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Date : 20151209

Dossier : T-2058-12

Référence : 2015 CF 1364

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

VOLTAGE PICTURES LLC

demanderesse

et

M. UNTEL ET MME UNETELLE

défendeurs

et

TEKSAVVY SOLUTIONS INC.

partie intimée

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

intervenante

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit de l’appel d’une ordonnance d’adjudication des dépens rendue le 17 mars 2015 par la protonotaire Aronovitch [l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch]. L’ordonnance de la protonotaire Aronovitch se rapporte à une requête prononcée le 20 février 2014 par le protonotaire Aalto [l’ordonnance du protonotaire Aalto]. La présente requête, déposée par la demanderesse Voltage Pictures LLC [Voltage], en vertu de l’article 238 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) [Règles], visait à obtenir une ordonnance enjoignant à TekSavvy Solutions Inc. [TekSavvy], un tiers aux termes de l’article 238, à communiquer les noms et adresses des abonnés associés à environ 1 140 adresses de protocole Internet [IP] et identifiés par Voltage comme se livrant à la violation de ses droits d’auteur. Le protonotaire Aalto a conclu que Voltage avait satisfait au critère de l’article 238 et que la requête devait être accueillie avec certaines garanties.

[2]               Les frais juridiques et administratifs, et les débours raisonnables engagés par TekSavvy pour se conformer à l’ordonnance du protonotaire Aalto ont été taxés dans l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch. La protonotaire Aronovitch a condamné Voltage à payer à TekSavvy ses dépens s’élevant à 21 577,50 $ avant que TekSavvy ne soit tenue de communiquer les renseignements demandés. Aucuns dépens n’ont été adjugés ni pour la taxation même ni pour la requête présentée au protonotaire Aalto.

[3]               TekSavvy demande que l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch soit modifiée pour que les frais demandés dans son mémoire révisé de frais juridiques et administratifs, et débours raisonnables lui soient adjugés. Subsidiairement, TekSavvy demande une ordonnance modifiant l’ordonnance d’adjudication des dépens en vue de lui allouer une partie supplémentaire de ses frais juridiques et administratifs, et débours raisonnables que la Cour jugera appropriée. TekSavvy sollicite également une ordonnance lui adjugeant ses dépens afférents à la taxation, en plus de ses dépens de la présente audience. Voltage cherche à faire rejeter la demande et à ce que les dépens afférents à la taxation et les dépens de la présente audience lui soient adjugés.

[4]               Pour les motifs qui suivent, l’appel est accueilli en partie, puisque l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch est modifiée par l’adjudication à TekSavvy d’un montant supplémentaire de 11 822,50 $ à titre de dépens.

II.                Contexte

[5]               Voltage, une compagnie de production cinématographique, a intenté l’action sous-jacente contre les défendeurs non identifiés « M. Untel et Mme Unetelle » alléguant qu’ils s’étaient livrés à l’échange illégal de fichiers sur Internet, violant ainsi ses droits sur son film ayant remporté un oscar : Le démineur. Voltage a d’abord identifié 4 500 défendeurs grâce à leur adresse IP. Elle a ensuite communiqué avec leur fournisseur d’accès Internet [FAI], TekSavvy, pour obtenir leurs nom et adresse afin de pouvoir poursuivre l’instance. TekSavvy a demandé à Voltage d’obtenir au préalable une ordonnance du tribunal, mais autrement, elle a indiqué qu’elle ne s’opposerait pas à la requête.

[6]               Voltage a par la suite présenté une requête fondée sur l’article 238 des Règles signifiant à TekSavvy à titre de tiers aux termes de l’article 238, une requête visant à obtenir une ordonnance l’enjoignant à communiquer les coordonnées associées à près de 2 000 adresses IP identifiées par la suite par TekSavvy. Ce type d’ordonnance est communément appelé une ordonnance de type Norwich, d’après une décision de la Chambre des lords établissant le droit des parties de soumettre des tiers à un interrogatoire préalable « en equity » s’il est nécessaire pour identifier les défendeurs inconnus (Norwich Pharmacal Co. v. Customs and Excise Commissioners [1974] AC 133 [Norwich]). Le protonotaire Aalto a entendu et a statué sur la requête du 20 février 2014, déclarant de faire droit à la requête de Voltage, avec certaines garanties.

[7]               TekSavvy a estimé qu’il était approprié et nécessaire d’aviser les abonnés touchés de la procédure intentée par Voltage. Ainsi, TekSavvy a entrepris d’établir une corrélation entre les adresses IP entre le 14 novembre et le 4 décembre 2012, période pendant laquelle Voltage lui a fourni une liste révisée et abrégée de 2 114 adresses IP à mettre en corrélation.

[8]               Voltage n’a pas considéré qu’il était nécessaire que TekSavvy avise ses clients touchés et a prévenu TekSavvy qu’il s’agissait d’une démarche volontaire de sa part. Voltage a néanmoins consenti à proroger le délai de sa requête afin de permettre à TekSavvy d’aviser ses abonnés touchés, sous réserve que cet avis soit donné sans porter préjudice à Voltage. L’avis comprenait une demande de Voltage voulant que les clients touchés ne détruisent pas de preuve de leur activité en ligne en attendant la décision sur la requête.

[9]               Le 7 décembre 2012 ou aux alentours de cette date, TekSavvy a indiqué que si elle devait aviser ses clients de la requête de Voltage, elle ne s’y opposerait pas.

[10]           Après que TekSavvy a fait parvenir à Voltage une ébauche du courriel qu’elle avait l’intention d’envoyer à ses clients touchés concernant l’avis de requête, Voltage a demandé à ce que le lien vers le site de la Clinique d’intérêt public et de politique Internet du Canada [CIPPIC] sur le site Web de TekSavvy ainsi qu’un lien vers un article considéré comme étant conjectural et potentiellement trompeur sur l’état du droit relativement à sa demande soient retirés. TekSavvy a rejeté cette demande.

[11]           Le 10 décembre 2012, les abonnés touchés de TekSavvy ont reçu un avis de l’instance en cours. L’avis indiquait qu’ils avaient le droit à ce que le respect de leur vie privée soit protégé et d’avoir la possibilité de se défendre en cas de demande présentée à leur encontre. Il invitait les abonnés à se familiariser avec les droits et obligations inhérents à la Loi sur le droit d’auteur et à communiquer avec TekSavvy pour obtenir plus de renseignements.

[12]           TekSavvy soutient que par suite de cet avis, elle a découvert qu’elle avait avisé par erreur 42 abonnés qui n’auraient pas dû l’être et qu’elle n’a pas avisé 92 abonnés qui auraient dû l’être.

[13]           Après l’avis du 10 décembre 2012 à ses clients touchés, TekSavvy a reçu un volume élevé de demandes de renseignements, ce qui a engendré une quantité importante de tâches administratives (pour répondre aux demandes de renseignements). Par suite des demandes de renseignements accrues des clients, TekSavvy a créé un portail en ligne pour que les abonnés puissent confirmer qu’ils ont été identifiés.

[14]           Le 13 décembre 2012, TekSavvy a envoyé un autre courriel à ses plus de 200 000 abonnés, les avisant de la requête en instance et de l’existence du portail en ligne permettant d’obtenir plus de renseignements et de communiquer avec TekSavvy.

[15]           En raison de ces avis, TekSavvy affirme qu’elle a reçu un volume élevé d’appels et de courriels de la part de clients et que le portail dédié à la clientèle a été surchargé, son personnel ayant eu besoin de beaucoup de temps pour répondre à ces questions.

