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Date : 20151222


Dossier : IMM-1790-15

Référence : 2015 CF 1414

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

HUMAIRA RANI, MUHAMMAD FARAZ ANJUM, SADEEM, ABDUL BASIT

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision, datée du 9 avril 2015, par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par Humaira Rani (la demanderesse principale) au titre de la catégorie des candidats des provinces. Conformément au paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑2007 (le RIPR), l’agent a conclu qu’il était peu probable que la demanderesse principale réussisse son établissement économique au Canada.

Contexte

[2]               La demanderesse principale est une citoyenne du Pakistan. En février 2013, la province de la Saskatchewan a sélectionné la demanderesse principale dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (PCIS) sous le code de la Classification nationale des professions (CNP) correspondant aux enseignants aux niveaux primaire et préscolaire. La demande a été présentée dans le cadre du PCIS avec l’aide d’un membre de la famille de la demanderesse au Canada, Akhter Ali Ahmed (Ahmed). En avril 2013, la demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) au titre de la catégorie des candidats des provinces, conjointement avec son époux et ses deux enfants (les demandeurs).

[3]               Le 17 juillet 2014, CIC a transmis par courriel à la demanderesse principale une lettre l’avisant qu’un refus était envisagé. Cette lettre l’informait qu’après l’examen de sa demande, l’agent n’était pas convaincu qu’elle avait l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Plus précisément, l’agent était préoccupé par le fait que l’examen de compétence linguistique avait révélé que la demanderesse principale avait un niveau de compétence de base ou moyen, ce qui n’est pas suffisant pour enseigner ou pour obtenir une certification à titre d’enseignant en Saskatchewan. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu qu’elle serait en mesure de s’acquitter des tâches liées à sa profession envisagée, pour laquelle elle avait été sélectionnée, et serait donc dans l’impossibilité de travailler comme enseignante au Canada. Toutefois, si elle réussissait malgré tout à trouver un emploi, l’agent était préoccupé par le fait que son niveau de compétence ne serait pas suffisant pour qu’elle réussisse son établissement économique au Canada. L’agent a également relevé qu’elle n’avait d’expérience dans aucune autre profession. L’agent a informé la demanderesse principale que la province de la Saskatchewan recevrait une copie de la lettre, et lui a précisé qu’elle avait 90 jours pour fournir d’autres renseignements dont elle aimerait que l’agent tienne compte avant de rendre une décision définitive.

[4]               Ahmed, le parent de la demanderesse principale, qui était alors son représentant, a répondu à cet avis dans une lettre datée du 25 septembre 2014. Le 16 octobre 2014, un représentant du gouvernement de la Saskatchewan a écrit à l’égard de la demanderesse principale une lettre dans laquelle il déclarait notamment qu’il reconnaissait qu’elle aurait beaucoup de difficulté à obtenir un brevet d’enseignante compte tenu de ses compétences linguistiques actuelles ou à trouver un emploi comme enseignante en Saskatchewan, mais qu’il s’attendait à ce qu’elle [traduction« tente de se trouver un autre emploi pour réussir son établissement économique ». La demanderesse principale a écrit à CIC le 9 décembre 2014 pour l’informer que son époux avait conclu une entente de partenariat avec Ahmed. Elle a expliqué qu’Ahmed possède une entreprise canadienne, Trade Field International (TFI), qui importe des uniformes et des articles en cuir d’une entreprise pakistanaise appartenant à son époux. Elle a ajouté qu’Ahmed était prêt à lui offrir un emploi au Canada, et qu’en raison du fait qu’elle aidait son époux en ce qui a trait à l’inventaire et à la gestion du personnel au Pakistan, elle connaissait l’entreprise et pourrait s’intégrer rapidement dans l’entreprise canadienne.

[5]               La demanderesse principale a également retenu les services d’une avocate, qui la représentait, et qui a présenté, le 17 décembre 2014, de longues observations écrites visant à prouver l’aptitude de la demanderesse principale à réussir son établissement économique en Saskatchewan. Parmi de nombreux autres documents, les observations écrites comprenaient une offre d’emploi officielle de TFI à titre de gestionnaire de l’inventaire datée du 4 décembre 2014, signée par Ahmed. Ce dernier a également fourni une lettre d’appui dans laquelle il affirme notamment qu’il a interviewé la demanderesse principale et que ses compétences en anglais étaient suffisantes pour les besoins de l’emploi et qu’elle serait un atout pour l’entreprise.

