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Date : 20151204


Dossiers : T-2448-14

T-2449-14

Référence : 2015 CF 1345

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Camp

ENTRE :

U-HAUL INTERNATIONAL INC.

appelante

et

U BOX IT INC.

intimée

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   APERÇU

[1]               U-Haul International Inc. (l’appelante) interjette appel de deux décisions rendues par un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi).

[2]               Dans les décisions faisant l’objet de l’appel, toutes deux datées du 26 septembre 2014 et répertoriées sous les références 2014 COMC 207 et 2014 COMC 208, la Commission a rejeté les demandes d’enregistrement nos 1,455,472 et 1,455,468 pour les marques de commerce U-BOX WE-HAUL et U-BOX, pour emploi en liaison avec des [traduction] « services de déménagement et d’entreposage, nommément location, déménagement, entreposage, livraison et ramassage d’unités d’entreposage portatives ».

[3]               La Commission a conclu qu’il y avait une probabilité raisonnable de confusion entre les marques de commerce contestées de l’appelante et la marque de commerce déposée U BOX IT de l’intimée pour emploi en liaison avec des [traduction] « services d’enlèvement des ordures et de gestion des déchets ».

[4]               Le 15 octobre 2009, l’appelante a déposé des demandes d’enregistrement des marques U-BOX et U-BOX WE-HAUL auprès du Registraire des marques de commerce (le Registraire). Les demandes étaient fondées sur l’emploi des marques au Canada depuis au moins le 3 octobre 2009, ainsi que sur l’emploi et l’enregistrement des marques aux États-Unis.

[5]               Le 31 août 2010 et le 15 novembre 2010, l’intimée a produit des déclarations d’opposition aux demandes d’enregistrement des marques de commerce U-BOX et U-BOX WE-HAUL. L’opposition de l’intimée à ces demandes reposait sur trois des motifs énoncés au paragraphe 38(2) de la Loi :

  1. les marques de commerce ne sont pas enregistrables selon l’alinéa 12(1)d) de la Loi (alinéa 38(2)b));
  2. l’appelante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement des marques de commerce selon l’alinéa 16(1)a) de la Loi (alinéa 38(2)c));
  3. les marques de commerce ne sont pas distinctives au sens de l’article 2 de la Loi (alinéa 38(2)d)).

[6]               Ces motifs d’opposition étaient tous fondés sur la probabilité de confusion entre les marques de commerce U-BOX et U-BOX WE-HAUL visées par les demandes de l’appelante et la marque de commerce U BOX IT appartenant à l’intimée. L’appelante a rejeté tous les motifs d’opposition et a déposé une contre-déclaration le 23 mars 2011 concernant la marque de commerce U-BOX WE-HAUL ainsi qu’une contre-déclaration le 14 octobre 2011 concernant la marque de commerce U-BOX. Les procédures d’opposition ont eu lieu conjointement.

[7]               Comme il est indiqué au paragraphe 2 précité, la Commission a rejeté les demandes d’enregistrement des marques de commerce U-BOX et U-BOX WE-HAUL en vertu de l’autorité que lui confère le paragraphe 38(8) de la Loi, tranchant en faveur de l’intimée sur les trois motifs d’oppositions invoqués.

[8]               Les marques de commerce en cause sont des mots servant de marque. Il est néanmoins utile de comparer les preuves d’usage des marques respectives des parties en examinant les photographies des services des parties.

   

II.                DÉCISIONS EN APPEL

[9]               Les parties ont accepté lors de l’audience que les deux appels soient entendus ensemble. Il convient donc de résumer les décisions ensemble. Au début, la Commission a défini les fardeaux de preuve respectifs à chacune des parties, en soulignant qu’il incombait à l’intimée de produire suffisamment d’éléments de preuve admissibles pour raisonnablement étayer chacun des motifs d’opposition : John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.) à la page 298. Si elle réussit, l’intimée inverse le fardeau et l’appelante doit alors établir selon la prépondérance des probabilités que ses demandes respectent les exigences de la Loi. Dans le cas présent, et compte tenu des motifs d’opposition en cause, l’appelante devait convaincre la Commission qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de confusion entre ses marques de commerce U-BOX et U-BOX WE-HAUL et la marque de commerce U BOX IT de l’intimée.

[10]           La Commission a déterminé les dates pertinentes pour les trois motifs d’opposition. En ce qui concerne la question de savoir si les marques de commerce de l’appelante sont enregistrables aux termes de l’alinéa 12(1)d), la Commission a conclu que la date de ses décisions constituait la date pertinente, soit le 26 septembre 2014, en citant l’arrêt Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.). En ce qui concerne la question de savoir si l’appelante avait droit d’enregistrer des marques de commerce aux termes de l’alinéa 16(1)a), la Commission a conclu que le 3 octobre 2009 constituait la date pertinente, soit la date de la première utilisation des marques de commerce contestées par l’appelante. Enfin, en ce qui concerne la question du caractère distinctif au sens de l’article 2, la Commission a conclu que les dates de dépôt des déclarations d’opposition seraient les dates pertinentes, soit le 31 août 2010 pour l’opposition à U-BOX et le 15 novembre 2010 pour l’opposition à U-BOX WE-HAUL. Pour chacune de ces dates pertinentes, la Commission a conclu qu’il y avait une probabilité raisonnable de confusion. En tirant cette conclusion, la Commission met de l’avant le critère de la confusion en référence aux paragraphes 6(2) et 6(5) de la Loi, lesquels prévoient ce qui suit :

6(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

6(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[…]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;


(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[11]           La Commission indique que le critère de la confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait, et qu’il importe de prendre en considération l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énumérés au paragraphe 6(5).

