DCT est de la même façon injustifiée. La décision contestée confirme que le Bureau a demandé à l’audience une corroboration additionnelle de l’emploi de Mme Ampo et des ententes de locations qu’elle a conclues. Dans son affidavit, Mme Ampo déclare qu’elle a remis ces documents au Bureau au cours de la première semaine entière de janvier 2015, et la décision a été rendue le 6 janvier 2015. Ce qui s’est vraisemblablement passé, selon moi, c’est que le Bureau a préparé un projet de décision avant de recevoir ces documents et, satisfait de ce qu’il a vu, il a rendu sa décision  ̶  encore une fois, en omettant de verser une copie des documents dans le DCT.

[11]           Il ne fait aucun doute que les pratiques administratives du Bureau dans la présente affaire laissaient à désirer. Le Bureau de la citoyenneté devrait toujours obtenir une copie de tous les documents qu’il a examinés et les verser au dossier. Dans le cas où on ne peut tirer des inférences logiques des motifs et du dossier, l’omission de produire un dossier de preuve complet peut justifier l’infirmation de la décision. Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce.

[12]           Le ministre attaque aussi l’analyse du Bureau de la citoyenneté concernant la preuve relative à la résidence présumée de Mme Ampo  ̶  communément appelée le critère Re Koo : voir Koo (Re), [1993] 1 CF 286, 1992 CanLII 2417 (CF). L’un des sujets de préoccupation du ministre découle de l’omission du Bureau de clarifier s’il manquait deux ou neuf jours à Mme Ampo pour qu’elle satisfasse à l’exigence relative à la présence effective. Je suis d’accord pour dire que, dans sa décision, le Bureau semble oublier l’admission faite à l’audience par Mme Ampo selon laquelle elle avait passé une semaine de plus aux États‑Unis, mais je ne suis pas d’accord pour dire que cette erreur aurait mené à une issue différente. Dans les deux cas, il ne manquait à Mme Ampo que quelques jours pour satisfaire à l’exigence, et la différence est sans importance pour l’application du critère Re Koo concernant la résidence.

[13]           Comme l’avocat du ministre, j’estime que l’analyse du Bureau de la citoyenneté concernant les facteurs Re Koo est très sommaire et quelque peu difficile à suivre. À titre d’exemple, le Bureau semble se contredire sur la question de savoir où résident les membres de la famille de Mme Ampo. Cette erreur découle évidemment de lacunes du Bureau en matière de relecture. En effet, le Bureau a omis d’effacer dans sa décision un passage tiré d’une autre décision qui se rapporte à un autre demandeur (un homme). Ce type d’erreur arrive à l’occasion et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

[14]           L’autre sujet de préoccupation du ministre découle du manque de clarté de la part du Bureau en ce qui concerne l’application des facteurs Re Koo. Les passages en cause sont les suivants :

[traduction]

La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté? Oui.

Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant? Elle n’est pas mariée, ses parents sont décédés et les seuls parents qui lui restent sont des frères et sœurs âgés qui vivent aux Philippines.

La forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite? Oui.

Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)? Oui.

L’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)? Il ne lui manque que deux jours pour atteindre les 1095 jours exigés et, s’il lui manque ces jours, c’est parce qu’elle a tardé deux ans, après avoir obtenu le droit d’établissement, avant de présenter sa demande.

Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays? Oui. Toute sa vie sociale et professionnelle est au Canada et elle n’a pas de liens plus forts à l’étranger que ceux qu’elle a ici.

[15]           Ce raisonnement n’est en effet pas un modèle de clarté ou de précision. Il peut être difficile de comprendre à quel élément de la question on répond lorsque la réponse est limitée à un « oui ». Toutefois, il ressort de l’ensemble des motifs que le juge de la citoyenneté a accepté la preuve présentée par Mme Ampo au sujet de la qualité de ses attaches au Canada.

[16]           À mon avis, nous sommes en présence du type même de décision dont le juge Denis Gascon a récemment discuté et qu’il a confirmée dans Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Suleiman, 2015 CF 891, 2015 CarswellNat 3291. Dans cette affaire, la Cour a fait observer qu’une décision sera confirmée si la cour de révision « peut établir les liens et les distinctions qui s’imposent dans la décision du juge de la citoyenneté ». Les observations du juge Gascon concernant l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable sont également pertinentes en l’espèce :

[34]      La Cour comprend le désir du ministre de recevoir des motifs plus détaillés ou plus complets de la part d’un juge de la citoyenneté, puisque le processus établi par la Loi sur la citoyenneté exige d’un agent de la citoyenneté qu’il renvoie une affaire devant un juge de la citoyenneté lorsqu’il a des préoccupations et n’est pas convaincu que les obligations de résidence sont satisfaites. Toutefois, le critère que doit appliquer la Cour ne consiste pas à savoir si la décision satisfait aux attentes du ministre; le critère vise le caractère raisonnable de la décision. Les conclusions tirées par le juge de la citoyenneté répondent toutes au critère du caractère raisonnable. Dans les cas où il aurait pu y avoir certaines divergences, celles‑ci étaient sans importance ou pouvaient être conciliées de façon raisonnable dans la décision.

[17]           Je suis d’avis que les motifs du juge de la citoyenneté sont suffisamment solides pour satisfaire à la norme susmentionnée. La demande du ministre est par conséquent rejetée.

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

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