[16]           De plus, dans la soirée du 15 décembre 2012, le site Web de TekSavvy a fait l’objet d’une attaque par des pirates informatiques, entraînant une perturbation du site Web et de la connectivité du bureau, ce qui a donné lieu à la perte d’appels et d’heures de travail des employés.

[17]           TekSavvy soutient que cette situation a causé des débours significatifs payés à Arbor Networks pour la réalisation de mises à niveau des systèmes utilisés par les clients et le renforcement de leur sécurité, afin de répondre au volume de demandes de renseignements reçues beaucoup plus important et de se défendre contre les attaques de pirates informatiques.

[18]           La requête, dont l’audience était prévue le 17 décembre 2012, a été ajournée afin de permettre à la CIPPIC d’intervenir pour s’opposer à la requête de Voltage et respecter le droit au respect de la vie privée des abonnés. La CIPPIC a déposé une preuve par affidavit et a contre‑interrogé l’auteur de l’affidavit principal, qui a témoigné au nom de Voltage.

[19]           La CIPPIC a également déposé de nombreuses observations écrites auprès du protonotaire Aalto. TekSavvy n’a pas pris position au sujet de la requête. Le protonotaire Aalto a accueilli la requête de Voltage, ordonnant à TekSavvy de communiquer les nom et adresse correspondant aux adresses IP demandées. Il n’a pas adjugé de dépens à l’encontre de la CIPPIC.

[20]           En ce qui a trait aux dépens de TekSavvy, le protonotaire Aalto a condamné Voltage à payer à TekSavvy « tous les frais juridiques et administratifs et les débours raisonnables engagés par celle‑ci pour se conformer à la présente ordonnance » (ordonnance du protonotaire Aalto, au paragraphe 3).

[21]           Il a également ordonné que les frais juridiques et les débours raisonnables de TekSavvy soient payés avant que les coordonnées des abonnés soient communiquées à Voltage. En raison du litige portant sur les frais, les renseignements demandés n’ont toujours pas été communiqués par TekSavvy à Voltage.

[22]           La portée et le montant prévus des frais raisonnables encourus par TekSavvy pour se conformer à l’ordonnance du protonotaire Aalto ont été contestés par les parties et renvoyés à la protonotaire Aronovitch, qui a été nommée juge chargée de la gestion de l’instance. Sa décision du 17 mars 2015 a donné lieu au présent appel.

III.             Décision contestée

[23]           Par suite de l’ordonnance du protonotaire Aalto, TekSavvy a demandé le remboursement total d’une somme de 347 480,68 $ (montant qui a ensuite été modifié après l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch pour s’élever à 321 277 $, sans aucune incidence sur les questions soulevées dans l’appel). TekSavvy a demandé ces montants à titre d’indemnisation complète de l’ensemble des dépens qu’elle soutient avoir encouru en raison de la requête de Voltage. Voltage est d’avis contraire, soutenant que l’effet de l’ordonnance du protonotaire Aalto était prospectif et couvrait seulement les dépens engagés après la délivrance de l’ordonnance visant à mettre les adresses en corrélation. En se fondant sur ses propres calculs, Voltage a fait valoir que TekSavvy n’avait pas droit à plus de 884 $. Après examen des observations des parties et de la jurisprudence, la protonotaire Aronovitch a conclu qu’aucune des positions n’était justifiable selon les éléments de preuve ni sur le plan juridique. Elle a accordé à TekSavvy la somme totale de 21 557,50 $ à titre de dépens.

[24]           Les dépens adjugés à TekSavvy d’un montant de 21 557,50 $ comprenaient : a) un montant de 4 500 $ au titre des conseils juridiques relativement à l’application de l’ordonnance du protonotaire Aalto et b) 17 057,50 $ pour les frais administratifs relatifs à la technologie de l’information encourus pour faire mettre en corrélation les adresses IP et les coordonnées des clients, ce montant étant le plus contesté. Voltage n’interjette pas appel de cette décision. Les exceptions pour les montants non adjugés pour la corrélation de l’information sous cette rubrique correspondaient à la moitié de ce qui était défini comme la [traduction] « seconde vérification / vérification de l’assurance de la qualité », s’élevant à un montant de 4 322,50 $, ce qui est contesté par TekSavvy. Selon mes conclusions ci-dessous, elle a le droit de recouvrer ce montant.

[25]           TekSavvy s’est également vue refuser des sommes pour d’autres éléments sous la rubrique des frais administratifs relatifs à la technologie de l’information ne se rapportant pas à la tâche de mise en corrélation des adresses IP et des coordonnées des abonnés. Ces éléments ont été définis comme étant liés à des communications, à des envois d’avis, à des relations publiques et à la préparation de renseignements pour la Cour, s’élevant à 5 712,50 $. TekSavvy fait appel des montants déduits.

[26]           Dans ses motifs de l’ordonnance, la protonotaire Aronovitch s’est prononcée sur les points suivants faisant l’objet du présent appel et qui comprennent les éléments susmentionnés. Ils font référence aux montants se rapportant aux éléments du mémoire de dépens modifié de TekSavvy [traduction] :

a)      Définir la portée et l’application de l’ordonnance du protonotaire Aalto : rejeter la demande de TekSavvy d’être entièrement indemnisée pour tous les frais, à l’exception de la requête, ou pour tous les frais encourus en lien avec une requête visant à obtenir une ordonnance de type Norwich, indemniser plutôt TekSavvy seulement pour les frais raisonnables engagés pour se conformer à l’ordonnance;

b)      Refuser les frais relatifs aux communications et aux relations publiques liés à l’avis de TekSavvy à ses clients et à la préparation de renseignements pour la Cour (5 712,50 $, 4 éléments de l’annexe B.1 susmentionnée), en tenant pour acquis que l’avis n’était pas nécessaire et n’a pas permis de vérifier la corrélation entre les adresses IP et les noms;

c)      Refuser les frais d’exploitation (81 524,18 $) relatifs aux conséquences de l’envoi des avis, définis comme étant nécessaires afin de minimiser l’incidence sur la réputation de TekSavvy associée aux réponses aux avis, qui, selon la protonotaire, sont considérés comme étant des coûts à assumer lorsqu’on exerce des activités commerciales;

d)     Refuser les débours relatifs à la mise à niveau du système et le renforcement de sa sécurité par Arbor Networks (55 456,60 $) relativement à l’attaque de pirates informatiques que la protonotaire a considéré comme étant des coûts à assumer lorsqu’on exerce des activités commerciales et non de coûts afférents au respect de l’ordonnance du protonotaire Aalto;

e)      Refuser la majorité du compte de frais de Stikeman Elliott (119 080,92 $), à l’exception d’un montant de 4 500 $ correspondant aux frais juridiques de TekSavvy, aux motifs que : i) TekSavvy n’a pas pris position au sujet de la requête; ii) les frais étaient liés à la requête présentée au protonotaire Aalto et TekSavvy n’a pas abordé la question des frais de la requête devant le protonotaire Aalto; iii) le mémoire de dépens de TekSavvy n’était pas fondé sur le tarif et iv) certains des honoraires facturés par Stikeman Elliott ne sont pas tombés sous le coup de l’ordonnance;

f)       Refuser les frais relatifs à l’avocat de société de TekSavvy (54 240 $) qui ne sont pas tombés sous le coup de l’ordonnance du protonotaire Aalto et qui n’ont pas pu être identifiés ou quantifiés à la lumière des éléments de preuve;

g)      Refuser les coûts de 4 222,50 $ relatifs à la [traduction] « seconde vérification / vérification de l’assurance de la qualité de la corrélation entre les adresses IP et les noms », aux motifs que [traduction] « des éléments de preuve n’ont pas permis de les identifier ou de les étayer »;

h)      Refuser toute adjudication des dépens à l’une ou à l’autre des parties en raison du succès partiel et de l’exagération des demandes des parties.