[12]           La Commission a correctement formulé son énoncé du droit qui est résumé dans les paragraphes précédents.

[13]           La Commission s’est ensuite penchée sur la question de la confusion. Concernant le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues (alinéa 6(5)a)), la Commission indique que les marques de commerce sont également faibles sur le plan du caractère distinctif inhérent. Les marques de commerce des deux parties ont néanmoins été reconnues comme ayant acquis un certain caractère distinctif par la promotion et l’usage. La Commission a conclu que, même si la marque de commerce U BOX IT de l’intimée est devenue connue au moins dans une certaine mesure au Canada en liaison avec des services d’enlèvement des ordures et de gestion des déchets, le volume des transactions, les chiffres de ventes, ainsi que la disponibilité et l’exécution des services de l’appelante en liaison avec les marques U-BOX et U-BOX WE-HAUL partout au Canada, semblent beaucoup plus considérables. Par conséquent, la Commission a conclu que le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) joue en faveur de l’appelante.

[14]           En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage (alinéa 6(5)b)), la Commission a conclu que la marque de commerce U BOX IT a été en usage depuis 2006; en revanche, la preuve d’usage la plus éloignée dans le temps des marques de commerce U-BOX et U-BOX WE-HAUL remonte à octobre 2009. La Commission a donc conclu que le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b) joue en faveur de l’intimée.

[15]           La Commission a analysé ensemble la nature des services (alinéa 6(5)c)) et la nature du commerce (alinéa 6(5)d)). La Commission a noté que l’examen de ces facteurs repose sur les états déclaratifs des services qui sont décrits dans les demandes d’enregistrement des marques de l’appelante et dans l’enregistrement de l’intimée. La Commission a estimé qu’il n’existe ni similitude ni recoupement entre les services d’enlèvement des ordures et de gestion des déchets de l’intimée et les services de déménagement et d’entreposage de l’appelante tels qu’ils sont décrits dans les états déclaratifs des services des parties. Néanmoins, la Commission a estimé qu’il existe des similitudes dans la façon dont les services des parties sont offerts. La Commission a constaté ce qui suit :

Il existe des similitudes dans la façon dont les services des parties sont offerts. Dans le cadre de ses services d’enlèvement des ordures, l’Opposante offre de déposer à l’endroit indiqué par le client un conteneur jetable prêt à assembler. Une fois que le conteneur est plein, l’Opposante passe le récupérer à la demande du client, puis l’apporte avec les matières indésirables qu’il contient à une installation de traitement des déchets, tel un site d’enfouissement, en vue de son élimination. En comparaison, dans le cadre de ses services d’entreposage et de déménagement, [l’appelante] offre de déposer un conteneur en bois préfabriqué à l’endroit indiqué par le client. Une fois que le conteneur est plein, la Requérante passe le récupérer à la demande du client, puis l’apporte à une installation d’entreposage ou le livre à un autre endroit indiqué par le client. Tandis que l’Opposante offre ses services pour un tarif forfaitaire fixe qui comprend la livraison, le ramassage et l’enlèvement, la Requérante offre ses services sous la forme d’un contrat de location.

[16]           La Commission a estimé qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que le consommateur moyen de services de déménagement et d’entreposage chercherait nécessairement une entreprise offrant des services spécialisés d’enlèvement des ordures et de gestion des déchets, ou inversement, mais qu’il se pourrait que les marchés cibles respectifs des parties se chevauchent. La Commission a estimé que les services des parties pouvaient être perçus comme complémentaires, car des consommateurs qui envisagent de déménager ou d’entreposer leurs biens sont susceptibles de nécessiter des services d’enlèvement d’ordures pour des projets de nettoyage ou de rénovation. À cet égard, la Commission a déterminé qu’il existe une possibilité de recoupement entre les canaux de distribution des parties, mais que cela semble peu probable. La Commission a souligné que ni l’enregistrement de l’intimée ni les demandes d’enregistrement des marques de commerce de l’appelante ne comportent de restrictions. Par conséquent, en soupesant les considérations ci-dessus, la Commission a conclu que le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)c) jouait légèrement en faveur de l’intimée, tandis que le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)d) ne favorisait aucune des parties en particulier.

[17]           En ce qui concerne le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils évoquent (alinéa 6(5)e)), la Commission statue que ce facteur est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse de la probabilité de confusion. La Commission a soutenu ce qui suit :

[49] En l’espèce, je suis d’avis que le premier élément de la Marque de la Requérante, c’est-à-dire « U-BOX », constitue également la partie la plus importante au chapitre de la distinction, car aucun des éléments de la Marque n’est particulièrement frappant ou unique.

[50] Il existe nécessairement une ressemblance considérable sur les plans visuel et phonétique entre les marques de commerce des parties, car ces dernières commencent respectivement par les termes essentiellement identiques « U BOX » et « U-BOX ».

[51] Il existe également certaines similitudes sur le plan des idées suggérées, car les marques suggèrent toutes deux au consommateur, « you » [vous], l’idée de mettre des choses dans un conteneur, même si les raisons de le faire sont complètement différentes selon qu’il s’agit des services spécifiés dans l’enregistrement ou des services visés par la demande. Je souligne que la Marque véhicule également l’idée distincte du conteneur qui est transporté par « we » [nous], c’est-à-dire la Requérante. À cet égard, The Canadian Oxford Dictionary définit la lettre « U », entre autres, comme une référence familière au pronom « you » [vous] et le mot « haul » comme l’action de [traduction] « transporter par camion, chariot, etc. ».