[6]               L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse principale le 13 mars 2015.

Dispositions législatives pertinentes

Candidats des provinces

Provincial Nominee Class

Catégorie

Class

87. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des candidats des provinces est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

87. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the provincial nominee class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada.

Qualité

Member of the class

(2) Fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger qui satisfait aux critères suivants :

(2) A foreign national is a member of the provincial nominee class if

a) sous réserve du paragraphe (5), il est visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre;

(a) subject to subsection (5), they are named in a nomination certificate issued by the government of a province under a provincial nomination agreement between that province and the Minister; and

b) il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation.

(b) they intend to reside in the province that has nominated them.

Substitution d’appréciation

Substitution of evaluation

(3) Si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2).

(3) If the fact that the foreign national is named in a certificate referred to in paragraph (2)(a) is not a sufficient indicator of whether they may become economically established in Canada and an officer has consulted the government that issued the certificate, the officer may substitute for the criteria set out in subsection (2) their evaluation of the likelihood of the ability of the foreign national to become economically established in Canada.

Confirmation

Concurrence

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

[…]

Décision faisant l’objet du contrôle

[7]               Au moyen d’une lettre datée du 9 avril 2015, l’agent a informé la demanderesse principale qu’il avait terminé l’examen de sa demande et avait conclu qu’elle ne satisfaisait pas aux critères pour immigrer au Canada au titre de la catégorie des candidats des provinces. L’agent a mentionné son pouvoir en matière de substitution d’appréciation prévu au paragraphe 87(3) du RIPR et a informé la demanderesse principale que le fait que la province de la Saskatchewan l’avait sélectionnée n’était pas un indicateur suffisant de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Cette conclusion se fondait sur les préoccupations qu’il avait exprimées dans sa lettre du 17 juillet 2014, à savoir son manque de qualifications ou de compétences linguistiques, et sur le fait que les renseignements supplémentaires que la demanderesse principale lui avait fournis ne l’avaient pas convaincu qu’elle était apte à réussir son établissement économique. Un autre agent a confirmé cette décision le 2 avril 2015, comme l’exige le paragraphe 87(4) de du RIPR.

[8]               Dans ses motifs, consignés dans le Système mondial de gestion des cas, l’agent a passé en revue différentes observations. Au sujet de l’offre d’emploi qu’a faite Ahmed, l’agent a déclaré ceci :

[traduction] [...] peut avoir été offert uniquement en réponse aux préoccupations exprimées dans la lettre relative à l’équité et en raison du fait que la demanderesse principale a un lien de parenté avec l’employeur éventuel. Par conséquent, les déclarations de l’employeur éventuel au sujet de l’expérience de la demanderesse principale et du caractère suffisant de ses compétences linguistiques semblent intéressées. Même si l’offre d’emploi témoigne d’une véritable occasion d’emploi, cela ne prouve pas que la demanderesse principale serait en mesure de s’acquitter des tâches d’un gestionnaire de l’inventaire avec le niveau de compétence linguistique en anglais qu’elle a démontré posséder.

[9]               En ce qui concerne les observations formulées par l’avocate de la demanderesse principale, à savoir que son niveau de compétence en anglais était suffisant pour lui permettre de trouver un emploi peu spécialisé, y compris celui offert par son parent, Ahmed, à titre de gestionnaire de l’inventaire, les notes précisent ceci :

[traduction] Bien que le niveau de compétence en anglais que la demanderesse a démontré posséder puisse sembler suffisant pour effectuer les tâches de certains emplois peu spécialisés, il est également précisé que la description générale des niveaux 1 à 4 (stade 1) en matière de compréhension de l’oral et de l’écrit est la suivante : « Le stade 1 décrit la gamme des compétences requises pour pouvoir communiquer dans des situations courantes et prévisibles, afin de combler des besoins essentiels, d’effectuer des activités quotidiennes et de traiter de sujets connus qui présentent un intérêt personnel immédiat (contexte de communication non exigeant). » La demanderesse principale a été sélectionnée pour une profession du niveau de compétence A (enseignant) et a reçu une offre d’emploi pour une profession du niveau de compétence C (commis aux achats et à l’inventaire). La demanderesse principale affirme qu’à long terme, elle prévoit trouver un emploi dans le domaine de l’enseignement. Même si un emploi de commis aux achats et à l’inventaire peut être considéré comme un emploi moins spécialisé que celui d’enseignant, un enseignant n’est pas nécessairement en mesure de s’acquitter à ce point bien des tâches d’un commis aux achats et à l’inventaire pour que cette profession lui permette de réussir son établissement économique. Il convient de souligner que dans les formulaires de demande, la demanderesse principale n’a mentionné aucune expérience antérieure outre l’enseignement, et la preuve concernant sa participation au sein de l’entreprise de son époux provient uniquement de ses propres déclarations et de celles de son parent qui l’appuie au Canada. Par conséquent, il est difficile d’établir la mesure dans laquelle le contexte de communication en anglais décrit dans les niveaux de compétence linguistique canadiens peut être considéré comme « bon » pour la demanderesse principale.

