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Date : 20140711


Dossier : IMM-5391-13

Référence : 2014 CF 684

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario) , le 11 juillet  2014

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

SANAL VANKAYEV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Sanal Vankayev sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 11 juillet 2013, par laquelle il a été conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi).

[2]  Deux questions sont en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire. Premièrement, le demandeur allègue que la Commission a violé les principes de justice naturelle en ne l’avisant pas expressément de son intention de soulever la question de la crainte subjective. Se fondant sur le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile dans un pays membre de l’Union européenne avant de le demander au Canada, la Commission a estimé que son attitude ne s’apparentait pas à celle d’une personne qui craint pour sa vie. Ce manquement suffit à lui seul pour que la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un autre commissaire afin qu’il rende une nouvelle décision. Subsidiairement, le demandeur affirme que la Commission n’avait pas examiné l’ensemble de la preuve qui lui avait été soumise lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas réussi à établir son identité russe.

[3]  Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que le manquement à la justice naturelle est la question déterminante et que, pour ce seul motif, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

Questions en litige et norme de contrôle

[4]  À l’audience, deux questions principales ont été soulevées :

  1. La Commission a‑t‑elle violé les principes de la justice naturelle en n’avisant pas expressément le demandeur de son intention de soulever la question de la crainte subjective?

  2. La Commission avait‑elle omis d’examiner l’ensemble de la preuve lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité russe?

[5]  Comme il a été mentionné, je traiterai seulement de la question du manquement aux principes de justice naturelle. Puisque l’affaire sera renvoyée pour nouvel examen, un autre commissaire sera chargé de revoir l’ensemble de la preuve relative à l’identité et à la nationalité du demandeur.

[6]  Les questions portant sur les principes de justice naturelle sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50). En règle générale, un manquement à la justice naturelle rend une audience nulle et une nouvelle audience doit avoir lieu.

Analyse

[7]  Le demandeur fait valoir que la Commission a enfreint des principes de justice naturelle en ne l’avisant pas expressément de son intention d’évaluer sa « crainte subjective ». Au point 1.4 de son document intitulé Évaluation de la crédibilité lors de l’examen des demandes d’asile (31 janvier 2004), la Commission laisse entendre que, avant d’aborder question de la « crainte subjective », elle doit indiquer clairement que celle‑ci figure au nombre des questions à examiner :

La Cour fédérale a statué que la question de la crédibilité se pose toujours à l’audition des demandes d’asile et qu’aucun avis spécial ne doit être donné au demandeur. Toutefois, il a été conclu dans certains cas qu’un avis spécial doit être donné lorsque les questions de l’identité, du retard à demander l’asile ou du défaut de le demander ailleurs sont en cause. De plus, la Commission agit à ses risques et périls lorsqu’elle isole certains doutes et attire l’attention du demandeur sur ceux‑ci, mais qu’elle rend sa décision en se fondant sur d’autres points qui n’avaient pas été soulevés comme questions à examiner. […] [Non souligné dans l’original.]

[8]  Dans Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 405, la question de la crainte subjective n’a pas été soulevée à l’audience, mais la Commission l’a invoquée en fin de compte pour rejeter la demande de la demanderesse. La juge Dawson a conclu au paragraphe 11 que la demanderesse « n’[avait] pas eu la possibilité de répondre à la preuve soumise contre elle et qu’il y [avait] eu manquement aux principes de justice naturelle ».

[9]  À l’audience du 30 avril, la Commission a brièvement interrogé le demandeur sur la raison pour laquelle il n’avait pas demandé l’asile ailleurs en Europe, mais la crainte subjective comme telle n’a jamais été soulevée en tant que question litigieuse. La Commission a toutefois conclu qu’il n’avait pas une telle crainte.

[10]  Le défendeur affirme que la Commission a en fait interrogé le demandeur sur la raison pour laquelle il n’avait pas demandé l’asile dans les pays par où il avait transité avant de venir au Canada, de sorte que le demandeur aurait dû être au fait de la question soulevée par la Commission. Quoi qu’il en soit, selon le défendeur, la Commission n’est pas tenue de confronter le demandeur à cette question, étant donné que la crainte subjective est une composante essentielle dans l’analyse de la crainte de persécution et que sa présence ou son absence est fondamentalement une conclusion de fait.

[11]  Je conviens avec le demandeur que la demande devrait être renvoyée en raison de cette question d’équité procédurale. Il ressort clairement de la transcription des audiences, que j’ai lue, que le demandeur ne s’attendait pas à ce que la Commission l’interroge sur sa crainte subjective; la Commission semblait surtout préoccupée par la question de sa prétendue double citoyenneté. S’il avait été su alors que cette question était en cause, son avocate aurait pu présenter des observations expliquant pourquoi le demandeur n’était pas tenu d’énoncer les motifs pour lesquels il n’avait présenté aucune demande d’asile dans un pays de l’Union européenne. L’avocate en aurait probablement eu long à dire à ce sujet puisque je constate que, dans sa décision, la Commission non seulement s’interroge sur la raison pour laquelle le demandeur n’a pas demandé l’asile en Estonie, où il n’est jamais allé, mais conclut de façon exagérée au paragraphe 29 que le demandeur aurait aussi pu demander l’asile en France. Selon le dossier, l’avocate du demandeur n’a présenté aucune observation du genre, et la Commission a tiré ses conclusions défavorables en dépit de cette omission. Une nouvelle audience permettrait au demandeur et à son avocate de fournir davantage de détails au sujet de la crainte subjective du demandeur.

Conclusion

[12]  Ce manquement justifie à lui seul l’intervention de la Cour; en conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties aux fins de certification, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un commissaire différent de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, pour qu’il rende une nouvelle décision;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5391-13

 

INTITULÉ :

SANAL VANKAYEV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AVril 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS  :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Annick Legault

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Sherry Rafai

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M e Annick Legault

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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