[52] En somme, je conviens avec l’Opposante que, lorsqu’on les considère dans leur ensemble, les marques de commerce des parties présentent des similitudes dans la présentation, dans le son et dans les idées qu’elles suggèrent du fait qu’elles commencent respectivement par les termes « U BOX » et « U-BOX ».

[53] Par conséquent, le facteur énoncé à l’article 6(5)e) favorise l’Opposante.

[18]           En résumé, la Commission applique les facteurs énoncés à l’article 6(5) comme suit :

Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues (alinéa 6(5)a))

Appelante

La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage (alinéa 6(5)b))

Intimée

Le genre de biens, de services ou d’entreprises (alinéa 6(5)c))

Intimée (légèrement)

La nature du commerce (alinéa 6(5)d))

Ni l’une ni l’autre

Le degré de ressemblance (alinéa 6(5)e))

Intimée

[19]           Au moment d’appliquer le critère général de la confusion, la Commission a conclu que le consommateur canadien moyen, pour ce qui est des services de déménagement et d’entreposage offerts et exécutés sous la marque de commerce U-BOX ou U-BOX WE-HAUL, serait porté à croire que ces services ont la même origine que des services d’enlèvement des ordures et de gestion des déchets offerts et exécutés sous la marque de commerce U BOX IT, ou inversement. Par conséquent, la Commission était d’avis qu’il y avait probabilité raisonnable de confusion entre les marques.

III.             THÈSES DES PARTIES

A.                Appelante

[20]           L’appelante soutient que les marques de commerce respectives des parties ne créent pas de confusion. Elle fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte de la réalité incontestable que les parties offrent des services complètement différents dans des canaux de distribution totalement distincts. Par conséquent, selon l’appelante, l’erreur fondamentale de la Commission a été de conclure que la nature des services (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)c)) jouait en faveur de l’intimée et que la nature du commerce (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)d)) ne jouait en faveur de ni l’une ni l’autre des parties. L’appelante cherche à présenter un nouvel élément de preuve à ces appels en vue de démontrer que ni l’une ni l’autre des entreprises ne promeuvent ou n’offrent à la fois des services d’enlèvement des ordures et de gestion des déchets et des services de déménagement et d’entreposage. L’appelante soutient que ce nouvel élément de preuve aurait pu influer sur les décisions et elle démontre que les marques de commerce respectives des parties ne porteraient pas à confusion auprès du consommateur canadien moyen.

[21]           En plus des principales questions précitées, l’appelante allègue un certain nombre d’erreurs variant en importance et en force persuasive.

B.                 Intimée

[22]           L’intimée soutient que les arguments de l’appelante ne tiennent pas compte de l’élément central des analyses des alinéas 6(5)c) et 6(5)d) menées par la Commission : il existe des similitudes dans la façon dont les services des parties sont offerts. Comme le souligne l’intimée, la Commission a conclu que les deux services se servaient d’un [traduction] « grand conteneur en forme de boîte » qui est [traduction] « déposé devant la maison d’un client et que le client remplit avec des objets de cette maison, et qui est ensuite récupéré par le fournisseur de service ». L’intimée est d’avis que cette observation de la Commission n’est pas touchée par l’observation selon laquelle les services et les canaux de distribution des parties sont différents. Il suffit que les services soient légèrement semblables, car un client occasionnel, à sa première impression, est susceptible de confondre les marques de commerce même si celles-ci sont liées à des services différents. À cet égard, l’intimée note qu’il n’est pas nécessaire que les parties exercent dans le même domaine ou la même industrie pour qu’il y ait confusion, citant Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1995] 1 RCF 614, [1994] A.C.F. no 1642, au paragraphe 14 (CAF) (QL) [Miss Universe].

[23]           L’intimée s’oppose à ce que l’appelante présente un nouvel élément de preuve, alléguant que le nouvel élément de preuve est répétitif, n’a aucune valeur probante et n’ajoute rien d’important. En outre, même si l’élément de preuve était admis, l’intimée fait valoir que la conclusion globale demeurerait inchangée compte tenu du rôle primordial que joue l’alinéa 6(5)e) dans l’analyse globale de la question de la conclusion.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Les parties sont essentiellement d’accord avec les questions à résoudre dans ces appels :

  1. Quelle norme de contrôle s’applique aux décisions de la Commission?
  2. Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il y avait une possibilité de confusion entre les marques de commerce de l’appelante et la marque de commerce de l’intimée, contrairement aux alinéas 12(1)d) et 16(1)a) ou à l’article 2 de la Loi?

V.                ANALYSE

A.                Quelle norme de contrôle s’applique aux décisions de la Commission?

(1)               Aperçu

[25]           La norme de contrôle applicable est déterminée par la question de savoir si le nouvel élément de preuve de l’appelante avait pu influencer la Commission dans ses conclusions de fait ou dans son exercice du pouvoir discrétionnaire. Si tel est le cas, la Cour doit mener une nouvelle analyse afin de déterminer si l’appelante s’est acquittée du fardeau qui lui incombait afin de démontrer qu’il n’y avait aucun risque de confusion en ce qui concerne chacun des motifs d’opposition, en tenant compte à la fois des éléments de preuve présentés à la Commission et des nouveaux éléments de preuve produits en appel. Comme le juge de Montigny l’a énoncé dans la décision Hayabusa Fightwear Inc. c. Suzuki Motor Corporation, 2014 CF 784, au paragraphe 25 [Hayabusa] :

[…] En raison de son expertise, le registraire a droit à une certaine déférence et ses décisions ne doivent pas être annulées à la légère. Lorsque de nouveaux éléments probants sont présentés, cependant, la Cour peut rendre sa propre décision et substituer son opinion à celle du registraire.