[...]

Il est aussi mentionné que la demanderesse principale a l’intention de poursuivre sa formation, mais il est difficile de savoir si elle pourrait achever une quelconque formation requise dans un délai raisonnable afin de réussir son établissement économique [...] Selon les compétences essentielles figurant dans le profil des commis aux achats et à l’inventaire du Guichet emplois/EDSC, le niveau de complexité des tâches de compréhension de l’écrit et de communication verbale effectuées par la majorité des travailleurs de cette profession est de base ou moyen. La demanderesse principale a prouvé qu’elle possède un niveau de compétence en anglais de base seulement en ce qui a trait à la compréhension de l’écrit et de l’oral.

Questions en litige

[10]           Les demandeurs ont soulevé deux questions en l’espèce :

  1. L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant d’informer la demanderesse principale des préoccupations qu’il avait quant à sa crédibilité?

2.      La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse principale n’a pas l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada était‑elle raisonnable?

À mon avis, la première question est déterminante en l’espèce. Par conséquent, je ne suis pas tenue de me pencher sur la deuxième question.

Norme de contrôle

[11]           Aucune partie n’a fourni d’observations sur la norme de contrôle. Il n’est toutefois pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut l’appliquer (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57).

[12]           En l’espèce, en ce qui a trait à la première question en litige, la Cour a appliqué dans d’autres décisions la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale de cette nature (Jalil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 113, au paragraphe 5; Ijaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 920, aux paragraphes 13 à 15; Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 196, au paragraphe 16 (Fang); Rezaeiazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 761, au paragraphe 21 (Rezaeiazar); Jahazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 242, au paragraphe 41). 

Analyse

Question en litige 1 : L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

Observations des demandeurs

[13]           Les demandeurs soutiennent que l’agent avait clairement des préoccupations quant à la crédibilité des éléments de preuve présentés par la demanderesse principale, particulièrement en ce qui concerne l’offre d’emploi proposée par TFI, que l’agent a qualifiée d’intéressée (Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 36 (Hamza)), et le caractère suffisant de ses compétences linguistiques pour effectuer les tâches liées cet emploi. Par conséquent, il a manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant d’informer la demanderesse principale de ces préoccupations et de lui offrir l’occasion d’y répondre (Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716, et Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25 (Talpur)). Les demandeurs font valoir que le fait que l’agent n’a pas tiré de conclusions explicites sur la crédibilité n’est pas pertinent étant donné son scepticisme général et de ses préoccupations quant aux observations des demandeurs. En outre, la Cour a déjà conclu qu’il y avait manquement à l’obligation d’équité procédurale même lorsque les préoccupations en matière de crédibilité découlent de documents fournis en réponse à une lettre relative à l’équité, soit une situation semblable à celle de la présente affaire (Fang, aux paragraphes 30 et 31).

[14]           Les demandeurs affirment également que les préoccupations de l’agent ne découlent pas des exigences législatives, mais bien des renseignements fournis par la demanderesse principale et Ahmed, employeur éventuel et parent lui apportant son appui, en réponse à la lettre portant qu’un refus était envisagé, et qu’en conséquence, elle aurait dû être informée de ces préoccupations pour avoir la possibilité d’y répondre (Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24). 

Observations du défendeur

[15]           Le défendeur soutient que l’agent a rejeté la demande de la demanderesse principale parce que ses capacités linguistiques ne permettaient pas de conclure qu’elle réussirait son établissement économique au Canada, qu’elle travaille comme enseignante ou commis à l’inventaire. L’agent a examiné et soupesé l’ensemble de la preuve et ne s’est pas appuyé sur une conclusion relative à la crédibilité pour rejeter sa demande. Par conséquent, il n’y a pas eu d’erreur procédurale.

