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Date : 20151207


Dossier : T‑1296‑14

Référence : 2015 CF 1354

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

SUNNI SCHIMPF

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Le ministre du Revenu national [le demandeur] cherche à faire déclarer Sunni Schimpf [la défenderesse] coupable d’outrage au tribunal pour avoir enfreint l’ordonnance de mise en demeure rendue le 16 février 2015 par Madame la juge Mactavish en vertu de l’article 241.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 [la LIR].

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur, agissant par l’entremise de l’Agence du Revenu du Canada [l’ARC], tente de mener une vérification de la défenderesse pour les années d’imposition 2010 et 2011.

[3]               Le 8 août 2013, l’ARC a envoyé à la défenderesse un avertissement écrit concernant la conformité, dans laquelle elle demandait à la défenderesse des renseignements en vertu de l’article 231.7 de la LIR [la première demande de renseignements]. Cet avertissement a été signifié à personne, à la défenderesse, le 13 août 2013.

[4]               Le demandeur a envoyé un deuxième avertissement écrit concernant la conformité le 23 octobre 2013 [la deuxième demande de renseignements]. Cet avis a été signifié personnellement à la défenderesse le même jour.

[5]               Les deux demandes de renseignements indiquaient que les renseignements et les documents demandés devaient être produits dans les trente jours suivant la date de chacune des demandes. Les renseignements en question étaient les suivants :

[traduction]

Tous les documents d’exploitation :

‑   les documents de travail du comptable et les écritures de régularisation pour les années visées par la vérification

‑   le grand livre ou un document similaire exposant, sur une base quotidienne, la valeur des revenus et décaissements d’entreprise

‑   l’ensemble des factures de vente, rapprochements de ventes, fiches de proposition de prix, etc.

‑   toutes les pièces justificatives à l’appui des montants passés en charges et des demandes de crédit de taxe sur les intrants (CTI)

‑   les documents relatifs à l’inventaire et aux comptes créditeurs et débiteurs

‑   tous les documents de vente et d’achat relatif à l’acquisition ou à l’aliénation d’immobilisations

‑   les relevés d’investissement d’entreprise (documents d’achat de l’entreprise et actifs)

‑   tous les relevés bancaires pour les comptes d’affaires et comptes personnels, livres de dépôts en double, chèques oblitérés, documents de rapprochement des comptes bancaires et documents de prêt

‑   tous les relevés de carte de crédit, relevés de ligne de crédit et documents de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts

‑   toutes les polices d’assurance

‑   la liste des articles achetés pour l’entreprise et leur valeur (achats effectués pendant l’exploitation de l’entreprise et articles additionnels)

‑   les imprimés des activités d’entreprise en provenance de l’appli téléphonique que vous utilisez

‑   les rapports Till Z

Les documents personnels suivants :

‑   la liste des actifs personnels et ménagers principaux (p. ex., immeubles, véhicules, équipements, biens récréatifs, etc.), le coût approximatif de leur acquisition, le produit approximatif de leur aliénation et leur année de vente ou d’achat

‑   les relevés d’investissement personnel (p. ex., REER, fonds communs de placement, dépôts à terme, etc.)

‑   tous les relevés/livrets bancaires, relevés de transactions, chèques oblitérés et rapprochements de comptes pour les comptes personnels (y compris ceux du conjoint)

‑   tous les relevés de carte de crédit, relevés de ligne de crédit et des documents de prêt/prêt hypothécaire, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts

‑   toutes les polices d’assurance

‑   des précisions sur toute source de fonds non imposables pour le ménage ayant une incidence sur votre situation financière pendant la période visée par la vérification (p. ex., héritages, gains de loterie, etc.)

‑   les documents d’achat d’habitation

[6]               Le demandeur a obtenu une ordonnance de mise en demeure le 16 février 2015 à l’encontre de la défenderesse, laquelle ordonnance indiquait qu’aux termes de l’article 231.7 de la LIR, la défenderesse ne s’était pas conformée aux demandes de renseignements. L’ordonnance de mise en demeure obligeait la défenderesse à produire les renseignements sans délai et, dans tous les cas, au plus tard trente jours suivant la signification de l’ordonnance.

[7]               Une copie de l’ordonnance de mise en demeure a été signifiée à la défenderesse le 4 mars 2015. Celle‑ci ne s’est toujours pas conformée aux dispositions de l’ordonnance ni n’a fourni à l’ARC les renseignements en cause.