IV.             Questions en litige

[27]           La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

1.      Relativement aux conclusions a) à g) du paragraphe 26 qui précède, la protonotaire Aronovitch a-t-elle commis une erreur en taxant les dépens raisonnables de TekSavvy à hauteur de 21 557,50 $, conformément à l’ordonnance du protonotaire Aalto?

2.      La protonotaire Aronovitch a-t-elle commis une erreur en n’adjugeant pas de dépens relativement à la taxation?

V.                Norme de contrôle

[28]           Dans la mesure où il est reconnu qu’aucune question soulevée dans le présent appel n’a une influence déterminante sur l’issue du principal en l’espèce, les parties reconnaissent que l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch ne peut pas être susceptible de contrôle de novo et ne peut être modifiée que par le juge des requêtes siégeant en appel si l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante au sens où elle est fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise interprétation des faits : First Canadians’ Constitution Draft Committee c. Canada, 2004 CAF 93, au paragraphe 4.

[29]           Il n’est également pas contesté d’accorder plus de déférence à la protonotaire Aronovitch agissant à titre de juge chargée de la gestion de l’instance dans cette affaire, puisque c’était la première fois qu’elle agissait à ce titre.

VI.             Analyse

A.                Deux principaux éléments en litige

[30]           D’après l’examen des circonstances ayant donné lieu au rejet de la majorité de la demande de dépens de TekSavvy, les circonstances semblent pouvoir être divisées en deux ensembles de circonstances factuelles. Le premier ensemble vise à déterminer si les coûts associés à la décision de TekSavvy d’envoyer à ses abonnés deux avis de la requête en instance de Voltage étaient des coûts raisonnables s’inscrivant dans la portée de l’ordonnance du protonotaire Aalto. Les demandes de frais significatives dépendent de la réponse à cette question.

[31]           En plus des coûts d’envoi des avis à ses abonnés, TekSavvy soutient qu’elle a dû prendre des mesures opérationnelles administratives pour répondre à ce qu’elle définit comme étant [traduction] « une augmentation considérable des demandes de renseignements, des commentaires et des plaintes ». Ceci comprend également une demande de frais présentée par TekSavvy en raison de son besoin d’accroître la sécurité de son site Web et de ses activités. L’entreprise a engagé Arbor Networks pour faire ce travail. TekSavvy soutient que ces mesures étaient nécessaires et découlaient de la requête de Voltage visant à obtenir des renseignements de tiers. Les frais totaux, à l’exception des frais juridiques connexes, qui ont fait suite à la décision de TekSavvy d’aviser ses abonnés sont ceux présentés aux alinéas susmentionnés : 17b) préparer et envoyer les communications (5 712,50 $); 17c) mesures opérationnelles administratives pour répondre aux clients (81 524,18 $) et 17d) débours liés à Arbor Networks (55 456,60 $), pour un montant total de 142 693,28 $.

[32]           Le deuxième important litige est lié aux frais juridiques de TekSavvy. Ces frais ont été engendrés malgré l’absence de contestation de la requête. L’entreprise a néanmoins réussi à inclure les honoraires contestés de son cabinet d’avocats plaidant, Stikeman Elliot, s’élevant à un montant de 119 080,92 $, et de son avocat de société, s’élevant à un montant de 54 240 $, pour un montant total de 173 320,92 $ (revu subséquemment à la baisse pour s’établir à 153 479,09 $).

B.                 Taxation des coûts raisonnables de TekSavvy relativement aux avis envoyé à ses clients

(1)               Ces coûts se limitent à ceux engagés pour se conformer à l’ordonnance du protonotaire Aalto.

[33]           TekSavvy soutient que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur dans son analyse relative aux coûts liés à la communication des avis aux abonnés et des actions nécessaires qui ont dû être prises à la suite de ces événements. D’abord, elle soutient que la protonotaire a commis une erreur de droit et de principe en appliquant de façon trop restrictive l’ordonnance du protonotaire Aalto. La protonotaire Aronovitch a conclu que l’objectif de l’ordonnance du protonotaire Aalto était de rembourser TekSavvy pour les coûts engagés pour se conformer à son ordonnance. Les coûts étaient composés des coûts de TekSavvy pour mettre en corrélation les adresses IP fournies par Voltage et pour transmettre les coordonnées requises des abonnés identifiés.

[34]           TekSavvy soutient qu’il s’agit d’une mauvaise interprétation du libellé et de l’intention de l’ordonnance du protonotaire Aalto. Elle soutient que les termes utilisés par le protonotaire Aalto étaient généraux, suggérant que TekSavvy devrait être remboursée de tous les coûts associés à l’ordonnance du protonotaire Aalto. Pour appuyer cette interprétation, TekSavvy cite cinq exemples où le protonotaire Aalto :

a) a déclaré que « TekSavvy obtiendra le remboursement des frais raisonnables acquittés pour fournir les renseignements »;

b) a souligné qu’une jurisprudence aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada a déterminé que « la partie qui fait appliquer l’ordonnance de type Norwich doit acquitter les frais juridiques et débours du tiers innocent »;

c) a déclaré que les conditions de l’ordonnance étaient élaborées de sorte que « la production des renseignements n’occasionnera aucun retard, inconvénient ou frais à TekSavvy ou à des tiers »;

d) a renvoyé la demande de « paiement des frais raisonnables » de TekSavvy ainsi que tout différend concernant « ces frais » au juge chargé de la gestion de l’instance;

e) a déclaré que « [l]a demanderesse acquittera les frais juridiques et administratifs et les débours raisonnables de TekSavvy mentionnés au paragraphe 3 des présentes avant que ne lui soient communiqués les renseignements mentionnés au paragraphe 2 des présentes ».

[35]           Je ne suis pas d’accord avec les observations de TekSavvy et je considère l’interprétation de l’ordonnance du protonotaire Aalto faite par la protonotaire Aronovitch raisonnable dans les circonstances. Elle souligne qu’[traduction] « il déclare dans ses motifs que la “production des renseignements” [si elle est ordonnée] ne devrait occasionner aucun retard, inconvénient ou frais à TekSavvy et que TekSavvy obtiendrait “le remboursement des frais raisonnables acquittés pour fournir les renseignements” » (aux paragraphes 135 et 46) [Non souligné dans l’original].

[36]           J’estime que l’ordonnance du protonotaire Aalto, à la lumière de ses commentaires lors de l’audience, selon lesquels il [traduction] « examiner[a] la question [des dépens] une autre fois », est rédigée de façon à laisser au juge chargé de la gestion de l’instance le plus de souplesse possible pour traiter de l’adjudication des dépens. À cet égard, je suis donc d’accord avec la conclusion de la protonotaire Aronovitch voulant que l’utilisation des termes « les frais juridiques et administratifs et les débours » dans l’ordonnance du protonotaire Aalto semble donner lieu à indemnisation seulement dans la mesure où ils sont engagés pour « se conformer à la présente ordonnance ». En ce qui a trait à sa formulation restrictive de la référence aux frais juridiques de l’ordonnance du protonotaire Aalto dans sa directive, il convient de mentionner que la protonotaire Aronovitch a rejeté les frais juridiques de TekSavvy pour la requête devant le protonotaire Aalto, non pas parce qu’ils ne pouvaient pas donner lieu à indemnisation, mais parce qu’elle a conclu qu’une demande de frais n’avait pas été présentée.

