Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160104


Dossier : IMM-3971-13

Référence : 2016 CF 3

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

SZABINA SVECZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse est une citoyenne de la Hongrie. Elle a quitté ce pays en 2008 après avoir été accusée de fraude en vertu du code criminel de la Hongrie (le code hongrois). Elle a été reconnue coupable de cette infraction par contumace en mai 2009. Sa déclaration de culpabilité a été confirmée en appel en avril 2010.

[2]  Le 29 novembre 2012, la demanderesse s’est rendue au Canada pour faire une demande d’asile, mais a été déclarée interdite de territoire au Canada pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C., 2001, ch. 27) (la Loi). Cette disposition précise qu’un étranger est interdit de territoire aux motifs qu’il a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[3]  Cette déclaration d’interdiction de territoire a été confirmée le 27 mai 2013 par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) dans le cadre d’une audience pour renvoi tenue en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. La demanderesse conteste cette décision dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Elle a depuis été renvoyée du Canada.

II.  Résumé des faits

[4]  La condamnation de la demanderesse en Hongrie est liée aux activités de Vertical Invest Real Estate (Vertical Invest), une société fondée en janvier 2003 par la demanderesse, son conjoint de fait, Zoltan Klivinyi, et d’autres personnes. L’objectif principal de Vertical Invest était de solliciter des fonds auprès d’investisseurs dans le but de faire des placements immobiliers, comme la construction d’hôtels et de centres de villégiature. La demanderesse occupait le poste de directrice générale de Vertical Invest, titre qui, selon ses allégations, était purement symbolique. En sa qualité de directrice générale, elle a été appelée à signer un certain nombre de transactions immobilières.

[5]  Depuis la constitution de Vertical Invest en société, environ 7,5 millions de dollars canadiens ont été investis dans l’entreprise. Toutefois, en août 2003, à la suite d’une couverture médiatique défavorable, des investisseurs inquiets de leurs placements ont demandé à récupérer l’argent investi, sans grand succès. Lorsque les investisseurs ont découvert qu’ils avaient été floués, la société a été rapidement démantelée.

[6]  Des poursuites criminelles ont été rapidement engagées contre la demanderesse et les autres personnes impliquées dans l’affaire. Le 25 mai 2009, un tribunal a déclaré que la demanderesse et les autres personnes impliquées, dont son conjoint de fait, M. Klivinyi, avaient trompé les investisseurs en leur promettant des profits très élevés sur des placements à court terme fondés sur un projet impossible à réaliser. Par conséquent, la demanderesse a été reconnue coupable de fraude en vertu du paragraphe 318(1) du code hongrois et a été condamnée à une peine d’emprisonnement de quatre ans et six mois. La Cour d’appel de Budapest a maintenu la condamnation dans une décision définitive et exécutoire rendue le 15 avril 2010.

[7]  À la suite de ces condamnations, un mandat d’arrestation international a été émis à l’endroit de la demanderesse et de M. Klivinyi, qui est arrivé au Canada quelques jours avant la demanderesse et a fait l’objet de la même interdiction de territoire découlant des mêmes circonstances.

[8]  La demanderesse n’a pas nié le fait qu’elle a été condamnée pour fraude en Hongrie. Toutefois, elle a fait valoir devant la Commission que l’alinéa 36(1)b) de la Loi ne s’applique pas dans son cas puisque l’infraction de fraude en Hongrie n’est pas équivalente à l’infraction de fraude au Canada en application de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (le Code criminel). Elle a également soutenu qu’elle ne devrait pas être interdite de territoire au motif que les accusations qui pesaient contre elles étaient motivées par des considérations politiques et qu’elle a été victime d’un système de justice criminelle corrompu soumis à une influence politique.