[26]           Par contre, s’il est déterminé que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas influé de manière importante sur les conclusions de la Commission, la Cour doit déterminer si les décisions de la Commission de rejeter les demandes d’enregistrement des marques de commerce de l’appelante étaient raisonnables. La Commission est censée posséder une expertise relativement à la question de la confusion et, en conséquence, une retenue judiciaire est due : Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 36 [Mattel] : En conséquence, à l’égard de la norme de la décision raisonnable, les décisions de la Commission doivent être justifiées, transparentes et intelligibles, et appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

(2)               Les nouveaux éléments de preuve auraient-ils influé de manière importante sur les décisions?

[27]           La présentation de nouveaux éléments de preuve en appel d’une décision du registraire est permise en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi, lequel prévoit ce qui suit :

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

[28]           Le poids d’un tel nouvel élément de preuve est cependant régi par la jurisprudence. Les principes directeurs ci-dessous ressortent de la jurisprudence :

  1. La Cour doit examiner dans quelle mesure cette preuve a une importance probante qui s’étend au-delà des éléments dont disposait la Commission : Loro Piana S.P.A. c. Conseil canadien des ingénieurs, 2009 CF 1096, au paragraphe 15 [Loro Piana S.P.A.]; Berlucchi c. Prince, 2007 CF 245, au paragraphe 25 [Berlucchi].
  2. Le critère est un critère de qualité et non de quantité : Loro Piana S.P.A., au paragraphe 29, citant Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. APA - Engineered Wood Assn., [2000] ACF no 1027, au paragraphe 36 (QL) (1re inst.).
  3. Le nouvel élément de preuve ne doit pas simplement reprendre un élément de preuve existant. Il doit plutôt ajouter un élément important et améliorer le bien-fondé des documents déjà présentés : Berlucchi, au paragraphe 25; Gemological Institute of America c. Gemology Headquarters International, 2014 CF 1153, au paragraphe 25.

[29]           L’appelante prétend que le nouvel élément de preuve qu’elle présente démontre que la nature des services respectifs des parties est différente et que les services sont offerts dans des canaux de distribution totalement distincts. Le nouvel élément de preuve est composé d’échantillons choisis au hasard dans les Pages Jaunes et provenant d’un certain nombre de villes et de régions canadiennes et dont les dates s’étendent de 2008 à 2014. Ces échantillons sont des publicités figurant dans les catégories liées à des services de déménagement et d’entreposage ainsi qu’à des services d’élimination et de gestion des déchets. Selon l’appelante, aucune entreprise ne fait de la publicité dans les deux catégories et aucune entreprise n’offre à la fois des services de déménagement et d’entreposage et des services d’élimination et de gestion des déchets. L’appelante fait valoir que ce nouvel élément de preuve démontre que ces services ne constituent pas des éléments complémentaires à des segments qui se chevauchent dans les marchés cibles respectifs des parties, contrairement à la conclusion de la Commission. De plus, avec cet élément de preuve, l’appelante demande à la Cour de conclure que les consommateurs canadiens savent que les services respectifs des parties sont différents, et qu’ils ne s’attendent pas à ce qu’un même fournisseur offre les deux services.

[30]           L’intimée soutient que ce nouvel élément de preuve ne peut pas influer de manière importante sur les décisions de la Commission, car il n’a aucun effet sur les analyses des alinéas 6(5)c) ou 6(5)d) menées par la Commission, et encore moins sur son analyse de la question de la confusion. Selon l’intimée, l’appelante a présenté ce nouvel élément de preuve dans l’unique but de justifier un examen de novo des décisions de la Commission, rendant ainsi non pertinent le rôle de la Commission ou du registraire quant à la détermination des demandes d’enregistrement des marques de commerce de l’appelante. L’intimée remet également en question la façon dont les documents présentés constituent un « nouvel » élément de preuve. Selon l’intimée, le nouvel élément de preuve est répétitif et [traduction] « essentiellement de la même nature » que les autres éléments de preuve soumis à la Commission. L’intimée conteste également la fiabilité de l’élément de preuve, indiquant qu’il n’y a aucun critère de sélection défini pour les diverses villes et régions retenues ou la différence entre les années pour chaque ville ou région. De façon plus générale, l’intimée soutient que cet élément de preuve ne fait que confirmer les conclusions de la Commission, lesquelles tranchent déjà en faveur de l’appelante. L’intimée fait valoir que la Commission a déjà conclu qu’il était improbable que les canaux de distribution des parties se chevauchent, et qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que le consommateur moyen de services de déménagement et d’entreposage chercherait nécessairement une entreprise offrant des services spécialisés d’enlèvement des ordures et de gestion des déchets, ou inversement.