[37]           Je considère aussi que la recension de la jurisprudence de la protonotaire Aronovitch est raisonnable en ce qui a trait à ses conclusions sur les principes applicables dans les causes de type Norwich. À cet égard, je ne vois aucune erreur dans son adoption des descriptions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt BMG Canada Inc. c Doe, 2005 CAF 193; 2004 CF 488 [BMG], découlant de l’arrêt Norwich et d’autres jugements. Le juge Von Finkenstein de la Cour fédérale a présenté à l’alinéa 13d) et au paragraphe 35 les critères de recouvrement des frais comme suit :

13d) la personne devant faire l’objet de l’interrogatoire préalable doit recevoir une compensation raisonnable pour les débours occasionnés par son respect de l’ordonnance portant interrogatoire préalable, en sus de ses frais de justice;

[…]

[35] Il est clair que le processus qu’on veut imposer aux PSI serait coûteux et qu’il les obligerait à prélever des ressources affectées à d’autres tâches. Comme les PSI ne sont aucunement responsables des violations présumées, il faudrait leur rembourser les coûts raisonnables liés à la divulgation de l’identité de leurs clients, en sus de frais associés à la présente requête.

[Non souligné dans l’original.]

[38]           La Cour fédérale d’appel en est arrivée à une conclusion semblable au paragraphe 35 :

[35]      Quant aux autres critères relatifs à l’autorisation d’un interrogatoire préalable en equity, je souscris aux conclusions du juge des requêtes. […] De plus, si une ordonnance de divulgation était délivrée, il faudrait que l’on tienne compte des débours encourus par les intimés pour réunir les renseignements.

[Non souligné dans l’original.]

[39]           De même, je conclus que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en établissant une distinction entre la décision Alberta (Treasury Branches) v Leahy, 2000 ABQB 575, au sous-alinéa 106(iv), où la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta fait référence à l’indemnisation pour les frais encourus [traduction] « en raison de la divulgation » et la réponse aux mesures prises par TekSavvy pour aviser ses abonnés avant la divulgation.

[40]           Pour finir, je souscris à l’évaluation de la protonotaire Aronovitch selon laquelle il n’y a rien dans la jurisprudence ni dans l’ordonnance du protonotaire Aalto faisant valoir qu’une partie innocente doit être totalement indemnisée ou dédommagée sur le fondement d’un lien de causalité fondé sur un facteur déterminant relatif aux dommages pour tous les frais engagés en lien avec une requête de type Norwich.

[41]           Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit impossible d’octroyer une indemnisation plus importante pour les frais indirects résultants de la requête, bien que l’indemnisation des frais engagés relativement à une ordonnance de type Norwich soit normalement limitée aux frais engagés dans la requête ou pour se conformer à l’ordonnance. Si les circonstances le justifient, il n’y a pas de règle figée limitant les frais à ceux engagés dans la requête ou pour se conformer à l’ordonnance.

[42]           J’estime également que l’argument de TekSavvy, selon lequel la protonotaire Aronovitch n’a pas tenu compte du fait qu’elle a fait face à des circonstances exceptionnelles en raison du grand nombre d’abonnés visés par la demande de renseignements, est sans fondement. Elle a reconnu la nature exceptionnelle de la demande ainsi que les frais engagés pour mettre à jour et automatiser le processus d’identification de corrélation. Ce faisant, elle a rejeté la preuve d’expert de Voltage selon laquelle la corrélation entre les adresses IP et les coordonnées était intégrée dans la plupart des systèmes et pouvait être obtenue à très peu de frais. C’est là le fondement invoqué par Voltage pour justifier sa suggestion d’adjudication de dépens symboliques inférieurs à 1 000 $ pour fournir les renseignements demandés. La protonotaire a également rejeté toute notion de plus-value technologique pour TekSavvy résultant de l’amélioration de son système et du fait que les PSI devaient, en vertu de la nouvelle législation, fournir les coordonnées de leurs abonnés. Comme il a été mentionné, Voltage ne fait pas appel de l’adjudication de 17 057,50 $ à TekSavvy au titre de ces frais.

(2)               Caractère raisonnable de l’avis de TekSavvy à ses abonnés

[43]           Le 10 décembre 2012, TekSavvy a avisé environ 1 160 abonnés identifiés qu’une requête en divulgation de leur identité était en cours. Trois jours plus tard, elle a envoyé un avis à ses 200 000 abonnés, qui n’étaient pas visés par la requête en cours.

[44]           Je considère que les observations de TekSavvy concernent presque uniquement le caractère raisonnable du premier courriel d’avis aux abonnés touchés. Les commentaires de la protonotaire Aronovitch visaient également le premier avis de TekSavvy à ses abonnés. Elle a rejeté l’observation de TekSavvy selon laquelle l’avis avait pour objectif de servir de vérification concernant les abonnés touchés. Elle a souligné qu’aucune mention de cette fin ne figurait dans l’avis ni dans les échanges entre les avocats. Elle a conclu que l’objectif de l’avis était d’informer les abonnés de TekSavvy de la requête et de leur donner l’occasion de consulter un avocat ou de comparaître lors de la présentation de la requête.

[45]           Relativement de l’exigence de fournir un avis, la protonotaire a cité les brefs commentaires du juge Strathy dans la décision York University v Bell Canada Enterprises et al, (2009) 99 OR (3d) 695 (SCJ), selon lesquels [traduction] « il est possible que, dans les cas appropriés, le fournisseur de service Internet ait à envoyer un avis à ses clients pour leur permettre de faire des observations portant sur l’accueil de la requête. » Elle fait également référence aux affaires où les parties avaient donné, apparemment de leur propre initiative, un tel avis.

[46]           Je reconnais qu’aucune de ces affaires n’est pertinente quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire concernant le caractère raisonnable des avis. Elle a souligné que, selon les Règles, TekSavvy n’était pas tenue d’aviser ses clients touchés de la requête, concluant que l’entreprise l’a fait volontairement et de sa propre initiative. Elle a affirmé que le fait que TekSavvy ait agi de la sorte dans son propre intérêt ou par altruisme n’était pas pertinent.

[47]           TekSavvy n’a pas été en mesure de fournir à la Cour de raison convaincante pour laquelle ses abonnés devaient bénéficier d’une plus grande protection relativement au fait d’être désignés comme défendeurs dans une poursuite où la demanderesse, pour obtenir gain de cause, était seulement tenue d’établir une preuve prima facie de contrefaçon et dans laquelle les abonnés avaient l’occasion de se défendre contre ces allégations dans la procédure contentieuse qui a suivi.

[48]           Aucune preuve n’a étayé l’argument implicite de TekSavvy selon lequel Voltage était un « pêcheur à la traîne de droits d’auteur » qui abusait du processus judiciaire. Cette allégation fait référence à des cas aux États-Unis où des abonnés ont dû, pour se sortir de l’embarras, payer des sommes exorbitantes demandées dans des lettres pour avoir illégalement téléchargé des films pornographiques. Je retiens l’observation de Voltage selon laquelle sa procédure contentieuse vise à dissuader le piratage illégal de son film ayant remporté un oscar, Le démineur, et toute pratique semblable de piratage de futurs films protégés par des droits d’auteurs.