[9]  En ce qui concerne l’équivalence, la Commission a comparé le libellé du paragraphe 318(1) du code hongrois et l’alinéa 380(1)a) du Code criminel et a déterminé que l’infraction de fraude en Hongrie est équivalente à l’infraction de fraude au Canada en ce sens que les principaux éléments des deux infractions sont similaires et que les deux font appel à la supercherie comme moyen de déposséder une personne de son argent au détriment des intérêts économiques de cette personne. Après avoir déterminé qu’en commettant une fraude d’un montant supérieur à 5 000 $, la demanderesse, si elle était reconnue coupable au Canada, serait passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans, conformément à l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, la Commission a conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la Loi.

[10]  La Commission a également rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle les procédures intentées à son endroit en Hongrie étaient motivées par des considérations politiques, que le système de justice criminelle en Hongrie est corrompu et terni par l’ingérence politique et que le tribunal s’est livré à certaines pratiques illégales. Ces conclusions ne sont pas contestées dans la présente procédure.

[11]  La demanderesse allègue que la décision de la Commission concernant l’équivalence comporte deux lacunes. Premièrement, la demanderesse allègue que la Commission n’a pas établi l’actus reus et la mens rea exigés pour satisfaire les exigences liées à l’infraction de fraude formulées dans le Code criminel. La demanderesse soutient que les éléments d’actus reus pour les deux infractions ne sont pas équivalents puisque selon l’infraction au Canada, la personne doit être déclarée coupable d’avoir commis un acte mettant en cause la « supercherie, [le] mensonge ou [un] autre moyen dolosif », alors que la loi hongroise indique qu’une personne doit avoir [traduction] « induit [une personne] en erreur ou lui avoir caché des renseignements. » La demanderesse soutient également qu’elle n’a jamais formé « l’intention initiale requise » pour « induire en erreur » puisque les éléments de preuve n’indiquent pas que la demanderesse a posé un geste malhonnête en signant les documents de transaction immobilière

[12]  À cet égard, la demanderesse fait valoir que conformément au témoignage de son avocat en Hongrie, Me Andras Gal, le paragraphe 318(1) du code hongrois n’exige pas d’établir l’actus reus criminel réel de l’accusé puisque pour que la personne soit accusée en vertu de cette disposition du code hongrois, il suffit : (i) qu’elle occupe un poste au sein de la société, et (ii) qu’elle ait connaissance de ce qui s’y passe. Selon Me Gal, l’infraction de fraude n’exige pas de participation à un acte frauduleux en vertu de la loi hongroise, ce qui diffère fondamentalement des exigences en vertu du Code criminel.

[13]  La demanderesse fait également savoir que la mens rea n’a pas non plus été établie puisqu’elle n’était pas subjectivement consciente d’une malhonnêteté objective était donné qu’elle n’a pas assisté aux réunions du conseil d’administration objective, n’avait aucun désir de diriger la société et n’a pas participé aux plans d’expansion des affaires ni aux activités quotidiennes de Vertical Invest. En d’autres termes, elle affirme que, dans les mêmes circonstances, elle ne serait pas reconnue coupable de fraude au Canada.

[14]  Deuxièmement, la demanderesse soutient qu’après avoir accepté que les éléments de preuve présentés par Me Gal au cours de l’audience sur l’interdiction de territoire de M. Klivinyi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi soient admis en preuve, la Commission a enfreint les principes de justice naturelle en refusant d’ajourner l’audience pour permettre à M. Klivinyi de témoigner au nom de la demanderesse après que l’on eut découvert qu’une demi-journée du témoignage de M. Gal avait été perdue et n’était pas disponible.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[15]  En l’espèce, il faut répondre aux questions en litige suivantes :

  1. Si la Commission a commis une erreur susceptible de révision conformément à ce que prévoit le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, en concluant que l’infraction de fraude en Hongrie est équivalente à l’infraction de fraude au Canada; et
  2. Si la Commission a enfreint les règles d’équité procédurale de ne pas accorder un ajournement pour permettre à M. Klivinyi de témoigner au nom de la demanderesse.

