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Date : 20160104


Dossier : IMM-2051-15

Référence : 2016 CF 1

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

RAISA PIDHORNA

MYKOLA PIDGORNYI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, Mykola Pidgornyi et Raisa Pidhorna, mari et femme, viennent d’Ukraine. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 8 avril 2015, confirmant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté leurs demandes d’asile fondées sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas établi qu’ils craignent avec raison d’être persécutés, et que Kiev leur offre par ailleurs une possibilité de refuge intérieur [PRI] qui est viable. La conclusion de la SAR quant à l’existence, à Kiev, d’une possibilité de refuge intérieur est raisonnable, et en l’espèce déterminante. Cela étant, la demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs exposés ci‑après.

I.                   Le contexte de l’affaire

[3]               Mme Pidhorna a raconté qu’en Ukraine, du fait de ses origines roms, elle a souffert de discrimination et de harcèlement, précisant que sa vie s’est quelque peu améliorée lorsqu’elle a épousé son mari. Elle a insisté sur deux incidents précis : dans l’exercice de son activité de couturière, elle a été, en 1995, l’objet de discrimination et d’extorsion de la part de la police en raison de « l’impôt sur les Roms », et a souffert d’attentats commis par des milices pro‑russes contre les habitations des Roms, y compris en 2014 lorsque son domicile a été attaqué et pillé.

[4]               Selon les demandeurs, leurs conditions d’existence se sont dégradées en 2013/2014 en raison du conflit en Ukraine, car ils vivaient près des territoires contrôlés par les séparatistes pro‑russes. Ils ont raconté comment ils ont hébergé chez eux des réfugiés, mais sont peu après allés vivre à Novoukrainka dans la famille de M. Pidgornyi. Ils sont arrivés au Canada en août 2014, leur fille leur ayant acheté les billets d’avion et leur santé leur permettant d’effectuer le voyage.

[5]               Mme Pidhorna reconnaît qu’elle ne parle pas le romani, ne suit pas les coutumes roms, qu’elle n’a pas les traits d’une Rom et ne serait probablement pas prise pour une Rom.

II.                La décision de la SPR

[6]               Selon la SPR, Mme Pidhorna n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’elle est d’origine rom ou qu’elle passe pour une Rom, et ses allégations de persécution n’ont rien à voir avec ses origines ethniques. On ne relève donc aucun lien avec un des motifs prévus dans la Convention.

[7]               Selon la SPR, les documents produits par la demanderesse ne démontrent pas ses origines roms; elle ne parle pas le romani, et les documents médicaux et policiers corroborant l’agression dont elle avait fait l’objet ne mentionnent pas ses origines roms; elle estime elle‑même qu’on ne la prendrait pas pour une Rom; et si son mari affirme que sa peau basanée la ferait remarquer, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle passerait pour une Rom.

[8]               La SPR a reconnu que les demandeurs ont hébergé de leurs concitoyens, et que pendant le conflit civil en Ukraine leur habitation a été pillée. Selon la SPR, le risque auquel étaient exposés les demandeurs était le même que celui que couraient de manière générale les autres habitants l’Ukraine, les demandeurs n’étant pas traités par ces groupes autrement que ne l’ont été d’autres personnes qui ne sont pas Roms.

[9]               La SPR a, subsidiairement, estimé que les demandeurs disposent à Kiev d’une possibilité de refuge intérieur. La SPR a précisé leur avoir fait savoir qu’elle entendait prendre en compte cette possibilité de refuge intérieur. Elle a tenu compte du témoignage des demandeurs qui affirment ne pas pouvoir vivre à Kiev, mais a jugé qu’ils n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’à Kiev ils seraient pris pour cible, estimant qu’ils n’y seraient pas exposés à des menaces à leur vie, ou au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités. Selon la SPR, compte tenu des circonstances, les demandeurs pourraient raisonnablement aller vivre à Kiev, les difficultés de déménagement dont ils ont fait état étant le propre d’un déménagement.

III.             La décision de la SAR

[10]           Invoquant le jugement Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 FCR 811, la SAR a indiqué qu’elle entendait effectuer sa propre évaluation des éléments de preuve pour décider si les demandeurs sont bien des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger, alors même qu’elle accepte et respecte les conclusions auxquelles la SPR est parvenue sur les questions touchant la crédibilité des demandeurs, sujet à l’égard duquel la SPR jouit d’un avantage particulier.