[49]           Il appert par ailleurs que la nécessité de protéger les droits des abonnés était minimale. En effet, tout démontre que TekSavvy était au courant de l’intention de la CIPPIC d’intervenir puisqu’elle a d’ailleurs demandé l’ajournement de la requête fondée sur l’article 238 quelques jours après avoir envoyé les avis aux abonnés afin de permettre à la CIPPIC d’intervenir.

[50]           TekSavvy n’a pas non plus été en mesure de fournir une explication raisonnable quant au fait qu’elle a eu besoin d’aviser les 200 000 abonnés non concernés trois jours après avoir envoyé le premier avis, alors que leur intérêt n’avait rien à voir avec la requête. La Cour estime que ce deuxième avis n’a pu qu’alimenter la controverse puisqu’aucun avis n’était nécessaire et qu’il a probablement donné lieu à la plupart des frais opérationnels et techniques supplémentaires encourus par TekSavvy.

[51]           Puisque les parties ont soulevé des questions de politique relativement à ces avis, je reconnais être préoccupé par celles qui semblent justifier l’intervention extrêmement proactive de TekSavvy dans la requête fondée sur l’article 238 de Voltage en ce qui concerne ces avis et par l’exigence voulant que Voltage en assume les frais et s’acquitte du paiement de tout ce qui a suivi.

[52]           D’une part, il semble que Voltage dispose d’une forte preuve prima facie établissant le piratage de ses produits protégés par des droits d’auteurs, en raison du fait que des abonnés de TekSavvy téléchargent ses œuvres en l’absence de toute apparence de droit. Le piratage d’œuvres protégées par le droit d’auteur sur Internet est une question sérieuse en Amérique du Nord. La politique générale de la Cour doit donc être de soutenir les mesures permettant raisonnablement de dissuader ce type de comportement illégal, catégorie dans laquelle je place la procédure contentieuse de Voltage, qui semble être présentée afin de véritablement dissuader de telles activités.

[53]           Cependant, même si ce n’était pas aussi clairement le cas, peu de raisons pourraient justifier qu’un PSI prenne part aussi activement à une question qui, fondamentalement, oppose le détenteur du droit d’auteur et la partie accusée d’avoir téléchargé illégalement le produit protégé par le droit d’auteur. J’ai toujours compris les précautions prises par les PSI pour s’assurer de ne devenir en aucune façon responsables des actes illégaux de leurs abonnés. Il semble donc difficile de concilier cette pratique avec les interventions de TekSavvy visant à défendre les activités à première vue illégales de ses abonnés, alors que c’est par l’intermédiaire de ses services que le piratage allégué a été commis.

[54]           Je note également la référence qui suit de Voltage à la décision britannique 20C Fox v BT (No. 2), [2011] EWHC 2174 (Ch) où le PSI a dû assumer les frais relatifs à la communication des renseignements, à titre d’entité tirant profit de l’offre de services utilisés par les opérateurs et les abonnés pour violer le droit d’auteur :

[traduction] Chaque partie soutient que l’autre devrait payer les frais relatifs à l’exécution de l’ordonnance. À mon avis, les frais relatifs à l’exécution de l’ordonnance devraient être assumés par BT. Les Studios font respecter leurs droits prévus par la loi et leurs droits de propriété à titre de titulaires du droit d’auteur et de licenciés exclusifs et plus précisément leur droit à une mesure de réparation en vertu du paragraphe 8(3). BT est une entreprise commerciale qui réalise des profits en fournissant des services que les opérateurs et les utilisateurs de Newzbin2 utilisent pour violer le droit d’auteur des Studios. Par conséquent, les frais relatifs à l’exécution de l’ordonnance peuvent être considérés comme un coût d’exploitation de cette entreprise. Il me semble implicite dans le préambule (59) de la directive relative à la société de l’information que le législateur européen a voulu imposer ces frais à l’intermédiaire. En outre, cette interprétation semble être soutenue par la déclaration de la Cour de justice dans L’Oréal v eBay, au paragraphe 139, soutenant que de telles mesures [traduction] « ne doivent pas entraîner de coûts excessifs ». Les frais liés à l’exécution de l’ordonnance sont un facteur pouvant être pris en considération lors de l’évaluation de la proportionnalité de l’injonction, ce que j’ai fait en l’espèce : voir le jugement principal, au paragraphe [200]. En effet, ma conclusion selon laquelle les frais pour BT [traduction] « seraient modestes et proportionnés » est appuyée par la preuve déposée par la suite par BT, estimant que les frais initiaux relatifs à l’exécution s’élèveraient à environ 5 000 £ et qu’il en coûterait par la suite 100 £ par avis.

[Non souligné dans l’original.] (Souligné par Voltage.)

[55]           Je suis également préoccupé par le fait que Voltage n’a pas été en mesure d’obtenir les renseignements auxquels elle avait droit plus de deux ans après l’ordonnance du protonotaire Aalto. Le défaut de fournir ces renseignements semble, en tout point, attribuable aux demandes de frais excessives et injustifiées de TekSavvy, s’élevant maintenant à un montant de 350 000 $, excluant un cautionnement pour les frais engagés pour se conformer à l’ordonnance.

[56]           Ces préoccupations sont toujours pertinentes malgré la preuve que le parc d’abonnés de TekSavvy n’a pas subi les conséquences fâcheuses de ces événements et a plutôt connu une augmentation significative depuis. Il n’en reste pas moins que, sans autre preuve, inférer que TekSavvy a tiré avantage de son intervention dans la requête de Voltage et de la publicité qui en a découlé relèverait de la conjoncture.

[57]           Cependant, ce qui résulte du contexte circonstanciel n’est pas retenu par la Cour. Le résultat confirme que la politique dans ce type de requêtes devrait normalement viser à faciliter les efforts légitimes de la demanderesse pour obtenir des renseignements auprès du PSI sur les activités illégales, à première vue, de ses abonnés. À mon avis, les tribunaux devraient s’efforcer de ne pas permettre que l’intervention du PSI interfère indûment avec les efforts du titulaire du droit d’auteur de poursuivre les abonnés, sauf lorsqu’il existe des arguments convaincants en ce sens. Bien que l’exigence du paiement anticipé des frais du PSI pour la requête soit une pratique habituelle, la Cour ne doit pas permettre que cela retarde inutilement l’exécution de l’ordonnance. Dans certains cas, il serait peut-être préférable qu’un cautionnement raisonnable pour les frais soit plutôt déboursé.

[58]           Je conclus que la protonotaire Aronovitch n’a pas commis d’erreur en concluant que le principe général des requêtes de type Norwich établi par la jurisprudence veut que les frais administratifs et débours doivent être limités à ceux engagés pour respecter l’ordonnance, sauf dans des circonstances spéciales, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De même, je conclus que la protonotaire Aronovitch n’a pas commis d’erreur en concluant que TekSavvy n’avait pas de motifs raisonnables d’aviser ses abonnés de la requête en cours. TekSavvy n’a donc aucun motif raisonnable pour demander des frais directement et indirectement liés à l’envoi des avis.