[16]  Il est bien établi que les conclusions sur l’équivalence font intervenir des questions de fait et de droit et, par conséquent, commandent la déférence de la Cour. Ainsi, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable (Abid c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 164, au paragraphe 11, 384 FTR 74; Sayer c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 144, au paragraphe 4; Edmond c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 20 CF 674, au paragraphe 7 [Edmond]).

[17]  Dans le cas des allégations de manquement à l’équité procédurale, la norme de révision est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]).

IV.  Analyse

A.  La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[18]  Selon l’alinéa 36(1)b) de la Loi, un ressortissant étranger est interdit de territoire pour grande criminalité si, entre autres, « il a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » (« having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under any Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years »).

[19]  Pour qu’une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada entraîne l’application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi, l’infraction commise à l’étranger doit être « équivalente » à l’infraction au Canada mentionnée en l’espèce. En d’autres termes, les deux infractions doivent présenter suffisamment de critères ou d’éléments similaires pour établir que le comportement à l’étranger relève de l’infraction au Canada (Brannson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 2 CF 141, aux paragraphes 4 et 38, 34 NR 411; Tomchin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 231, au paragraphe 10).

[20]  Dans Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1987] 3 ACWS (3d) 20, 73 NR 315 [Hill], la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 16, que l’équivalence est déterminée en utilisant l’une des trois méthodes suivantes :

  1. En comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives.
  2. Par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales.
  3. Au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarche.

[21]  La Cour d’appel fédéral a également conclu, dans la décision Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 1 CF 235, 119 FTR 130 [Li], au paragraphe 25, que « [l]a Loi ne prévoit pas une nouvelle audition de la cause avec application des règles de preuve canadiennes. Elle ne prévoit pas non plus l’examen de la validité du verdict de culpabilité prononcé dans le pays étranger ».

[22]  Dans la présente affaire, la Commission, en se servant de la première méthode décrite dans Hill, a examiné le libellé de l’infraction commise en Hongrie et l’a comparé au paragraphe 380(1) du Code criminel. Pour ce faire, la Commission a utilisé deux traductions différentes du paragraphe 318(1) du code hongrois. Les deux versions sont ainsi rédigées :

i. « La fraude désigne une situation où la personne a recours à la supercherie, à la tromperie ou à la ruse pour obtenir un gain financier illégal et, de ce fait, causer un préjudice;

ii. Commet une fraude toute personne qui induit une personne en erreur ou lui cache des renseignements et cause des dommages dans le but de faire illégalement des profits.

[23]  La Commission était convaincue que l’expression « induire une personne en erreur » avait la même signification que « tromper quelqu’un » et que, de ce fait, les deux traductions exprimaient les mêmes idées essentielles. La Commission a également cité les éléments de preuve de Me Gal, qui affirmait que pour que la demanderesse soit reconnue coupable de fraude en vertu du paragraphe 318(1) du code hongrois, il suffisait qu’elle occupe le poste de directrice générale au sein de l’entreprise et qu’elle ait connaissance de ce qui s’y passait.

[24]  La Commission s’est ensuite penchée sur l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, qui prévoit ce qui suit :

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

380. (1) Every one who, by deceit, falsehood or other fraudulent means, whether or not it is a false pretence within the meaning of this Act, defrauds the public or any person, whether ascertained or not, of any property, money or valuable security or any service,

a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;

(a) is guilty of an indictable offence and liable to a term of imprisonment not exceeding fourteen years, where the subject-matter of the offence is a testamentary instrument or the value of the subject-matter of the offence exceeds five thousand dollars; or

[…]

[…]

[25]  La Commission a déterminé qu’en vertu du droit canadien, frauder signifie recourir à l’escroquerie afin de priver autrui de quelque chose dont il aurait pu autrement disposer. De même, on établit la privation si l’on prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard. Comme nous l’avons indiqué précédemment, la Commission a conclu, dans les termes suivants, que la condamnation de la demanderesse pour fraude en Hongrie était équivalente à une fraude au sens de l’alinéa 380(1)a) du Code :

Tant la loi hongroise que la loi canadienne concernant la fraude ainsi que les gestes attribués à Mme Svecz dans les procédures criminelles font appel à la supercherie comme moyen de déposséder une personne de son argent au détriment des intérêts économiques de cette personne. La Cour hongroise a conclu que par la supercherie, les investisseurs ont été dépossédés de leur argent par des fausses promesses de rendements très élevés sur leurs placements immobiliers. La déclaration de culpabilité a également été confirmée en appel.

