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Date : 20151120


Dossier : T -74-15

Référence : 2015 CF 1300

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2015

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

TODD D. TRACEY

demandeur

et

Le procureur général du Canada

défendeur

jugement et MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [DA-TSS], datée du 3 avril 2014, lui refusant l’autorisation d’interjeter appel d’une décision au tribunal de révision [TR]. Le TR avait auparavant déterminé qu’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada [RPC] n’était pas payable au demandeur.

I.                   Le contexte

[2]               Le demandeur a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 29 mars 2011 et un évaluateur médical de Service Canada a rejeté sa demande le 26 juillet 2011. L’évaluateur médical a déterminé que le demandeur n’était pas atteint d’une invalidité qui était à la fois grave et prolongée, qui l’avait empêché de travailler de façon continue depuis le 31 décembre 2008, la fin de sa période minimale d’admissibilité [PMA]. Le demandeur a présenté une demande de nouvel examen de son dossier et le 7 novembre 2011, un évaluateur médical différent a aussi rejeté sa demande pour les mêmes motifs.

[3]               Le demandeur a interjeté appel de la décision lui refusant une pension d’invalidité du RPC au TR. Une audience a eu lieu le 29 janvier 2013, à l’occasion de laquelle le demandeur était représenté par avocat. Le TR a rejeté l’appel du demandeur dans une décision écrite datée du 25 avril 2013. Après avoir examiné la preuve dont il disposait et les observations des parties, le TR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante pour établir qu’il était atteint d’une invalidité grave au sens des dispositions légales applicables. Le TR a conclu qu’il était inutile de se prononcer sur la question de savoir si l’invalidité du demandeur était prolongée, compte tenu de sa conclusion relative au critère de la gravité.

[4]               Le demandeur a déposé une demande d’autorisation d’en appeler auprès de la DA‑TSS en mai 2013. Dans une décision datée du 3 avril 2014, la DA‑TSS a refusé au demandeur l’autorisation d’en appeler de la décision du TR au motif qu’il n’avait pas soulevé un moyen d’appel présentant une chance raisonnable de succès. La demande de contrôle judiciaire vise cette décision.

[5]               Avant de présenter sa demande le 29 mars 2011, le demandeur a demandé une pension d’invalidité du RPC à au moins deux reprises. Les deux demandes ont été rejetées.

II.                Le cadre légal

[6]               Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, j’ai reproduit les dispositions légales applicables ci-dessous.

[7]               Les articles 223, 224 et 225 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, c 19, étaient rédigés ainsi lorsqu’ils ont été adoptés :

223. L’article 2 de la Loi sur le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences est modifié par adjonction, selon l’ordre alphabétique, de ce qui suit :

223. Section 2 of the Department of Human Resources and Skills Development Act is amended by adding the following in alphabetical order:

« Tribunal »

« Tribunal »

« Tribunal » Le Tribunal de la sécurité sociale constitué par l’article 44

“Tribunal” means the Social Security Tribunal established under section 44

224. La partie 6 de la même loi est remplacée par ce qui suit :

224. Part 6 of the Act is replaced by the following:

PARTIE 5

PART 5

TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

SOCIAL SECURITY TRIBUNAL

Constitution et administration

Establishment and Administration

44. (1) Est constitué le Tribunal de la sécurité sociale qui est composé d’une division générale et d’une division d’appel.

44. (1) There is established a tribunal to be known as the Social Security Tribunal, consisting of a General Division and an Appeal Division.

225. Les définitions de « Commission d’appel des pensions » et « tribunal de révision », au paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada, sont abrogées.

225. The definitions “Pension Appeals Board” and “Review Tribunal” in subsection 2(1) of the Canada Pension Plan are repealed.

[8]               L’article 83 du Régime de pensions du Canada, LRC, 1985, c C ‑8 [le Régime], était rédigé comme suit entre le 16 mars 2012 et le 31 mars 2013 :

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

(2) Sans délai suivant la réception d’une demande d’interjeter un appel auprès de la Commission d’appel des pensions, le président ou le vice-président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.