[59]           Plus précisément, ceci comprend le refus de la protonotaire Aronovitch d’octroyer les frais demandés pour, entre autres, répondre à l’augmentation des demandes de renseignements ainsi que les frais techniques supplémentaires comme ceux liés à la création d’un nouveau portail en ligne, au motif qu’il s’agissait d’un [traduction] « travail lié à l’incidence sur la réputation de TekSavvy » (ordonnance de la protonotaire Aronovitch, au paragraphe 120) et de [traduction] « marketing, promotion et relations avec la clientèle » (ordonnance de la protonotaire Aronovitch, au paragraphe 120). De même, le refus, dans l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch, des frais liés au [traduction] « renforcement de la sécurité du réseau » grâce à la réalisation de mises à niveaux des systèmes utilisés par les clients afin de répondre au volume croissant de demandes de renseignements et de se défendre contre les attaques de pirates informatiques était également raisonnable, pour les raisons mentionnées. Le même principe s’applique au rejet de la plupart des frais juridiques de TekSavvy.

C.                 Frais juridiques et débours de TekSavvy

[60]           TekSavvy a sollicité des frais juridiques pour les services de Stikeman Elliott et pour les services de son avocat de société, Christian Tacit. L’ordonnance de la protonotaire Aronovitch a rejeté toutes les demandes de frais, à l’exception d’un montant de 4 500 $ pour les conseils de Stikeman Elliot concernant l’exécution de l’ordonnance du protonotaire Aalto.

[61]           L’ordonnance de la protonotaire Aronovitch précisait plusieurs motifs de rejet des autres frais juridiques sollicités :

a)      [traduction] TekSavvy n’a pas abordé la question des frais devant le protonotaire Aalto et cet oubli ne peut pas être réparé en intégrant les frais aux frais juridiques engagés pour se conformer à l’ordonnance.

b)      Les frais qui ne tombent pas sous le coup de l’ordonnance, c’est-à-dire qui ne sont pas liés à son exécution, ne peuvent pas être recouvrés;

c)      Stikeman Elliot a confondu les frais juridiques de la requête avec les frais juridiques engagés pour se conformer à l’ordonnance;

d)     TekSavvy a gonflé les demandes en se fondant sur une indemnisation complète pour deux avocats principaux (et pour les frais de déplacement) relativement à une requête ordinaire lors d’un interrogatoire préalable et au sujet de laquelle elle n’a pas pris position;

e)      les frais de la requête ne sont pas taxables en se fondant sur une relation avocat-client ou sur une indemnisation complète; de plus, étant donné que TekSavvy n’a pas soumis de mémoire de frais selon les numéros tarifaires ordinaires, la Cour n’a pas pu les taxer;

f)       les frais pour les honoraires de l’avocat de société ne peuvent pas être recouvrés pour plusieurs raisons : les frais ne sont pas tombés sous le coup de l’ordonnance, y compris la représentation de TekSavvy à titre de second avocat de la partie dans la procédure contentieuse, les conseils liés aux communications avec la clientèle, aux problèmes informatiques, aux problèmes liés au centre d’appel et aux questions portant sur le respect de la vie privée, et ils ne peuvent pas être recouvrés. Aucun mémoire de frais ni feuille de temps n’a été soumis et il n’y a eu aucune mention des tâches précises, des périodes où elles ont été accomplies ou de la durée de temps nécessaire pour les réaliser;

g)      TekSavvy n’a pas soulevé la question des frais devant le protonotaire Aalto.

[62]           TekSavvy soutient que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur en concluant que la question des frais de la requête n’a pas été soulevée devant le protonotaire Aalto ou que le protonotaire n’avait pas l’intention d’adjuger les frais juridiques de la requête. TekSavvy fait valoir qu’elle n’a pas eu l’occasion de solliciter les frais de la requête devant le protonotaire Aalto. Elle soutient que le protonotaire Aalto a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de se pencher sur la question des frais de son ordonnance et qu’il avait plutôt l’intention [traduction] d’« examiner la question une autre fois » [transcription de l’audience du protonotaire Aalto, dossier (enregistrement) de TekSavvy, onglet B(19), de 106:12 à 108:4]. Selon TekSavvy, le protonotaire Aalto a explicitement renvoyé tout calcul des frais au juge chargé de la gestion de l’instance, compris dans sa mention de « tous les frais juridiques [...] raisonnables ».

[63]           En réponse aux observations de TekSavvy, Voltage affirme que rien dans l’audience devant le protonotaire Aalto n’indique que son intention était que la question des frais juridiques de la requête de Voltage soit traitée dans l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch. Voltage fait valoir que TekSavvy est incapable d’indiquer le moindre extrait de l’audience du protonotaire Aalto qui appuierait sa position. De plus, la Cour d’appel fédérale a déclaré dans Exeter c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 134 [Exeter], au paragraphe 14 :

En principe, une cour de justice ne peut pas adjuger les dépens s’ils n’ont pas été demandés : voir, par exemple, Balogun c. La Reine, 2005 CAF 350. Accorder des dépens dans de telles circonstances porterait atteinte au devoir d’équité, puisque la partie perdante se verrait imposer une responsabilité sans en avoir été avisée ni avoir pu répondre : voir, par exemple, Nova Scotia (Minister of Community Services) c. Elliott (Guardian ad litem of) (1995), 141 N.S.R. (2d) 346 (C.S. N.‑É.), au paragraphe 5.

[64]           Je suis d’accord avec Voltage qu’une lecture objective de la transcription des débats judiciaires devant le protonotaire Aalto démontre qu’il n’y a eu aucune mention des frais de la requête. L’ensemble de la discussion enregistrée des deux avocats des parties porte sur d’autres frais de TekSavvy. La majeure partie du débat portait sur la nécessité des avis et sur [traduction] « les balises de sécurité » requises dans l’ordonnance pour protéger le respect de la vie privée des abonnés. Le protonotaire Aalto ne s’est pas prononcé sur la question de l’avis et son ordonnance parle d’elle-même en exigeant la divulgation des coordonnées des abonnés. Cependant, lorsque la question des frais engagés pour se conformer à l’ordonnance et des frais sollicités par TekSavvy, par suite des avis envoyés aux abonnés demandés par TekSavvy, a été soulevée, le protonotaire Aalto a indiqué, et ensuite répété, qu’il ne se pencherait pas sur la question des frais parce qu’il avait [traduction] « des choses plus importantes à faire », faisant référence aux questions importantes pour accueillir de la requête devant lui.

[65]           Puisque toutes les discussions sur les frais relatifs à l’exécution de l’ordonnance ont été reportées, y compris les références aux conseils juridiques liés aux avis, je crois que toutes les parties concernées s’attendaient raisonnablement à ce que les frais juridiques relativement à la requête de TekSavvy soient présentés en même temps, dans l’ensemble des frais. C’est d’autant plus raisonnable lorsque l’on s’attendait, comme en l’espèce, à ce que d’autres frais juridiques soient engagés pour l’offre de conseils sur l’exécution de l’ordonnance, pouvant nécessiter une évaluation par la Cour.

[66]           J’estime qu’à cette conclusion s’ajoute ce qui semble être une erreur commise par la protonotaire Aronovitch en refusant l’invitation de TekSavvy à tenir compte de la transcription de l’audience qui s’est tenue devant le protonotaire Aalto. L’échange sur le sujet s’est déroulé comme suit:

[traduction] 

M. MCHAFFIE : Concernant la question de ne pas solliciter de frais, mon collègue dit que nous n’avons pas sollicité de frais à l’audience. Encore une fois, je suis surpris de constater que ce qui a été dit à la dernière audience tenue devant le protonotaire Aalto est en cause aujourd’hui. La Cour en a l’enregistrement. Je crois que nous avons même déposé une transcription, une transcription [non] officielle, à la Cour, puisqu’il s’agissait d’une décision [c’était inexact]. Une discussion directe a porté sur les frais, Madame la protonotaire. J’ai regardé. Je ne veux pas déposer, mais je crois que cela figure au dossier de la Cour. Si je vais trop loin, je prie de m’en faire part.