[26]  La demanderesse soutient qu’en vertu de la loi canadienne, les gestes qui lui sont attribués dans les procédures criminelles ne donneraient pas lieu à une condamnation en vertu de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, puisque ni l’actus reus ni la mens rea n’ont été établis.

[27]  Je ne suis pas d’accord.

(1)  Actus Reus

[28]  Dans la décision R c Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, la Cour suprême du Canada a expliqué, dans une décision majoritaire, l’infraction de fraude au paragraphe 380(1) du Code criminel. Elle décrit l’élément d’actus reus dans les termes suivants :

[13] […] Au sujet de l’actus reus de cette infraction, le juge Dickson (tel était alors son titre) a énoncé les principes suivants dans l’arrêt Olan :

(i) l’infraction compte deux éléments : l’acte malhonnête et une privation;

(ii) l’acte malhonnête est établi par la preuve d’une supercherie, d’un mensonge ou d’un « autre moyen dolosif »;

(iii) l’élément de privation est établi si l’on prouve qu’en raison de l’acte malhonnête, les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard.

[29]  Par conséquent, il était loisible à la Commission de déterminer, en se fondant sur l’arrêt Théroux, qu’en vertu du droit canadien, frauder signifie « priver autrui de quelque chose dont il aurait pu autrement disposer » et que l’on établit la privation si l’on « prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard ».

[30]  Dans l’analyse de l’élément d’actus reus de l’infraction, la Commission a défini l’acte de fraude en Hongrie comme une supercherie ou une duperie visant à déposséder une personne de son argent au détriment des intérêts économiques de cette personne. J’accepte cette définition et le fait que les éléments d’actus reus de l’infraction de fraude au Canada et en Hongrie semblent être équivalents. Selon moi, cette décision appartient sans contredit « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

[31]  Pourtant, Me Gal indique, dans son témoignage, que la demanderesse n’avait pas à prendre part à des activités frauduleuses pour être condamnée pour fraude en Hongrie. La demanderesse soutient que, selon le témoignage de Me Gal, pour être condamnée en Hongrie, elle n’avait pas à commettre l’actus reus, comme le prévoit l’infraction au Canada, puisque le fait d’être directrice d’une société et d’être au courant des activités de cette société était suffisant pour être reconnue coupable.

[32]  Puisque, selon la décision Li, précitée, le critère d’équivalence ne comporte pas de comparaison des règles de preuve des deux territoires de compétence, je ne peux être d’accord avec les arguments de la demanderesse, à savoir que l’infraction est différente au Canada du fait qu’elle s’est limitée à signer des transferts et des achats de propriétés au nom de la société, ce qui, en soi, ne constitue pas un geste frauduleux. Le rôle de la Commission consiste à déterminer si les infractions de fraude sont équivalentes et non si l’acte qui consiste à signer des transferts de propriété constitue un geste frauduleux au Canada, puisque procéder ainsi reviendrait à instruire de nouveau la condamnation de la demanderesse selon les normes canadiennes en matière de preuve.

[33]  En outre, les éléments de preuve fournis par Me Gal à cet égard sont contradictoires. À un certain moment, Me Gal a défini la fraude en Hongrie comme « l’obtention illégale de biens par de fausses représentations », avant d’affirmer plus tard, dans son témoignage, que la demanderesse a été condamnée pour fraude sans avoir commis de gestes frauduleux puisque le fait d’être directrice générale de la société et d’avoir connaissance de ce qui s’y passait était suffisant pour la faire condamner. Par conséquent, je ne peux être d’accord avec la position de la demanderesse selon laquelle Me Gal a déclaré que la supercherie n’est pas un élément de l’infraction de fraude en Hongrie puisqu’il n’est pas clair, à la lumière du témoignage de Me Gal, si la demanderesse devait induire quelqu’un en erreur pour être reconnue coupable de fraude en Hongrie.