(3)               Décision concernant l’effet de la nouvelle preuve

[31]           Bien que la Commission ait reconnu que les services de déménagement et d’entreposage sont différents des services d’élimination et de gestion des déchets, elle a conclu que la manière particulière dont ces services sont offerts par les parties est de nature semblable; par conséquent, la Commission penche légèrement en faveur de la thèse de la confusion. La conclusion figurant à l’alinéa 6(5)c) ainsi que la constatation des faits sur laquelle la Commission a fondé sa conclusion ne sont pas touchées par la nouvelle preuve présentée par l’appelante.

[32]           La nouvelle preuve est liée à la nature du commerce (alinéa 6(5)d)). La Commission, qui a conclu que ce facteur ne jouait en faveur d’aucune partie, a divulgué les motifs suivants dans sa conclusion :

[traduction]Aucune preuve n’indique qu’un client moyen d’une entreprise de déménagement et d’entreposage chercherait [sic] nécessairement à faire affaire avec des entreprises qui offrent des services spécialisés en élimination et en gestion des déchets, ou vice versa.

[...]

Toutefois, il est concevable que les clients qui cherchent à déplacer ou à entreposer leurs biens participent également à des projets de nettoyage ou de rénovation qui pourraient nécessiter une grande quantité de services d’élimination des déchets.

[...]

Par conséquent, les services offerts par les deux parties pourraient être perçus comme des éléments complémentaires à des segments qui se chevauchent liés à leurs marchés cibles respectifs.

[...]

En tenant compte du lien qui existe entre les services des parties et le fait que l’enregistrement [de l’intimée] et la demande [relative aux marques de commerce de l’appelante] ne contiennent aucune restriction, il est possible que les voies commerciales des parties se chevauchent.

[...]

Toutefois, un tel chevauchement semble improbable puisque la preuve démontre que les services de l’appelante sont uniquement disponibles en communiquant avec U-HAUL par téléphone, sur le site Web de l’entreprise ou aux points de service U-HAUL.

[33]           L’appelante souhaite présenter la nouvelle preuve afin de démontrer qu’aucun fournisseur de services de déménagement et d’entreposage n’annonce (ou ne fournit) des services d’élimination et de gestion des déchets, permettant ainsi de conclure que les parties empruntent différentes voies commerciales. Toutefois, la Commission semble avoir été au courant de ce fait, puisqu’elle a conclu qu’il était « improbable » que les voies commerciales des parties se chevauchent. De plus, la possibilité que les services des parties soient annoncés ou offerts de façon exclusive à différentes entreprises constitue un facteur distinct par rapport à la possibilité que les services soient perçus comme des éléments complémentaires à des segments qui se chevauchent liés aux marchés cibles respectifs des parties.

[34]           Par conséquent, je suis d’accord avec l’intimée que cette nouvelle preuve ne touche pas la chaîne de raisonnement de la Commission ou les conclusions à cet égard, en particulier parce que la Commission reconnaît implicitement que les voies commerciales des parties sont fondamentalement distinctes. Par conséquent, la nouvelle preuve a une valeur probante trop faible pour justifier un examen de novo des décisions.

B.                 Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il y avait un risque raisonnable de confusion?

(1)               Erreurs principales : alinéas 6(5)c) et 6(5)d)

[35]           Les alinéas c) et d) du paragraphe 6(5) relatif au critère de confusion constituent le noyau de ces appels.

[36]           Les directives seront tirées de la jurisprudence suivante :

  1. Hayabusa, aux paragraphes 40 et 41 :

[40] Une marque de commerce doit évoquer, dans l’esprit du consommateur moyen, un lien entre un produit et sa source. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce « lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale ».

[41] Le point de vue qu’il faut adopter pour apprécier la probabilité d’une conclusion erronée est celui du consommateur mythique, souvent appelé [traduction] « l’acheteur ordinaire pressé » : Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 56, [2006] 1 RCS 772. En d’autres termes, le test en matière de confusion est celui de la première impression que laisse les marques dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé qui ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques : Veuve Clicquot Ponsardin Maison Fondée en 1772 c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20, [2006] 1 RCS 824.

  1. Mövenpick Holding AG c. Exxon Mobil Corp, 2011 CF 1397, aux paragraphes 33 et 38 à 40 :

[33] L’objet de la Loi sur les marques de commerce est d’empêcher la confusion dans le marché. La Cour suprême nous a rappelé qu’» elles [les marques de commerce] ont toujours pour objet, sur le plan juridique, selon les termes mêmes de l’art. 2 de la Loi sur les marques de commerce, R.S.C. 1985, ch. T-13, leur emploi par la personne qui en est propriétaire ‘de façon à distinguer […] les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres’ ». Il s’agit d’une garantie d’origine et, implicitement, d’un gage de la qualité que le consommateur en est venu à associer à une marque de commerce en particulier [...] » (Mattel, ci-dessus, par le juge Binnie, au par. 2).

[...]

[38] Ce paragraphe de l’arrêt Masterpiece a servi de fondement au paragraphe d’introduction de cet ensemble de motifs :

[41]   En l’espèce, la question est de savoir si, à partir de sa première impression, le « consommateur ordinaire plutôt pressé « qui voit la marque de commerce d’Alavida alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de l’une ou l’autre des marques de commerce ou du nom commercial de Masterpiece Inc. serait vraisemblablement confus, c’est-à-dire s’il est probable que ce consommateur considérerait qu’Alavida et Masterpiece Inc. constituent un seul et même fournisseur de services de résidence pour personnes âgées.