[8]               Le 26 août 2015, le juge Bell a prononcé une ordonnance conformément aux articles 467(1) et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], enjoignant à la défenderesse de comparaître devant un juge de la Cour fédérale pour se présenter à une audience relative à une accusation d’outrage au tribunal. L’ordonnance a été rendue à la suite d’une requête ex parte introduite par le demandeur. En rendant l’ordonnance, la Cour a indiqué être d’avis qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché.

[9]               En outre, le juge Bell a indiqué que le demandeur pouvait introduire le contenu du dossier de la Cour, y compris toute correspondance tirée du greffe et la correspondance de la défenderesse y étant versée, et ce, directement et sans appeler aucun témoin à cet égard. Par ailleurs, le demandeur a été autorisé à attester la signification à personne de l’ordonnance au moyen d’un affidavit, ce qu’il a fait le 2 septembre 2015.

III.             QUESTION EN LITIGE

[10]           La question que doit trancher la Cour est celle de savoir si la défenderesse est coupable d’outrage au tribunal.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[11]           Les dispositions suivantes de la LIR s’appliquent en l’espèce :

Ordonnance

Compliance order

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor‑client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

[12]            Les dispositions suivantes des Règles s’appliquent en l’espèce :  

Outrage

Contempt

466. Sous réserve de la règle 467, est coupable d’outrage au tribunal quiconque :

466. Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who

a) étant présent à une audience de la Cour, ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l’instance;

(a) at a hearing fails to maintain a respectful attitude, remain silent or refrain from showing approval or disapproval of the proceeding;

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

(b) disobeys a process or order of the Court;

c) agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour;

(c) acts in such a way as to interfere with the orderly administration of justice, or to impair the authority or dignity of the Court;

d) étant un fonctionnaire de la Cour, n’accomplit pas ses fonctions;

(d) is an officer of the Court and fails to perform his or her duty; or

e) étant un shérif ou un huissier, n’exécute pas immédiatement un bref ou ne dresse pas le procès‑verbal d’exécution, ou enfreint une règle dont la violation le rend passible d’une peine.

(e) is a sheriff or bailiff and does not execute a writ forthwith or does not make a return thereof or, in executing it, infringes a rule the contravention of which renders the sheriff or bailiff liable to a penalty.

Droit à une audience

Right to a hearing

467. (1) Sous réserve de la règle 468, avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

467. (1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court’s own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

b) d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

c) d’être prête à présenter une défense.

(c) to be prepared to present any defence that the person may have.

Requête ex parte

Ex parte motion

(2) Une requête peut être présentée ex parte pour obtenir l’ordonnance visée au paragraphe (1).

(2) A motion for an order under subsection (1) may be ex parte.

Fardeau de preuve

Burden of proof

469. La déclaration de culpabilité dans le cas d’outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.

469. A finding of contempt will be based on proof beyond a reasonable doubt.

Peine

Penalty

472. Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

472. Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

c) qu’elle paie une amende;

(c) the person pay a fine;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

(d) the person do or refrain from doing any act;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

(f) the person pay costs.

V.                ANALYSE

A.                Défaut de se conformer aux ordonnances de la Cour

[13]           La preuve claire présentée à la Cour dans l’affidavit de M. Lee Hart, un vérificateur pour l’ARC, souscrit le 17 juin 2015, et dans le témoignage sous serment qu’il présenté de vive voix à la Cour lors de l’audience tenue le 16 septembre 2015 à Regina (ainsi que les affidavits pertinents des significations faites à personne), établit ce qui suit : 

a)      L’ordonnance de mise en demeure rendue par la juge Mactavish le 16 février 2015 a été signifiée à personne à la défenderesse en conformité avec les conditions de ladite ordonnance.

b)      L’ordonnance rendue par le juge Bell le 26 août 2015 a été signifiée à personne à la défenderesse.

c)      La défenderesse ne s’est pas conformée à l’ordonnance de mise en demeure rendue le 16 février 2015, étant donné qu’elle n’a fourni à l’ARC aucun des renseignements ou des documents précisés dans ladite ordonnance.

d)     La défenderesse ne s’est pas conformée à l’ordonnance rendue le 26 août 2015, étant donné qu’elle n’a pas comparu devant la Cour le 16 septembre 2015, comme prescrit.

e)      La défenderesse n’a pas acquitté les dépens du demandeur, qui s’élèvent à 1 000 $, conformément à l’ordonnance de mise en demeure rendue le 16 février 2015.

f)       La défenderesse a refusé d’accéder aux demandes de l’ARC pour qu’elle coopère avec elle et produise les renseignements et les documents demandés.  