[34]  Dans ces circonstances, je ne vois aucune raison d’intervenir relativement aux conclusions de la Commission concernant l’équivalence et l’actus reus de l’infraction de fraude au Canada et en Hongrie.

(2)  Mens Rea

[35]  Dans l’arrêt Théroux, précité, la majorité a décrit le composant mens rea de l’infraction de fraude comme suit :

[21] […] La mens rea serait alors la conscience subjective que l’on commettait un acte prohibé (la supercherie, le mensonge ou un autre acte malhonnête) qui pouvait causer une privation au sens de priver autrui d’un bien ou de mettre ce bien en péril. Une fois cela démontré, le crime est complet. Le fait que l’accusé ait pu espérer qu’il n’y aurait aucune privation ou qu’il ait pu croire qu’il ne faisait rien de mal ne constitue pas un moyen de défense. [...] [I]l convient de se demander, lorsqu’on détermine la mens rea de la fraude, si l’accusé a intentionnellement accompli les actes prohibés (supercherie, mensonge ou un autre acte malhonnête) tout en connaissant ou en souhaitant les conséquences visées par l’infraction (soit la privation, y compris le risque de privation).

[36]  La Commission discute du composant subjectif de fraude aux termes du code hongrois aux paragraphes 17 et 18 de ses motifs et reproduit un extrait du témoignage de Me Gal, qui a affirmé que pour que la demanderesse soit reconnue coupable de fraude aux termes des lois hongroises, il n’était pas nécessaire qu’elle prenne part à des actes frauduleux, mais qu’il suffisait, comme nous l’avons indiqué précédemment, « qu’elle occupe le poste de directrice générale au sein de l’entreprise et qu’elle ait connaissance de ce qui s’y passait ». Le Tribunal a conclu ce qui suit : [traduction]

À la lumière des conclusions de fait au procès, dont certaines portent sur la participation de Mme Svecz aux activités de Vertical Invest, et à la lumière du témoignage de Me Gal, qui allègue que pour être reconnu coupable de fraude en Hongrie, il suffit d’être au courant de ce qui se passe, je ne suis pas convaincu par l’allégation de Mme Svec selon laquelle elle n’était pas subjectivement consciente des activités frauduleuses de Vertical Invest. Bien qu’il soit possible qu’elle n’ait pas été au fait de toutes les activités qui ont éventuellement mené à des accusations criminelles, elle participait tout de même directement à l’achat de biens immobiliers qui étaient eux-mêmes liés aux accusations de fraude.

[37]  À mon avis, la Commission a évalué correctement les « ingrédients essentiels » des infractions puisqu’elle devait déterminer si le fait d’avoir « connaissance de ce qui se passait au sein de la société » était équivalent à l’élément de mens rea de l’infraction de fraude au Canada, à savoir « la conscience subjective que l’on commettait un acte prohibé (la supercherie, le mensonge ou un autre acte malhonnête) qui pouvait causer une privation au sens de priver autrui d’un bien ou de mettre ce bien en péril ».

[38]  Je suis d’accord avec le défendeur que l’argument de la demanderesse, selon lequel le fait d’induire en erreur exige d’établir l’actus reus et non la mens rea, n’est pas fondé. À cet égard, la preuve déposée par Me Gal visait à démontrer que dans le cadre des infractions commises en Hongrie, la personne devait être consciente de ce qui se passait au sein de la société. Par conséquent, la Commission pouvait raisonnablement conclure que le fait d’induire quelqu’un en erreur exigeait la mens rea en plus de l’actus reus.