[16]           Il appartenait à la demanderesse de prouver que sa demande satisfaisait aux critères du visa (Asghar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1091, au paragraphe 21; Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 35). La demanderesse a demandé un examen fondé sur son emploi éventuel à titre d’enseignante, mais n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve démontrant son aptitude à réussir son établissement économique si elle exerçait cette profession. Ce n’est qu’en réponse aux préoccupations formulées par l’agent au sujet de ses compétences linguistiques qu’elle a fourni une offre d’emploi à titre de commis à l’inventaire au sein de l’entreprise appartenant à son parent. L’agent a également examiné l’offre d’emploi de commis à l’inventaire, mais lui a attribué peu d’importance, car elle était intéressée. En outre, les renseignements fournis en réponse aux préoccupations de l’agent quant aux compétences linguistiques ne permettaient pas de prouver qu’une personne ayant de l’expérience en enseignement serait en mesure d’accomplir les tâches d’un commis à l’inventaire. De plus, l’agent n’est pas tenu de donner la possibilité au demandeur de répondre à ses préoccupations dès que la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements est en cause (Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542, aux paragraphes 22 à 28 (Obeta)), la teneur de l’obligation en matière d’équité procédurale envers les demandeurs de visa se situe à l’extrémité inférieure du registre (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan, 2001 CAF 345, aux paragraphes 31 et 32 (Khan)), et il n’y a eu aucun manquement en l’espèce.

Analyse

[17]           Le demandeur qui présente une demande de résidence permanente a le fardeau de veiller à ce que sa demande soit complète, convaincante et sans ambiguïté. La demande doit être accompagnée d’une preuve suffisante pour établir qu’il satisfait aux exigences législatives (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526; Hamza, au paragraphe 22; Parveen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 473, au paragraphe 16; Rezvani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 951 (Rezvani), au paragraphe 20; Zulhaz Uddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1005, au paragraphe 38). L’agent des visas n’a pas à demander d’information additionnelle lorsque la documentation présentée par le demandeur est inadéquate (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8; Veryamani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1268, au paragraphe 36). Comme l’a affirmé la juge Bédard dans la décision Hamza :

[24]      Troisièmement, un agent des visas est ni tenu d’aviser un demandeur ou une demanderesse des lacunes relevées dans sa demande, ni dans les documents fournis à l’appui de la demande. En outre, un agent des visas n’est pas tenu de demander des précisions ou des documents supplémentaires, ou de donner l’occasion au demandeur ou à la demanderesse de dissiper ses préoccupations, lorsque les documents présentés à l’appui d’une demande sont obscurs, incomplets ou insuffisants pour permettre de convaincre l’agent que le demandeur ou la demanderesse se conforme à toutes les exigences qui découlent du Règlement (Hassani, précitée, aux paragraphes 23 et 24; Patel, précitée, au paragraphe 21; El Sherbiny, précitée, au paragraphe 6; Sandhu, précitée, au paragraphe 25; Luongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 618, au paragraphe 18 (disponible sur CanLII); Ismaili, précitée, au paragraphe 18; Triveldi, précitée, au paragraphe 42; Singh, précitée, au paragraphe 40; Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8, 179 ACWS (3d) 912 [Sharma]).

[18]           Bien que la teneur de l’obligation d’équité procédurale varie en fonction du contexte et du décideur (Baker c Canada (Minister of Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21), il est bien établi que l’obligation d’équité des agents des visas envers les personnes présentant une demande de résidence permanente se situe à l’extrémité inférieure du registre (Hamza, au paragraphe 23; Farooq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 164, au paragraphe 10; Khan, aux paragraphes 30 et 31). Toutefois, lorsque la crédibilité ou l’authenticité des éléments de preuve présentés par le demandeur est en cause, par opposition au caractère suffisant de ces renseignements ou à l’importance qu’il convient d’accorder à ces renseignements, l’agent des visas peut être tenu, conformément à l’obligation d’équité, de communiquer ses préoccupations au demandeur et de lui donner l’occasion de les dissiper :

[21]      Il est désormais bien établi que l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa, bien qu’elle se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41; Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 39), impose aux agents des visas de communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper. Il en sera notamment ainsi lorsque ces réserves se rapportent non pas tant à des exigences légales qu’à l’authenticité ou à la crédibilité de la preuve fournie par le demandeur. Après s’être livré à un examen approfondi de la jurisprudence sur cette question, le juge Mosley a pu concilier ainsi les décisions apparemment contradictoires la Cour :

Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, au paragraphe 24.

(Talpur, au paragraphe 21; Katebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 813, au paragraphe 40; Hamza, aux paragraphes 25 à 28; Rezvani, au paragraphe 20).