B.                 Outrage

[14]           Comme il ressort clairement de la décision Canada (Ministre du Revenu national) c Bjornstad, 2006 CF 818 [Bjornstad] :

[3]        Les principes à appliquer pour déterminer si une personne est coupable d’outrage au tribunal sont les suivants :

1. c’est à la partie qui allègue l’outrage qu’il appartient de prouver cet outrage au tribunal et la personne qui est accusée d’outrage au tribunal n’a pas à présenter de preuves à la Cour;

2. les éléments constitutifs de l’outrage au tribunal doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable;

3. s’il y a désobéissance à une ordonnance de la Cour, les éléments qui doivent être établis sont les suivants : la Cour a rendu une ordonnance, le présumé auteur de l’outrage a connaissance de l’ordonnance, et il a désobéi sciemment à l’ordonnance;

4. sauf directive contraire de la Cour, la preuve établissant l’outrage au tribunal est produite oralement.

Voir les articles 469 et 470 des Règles, et la décision Télé‑Direct (Publications) Inc. c. Canadian Business Online Inc. (1998), 151 F.T.R. 271.

[4]        L’objet fondamental du pouvoir de la Cour de déclarer une personne coupable d’outrage au tribunal est d’assurer le respect des procédures judiciaires, respect qui à son tour garantit le bon fonctionnement du système judiciaire. En bref, le principe de la primauté du droit requiert que les ordonnances judiciaires soient observées.

[15]           Toutes les conditions susmentionnées ont été respectées hors de tout doute raisonnable dans la présente affaire.

[16]           Plus récemment, dans l’arrêt Carey c Laiken, 2015 CSC 17, la Cour Suprême du Canada a confirmé que l’outrage civil comporte trois éléments qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable :

[32]      L’outrage civil comporte trois éléments, qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable : Prescott‑Russell Services for Children and Adults c. G. (N.) (2006), 82 O.R. (3d) 686 (C.A.), par. 27; College of Optometrists, par. 71; Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217, p. 224‑225; Jackson c. Honey, 2009 BCCA 112, 267 B.C.A.C. 210, par. 12‑13; TG Industries Ltd. c. Williams, 2001 NSCA 105, 196 N.S.R. (2d) 35, par. 17 et 32; Godin c. Godin, 2012 NSCA 54, 317 N.S.R. (2d) 204, par. 47; Soper c. Gaudet, 2011 NSCA 11, 298 N.S.R. (2d) 303, par. 23. Ces trois éléments, conjugués à une norme de preuve plus rigoureuse, aident à assurer que les conséquences pénales qu’entraîne une conclusion d’outrage soient imposées seulement dans les cas appropriés : Bell ExpressVu, par. 22; Chiang, par. 10‑11.

[33]      Le premier élément veut que l’ordonnance dont on allègue la violation [traduction] « formule de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait » : Prescott‑Russell, par. 27; Bell ExpressVu, par. 28, citant avec approbation Jaskhs Enterprises Inc. c. Indus Corp., 2004 CanLII 32262 (C.S.J. Ont.), par. 40. Cette exigence de clarté garantit qu’une personne ne sera pas reconnue coupable d’outrage lorsqu’une ordonnance n’est pas claire : Pro Swing, par. 24; Bell ExpressVu, par. 22. Il peut être établi qu’une ordonnance n’est pas claire si, par exemple, il manque un détail essentiel sur l’endroit, le moment ou l’individu visé par l’ordonnance, si elle est formulée en des termes trop larges ou si des circonstances extérieures ont obscurci son sens : Culligan Canada Ltd. c. Fettes, 2010 SKCA 151, 326 D.L.R. (4th) 463, par. 21.

[34]      Le deuxième élément veut que la partie à qui on reproche d’avoir violé l’ordonnance doive avoir été réellement au courant de son existence : Bhatnager, p. 226; College of Optometrists, par. 71. Il est possible de conclure à la connaissance de l’ordonnance dans les circonstances ou d’imputer la responsabilité à la personne à qui on reproche l’outrage en se fondant sur le principe de l’aveuglement volontaire (ibid.).

