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Date : 20151214


Dossier : T-2521-14

Référence : 2015 CF 1388

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2015

En présence de l’honorable juge O’Reilly

ENTRE :

ROSE JONES, DORIS EDWARDS ET BOBBY HALF, REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE ROSE JONES

demandeurs

et

LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE ET LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               En juin 2014, le chef et le conseil de la Nation crie de Saddle Lake (la NCSL) ont décidé de réattribuer une maison qu’occupaient à ce moment les demandeurs : les sœurs Rose Jones et Doris Edwards, ainsi que le fils handicapé de Rose, Bobby Half. Dans cette maison avait également vécu Jonas Half, frère de Rose et de Doris, jusqu’à sa mort en avril 2014. Avant son décès, celui-ci avait rédigé un testament dans lequel il exprimait le souhait que Rose, Doris et Bobby restent dans la maison, où ils vivaient depuis 23, 15 et 51 ans, respectivement.

[2]               À une réunion à laquelle étaient présents quatre des frères et sœurs de Rose et de Doris (mais pas ces deux dernières), le chef et le conseil de la NCSL ont réattribué la maison à leur frère Raymond et à leur sœur Wendy. Dans une lettre aux demandeurs, dans laquelle la NCSL les informait de la réattribution, le chef et le conseil ont indiqué que la maison avait été réattribuée à la suite d’une requête présentée le 3 juin 2014 et que Raymond et Wendy [traduction« aur[aient] accès pleinement et immédiatement à la maison et que la porte ser[ait] ouverte à tous les membres de la famille ».

[3]               La lettre semblait indiquer que tous les membres de la famille auraient accès à la maison, mais ce n’est manifestement pas de cette façon que l’ont interprétée Raymond et Wendy, ou la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, qui a ordonné aux demandeurs de quitter la maison en septembre 2014. (Il y a plus tard eu sursis à l’exécution de cette ordonnance.)

[4]               Les demandeurs souhaitent maintenant faire infirmer la décision de la NCSL à propos de la maison. Cette décision a trait à une question d’intérêt public et est susceptible de contrôle devant la présente cour.

[5]               Quand l’affaire a été soumise au juge Shore plus tôt cette année, celui-ci a encouragé les parties à tenter de régler leurs différends par la médiation. Cette dernière n’a pas été fructueuse. L’affaire m’est maintenant soumise pour que je tranche la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

[6]               Les demandeurs allèguent principalement que la NCSL est arrivée à sa décision sans leur faire savoir qu’elle avait un problème au sujet de l’occupation de la maison. Ils n’ont donc pas eu la possibilité de comparaître devant le chef et le conseil ou de présenter des observations pour leur compte. En fait, ils n’ont reçu aucune explication au sujet de la décision, pas plus que le procès-verbal de la réunion de la NCSL ou une copie de la résolution sous-jacente de la Bande ne leur ont été remis.

[7]               Dans le cadre de la présente demande, la NCSL n’a fourni aucune preuve quant à la manière dont l’affaire lui avait été soumise ou la raison pour laquelle la décision avait été prise. Cependant, la conseillère Shannon Houle de la NCSL a comparu devant moi pour le compte du chef et du conseil de la NCSL. Elle m’a lu une lettre datée du 16 septembre 2015, signée par le chef et le conseil et écrite en réponse à une plainte relative aux droits de la personne que Rose avait déposée. Cette lettre explique que le chef et le conseil de la NCSL ont réattribué la maison à Raymond et Wendy parce que, à ce moment-là, Raymond, qui souffrait d’une maladie en phase terminale, avait besoin d’un logement et comptait sur Wendy pour lui prodiguer les soins nécessaires. La lettre confirme aussi l’intention qu’avait la NCSL de mettre la maison à la disposition de tous les membres de la famille. De plus, Mme Houle a expliqué à la Cour que la NCSL fait de son mieux pour supporter la lourde responsabilité que représente l’administration d’une ressource extrêmement restreinte – les logements.

[8]               Dans les circonstances, la NCSL avait le devoir d’informer les demandeurs que la question de l’occupation de la maison allait être soumise au chef et au conseil, et de leur fournir suffisamment de renseignements pour qu’ils puissent préparer une réponse. De plus, ils avaient droit à la possibilité de présenter des observations au chef et au conseil. Ce sont là les exigences de base de l’obligation d’équité : Lakeside Colony of Hutterian Brethren c Hofer, [1992] 3 RCS 165, au paragraphe 80. De plus, vu l’importance que la question revêtait pour eux, les demandeurs avaient droit à une décision motivée.

[9]               L’équité n’est pas une notion juridique technique. Elle aide à garantir que les décideurs publics disposent des renseignements qui sont nécessaires pour arriver à une conclusion juste. De plus, elle garantit aux personnes touchées par une décision qu’on a entendu leur point de vue. Par contraste, ces personnes seront naturellement moins portées à souscrire au résultat si on les prive de la possibilité de prendre part au processus préalable. L’équité favorise ainsi le respect de la primauté du droit.

[10]           Pour ces motifs, je conclus qu’il faut infirmer la décision de la NCSL. Je n’ai pas compétence pour accorder les autres mesures de réparation que souhaitent obtenir les demandeurs : une ordonnance leur permettant de réintégrer la maison, un dédommagement pécuniaire pour leurs autres frais de logement, ainsi que des dépens d’un montant de 25 000 $.

[11]           Je puis seulement ordonner que le chef et le conseil de la NCSL reconsidèrent leur décision et, ce faisant, qu’ils respectent l’obligation d’équité. J’ordonnerai toutefois au chef et au conseil de convoquer une réunion pour traiter de cette question avec célérité, et j’accorde aux demandeurs une partie de leurs dépens. Mme Houle m’a informé que les ressources financières de la NCSL sont restreintes, mais, là encore, aucune preuve concrète ne m’a été soumise à cet égard. J’accorde aux demandeurs des dépens fixés à 1 000 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.       La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens, lesquels sont fixés à 1 000 $.

2.      L’affaire est renvoyée au chef et au conseil de la Nation crie de Saddle Lake afin qu’elle soit réexaminée avec célérité, conformément aux présents motifs.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2521-14

 

INTITULÉ :

ROSE JONES, DORIS EDWARDS ET BOBBY HALF, REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE ROSE JONES c LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE ET LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉcembrE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 14 DÉcembrE 2015

COMPARUTIONS :

James Dixon

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Shannon Houle

 

POUR LES DÉFENDEURS

(NON REPRÉSENTÉS PAR AVOCAT)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dixon & Associates

Avocats

Red Deer (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

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