[11]           La SAR a fondé son analyse sur l’hypothèse que Mme Pidhorna est effectivement d’origine rom, présumant que ses affirmations à cet égard sont véridiques (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 (CAF)), mais soulignant que ses traits ne permettent pas de la distinguer des autres Ukrainiennes, et qu’elle a elle‑même déclaré devant la SPR ne pas suivre les coutumes des Roms, ne pas partager leur culture et ne pas parler leur langue.

[12]           Selon la SAR, la fermeture, en 1995, du commerce de couture de Mme Pidhorna avait des causes fiscales et n’était pas, à l’inverse des allégations des demandeurs, due à de l’extorsion. Après cela, la demanderesse n’a pas éprouvé de problèmes jusqu’en 2014, lorsque la guerre civile a éclaté.

[13]           Selon la SAR, les éléments de preuve produits par les demandeurs au sujet des incidents dont ils ont fait état, ne démontrent pas, dans leur ensemble, que Mme Pidhorna avait dans le passé été persécutée en raison de ses origines roms, et il est peu probable qu’à l’avenir elle soit victime de persécutions si elle rentre en Ukraine.

[14]           La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR concernant l’existence à Kiev d’une possibilité de refuge intérieur et a relevé qu’en ce qui concerne cette possibilité de refuge, la SPR avait cité le critère applicable et désigné une ville précise, en l’occurrence Kiev, où les demandeurs étaient libres d’aller vivre. La SAR a pris note que, selon la demanderesse, pour aller vivre à Kiev, il faudrait que les demandeurs se fassent enregistrer, précisant cependant qu’il s’agit d’une simple formalité.

[15]           Toujours selon Mme Pidhorna, les demandeurs n’avaient jamais envisagé d’aller vivre à Kiev, et que s’ils sont venus au Canada c’est sur les conseils de leur fille qui leur a acheté leurs billets d’avion. Selon M. Pidgornyi, la vie à Kiev est dangereuse, car la situation y est [traduction] « quasi militaire ». La SAR a pris ce témoignage en compte, estimant néanmoins que Kiev offre une possibilité de refuge intérieur viable.

[16]           La SAR a confirmé la décision de la SPR, estimant elle aussi que les demandeurs ne risqueraient pas d’être persécutés en raison des origines roms de Mme Pidhorna, et qu’ils ne seraient pas en Ukraine exposés à des menaces à leur vie, au risque d’être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

IV.             Les questions soulevées en l’espèce

[17]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur et appliqué le mauvais critère quant à la question de savoir s’ils craignent avec raison d’être persécutés. La SAR aurait commis une autre erreur en décidant qu’ils n’avaient pas, dans le passé, été l’objet de persécutions, conclusion qui importe lorsqu’il s’agit d’évaluer les risques de persécution à l’avenir.

[18]           Les demandeurs soutiennent par ailleurs que c’est à tort que la SAR a décidé qu’ils disposaient à Kiev d’une possibilité de refuge intérieur viable, la SAR ayant fondé cette appréciation sur le mauvais critère de ce qui constitue une crainte fondée de persécution, et ayant confondu et combiné les divers éléments de preuve dans son appréciation des deux volets du critère applicable à la question de la possibilité de refuge intérieur.

V.                La norme de contrôle applicable

[19]           La première question soulevée par les demandeurs concerne l’énoncé du critère de ce qui constitue une crainte fondée de persécution, question de droit qui relève de la norme de contrôle de la décision correcte (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 22, [2013] ACF no 1099 (QL) [Ruszo]).

[20]           La question de savoir si les demandeurs sont parvenus à démontrer qu’ils éprouvent une crainte fondée de persécution est, par contre, une question mixte de fait et de droit relevant de la norme de la décision raisonnable (Ruszo, aux paragraphes 21 et 22). La conclusion à laquelle la SAR est parvenue sur la question de la possibilité de refuge intérieure relève elle aussi de la norme de la décision raisonnable.

[21]           La norme de la décision raisonnable s’attache essentiellement à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables se justifiant au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). La Cour est tenue à la déférence envers le décideur, et il ne lui appartient pas de réévaluer la preuve.