[35]      Enfin, la personne qui aurait commis la violation doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige : Sheppard c. Sheppard (1976), 12 O.R. (2d) 4 (C.A.), p. 8. La signification de cet élément est une des principales questions soulevées dans le présent pourvoi et je vais l’examiner plus en détail ci‑après.

[17]           Au vu de la preuve qui m’a été présentée, j’estime que le demandeur a établi ces trois éléments hors de tout doute raisonnable. Outre la signification à personne des ordonnances susmentionnées qui a été faite à la défenderesse, le dossier indique également que la défenderesse a transmis un message vocal à l’avocat du demandeur, Me John Krowina, au ministère de la Justice, le 7 avril 2015, dans lequel elle dit : [traduction« Les documents que j’ai reçus disent que je suis censée donner des renseignements Lee Hart [sic]… », et demande les coordonnées de M. Hart, lesquelles lui ont été fournies (voir la pièce A‑2). Le dossier indique également que la défenderesse n’a pas communiqué avec M. Hart et n’a fourni à l’ARC aucun des renseignements ou des documents demandés.

[18]           La Cour doit trancher une situation dans laquelle la défenderesse, pleinement consciente des demandes de l’ARC et des ordonnances de la Cour, a tout simplement refusé de se conformer et n’a pas comparu à l’audience relative à l’accusation d’outrage conformément à l’ordonnance de la Cour afin de présenter toute preuve relativement à une décision d’outrage prise conformément à l’article 466 des Règles ou de présenter des observations concernant la peine éventuelle devant être imposée conformément à l’article 472 des Règles, ainsi que l’avait ordonné le juge Bell.

[19]           Il s’agit d’une situation semblable à celle que devait trancher le juge Kelen dans l’affaire Canada (Revenu national) c Marshall, 2006 CF 788 [Marshall] :

[17]      En l’espèce, la défenderesse n’a pas répondu aux demandes de renseignements. Elle n’a fourni aucun renseignement au ministre et n’a montré aucune intention de coopérer avec le ministre ou de rencontrer des représentants de l’ARC. Elle ne s’est pas présentée à la Cour pour expliquer pourquoi elle ne s’était pas conformée à l’ordonnance de mise en demeure du juge Shore. La demanderesse n’a pas non plus fait preuve de remords au sujet de ses agissements et elle ne s’est pas engagée à se conformer à l’ordonnance de mise en demeure. Je dois donc conclure que le comportement de la défenderesse est attribuable à de la mauvaise volonté envers l’ARC ou le ministre et/ou constitue du mépris envers l’autorité de la Cour, qui exigeait qu’elle fournisse les renseignements et documents demandés. Je conclus qu’il faut imposer une sanction particulière en l’espèce pour garantir que la défenderesse ne se dérobera pas une fois de plus aux ordonnances de la Cour. À ce que je sache, cependant, il s’agit de la première déclaration de culpabilité de la défenderesse pour outrage au tribunal.

[20]           En définitive, le demandeur a prouvé, hors de tout doute raisonnable, l’outrage de la défenderesse.

C.                 Peine

[21]           Comme il ressort clairement de l’ordonnance rendue par le juge Bell le 26 août 2015, laquelle a été signifiée à personne à la défenderesse le 2 septembre 2015, la défenderesse était pleinement consciente du fait que si elle était reconnue coupable d’outrage conformément à l’article 466 des Règles, la Cour lui infligerait une peine prévue à l’article 472 des Règles. En choisissant de ne pas se présenter à l’audience relative à l’accusation d’outrage, la défenderesse a également choisi de ne pas présenter à la Cour des circonstances atténuantes susceptibles d’influer sur le prononcé de la peine.   

[22]           Dans l’arrêt Winnicki c Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52 [Winnicki], la Cour d’appel fédérale a approuvé la prise en considération par le juge des facteurs pertinents pour la détermination de la sanction opportune lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage :

[17]      Le juge a déclaré :

Je conclus que M. Winnicki a désobéi à l’ordonnance en date du 4 octobre 2005 du juge de Montigny. En vue d’établir la sanction opportune, il convient d’examiner les facteurs pertinents. Comme l’a déclaré le juge Lemieux dans Lyon Partnership, L.P. c MacGregor (2000), 186 F.T.R. 241, les facteurs à prendre en compte sont les suivants :

1.  la gravité de l’outrage, appréciée en fonction des faits particuliers de l’espèce relatifs à l’administration de la justice;

2.  la question de savoir si l’infraction d’outrage constitue une première infraction;

3. la présence de facteurs atténuants telles la bonne foi ou des excuses;

4. la dissuasion d’un comportement semblable.