[39]  Je suis également d’accord avec le défendeur que l’argument de la demanderesse, selon lequel elle ne doit pas être punie pour les activités frauduleuses des autres dirigeants de Vertical Invest, puisqu’elle n’a pas elle-même commis des gestes répréhensibles, équivaut à une requête pour réexaminer la preuve déposée devant les tribunaux hongrois en vertu de la loi canadienne et que cet argument doit donc être rejeté. Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’alinéa 36(1)b) de la Loi ne prévoit pas une nouvelle audition de la cause avec application des règles de preuve canadiennes, et ne prévoit pas non plus l’examen de la validité du verdict de culpabilité prononcé dans le pays étranger (Li, précitée, au paragraphe 25).

[40]  Dans l’arrêt Théroux, précité, au paragraphe 22, la majorité a soutenu que la personne n’était pas épargnée de la condamnation sous prétexte « qu’[elle] ait pu croire qu’[elle] ne faisait rien de mal », la question étant de déterminer si l’accusé « était subjectivement conscient que certaines conséquences résulteraient de ses actes, et non pas s’il croyait que ses actes ou leurs conséquences étaient moraux ».

[41]  La Commission a raisonnablement conclu que l’infraction commise en Hongrie, tout comme celle commise au Canada, exige une évaluation de la conscience subjective de l’accomplissement d’un geste illégal. La Commission n’avait pas à déterminer s’il était loisible pour les tribunaux hongrois, en se fondant sur les éléments de preuve qui leur ont été présentés, de conclure que la demanderesse était subjectivement consciente que certaines conséquences résulteraient de ses actes. Une fois de plus, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la Commission concernant l’équivalence et la mens rea.

B.  Le Commission a-t-elle contrevenu au principe de justice naturelle?

[42]  À mon avis, il n’y a pas eu manquement aux principes de justice naturelle.

[43]  Dans Chelaru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1535, le juge Mandamin a conclu « qu’un décideur a le droit de restreindre les témoignages répétitifs » et a déterminé que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas enfreint les principes de justice naturelle en n’autorisant pas un élément de preuve qui « n’est d’aucune utilité en l’espèce » (au paragraphe 29).

[44]  En l’espèce, la Commission n’a autorisé que la transcription du témoignage présenté par Me Gal lors de l’audience de Mme Klivinyi comme élément de preuve puisque la demanderesse n’a pas assuré la disponibilité de Me Gal aux fins du contre-interrogatoire par l’avocat du ministre. La transcription a donc été admise à l’avantage de l’avocat du ministre. Après avoir admis la transcription comme élément de preuve, la Commission a informé les parties que si aucune ne soumettait d’autres éléments de preuve, elle présumerait que les parties étaient prêtes à présenter leurs plaidoiries lors de l’audience suivante. Lors de cette audience, la demanderesse a demandé que M. Klivinyi puisse témoigner à la lumière des parties manquantes du témoignage de Me Gal, puisque la demanderesse s’exprimait en termes généraux et ne comprenait pas son propre dossier.

[45]  À mon avis, il était tout à fait loisible à la Commission de déterminer que le témoignage de M. Klivinyi n’était pas pertinent au cas de la demanderesse, compte tenu du fait que celle-ci avait déjà témoigné (rendant ainsi le témoignage de M. Klivinyi répétitif) et que le témoignage de M. Klivinyi n’était d’aucune utilité en l’espèce pour trancher la question principale de savoir si les deux infractions criminelles étaient équivalentes. M. Klivinyi n’est pas un expert des lois de la Hongrie. En outre, le dépôt de la transcription comme élément de preuve était à l’avantage de l’avocat du ministre et n’avait pas pour but d’éclairer le cas de la demanderesse. Au vu de ce qui précède, j’estime qu’il relevait du pouvoir discrétionnaire de la Commission de ne pas ajourner l’audience pour permettre à M. Klivinyi de témoigner pour assurer l’efficacité de la procédure.

[46]  Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3971-13

INTITULÉ :

SZABINA SVECZ c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juillet 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 4 janvier 2016

COMPARUTIONS :

M. Peter Waldman

Pour la demanderesse

Mme Sophia Karantonis

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter I. Waldman

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.