[39] Il faut faire preuve de prudence lorsqu’on fait référence aux arrêts Veuve Clicquot, Mattel et Masterpiece. Les deux premiers arrêts traitent de marques de commerce que l’on peut uniquement qualifier de célèbres. Ni Esso ni Mövenpick n’indiquent que les marques « Marché Express » et « Marché » sont aussi célèbres que le champagne Veuve Cliquot ou les poupées Barbie. Dans l’arrêt Masterpiece, une action en radiation, il était question de la confusion entre une marque de commerce non déposée, qui avait été utilisée, et une marque déposée en fonction de l’utilisation proposée. En d’autres mots, l’analyse a été réalisée en vertu de l’article 16 de la Loi, et non en vertu de l’article 12.

[40] Néanmoins, le critère de la confusion, quelle que soit la forme du litige, est précisé à l’article 6 de la Loi. Il est important de garder à l’esprit que les marchandises et les services ne doivent pas nécessairement faire partie de la même classe générale.

  1. Miss Universe, au paragraphe 14 :

[14]      Pour que l’on conclue à la vraisemblance de la confusion, il n’est pas nécessaire que les parties exercent dans le même domaine ou la même industrie, ni que les services soient du même genre ou de la même qualité. Les marques de commerce utilisées en liaison avec des marchandises et des services d’une certaine qualité, destinés à une catégorie d’acheteurs, peuvent causer de la confusion avec les marques de commerce désignant des marchandises et des services d’un genre ou d’une qualité différents, destinés à une catégorie différente d’acheteurs.

[37]           L’appelante soutient globalement que les parties offrent des services complètement différents et de manière exclusive. On soutient que l’élimination et la gestion des déchets sont « exactement à l’opposé » du déménagement et de l’entreposage, et qu’ils font partie de voies commerciales différentes; par conséquent, la Commission a commis des erreurs en ne choisissant pas les facteurs des alinéas 6(5)c) et 6(5)d) en faveur de l’appelante. L’appelante s’offusque du raisonnement de la Commission selon lequel les services des parties pourraient être perçus comme des éléments complémentaires et qu’un chevauchement entre leurs voies commerciales respectives était possible. L’appelante s’appuie sur les jugements Bridgestone Corporation c. Campagnolo SRL, 2014 CF 37 et Hayabusa.

[38]           En ce qui concerne l’alinéa  6(5)c), l’intimée soutient que les similitudes entre la façon dont les services sont présentés à un client occasionnel peuvent causer une certaine confusion, même si les services sont distincts, selon les faits, et qu’ils s’adressent à une classe différente d’acheteurs. En ce qui concerne l’alinéa  6(5)d), l’intimée soutient que les arguments de l’appelante font fi des autres facteurs qui orientent la conclusion de la Commission selon laquelle la nature du commerce ne favorise aucune partie. La Commission reconnaît qu’il n’y a aucune preuve qu’un client moyen des services offerts par l’une des parties chercherait à obtenir les services de l’autre partie; elle a également conclut que le chevauchement entre les voies commerciales respectives des parties était « improbable ». L’intimée reconnaît que ces facteurs jouent en faveur de l’appelante. Toutefois, l’intimée soutient que la Commission a également fondé sa conclusion qui figure à l’alinéa 6(5)d) sur le lien entre les services des parties et le fait que l’enregistrement de l’intimée et les demandes de l’appelante ne contiennent aucune restriction; ce sont des facteurs qui jouent en faveur de l’intimée. Par conséquent, l’intimée soutient que la conclusion de la Commission qui figure à l’alinéa 6(5)d) ne peut être considérée comme déraisonnable.

[39]           Je suis d’accord avec l’intimée que l’analyse de la Commission qui figure à l’alinéa 6(5)c) était fondée sur une manière semblable de fournir les services, et non sur une conclusion selon laquelle les services étaient en fait les mêmes. Il est possible d’être en désaccord avec la conclusion de la Commission selon laquelle le facteur lié à l’alinéa 6(5)d) ne favorise pas une partie en particulier, puisque la Commission elle-même a reconnu que le chevauchement entre les voies de commercialisation des parties était improbable. Toutefois, il faut tenir compte de l’avertissement formulé par le juge Evans dans le cadre du jugement Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, cité ici dans le jugement Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 :

[18] Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour (2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164). Il signale qu’» [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163). J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :

[traduction] La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs. [par. 44]

[40]           En raison des autres facteurs qui ont orienté l’analyse de la Commission qui figure à l’alinéa 6(5)d), la conclusion de cette dernière, qui figure au même alinéa, se justifie en fonction de la norme de la décision raisonnable. Cette conclusion est renforcée par l’autorité, comme ce fût le cas dans l’affaire Mattel :

[36]      La détermination de la probabilité de confusion requiert une expertise que la Commission (qui procède quotidiennement à des évaluations de ce genre) possède dans une plus grande mesure que les juges en général. Il faut donc faire preuve d’une certaine retenue judiciaire à l’égard de la décision de la Commission, comme la Cour l’a souligné dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 200 :

[traduction] À mon avis, il faut attribuer beaucoup de poids à la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion et la conclusion d’un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais comme l’a déclaré le juge Thorson, alors président de la Cour de l’Échiquier, dans l’affaire Freed and Freed Limited c. The Registrar of Trade Marks et al : [[1951] 2 D.L.R. 7, p. 13] :

[...] le fait de se fonder sur la décision du registraire portant que deux marques se ressemblent au point de créer de la confusion ne doit pas aller jusqu’à décharger le juge qui entend l’appel de cette décision de l’obligation de trancher la question en tenant dûment compte des circonstances de l’espèce.