[23]           Le juge Lemieux a donné des directives additionnelles dans le jugement Lyons Partnership, L.P. c MacGregor, 186 FTR 241, [2000] ACF no 341, 5 CPR (4th) 157 (C.F. 1re inst.) :

[21]      Dans l’arrêt Cutter (Canada) Ltd., précité, le juge Urie a dit que ce qui était pertinent au moment d’évaluer le montant de l’amende était « la gravité de l’outrage, appréciée en fonction des faits particuliers de l’espèce sur l’administration de la justice » (à la page 562). La Cour d’appel fédérale a souscrit aux motifs du juge de première instance selon lesquels le montant de l’amende devrait refléter « la sévérité de la loi et suffisamment modérée pour démontrer la clémence de la justice ». Le juge Urie a indiqué que le montant de l’amende ne devrait pas être une amende symbolique parce que cela « serait incompatible avec la gravité des infractions reprochées et risquerait d’encourager d’autres personnes à se moquer de la loi s’il y va de leur intérêt pécuniaire ».

[22]      Cette dernière citation du juge Urie rappelle les propos du juge Rouleau de notre Cour dans l’affaire Montres Rolex S.A. et autres c. Herson et autres (1987), 15 C.P.R. (3d) 368 (C.F. 1re inst.) : « Le but principal des sanctions imposées est d’assurer le respect des ordonnances du tribunal. » Le juge Dubé de notre Cour a également souligné dans l’affaire Louis Vuitton S.A. c. Tokyo‑Do Enterprises Inc. et autres (1990), 37 C.P.R. (3d) 8, (C.F. 1re inst.), l’importance de la dissuasion en tant que facteur principal pour s’assurer que ces ordonnances ne seront pas violées de nouveau parce que « si ceux ou celles qui se font prendre en sortent sans égratignures, ça a pour effet d’encourager ces activités et de détruire, en conséquence, l’effet visé par les lois qui sont édictées » (à la page 15, ligne 20). Le juge Dubé a, dans l’évaluation du montant de l’amende, tenu compte de la valeur de la marchandise contrefaite qui a été vendue. Il a également ordonné qu’un montant maximal soit fixé pour les dépens sur la base procureur‑client.

[23]      Pour conclure sur la question des principes directeurs, d’autres facteurs pertinents qui doivent être pris en compte sont la question de savoir si l’infraction d’outrage constitue une première infraction (R. c. De L’Isle et autres (1994), 56 C.P.R. (3d) 371 (C.A.F.)) et la présence de facteurs atténuants tels la bonne foi ou des excuses (Baxter Travenol Laboratories, précité).

[24]           Le juge Kelen a appliqué des principes similaires dans la décision Marshall, précitée :

[16]      En résumé, les facteurs pertinents quant à la détermination de la peine dans un cas d’outrage au tribunal sont les suivants :

i.   Le but principal des sanctions imposées est d’assurer le respect des ordonnances du tribunal. La dissuasion, particulière et générale, est importante afin de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice.

ii. La proportionnalité de la peine doit refléter un équilibre entre l’application de la loi et ce que la Cour a qualifié de « clémence de la justice ».

iii. Les facteurs aggravants comprennent la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal, la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement technique ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales), et, le cas échéant, le fait que le contrevenant ait enfreint de façon répétitive des ordonnances de la Cour.

iv. Les facteurs atténuants peuvent comprendre des tentatives de bonne foi de se conformer à l’ordonnance (même après le manquement à l’ordonnance), des excuses ou l’acceptation de la responsabilité, ou le fait que le manquement constitue une première infraction.

[25]           Il me semble que les circonstances de la présente affaire ressemblent à celles de l’affaire Marshall, précitée. Je ne suis au courant d’aucune autre déclaration de culpabilité d’outrage qui vise la défenderesse, mais, hormis ce fait, la défenderesse a refusé de comparaître devant la Cour pour présenter toute circonstance atténuante possible en conformité avec l’ordonnance rendue par le juge Bell le 26 août 2015. Je me permets de citer, une fois de plus, le juge Kelen dans la décision Marshall, précitée :

[18]      Je conclus donc que, compte tenu des circonstances en l’espèce, la défenderesse doit payer une amende, payer les dépens du demandeur et se conformer à l’ordonnance du juge Shore rendue le 2 mars 2006, dans les 30 jours suivant la signification des présents motifs d’ordonnance et de la présente ordonnance, en fournissant à l’ARC les renseignements et documents compris dans les demandes de renseignements de l’ARC.