LA PROTHONOTAIRE ARONOVITCH : En effet, vous allez trop loin.

MONSIEUR MCHAFFIE : D’accord.

LA PROTHONOTAIRE ARONOVITCH : La question portait sur le fait qu’absolument aucuns dépens ne sont adjugés dans l’ordonnance, et c’est ce qui ressort clairement de l’ordonnance. Toutefois, savoir si des observations ont été faites relativement aux frais et s’il a tenu compte des frais de la requête, s’il y en a la preuve, aurait été pertinent et aurait dû figurer dans les dossiers de la requête en l’espèce, je n’examinerai pas cela maintenant. Je vais tenir pour acquis qu’aucune observation n’a été faite relativement aux frais de la requête.

[67]           Il est acquis qu’en vertu des principes établit dans Norwich et tels qu’ils ont été appliqués dans l’arrêt BMG et d’autres jugements, précités, TekSavvy aurait droit à ses frais juridiques raisonnables engagés pour se préparer à la requête et pour se présenter à l’audience de la requête. Il n’y a aucune raison d’assumer qu’un avocat expérimenté laisserait tomber ces frais ou aurait besoin d’y faire précisément référence alors que l’ordonnance du protonotaire Aalto indique que la question des frais serait abordée à une date ultérieure. C’est particulièrement le cas lorsque les frais devaient être pris en considération dans une requête future et que la différence entre les frais juridiques de la requête et les autres frais sollicités par TekSavvy n’est pas claire.

[68]           Je crois également que la Cour se doit d’être plus souple dans une situation où il est évident que TekSavvy s’est présentée devant la Cour avec un mémoire de frais volumineux et souhaitait solliciter des frais substantiels pour la requête, en pensant clairement qu’elle avait le droit de le faire. Cette idée découle raisonnablement de l’audience tenue devant le protonotaire Aalto, tenant pour acquis que toutes les demandes de frais seraient remises à plus tard puisque le protonotaire avait déjà beaucoup à faire relativement au traitement des questions importantes de la requête. Il ne fait aucun doute que la situation relative aux frais devant le protonotaire Aalto, soulevée par TekSavvy, était compliquée et qu’il était plus logique que la taxation des frais soit renvoyée et examinée à un autre moment.

[69]           Je conclus que l’intention du protonotaire Aalto n’était pas de refuser à TekSavvy l’indemnisation des frais de la requête alors que la jurisprudence démontre clairement que la tierce partie innocente est en droit de solliciter ces frais. Son ordonnance prévoit le recouvrement des « frais juridiques » sans indication que le sens des frais juridiques dans des requêtes de type Norwich font ordinairement référence à ceux qui peuvent être recouvrés relativement à la requête. Si ces frais ne devaient pas être adjugés, il aurait été plus logique de les exclure expressément de l’ordonnance.

[70]           Je conclus donc que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur en n’accordant pas à TekSavvy ses frais de la requête au motif qu’ils n’avaient pas été abordés devant le protonotaire Aalto. Par conséquent, je dois examiner les frais de la requête de TekSavvy de novo en me fondant sur la preuve déposée devant le protonotaire.

(1)               Frais de requête de TekSavvy devant le protonotaire Aalto

[71]           Étant donné que TekSavvy ne s’est pas opposée à la requête, je suis d’accord avec la protonotaire Aronovitch pour dire que les frais juridiques de TekSavvy sont uniquement liés à la requête et sont relativement moindres. Le seul mandat de Stikeman Elliot était de s’assurer d’obtenir un cautionnement pour frais engagés pour se conformer à l’ordonnance et, par ailleurs, de commenter le libellé des passages de l’ordonnance ayant trait à TekSavvy. Il ne semble pas que la question du cautionnement ait été litigieuse et la plupart des questions administratives qui auraient pu être prévues pour se conformer à l’exécution de l’ordonnance auraient été largement résolue du fait que TekSavvy avait déjà mis en corrélation les adresses IP et les coordonnées des personnes touchées.

[72]           De plus, en examinant la transcription de l’audience, je conclus que les observations de TekSavvy formulées devant la Cour sont principalement liées à des questions dépassant son mandat. Le protonotaire Aalto a formulé des commentaires à ce sujet après avoir entendu les observations de TekSavvy. Elle a tenté d’inviter la Cour à déterminer si les frais liés aux avis aux abonnés étaient raisonnables et recouvrables, frais qui auraient compris les frais juridiques de TekSavvy liés à l’offre de conseils sur la question. De même, TekSavvy a abordé les intérêts de nature privée de ses abonnés sous couvert d’observations sur le libellé de l’ordonnance, en inférant que l’ordonnance devait contenir des [traduction] « balises de sécurité » protégeant les intérêts des abonnés.

[73]           Toutefois, bien que les frais de TekSavvy liés à la préparation de la requête soient limités, je conclus que, dans des circonstances normales, ils devraient s’étendre à l’évaluation initiale de la position à prendre en réponse à la requête. À ce titre, il faudrait chercher à comprendre si TekSavvy était responsable, d’une quelconque manière, d’aviser ses abonnés de la requête. Les ordonnances de type Norwich ne sont pas monnaie courante dans le monde juridique et je peux comprendre la nécessité tant pour l’avocat de société que pour Stikeman Elliott d’évaluer la situation afin d’être en mesure d’établir la stratégie à adopter par rapport à la requête et aux abonnés de TekSavvy. Par conséquent, à cet égard, en plus des frais limités que j’attribuerais pour la préparation et la présence à l’audience de la requête, TekSavvy devrait avoir droit au recouvrement de certains frais relatifs aux délibérations initiales de nature juridique concernant la requête.

[74]           Bien que Voltage ne soit pas d’accord, le protonotaire Aalto considère que TekSavvy est une partie innocente. Elle a dû faire face à une situation sans précédent en ce qui a trait au nombre de mises en corrélation demandées pour ses abonnés. Une perspective plus large lui est donc accordée pour examiner la question liée à la réponse appropriée à donner à la requête de Voltage à la requête. TekSavvy est en effet confrontée à l’inverse d’un recours collectif où la demanderesse tente d’établir une même preuve à l’encontre de plusieurs défendeurs qui, seuls, n’auraient peut-être pas les ressources pour défendre leurs intérêts. TekSavvy a donc décidé de ne pas contester la requête à condition de pouvoir aviser ses abonnés de leurs droits. Il s’agit d’une décision prise volontairement et tant qu’elle accepte la responsabilité des conséquences de la décision, on ne peut pas lui reprocher d’avoir dû réfléchir à ces questions afin d’en arriver à une réponse appropriée relativement à la requête.

[75]           Je rejette par contre l’observation de TekSavvy soutenant que la position par défaut prévoit qu’elle a droit à une indemnisation complète de ses frais pour la requête fondée sur l’article 238. Le montant de l’indemnisation reste à la discrétion de la Cour. Bien que TekSavvy soit peut-être dans une meilleure position pour convaincre la Cour d’une échelle de frais plus élevée dans une requête de type Norwich, il incombe encore au PSI de convaincre la Cour des raisons pour lesquelles les tarifs de la Cour fédérale ne devraient pas s’appliquer.

[76]           TekSavvy ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Sa conduite a quelque peu compliqué la requête devant le protonotaire Aalto. Par conséquent, je ne suis pas prêt à l’indemniser complètement pour ses frais relativement à la requête.