VI.             La SAR a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour décider si les demandeurs craignent avec raison d’être persécutés (article 96)

[22]           Les demandeurs font remarquer que ce n’est qu’au dernier paragraphe de sa décision que la SAR cite le critère applicable, décidant qu’ils ne s’exposent pas à un risque sérieux de persécution, alors que, dans au moins trois autres parties de la décision, la SAR cite et applique le mauvais critère, plus strict en l’occurrence.

[23]           Les demandeurs affirment que c’est à tort que la SAR a appliqué le critère de la prépondérance des probabilités, ayant précisé que la question était de savoir s’il « [était] peu probable [que Mme Pidhorna] soit persécutée à l’avenir » et concluant qu’il « [était] peu probable qu’elle soit persécutée » ne relevant par ailleurs l’existence d’aucun élément de preuve démontrant que la demanderesse « serait persécutée » en raison de ses origines roms si elle rentrait en Ukraine.

[24]           Les demandeurs soutiennent en somme que la SAR a appliqué un critère plus strict que le critère applicable exigeant simplement qu’ils démontrent l’existence d’une possibilité sérieuse, ou d’une probabilité raisonnable de persécution.

[25]           Le défendeur fait pour sa part valoir que la SAR est présumée connaître le droit et le critère applicable, et qu’elle a, dans une partie ultérieure de sa décision, cité le critère applicable. Les motifs de la SAR doivent être interprétés en gardant à l’esprit cette présomption ainsi que le dossier du tribunal. Il ajoute que la question n’est d’ailleurs pas déterminante puisque la conclusion de la SAR quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur est, à elle seule, déterminante et suffit à faire rejeter la demande.

[26]           Je conviens que la manière dont la SAR s’est exprimée donne à penser que pour elle la question était de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs seraient persécutés. Or, ce n’est pas le bon critère. Pour évaluer les risques au regard de l’article 96, il faut établir s’il existe une possibilité sérieuse qu’un demandeur d’asile soit persécuté, ce qui n’exige pas du demandeur qu’il établisse selon la prépondérance des probabilités qu’il le sera probablement.

[27]           Le critère applicable a été dégagé par la Cour d’appel fédérale dans son arrêt Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, à la page 683, [1989] ACF no 67 (QL) :

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d’une part qu’il n’y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c’est‑à‑dire une probabilité), et d’autre part, qu’il doit exister davantage qu’une possibilité minime. Nous croyons qu’on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

[28]           Je ne peux pas en l’espèce conclure, vu les motifs de la SAR pris dans leur ensemble et le dossier dont elle était saisie, que le commissaire de la SAR a appliqué le bon critère aux éléments de preuve qui lui étaient présentés.

[29]           La SAR a confirmé la décision de la SPR mais, à l’inverse de celle‑ci, a reconnu les origines roms de Mme Pidhorna. La SPR avait déclaré qu’elle entendait procéder à examen indépendant de la preuve et c’est ce qu’elle a fait. La décision de la SAR forme l’objet même du présent contrôle judiciaire.

[30]           Dans son analyse du dossier, la SAR se concentre sur la question de savoir si, compte tenu des incidents importants décrits plus haut, et du fait que Mme Pidhorna n’a pas les traits d’une Rom, il est « peu probable qu’elle soit persécutée à l’avenir ». La SAR a relevé l’absence de preuves convaincantes qu’elle « serait persécutée du fait de son origine ethnique rom » [Non souligné dans l’original]. Malgré le dernier paragraphe de la décision en cause, où est à juste titre mentionnée une « possibilité sérieuse » de persécution, l’analyse de la SAR semble reposer sur une norme particulièrement exigeante qui ne correspond pas au critère applicable.

[31]           Cela dit, compte tenu de la conclusion quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, le fait que le mauvais critère ait été appliqué n’est pas déterminant en l’espèce.

VII.          La SAR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des éléments de preuve relatifs à des persécutions passées

[32]           Selon les demandeurs, la SAR n’a pas pris en compte les éléments de preuve relatifs aux persécutions subies dans le passé par Mme Pidhorna en raison de ses origines roms, d’abord pendant son enfance, puis en 1995 lorsqu’elle a dû fermer, au marché, son commerce de couture faute d’avoir acquitté « l’impôt sur les Roms », et en 2014 lorsque son domicile a été pillé, les pilleurs lui réclamant [traduction] « l’or des Tziganes ». Pour les demandeurs, ces persécutions passées sont l’indice du risque sérieux de persécution auquel ils s’exposeraient en rentrant en Ukraine.