(2) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board shall, forthwith after receiving an application for leave to appeal to the Pension Appeals Board, either grant or refuse that leave.

(2.1) Le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions peut désigner un membre ou membre suppléant de celle-ci pour l’exercice des pouvoirs et fonctions visés aux paragraphes (1) ou (2).

(2.1) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may designate any member or temporary member of the Pension Appeals Board to exercise the powers or perform the duties referred to in subsection (1) or (2).

(3) La personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs.

(3) Where leave to appeal is refused, written reasons must be given by the person who refused the leave.

(4) Dans les cas où l’autorisation d’interjeter appel est accordée, la demande d’autorisation d’interjeter appel est assimilée à un avis d’appel et celui-ci est réputé avoir été déposé au moment où la demande d’autorisation a été déposée.

(4) Where leave to appeal is granted, the application for leave to appeal thereupon becomes the notice of appeal, and shall be deemed to have been filed at the time the application for leave to appeal was filed.

[…]

[…]

(11) La Commission d’appel des pensions peut confirmer ou modifier une décision d’un tribunal de révision prise en vertu de l’article 82 ou du paragraphe 84(2) et elle peut, à cet égard, prendre toute mesure que le tribunal de révision aurait pu prendre en application de ces dispositions et en outre, elle doit aussitôt donner un avis écrit de sa décision et des motifs la justifiant à toutes les parties à cet appel.

(11) The Pension Appeals Board may confirm or vary a decision of a Review Tribunal under section 82 or subsection 84(2) and may take any action in relation thereto that might have been taken by the Review Tribunal under section 82 or subsection 84(2), and shall thereupon notify in writing the parties to the appeal of its decision and of its reasons therefor.

[9]               Les paragraphes 58(1) et 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34, [LMEDS] (anciennement appelée Loi sur le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), sont rédigés comme suit :

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58. (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

[10]           L’alinéa 42(2)a) du Régime est rédigé comme suit :

(2) Pour l’application de la présente loi :

(2) For the purposes of this Act,

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

III.             Les questions en litige

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle la Cour doit‑elle appliquer lors du contrôle de décisions de la DA‑TSS relatives à des demandes d’autorisation d’interjeter un appel?
  2. Les éléments de preuve supplémentaires présentés par le demandeur sont-ils admissibles devant la Cour?
  3. La DA‑TSS a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en refusant la demande d’autorisation d’interjeter un appel?

A.                La norme de contrôle

[12]           Le 1er avril 2013, la DA‑TSS a remplacé la Commission d’appel des pensions [CAP] en vertu des articles 223, 224 et 225 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, c 19. Jusqu’au 1er avril 2014, la CAP demeurait saisie des appels interjetés avant le 1er avril 2013, alors que la DA‑TSS héritait de la compétence de la CAP relativement aux demandes d’autorisation d’interjeter un appel.

[13]           En vertu des anciennes dispositions du Régime, une partie qui se croyait lésée par une décision du TR pouvait présenter une demande écrite au président ou au vice-président de la CAP qui pouvait à son tour désigner un membre ou un membre suppléant de celle-ci pour l’exercice du pouvoir d’accorder ou de refuser l’autorisation d’interjeter un appel. Bien que le Régime ne précisait pas le critère applicable pour accorder cette autorisation, la jurisprudence de la Cour a exigé que la partie sollicitant l’autorisation d’interjeter un appel présente une demande qui avait des chances sérieuses d’être accueillie (voir Callihoo c Canada (Procureur général), 190 FTR 114, [2000], aux paragraphes 15 et 22, ACF no 612 [Callihoo]; Canada (Procureur général) c Zakaria, 2011 CF 136, au paragraphe 36, [2011] ACF no 189 [Zakaria]; Belo‑Alves c Canada (Procureur général), 2014 CF 1100, au paragraphe 64, [2014] ACF no 1187 [Belo‑Alves]; Fancy c Canada (Ministre du Développement social), 2010 CAF 63, aux paragraphes 2 et 3, [2010] ACF no 276).