37. Cela signifie en pratique que la décision du registraire ou de la Commission [traduction] ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles » : McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), à la p. 210, affidavit (1992), 41 C.P.R. (3d) 67 (CAF). [...]

[41]           L’appelante soutient que les conclusions de la Commission contiennent des contradictions internes et utilisent un langage imprécis. Par exemple, il a été souligné que la Commission a d’abord conclu qu’il n’y avait aucune similitude ou aucun chevauchement entre les services d’élimination et de gestion des déchets [de l’intimée] et les services de déménagement et d’entreposage de l’appelante; on a ensuite indiqué que [traduction] « il est concevable que les clients qui cherchent à déplacer ou à entreposer leurs biens participent également à des projets de nettoyage ou de rénovation qui pourraient nécessiter une grande quantité de services d’élimination des déchets. Par conséquent, les services offerts par les deux parties pourraient être perçus comme des éléments complémentaires à des segments qui se chevauchent liés à leurs marchés cibles respectifs ». Toutefois, le second extrait n’est pas tant une contradiction qu’une qualification. Il relève du bon sens que cet extrait ne puisse être remis en question. Le premier extrait a également été précédé par la phrase [traduction] « fondé sur l’examen des énoncés de service des parties ». Par conséquent, sur papier, les services des parties ne partagent aucune similitude; toutefois, en pratique, on relève des similitudes. De plus, comme il a été souligné précédemment, la jurisprudence contient plusieurs admonestations à l’effet que la [traduction] « perfection n’est pas la norme »; que la Cour doit [traduction] « éviter d’adopter une approche trop formelle en matière de contrôle judiciaire »; et que [traduction] « il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits » : Société canadienne des postes c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, aux paragraphes 163 et 164; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 18.

[42]           À la lumière des principes précités, je ne suis pas convaincu par les arguments de l’appelante qui soutient que la conclusion définitive de la Commission est rendue déraisonnable pour avoir utilisé des phrases comme [traduction] « il est concevable » dans le segment de la décision de la Commission cité ci-dessus, lorsque la Loi exige une norme plus élevée liée à la probabilité de confusion. Lorsqu’il est lu en même temps que toutes les autres questions relatives à la confusion potentielle que la Commission a pris en compte, le point soulevé par la Commission (qu’une certaine affaire était concevable de manière improbable) ne supprime pas le caractère raisonnable de l’ensemble.

(2)               Autres erreurs

[43]           En plus des questions principales énumérées ci-dessus, l’appelante indique avoir relevé d’autres erreurs : 1) la Commission n’a pas tenu compte du fait que les petites différences servent à distinguer deux marques de commerce dont le caractère distinctif inhérent est faible (alinéa 6(5)e)); 2) la Commission a commis des erreurs en concluant que la marque de commerce U BOX IT est connue au Canada puisque la preuve de l’intimée relative au caractère distinctif acquis comportait un important ouï-dire et était peu fiable (alinéa 6(5)a)); 3) la Commission a accordé trop d’importance au fait que la marque de commerce de l’intimée a été utilisée avant celles de l’appelante en raison de la faiblesse inhérente de la marque de commerce de l’intimée (alinéa 6(5)b)); 4) la Commission a accordé trop peu d’importance au fait que les marques de commerce de l’appelante étaient mieux connues que celle de l’intimée (alinéa 6(5)a)); 5) la Commission a commis des erreurs en concluant que les marques de commerce des parties comportent des similitudes dans la présentation (alinéa 6(5)e)); et 6) la Commission a omis de tenir compte des circonstances de l’espèce, y compris le fait que les services de U-Haul peuvent uniquement être obtenus à partir des installations de U-Haul et la notoriété de la maque U-Haul.

[44]           Il convient de répondre aux autres questions soulevées par l’appelante dans les composantes connexes de l’analyse de la confusion.

[45]           En ce qui concerne d’abord le caractère distinctif (alinéa 6(5)a)), l’appelante soutient que la Commission a accordé trop peu d’importance au caractère distinctif acquis par ses marques de commerce par rapport à la marque de commerce de l’intimée et qu’elle a commis une erreur en acceptant la preuve peu fiable et non crédible de l’intimée concernant le caractère distinctif acquis. En réponse, l’intimée a souligné que la Commission avait déjà réglé la question du caractère distinctif en faveur de l’appelante. La Commission a accepté que les marques de commerce de l’appelante aient acquis un caractère distinctif supérieur à celui de la marque de commerce de l’intimée; elle a conclu que la quantité de transactions, les chiffres d’affaires ainsi que la disponibilité et le rendement des services de l’appelante étaient « beaucoup plus considérables » (paragraphe 38 des deux décisions). La Commission a reconnu le ouï-dire concernant les parties de la preuve de l’intimée, mais a néanmoins été en mesure de conclure, au paragraphe 28 des deux décisions, que la marque de commerce de l’intimée était [traduction] « devenue connue au Canada, du moins dans une certaine mesure, pour son lien avec les services d’élimination et de gestion des déchets ». Selon moi, ces conclusions étaient déraisonnables. De plus, lors de l’examen d’une décision sur la norme de la décision raisonnable, j’ai noté qu’il ne revient pas à la Cour de réévaluer la preuve présentée devant la Commission : Wrangler Apparel Corp c. Timberland Co, 2005 CF 722, au paragraphe 40; London Drugs Ltd c. International Clothiers Inc, 2014 CF 223, aux paragraphes 52 et 53. Par conséquent, les arguments de l’appelante concernant le caractère distinctif acquis ne sont pas convaincants.