[33]           Je ne suis pas d’avis que la SAR n’a tenu aucun compte des éléments de preuve : la SAR s’est fondée sur le témoignage que les demandeurs ont livré sur ce qu’ils ont vécu. La SAR ne s’est pas prononcée sur les affirmations des demandeurs au sujet de ces pilleurs qui leur réclamaient « l’or des Tziganes », mais a relevé que, d’après le témoignage des demandeurs, les insurgés russes ont pillé toutes les maisons du secteur. La SAR a rejeté l’argument de Mme Pidhorna qui affirme avoir été agressée en raison de ses origines roms, insistant sur le fait que, de son propre aveu, elle n’a pas les traits d’une Rom, et n’aurait été prise pour une Rom par les Russes que si un voisin l’avait désignée comme telle. Or, le dossier de la SAR ne contient aucun élément permettant de dire que cela se serait effectivement produit. Selon la SAR, l’impôt décrété en 1995 est un impôt neutre et non de l’extorsion. La SAR a estimé que les incidents dont il était fait état ne constituent pas de la persécution et ne sont pas dus aux origines ethniques de Mme Pidhorna.

[34]           La décision en cause n’est pas un modèle de clarté, étant donné que le commissaire de la SAR affirme que « [c]ompte tenu de ce qui suit, je conclus qu’elle n’a pas été persécutée par le passé », puis cite le jugement Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 313, [2014] ACF no 330 (QL), alors que, comme que nous l’avons vu, tous les incidents invoqués à l’appui des demandes sont antérieurs à cette jurisprudence.

[35]           Mais si l’on considère les motifs de la décision dans leur ensemble, on constate que la SAR a pris en compte les éléments de preuve produits par les demandeurs, mais qu’elle a conclu qu’au total ces incidents ne constituent pas de la persécution passée.

VIII.       La conclusion quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur est raisonnable et déterminante

[36]           Selon les demandeurs, c’est à tort que la SAR a conclu que Kiev constitue une possibilité raisonnable de refuge intérieur étant donné qu’elle a mal énoncé et mal compris le critère applicable aux demandes d’asile, ce qui a vicié son analyse sur la question de la possibilité de refuge intérieur, et qu’elle a par ailleurs brouillé le critère à deux volets, retenant, dans le contexte du premier volet, des facteurs propres au second.

[37]           Selon les demandeurs, les éléments de preuve qu’ils ont produits démontrent qu’à Kiev c’est la guerre civile, qu’ils risquent d’être persécutés pour avoir dans le passé hébergé des réfugiés, et que Mme Pidhorna a, dans le passé, été persécutée en raison de ses origines roms.

[38]           Le défendeur fait pour sa part valoir que la conclusion concernant la possibilité de refuge intérieur découle d’une application du critère applicable et qu’elle est raisonnable; à partir du moment où l’on décide que Kiev offre une possibilité de refuge intérieur, c’est aux demandeurs de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils risqueraient d’y être persécutés. Or, ils n’y sont pas parvenus.

[39]           En matière de possibilité de refuge intérieur, le critère est bien établi. Le demandeur a la lourde charge de démontrer que la PRI qu’on lui propose est déraisonnable (Ranganathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2001] 2 CF 164, [2000] ACF no 2118 (CAF)).

[40]           Le critère à deux volets applicable en matière de PRI a été établi par le jugement Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 RCF 589, [1993] ACF no 1172 (QL) (CAF) [Thirunavukkarasu]. Selon ce critère : (1) la Cour doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le lieu de refuge en question et que, (2) compte tenu de toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, la situation y est telle qu’il ne serait pas, pour les demandeurs, déraisonnable d’y chercher refuge.

[41]           Ainsi que le précise l’arrêt Thirunavukkarasu :

[14]      La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l’autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S’il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu’ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu’il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu’ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s’offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S’il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d’être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n’est pas un réfugié.

[42]           Dans Argote et autres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 128, au paragraphe 12, [2009] ACF no 153 (QL), la Cour a précisé que c’est au demandeur d’établir, selon des éléments objectifs, qu’il serait déraisonnable d’aller se réfugier dans le lieu proposé :

[…] La question de savoir si un déménagement où il y a une PRI est déraisonnable fait appel à un critère objectif, et il incombe aux demanderesses d’établir par des éléments de preuve objectifs que le déménagement où il y a une PRI est déraisonnable. Il n’appartient pas à la Commission de prouver le caractère raisonnable, comme le laissent entendre les demanderesses.