[19]           Comme dans l’affaire Hamza, la question à trancher en l’espèce consiste à savoir si les préoccupations de l’agent se rapportaient au caractère suffisant ou à la crédibilité des éléments de preuve fournis par la demanderesse principale afin d’établir son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Comme l’a affirmé la juge Kane dans la décision Ansari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 849 :

[14]      Dans le cas où la réserve porte réellement sur la crédibilité, la jurisprudence a établi qu’une obligation d’équité procédurale pouvait naître (Hassani). Toutefois, si la réserve a trait au caractère suffisant de la preuve, étant donné que le demandeur a indubitablement l’obligation de présenter une demande complète, accompagnée de documents qui l’appuient, une telle obligation n’est pas soulevée. La distinction entre les réserves relatives au caractère suffisant de la preuve et celles qui concernent la crédibilité n’est pas une tâche aisée, étant donné que les deux questions peuvent être liées.

(Voir aussi la décision Fang, au paragraphe 19).

[20]           À cet égard, il faut aussi se rappeler que les agents des visas peuvent tirer des conclusions implicites au sujet de la crédibilité, par opposition à des conclusions explicites. Comme la Cour l’a affirmé dans la décision Hamza :

[30]      Un(e) agent(e) des visas peut avoir soulevé des préoccupations au sujet de la preuve documentaire présentée par un demandeur, même si il ou elle n’a pas tiré une conclusion de manière explicite quant à la crédibilité. Les décisions des agents des visas doivent être analysées dans leur ensemble et en tenant compte des faits particuliers de chaque cas. Ainsi que l’a déclaré le juge Mosley dans Adeoye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 680, au paragraphe 8, 216 ACWS (3d) 191 : « Bien que l’agent n’ait tiré aucune conclusion de manière explicite quant à la crédibilité du demandeur, son scepticisme à l’égard de la demande et des documents à l’appui ressort clairement de la décision. » Cette règle s’applique également en l’espèce.

(Voir aussi la décision Fang, au paragraphe 30).

[21]           En l’espèce, en réponse à la lettre l’avisant qu’un refus était envisagé, la demanderesse principale a fourni des renseignements visant à appuyer sa prétention selon laquelle elle pourrait réussir son établissement économique en Saskatchewan. L’agent a conclu que l’offre d’emploi de TFI était [traduction] « intéressée », car l’emploi [traduction« peut avoir été offert uniquement en réponse aux préoccupations » et en raison du fait que la demanderesse principale [traduction« a un lien de parenté avec l’employeur éventuel ». À mon avis, ces conclusions ont trait à l’évaluation effectuée par l’agent en ce qui concerne l’authenticité de l’offre d’emploi de TFI. Un autre commentaire de l’agent, [traduction« même si l’offre d’emploi témoigne d’une véritable occasion d’emploi [...] », appuie cette perception. Les motifs de l’agent révèlent clairement que celui‑ci n’était pas certain que l’offre de TFI était [traduction« une véritable occasion d’emploi », et par conséquent, la crédibilité de la preuve présentée par la demanderesse principale était en cause.

[22]           Les préoccupations de l’agent quant à la crédibilité découlent, en partie, du moment où l’offre d’emploi de TFI a été présentée. Cette offre, dont la date était postérieure à celle où l’agent a informé la demanderesse principale de ses préoccupations quant à ses compétences linguistiques, a été présentée uniquement après que la demanderesse principale a appris l’existence desdites préoccupations. Un agent a eu des préoccupations semblables dans l’affaire Ransanz c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1109. Dans cette affaire, l’agent des visas n’était pas certain que le demandeur avait l’intention de vivre au Québec, comme l’exigent le programme des candidats des provinces du Québec et le RIPR. L’agent a communiqué ses doutes au demandeur et a fixé une entrevue avec lui. Après que le demandeur a été informé des doutes de l’agent, mais avant l’entrevue, l’épouse du demandeur s’est rendue à Montréal pour chercher résidences et des écoles, ce qui, selon le demandeur, prouve leur intention de déménager. Lors du contrôle judiciaire, le défendeur a fait valoir que le demandeur avait commencé à chercher des résidences et des écoles à Montréal uniquement en prévision de son entrevue avec l’agent des visas. Le juge Martineau a conclu que si l’agent soupçonnait que le voyage à Montréal avait eu lieu seulement parce que le demandeur savait qu’il devrait se présenter bientôt à une entrevue, il aurait dû exprimer un tel doute et donner au demandeur la possibilité de le dissiper pendant l’entrevue puisque la question minait directement la crédibilité du demandeur (Moradi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1186, aux paragraphes 17 et 18).