[26]           Dans la décision Canada (Ministre du Revenu) c Bosnjak, 2013 CF 399 [Bosnjak], le défendeur ne s’est pas présenté à l’audience relative à l’accusation d’outrage au tribunal, à laquelle la juge Gleason a également entendu les observations sur la peine. Une peine a été infligée sans qu’une autre audience soit tenue :

[16]      Comme j’estimais avéré que le défendeur avait reçu signification à personne de l’ordonnance de justifier prononcée par le juge Barnes le 7 mars 2013, ainsi que des observations du demandeur sur la peine, et qu’il était donc indubitablement averti qu’il risquait d’être condamné pour outrage au tribunal à l’audience du 15 avril 2013, j’ai décidé d’entendre lesdites observations à cette audience. Plusieurs de mes collègues ont suivi cette même procédure à propos de questions semblables. Voir par exemple : Canada (Revenu national) c Bjornstad, 2006 CF 818 [Bjornstad]; Canada (Revenu national) c Loy Yeung Kwan, dossier T‑554‑05 (13 décembre 2005); Canada (Revenu national) c Hrappstead, dossier T‑2275‑04 (26 mai 2005); et Canada (Revenu national) c Arthur c Dwer, dossier T‑1479‑02 (30 septembre 2003).

[27]           Dans la décision Bjornstad, précitée, Mme Bjornstad ne s’est pas présentée devant la Cour, et elle n’a pas non plus répondu à la demande visant à la faire déclarer coupable d’outrage au tribunal. Toutefois, la juge Dawson a décidé que les faits établissaient, hors de tout doute raisonnable, qu’une ordonnance d’outrage avait été rendue, que Mme Bjornstad en était au courant, qu’elle y avait désobéi, et qu’elle était donc coupable d’outrage au tribunal. Dans les décisions Canada (Ministre du Revenu national) c Hrappstead, dossier no T‑2275‑04 (26 mai 2005), et Canada (Ministre du Revenu national) c Loy Yeung Kwan, dossier no T‑554‑05 (13 décembre 2005), le juge Shore et moi‑même, respectivement, avons déclaré le défendeur coupable d’outrage au tribunal et avons infligé, en parallèle, une peine précise.

[28]           La lettre du 22 mai 2015, envoyée par courrier ordinaire à la défenderesse, et le contenu de l’ordonnance du juge Bell, ont précisé à la défenderesse qu’elle aurait la possibilité de trancher les questions d’incarcération potentielle, de sanction et de dépens le 16 septembre 2015 au cas où elle serait déclarée coupable d’outrage. Cette information constitue un préavis suffisant des questions en jeu, ainsi que de l’emplacement et de la date auxquels la défenderesse aurait la possibilité d’établir le bien‑fondé de son argument. Il appert alors que l’obligation établie dans l’arrêt Winnicki a été respectée, car bien que la défenderesse se soit vu effectivement accorder la possibilité de présenter ses observations à la Cour avant le prononcé de la peine, elle a décidé de ne pas se prévaloir de cette possibilité.

D.                Dépens avocat‑client

[29]           Les dépens avocat‑client sont jugés opportuns dans ce genre d’affaire. Dans la décision Louis Vuitton Malletier, SA c Bags O’Fun Inc, 2003 CF 1335, la Cour a conclu ce qui suit :

[41]      En ce qui concerne les dépens, lorsqu’une demande d’ordonnance déclarant une personne coupable d’outrage au tribunal est accueillie, la pratique habituelle consiste à accorder des dépens avocat‑client raisonnables à la partie qui cherche à faire exécuter l’ordonnance. Cette pratique illustre la philosophie de la Cour selon laquelle celui qui l’aide à faire exécuter les décisions et à assurer le respect de ses ordonnances ne devrait pas être pénalisé sur le plan pécuniaire. Voir, par exemple, la décision Coca‑Cola Ltée c Pardhan (2000) (faisant affaire sous la raison sociale de Universal Exporters), 5 C.P.R. (4th) 333 (C.F. 1re inst.), décision confirmée (2003) 23 C.P.R. (4th) 173 (C.A.F.) pour d’autres motifs, ainsi que les autorités que le juge Lutfy (alors juge en chef adjoint de la Cour fédérale) a passées en revue dans cet arrêt.