[43]           La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR sur la question de la PRI, précisant que la SPR a cité le critère applicable.

[44]           Je ne retiens pas l’argument des demandeurs qui soutiennent que, bien qu’elle ait précisé que la SPR avait cité le critère applicable, la SAR n’a pas tenu compte des deux volets du critère ni des éléments de preuve concernant chacun d’entre eux, et qu’elle a en fait embrouillé la question.

[45]           Dans sa décision, la SAR aurait pu, encore une fois, mieux distinguer les deux volets du critère applicable, mais si on lit la décision dans son intégralité, il est clair qu’elle a appliqué à chacun des volets du critère les éléments de preuve qui lui sont pertinents. Elle a par ailleurs indiqué qu’elle souscrivait aux conclusions de la SPR qui, sur les deux volets du critère, s’est exprimée avec davantage de détail.

[46]           Selon la SAR, les demandeurs ne s’exposeraient à Kiev à aucun des risques prévus à l’article 96 (en tant que réfugiés au sens de la Convention exposés à un risque sérieux de persécution) ou à aucun des risques prévus à l’article 97 (en tant que personnes à protéger), se fondant pour cela sur le témoignage de Mme Pidhorna, selon qui, à Kiev, on ne la prendrait pas pour une Rom. La Commission a en outre pris en compte le témoignage de M. Pidgornyi, selon qui il serait dangereux d’aller vivre à Kiev, car on s’y trouve dans une situation [traduction] « quasi militaire », n’estimant pas, cependant, que cet état de choses exposerait les demandeurs à un risque sérieux de persécution.

[47]           Les demandeurs avaient été avisés que Kiev serait envisagée en tant que PRI. Ils n’ont pas, comme il leur appartenait de le faire, convaincu la SPR ou la SAR qu’il y a, à Kiev, une possibilité sérieuse qu’ils seraient persécutés et que, compte tenu des circonstances, y compris de leurs circonstances personnelles, il serait de leur part déraisonnable d’aller s’y installer.

[48]           Il est de jurisprudence constante que ce n’est qu’en dernier ressort que l’on doit demander asile dans un autre pays et qu’il y a lieu d’envisager d’abord un déménagement dans son pays d’origine. En l’occurrence la SAR a pris note du témoignage des demandeurs qui ont dit qu’ils n’avaient pas envisagé d’aller vivre ailleurs en Ukraine, mais étaient, plutôt, venus au Canada où vit leur fille.

[49]           Les demandeurs ne peuvent pas, à l’appui de l’argument voulant que la PRI qui leur a été proposée n’est pas raisonnable, se contenter de l’affirmation de Mme Pidhorna selon laquelle, s’ils allaient vivre à Kiev, il leur faudrait s’y faire enregistrer, et du propos qu’a tenu M. Pidgornyi selon lequel la situation à Kiev est « quasi militaire », ainsi que de leurs allégations au sujet des persécutions qu’ils auraient subies dans le passé, la SAR ayant estimé qu’il ne s’agissait pas en fait de persécutions.

[50]           Ainsi que la SPR l’a relevé de manière plus détaillée, les demandeurs ont fait leurs études en Ukraine, ils y ont travaillé, y compris à Kiev, ils ont passé toute leur vie en Ukraine, ils sont maintenant retraités, ils parlent russe et ukrainien et ne font face à aucun obstacle culturel ou linguistique et ils vivent déjà depuis de nombreuses années loin de leur fille. Un déménagement à Kiev n’est peut‑être pas ce qu’ils choisiraient en premier, mais il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR de souscrire à l’avis de la SPR et d’estimer que Kiev offre aux demandeurs une possibilité de refuge intérieur viable.

[51]           Ainsi que nous l’avons déjà souligné, la norme de contrôle applicable dans le présent contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable. La Cour ne relève aucune erreur dans la manière dont la SAR a apprécié la question de la possibilité de refuge intérieur.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2051-15

 

INTITULÉ :

RAISA PIDHORNA ET MYKOLA PIDGORNYI c

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 DÉCEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JANVIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Steven Beiles

POUR LES DEMANDEURS

 

Charles J. Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Beiles

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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