[14]           Le contrôle judiciaire d’une décision de la CAP accordant ou refusant l’autorisation d’interjeter un appel comportait la détermination de deux questions : 1) si le bon critère avait été appliqué; 2) si une erreur de droit ou de fait avait été commise en se prononçant sur la question de savoir si une demande ayant de sérieuses chances d’être accueillie avait été présentée. La norme de la décision correcte s’appliquait à la première question et la norme de la décision raisonnable s’appliquait à la deuxième question (voir Callihoo, au paragraphe 15; Zakaria, aux paragraphes 14 et 35; Belo‑Alves, aux paragraphes 57 et 58).

[15]           Le défendeur a invité la Cour à s’écarter de cette analyse en deux volets au motif qu’elle était incompatible avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et qu’ainsi, elle rendait le droit incertain. Le défendeur a fait valoir que le critère pour accorder l’autorisation d’interjeter appel est maintenant énoncé à l’article 58 de la LMEDS et que par conséquent, pour se prononcer sur la question de savoir si l’autorisation d’interjeter un appel devrait être accordée ou refusée, la DA‑TSS interprète sa loi constitutive. S’appuyant sur l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], le défendeur a de plus soutenu que la présomption selon laquelle la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée.

[16]           Le demandeur n’était pas représenté par avocat devant la Cour et n’a pas présenté d’observations concernant la norme de contrôle.

[17]           Je conviens avec le défendeur que l’analyse en deux volets qui guidait auparavant la Cour lors du contrôle de décisions de la CAP relatives à des demandes d’autorisation d’interjeter un appel devrait être revue. À mon avis, puisque le critère pour accorder la permission est maintenant énoncé dans la LMEDS, l’analyse ne devrait comporter qu’une seule étape, soit la détermination de la question de savoir si la décision de la DA‑TSS accordant ou refusant l’autorisation d’interjeter un appel était raisonnable. Bien qu’il soit possible d’imaginer que la DA‑TSS puisse appliquer un autre critère que celui énoncé dans la LMEDS, cela constituerait à mon avis une erreur susceptible de révision qui pourrait être visée par la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[18]           Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commission) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 30 et 39, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers], la Cour suprême du Canada a déclaré que la déférence était de mise lorsqu’un tribunal interprète les dispositions de sa loi constitutive. Dans un tel cas, la norme de contrôle présumée est la norme de la décision raisonnable à moins que la question ne soit une question qui appartient aux catégories de questions auxquelles la norme de la décision correcte s’applique :

[30]      […] Suivant la jurisprudence, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (Dunsmuir, par. 54; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 28, le juge Fish). Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les « questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la “délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents” [et] les questions touchant véritablement à la compétence » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 18, les juges LeBel et Cromwell, citant Dunsmuir, par. 58, 60‑61).

[…]

[39]      À mon sens, ce que je préconise en l’espèce découle naturellement de la volonté de simplification qui anime notre Cour dans Dunsmuir, et donne directement suite à Alliance (par. 26). Les véritables questions de compétence ont une portée étroite et se présentent rarement. Il convient de présumer que la norme de contrôle à laquelle est assujettie la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive ou qui l’applique est celle de la décision raisonnable. Tant que subsiste la catégorie des véritables questions de compétence, la partie qui prétend soulever une question qui y appartient doit établir les raisons pour lesquelles le contrôle visant l’interprétation de sa loi constitutive par le tribunal administratif ne devrait pas s’effectuer au regard de la norme déférente de la décision raisonnable.