[46]           En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce ont été utilisées (alinéa 6(5)b)), l’appelante soutient que la Commission a accordé trop d’importance au fait que l’utilisation de la marque de commerce de l’intimée précédait l’utilisation de la marque de commerce de l’appelante, en particulier en raison de la faiblesse inhérente de cette dernière. Encore une fois, pour les mêmes motifs énumérés précédemment, il ne revient pas à la Cour de réévaluer la preuve dans le cadre d’un contrôle du caractère raisonnable. Le fait que l’utilisation de la marque de commerce de l’intimée précédait l’utilisation de la marque de commerce de l’appelante constituait un facteur que la Commission a pris en compte lors de son analyse globale de la confusion. Le fait que la Cour spécule sur le poids particulier accordé à ce facteur et qu’elle remplace sa propre appréciation de la preuve est hors de la portée de la norme de contrôle applicable. Selon moi, l’argument de l’appelante à l’alinéa 6(5)b) n’est pas convaincant, de la même façon.

[47]           En ce qui concerne le degré de ressemblance des marques de commerce (alinéa 6(5)e)), l’appelante soutient que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de reconnaître que les petites différences serviront à distinguer deux marques de commerce dont le caractère distinctif inhérent est faible. On soutient que la Commission n’a pas tenu compte de ces petites différences et qu’elle a accordé trop d’importance à la phrase « U BOX ». En appui à cette position, l’appelante cite le jugement Budget Blind Service Ltd c. Budget Blinds, Inc, 2007 CF 801 [Budget Blind Service Ltd], au cours duquel la Cour a conclu qu’il n’existait aucune confusion entre « Budget Blinds », d’une part, et les marques « Budget Blind Services » ou « Budget Blind Cleaning », de l’autre part. En réponse, l’intimée soutient que la partie la plus distinctive de sa marque est les deux premiers mots, « U BOX », qui sont identiques à ceux de la marque de l’appelante. L’intimée indique que la Commission a observé un degré de ressemblance élevé, autant visuellement que phonétiquement, entre les marques de commerce, ainsi que de fortes similitudes dans les idées proposées; les deux marques suggèrent que le client, ou « U » (un pronom informel désignant « vous » [ou « you » en anglais]), place des articles dans une boîte (box). Selon moi, les marques de commerce des parties ont un caractère distinctif inhérent supérieur, bien que faible, à celui des marques de commerce visées par le jugement Budget Blind Service Ltd; par conséquent, les faits de ce cas se distinguent de ceux du cas en l’espèce. Je suis d’accord avec l’intimée sur le fait que la conclusion de la Commission relative à la ressemblance entre les marques de commerce était déraisonnable.

[48]           L’appelante a fait référence à des cas où des marques ayant certaines ressemblances ont été autorisées. Il existe bien sûr d’autres cas dans le cadre desquels la Commission a conclu que le degré de ressemblance porterait à confusion; elle a donc refusé la marque fautive. Ces décisions ont souvent reposé sur des facteurs subtils et délicats. Donc, bien que les antécédents soient instructifs, il faut faire preuve de prudence lors de leur application. Un juge n’approuve rien sans discussion; toutefois, dans le cadre de cet appel, il doit vérifier la conclusion de la Commission en fonction de la preuve, examinée dans l’optique de la norme applicable de contrôle, soit toujours se rappeler que la Commission est un tribunal spécialisé, qu’elle commande la déférence et que sa conclusion doit être transparente, justifiée et intelligible, et faire partie des issues raisonnables, afin que cette preuve demeure intacte.

[49]           Enfin, en ce qui concerne les circonstances de l’espèce qui dépassent les facteurs dûment énoncés au paragraphe 6(5), l’appelante soutient que la Commission a omis de tenir compte de deux aspects importants de la preuve. Le premier concerne la notoriété de U-Haul. Le second est le fait que les services fournis par U-Haul peuvent uniquement être obtenus à partir des installations de U-Haul. L’intimée est d’avis que la Commission a tenu compte de la notoriété de U-Haul dans son analyse qui figure à l’alinéa 6(5)a).

[50]           En ce qui concerne le fait que les services de U-Haul peuvent uniquement être obtenus à partir des installations de U-Haul, il est possible que cela soit bien connu lorsqu’on fait affaire avec U-Haul. Il n’est pas clair si cela est connu lorsqu’on fait affaire avec U-BOX WE-HAUL ou U-BOX. Dans tous les cas, ce fait concerne la source du produit et a peu de liens avec la possibilité qu’un client moyen soit confus au sujet de la provenance d’un conteneur dans une entrée de cour.

VI.             CONCLUSION

[51]           La Commission commande la déférence. La conclusion à l’encontre de laquelle l’appel a été interjeté fait partie des issues raisonnables. L’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau qu’elle porte.

[52]           Les avocats des parties ont convenu que les coûts devraient suivre l’issue de la cause.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle. L’appelante doit payer les coûts de l’intimée.

« Robin Camp »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-2448-14, T-2449-14

 

INTITULÉ :

U-HAUL INTERNATIONAL INC. c. U BOX IT INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le JUGE CAMP

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Scott R. Miller

Jahangir Valiani

 

Pour l’appelante

 

Matthew R. Norwood

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MBM INTELLECTUAL PROPERTY LAW S.E.N.C.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

RIDOUT & MAYBEE S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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