[30]           Je conviens avec le demandeur en l’espèce que la défenderesse n’a pas tenu compte des ordonnances de la Cour et n’y a pas obéi, et qu’elle a obligé le demandeur à intenter la présente instance pour outrage jusqu’à l’instruction et à engager des frais de correspondance appréciables, et ce, sans autre raison apparente que le refus de la défenderesse de respecter la loi. Le demandeur a présenté un projet de mémoire de frais s’élevant à 9 194,47 $, mais je constate que ce mémoire contient un poste intitulé [traduction« consultation avec l’avocat principal ». L’avocat du demandeur a admis à l’audience qu’il s’agissait de sa première audience relative à une accusation d’outrage et qu’il a pu avoir besoin d’un peu plus de temps pour se préparer que ce qui est normalement requis. Bien que je ne doute pas des heures indiquées dans le projet de mémoire de frais, il est question ici d’une demande assez simple et j’estime qu’il est raisonnable de réduire les dépens de manière à ce qu’il en soit tenu compte. Par conséquent, j’estime que la somme de 7 000 $ constitue un montant de dépens raisonnables dans la présente affaire.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.      La défenderesse est coupable d’outrage relativement aux ordonnances rendues par la Cour le 16 février 2015 et le 26 août 2015, et elle doit payer une amende de 3 000 $ dans un délai de 30 jours suivant la date de signification de la présente ordonnance; elle doit, en outre, payer les dépens du demandeur, fixés à 7 000 $, auxquels se rajoutent les dépens de 1 000 $ adjugés dans le cadre de l’ordonnance prononcée le 16 février 2015, lesquels demeurent impayés, et ce, dans un délai de 30 jours suivant la date de signification de la présente ordonnance. Le non‑respect de cette obligation de payer l’amende et les dépens dans le délai de 30 jours rendra la défenderesse passible d’un emprisonnement de 30 jours.

2.      La défenderesse doit aussi fournir tous les renseignements et documents précisés dans l’ordonnance de la Cour rendue le 16 février 2015, et ce, dans un délai de 30 jours suivant la date de signification de la présente ordonnance, ou donner au demandeur une explication complète de la raison pour laquelle elle ne possède pas ces renseignements et documents, faute de quoi la défenderesse sera incarcérée pendant une période de 10 jours, peine qui devra être purgée consécutivement à toute autre peine d’emprisonnement infligée dans le cadre de la présente ordonnance.

3.      La défenderesse ne sera pas incarcérée pour non‑acquittement de l’amende ou des dépens à condition que, dans les 30 jours suivant la date de signification de la présente ordonnance, elle prenne des dispositions avec le demandeur pour se soumettre à un interrogatoire oral sous serment et présente à la Cour une preuve satisfaisante attestant qu’elle n’est pas en mesure de payer l’amende ou les dépens, ou qu’elle a besoin d’un délai de paiement plus long.  

4.      Si le demandeur avise la Cour par voie d’affidavit que la défenderesse n’a pas payé l’amende ou les dépens dans les 30 jours suivant la date de signification de la présente ordonnance et qu’elle n’a pas pris de dispositions avec le ministre pour se soumettre à un interrogatoire oral sous serment au sujet de sa capacité de payer l’amende ou les dépens, la Cour délivrera un mandat contre la défenderesse pour que celle‑ci soit incarcérée pendant 30 jours.

5.      Si le demandeur avise la Cour par voie d’affidavit que la défenderesse n’a pas produit les renseignements et les documents précisés dans l’ordonnance de la Cour rendue le 16 février 2015, et ce, dans un délai de 30 jours suivant la signification de la présente ordonnance, ou qu’elle n’a pas clairement expliqué pourquoi elle ne possède pas ces renseignements et documents, la Cour délivrera un mandat contre la défenderesse pour qu’elle soit incarcérée pendant 10 jours, peine qui devra être purgée consécutivement à toute autre peine d’emprisonnement infligée dans le cadre de la présente ordonnance.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1296‑14

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c SUNNI SCHIMPF

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

REGINA (SASKATCHEWAN)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SEPTEMBRE 2015

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

John Krowina

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sunni Schimpf

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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