[23]           Bien qu’en l’espèce l’agent ait évalué l’offre d’emploi de TFI et conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que les compétences linguistiques de la demanderesse principale étaient suffisantes pour les besoins du poste offert par TFI, j’estime que les préoccupations de l’agent quant à l’authenticité de la preuve fournie par la demanderesse principale ont entaché cette conclusion. Cela ressort clairement de la déclaration de l’agent, selon laquelle [traduction« la preuve concernant sa participation au sein de l’entreprise de son époux provient uniquement de ses propres déclarations et de celles de son parent qui l’appuie au Canada. Par conséquent, il est difficile d’établir la mesure dans laquelle le contexte de communication en anglais [...] peut être considéré comme “bon” [...] » Pourtant, dans sa lettre d’appui, Ahmed a affirmé que les compétences de la demanderesse principale en anglais étaient suffisantes pour les besoins de l’emploi chez TFI et que sa connaissance de l’entreprise serait un atout. La lettre de la demanderesse principale précise qu’elle travaillait à temps plein pour son époux.

[24]           Par conséquent, la demanderesse principale a fourni des renseignements suffisants qui, s’ils sont jugés crédibles, pourraient motiver une conclusion qu’elle a réussi à obtenir un emploi, et peut, de ce fait, réussir éventuellement son établissement économique (Bar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 317, au paragraphe 29). L’agent n’en était toutefois pas convaincu, car il avait des doutes quant à l’authenticité et à l’exactitude de la preuve en raison de ses préoccupations quant à la source de cette preuve.

[25]           À mon avis, la présente affaire ne repose pas sur des conclusions concernant le caractère suffisant des éléments de preuve ou l’importance accordée à ceux‑ci. Dans l’ensemble, la décision de l’agent était fondée sur son scepticisme quant à l’authenticité de l’offre d’emploi de la demanderesse principale, ce qui, à mon avis, constitue une conclusion sur la crédibilité de la preuve fournie par la demanderesse principale. En conséquence, l’agent aurait dû donner à la demanderesse principale l’occasion de dissiper ces préoccupations avant de rendre une décision.

[26]           Le défendeur s’appuie sur la décision Obeta pour soutenir que l’obligation d’équité procédurale des agents des visas n’est pas absolue. Comme nous l’avons vu précédemment, je reconnais que la teneur de l’obligation d’équité procédurale varie en fonction des circonstances. J’estime toutefois que la décision Obeta est différente de la présente affaire. Dans cette décision, la Cour a conclu qu’il n’existe pas d’obligation absolue lorsque la demande est « à première vue dénuée de crédibilité ». L’agent des visas avait relevé bon nombre d’incohérences et d’indices révélant que la preuve était frauduleuse. Ainsi, dans l’affaire Obeta, c’était l’authenticité des documents en soi qui était en cause. En l’espèce, rien n’indique que la lettre présentant l’offre d’emploi de TFI était falsifiée. L’agent semblait plutôt avoir des préoccupations quant à la source de la preuve et à l’authenticité de son contenu.

[27]           Enfin, je souligne que dans certaines décisions, la Cour a conclu que l’obligation de donner à un demandeur l’occasion de dissiper les préoccupations de l’agent quant à la crédibilité existe uniquement lorsque le demandeur n’avait pas accès aux renseignements en question (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 620, au paragraphe 7). Toutefois, en l’espèce, bien que la demanderesse ait présenté l’offre d’emploi de TFI à l’agent, ce n’est pas le document en soi qui était en cause; l’agent avait plutôt des préoccupations en matière de crédibilité qui découlaient des observations de la demanderesse principale fondées sur cette preuve.

[28]           Dans ces circonstances, je conclus que l’agent aurait dû informer la demanderesse principale des préoccupations qu’il avait quant à sa crédibilité. En omettant de le faire, il a manqué à son obligation d’équité procédurale en l’espèce et, pour ce motif, l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

2.      Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale et aucune ne se pose.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1790-15

 

INTITULÉ :

HUMAIRA RANI, MUHAMMAD FARAZ ANJUM, SADEEM, ABDUL BASIT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 DÉCEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Aisling Bondy

 

pour les demandeurs

 

Jocelyn Espejo Clarke

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aisling Bondy

Avocate

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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