[77]           Les frais de TekSavvy ne sont pas suffisamment détaillés pour permettre de distinguer les frais pertinents de ceux engagés pour des questions qu’elle n’avait pas le mandat de régler. Cela ne devrait cependant pas empêcher une estimation raisonnable de ces frais. De même, le manque de détails et l’absence d’un mémoire de frais conforme aux tarifs de la Cour fédérale ne portent pas un coup fatal à l’adjudication des frais. Une évaluation globale des sommes dues est en fait souvent préférable pour les requêtes pour épargner du temps et des efforts à tout le monde.

[78]           Je taxerais donc d’une somme de 7 500 $ les frais attribuables globalement à la préparation de la requête et à la présence à l’audience de la requête, débours inclus. Le reste des frais juridiques de TekSavvy n’est pas lié à la requête. Par ailleurs, je considère que la taxation des frais postérieurs à l’ordonnance à 4 500 $ de la protonotaire Aronovitch est raisonnable.

D.                Frais opérationnels pour la « seconde vérification / vérification de l’assurance de la qualité »

[79]           Il reste la question des frais soulevée à l’alinéa 26g) de l’appel de TekSavvy de l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch rejetant sa demande de la moitié des frais de la « seconde vérification / vérification de l’assurance de la qualité » d’un montant de 4 322,50 $. La protonotaire Aronovitch a indiqué que ces frais [traduction] « n’ont été ni identifiés ni étayés par la preuve » et que la [traduction] « vérification de l’assurance de la qualité » n’est pas non plus expliquée.

[80]           Je suis d’accord pour dire que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur à cet égard et je reconnais que ces frais n’ont pas été assez clairement identifiés ou appuyés par la preuve présentée dans l’affidavit de M. Gaudrault, dans lequel il explique également le terme [traduction] « vérification de l’assurance de la qualité ». Puisque la protonotaire Aronovitch a souligné que ces frais auraient été payés s’ils avaient été suffisamment étayés par la preuve, je conclus, dans les circonstances, que TekSavvy a droit à un montant supplémentaire de 4 322,50 $ à titre de frais raisonnables pour l’exécution de l’ordonnance du protonotaire Aalto.

E.                 Décision de la protonotaire Aronovitch de ne pas adjuger de frais relativement à la taxation

[81]           Tant la demanderesse que l’intimée soutiennent que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur en refusant d’adjuger à chacune des parties les frais relatifs à leur comparution devant elle. Elle a observé que les deux parties ont obtenu gain de cause. Elle a également conclu que les deux parties avaient l’intention d’être désobligeantes envers les activités commerciales de l’autre partie, les obligeant à déposer des éléments de preuve et à faire des observations sur des sujets sans rapport à la requête. En outre, elle a conclu que les deux parties ont grossièrement exagéré leur position relativement aux montants demandés par TekSavvy et à ce que Voltage était prête à débourser.

[82]           Voltage soutient que bien que TekSavvy était dégagée de toute responsabilité, elle a néanmoins réussi à obtenir un relevé de services juridiques s’élevant à un montant de 177 820,98 $ pour une requête au sujet de laquelle elle n’a pas pris position et pour laquelle l’adjudication des frais a finalement été de seulement 7 500 $. De plus, en sollicitant des frais exagérés, TekSavvy a effectivement empêché tout débat significatif qui aurait permis à Voltage d’obtenir une ordonnance de payer un cautionnement pour frais afin d’obtenir les coordonnées des abonnés de TekSavvy.

[83]           En ce qui a trait à la demande de Voltage, TekSavvy a raison de soutenir que dans une requête de type Norwich, il est courant qu’il n’y ait pas de frais imposés à la tierce partie innocente, et ce, même si elle n’obtient pas gain de cause. Ceci, en plus de la conclusion de la protonotaire Aronovitch sur le comportement inapproprié des deux parties relativement à des demandes exagérées, empêche à mon avis d’adjuger des dépens en faveur de Voltage relativement à la requête.

[84]           Les deux parties ont cité une jurisprudence indiquant que les dépens devraient être taxés malgré l’ensemble des facteurs de l’article 400 des Règles : African Cape (Le) c. Francosteel Canada Inc., 2003 CAF 119, au paragraphe 20. Cette affaire concernait le refus de tenir compte d’une offre de règlement relativement à la taxation. Il s’agit d’une affaire tout à fait différente, étant donné l’importance que les cours accordent aux offres visant le règlement des litiges, ce que la Cour cherche à encourager. De plus, les décideurs bénéficient d’une grande discrétion en ce qui concerne l’adjudication des dépens. Étant donné la grande déférence due à la protonotaire Aronovitch, qui est extrêmement expérimentée dans ce domaine, la Cour présume qu’elle connaissait tous les facteurs énumérés à l’article 400 des Règles et dont les points essentiels ont seulement été présentés dans ses motifs justifiant son adjudication des dépens. Je conclus que l’adjudication des dépens de la protonotaire est raisonnable et ne doit pas être modifiée.

F.                  Frais de la présente requête en appel

[85]           À moins d’offres de règlement en instance pour le présent appel, je conclus qu’aucune des parties n’a droit à ses dépens. La revendication de TekSavvy de son droit à ses dépens, en raison de son gain de cause partiel, est compensée par l’absence de succès comparativement aux sommes demandées.

VII.          Conclusion

[86]           Je conclus que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur en décidant que TekSavvy n’avait pas fourni de preuve à l’appui de la [traduction] « seconde vérification / vérification de l’assurance de la qualité » et en interprétant aussi de façon erronée la preuve, en concluant que le protonotaire Aalto n’a pas voulu que les frais juridiques de TekSavvy relatifs à la requête constituent un élément de la taxation de la protonotaire Aronovitch. Par conséquent, j’ordonne de modifier l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch pour adjuger à la demanderesse des frais supplémentaires, d’un montant de 4 322,50 $ pour la [traduction] « seconde vérification / vérification de l’assurance de la qualité » et des frais juridiques d’un montant de 7 500 $ relatifs à la requête devant le protonotaire Aalto.

[87]           À moins d’être avisé d’offres de règlement pour la requête, il n’y a pas d’adjudication de dépens pour la requête en l’espèce.

[88]           TekSavvy doit sans délai se conformer à l’ordonnance du protonotaire Aalto et fournir les coordonnées de ses abonnés identifiés dès que Voltage aura payé les dépens adjugés par l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch et tels qu’ils ont été majorés par la Cour, pour une somme totale s’élevant à 33 380 $, plus les taxes applicables.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      l’appel de TekSavvy soit accueilli et que l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch soit modifiée en adjugeant à TekSavvy un montant additionnel de 7 500 $ à titre de frais juridiques pour la requête présentée devant le protonotaire Aalto, ainsi qu’une somme supplémentaire de 4 322,50 $ à titre de frais engagés pour se conformer à son ordonnance;

2.      dès que les dépens adjugés par l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch, modifiée par la présente ordonnance, auront été payés à TekSavvy, cette dernière devra se conformer à l’ordonnance du protonotaire Aalto sans délai.

3.      Sous réserve d’offres pertinentes de règlement, aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-2058-12

 

INTITULÉ :

VOLTAGE PICTURES LLC c. M. UNTEL ET MME UNTELLE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

James Zibarras
Adam Weissman

Pour LA DEMANDERESSE

 

Nicholas McHaffie
Bram Abramson

Pour la PARTIE INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brauti Thorning Zibarras LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour la partie intimée

 

 

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