[19]           Lorsque la DA‑TSS se prononce sur la question de savoir si la permission d’interjeter un appel devrait être accordée ou refusée, elle interprète sa loi constitutive. Par contraste, sous l’ancien régime qui était ancré dans la common law par le biais de la jurisprudence, le critère que doit appliquer la DA‑TSS lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si l’autorisation d’interjeter un appel doit être accordée ou refusée est maintenant énoncé au paragraphe 58(2) de la LMEDS. L’autorisation d’interjeter un appel est refusée si la DA‑TSS est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[20]           Le paragraphe 58(1) de la LMEDS énumère également les seuls moyens en vertu desquels un appel peut être interjeté : 1) la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [DG‑TSS] (auparavant le TR) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; 2) la DG‑TSS a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; 3) la DG‑TSS a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[21]           À mon avis, la détermination de la question de savoir si une demande d’autorisation d’interjeter un appel a une chance raisonnable de succès relève nettement du champ d’expertise de la DA‑TSS, dont la responsabilité finale, si l’autorisation est accordée, sera de se prononcer sur l’appel au fond, une décision qui sera susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, au paragraphe 31 :

[31]      À mon avis, les différences de structure, de composition et de mission entre le TSS et la CAP ne réduisent en rien la nécessité d’appliquer une norme de contrôle caractérisée par la retenue lors de l’examen des décisions du TSS. L’une des missions du TSS consiste à interpréter le RPC et à le mettre en application, et, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, le TSS est appelé de façon régulière à appliquer ce texte législatif. En outre, le paragraphe 64(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social restreint également le type de questions de droit ou de fait que le TSS peut trancher concernant le RPC, probablement pour assurer que ce tribunal n’examine que les questions qui relèvent de son champ d’expertise. Il ressort de ces facteurs que l’intention du législateur était que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard du TSS étant donné que son champ d’expertise est plus étendu en matière d’interprétation et d’application du RPC.

[22]           Étant donné que la décision finale en appel est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la détermination de la question de savoir si l’autorisation d’interjeter un appel devrait être accordée ou refusée devrait également être assujettie à la même norme de contrôle. En outre, je souligne qu’au paragraphe 58(2) de la LMEDS, le législateur a laissé à la DA‑TSS le soin d’être « convaincue » que l’appel a une chance raisonnable de succès. À mon avis, ce libellé vient encore plus appuyer l’argument selon lequel la déférence est de mise envers la DA‑TSS lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si l’autorisation d’interjeter un appel devrait être accordée.

[23]           Finalement, je conclus que la présomption selon laquelle la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée. À l’occasion de la détermination de la question de savoir si un appel a une chance raisonnable de succès, les questions juridiques soulevées lorsque la DA‑TSS applique sa loi constitutive n’appartiennent pas aux catégories des questions auxquelles la norme de contrôle de la décision correcte s’applique, comme il l’a été énoncé l’arrêt Alberta Teachers, précité.

B.                 Éléments de preuve supplémentaires présentés par le demandeur

[24]           Le défendeur a indiqué dans ses observations écrites que l’affidavit et le dossier du demandeur contenaient plusieurs documents qui n’avaient pas été présentés au TR ou à la DA‑TSS et il a soutenu que les documents étaient inadmissibles dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Les documents en cause sont les suivants : 1) le rapport d’une clinique daté du 29 janvier 2014, contenant les détails d’un examen du demandeur le 28 janvier 2014 (dossier du demandeur [DD], pages 14 et 15); 2) un article provenant du site Web appelé Les Canadiens pour la recherche médicale (CRM) (DD, pages 8 et 9); 3) un article non daté provenant du Columbia Medical Centre (DD, page 17); 4) une page de photographies de genoux et de chaussures (DD, page 18); 5) un CD.

[25]           J’ai examiné le dossier certifié du tribunal [DCT] et les deux premiers documents ont bel et bien été communiqués à la DA‑TSS. La DA‑TSS a reçu le rapport de la clinique le 19 février 2014 comme l’indique le timbre dateur (DCT, page AD1D‑2). Le demandeur a également transmis par courriel l’article provenant du site Web CRM à la DA‑TSS le 22 novembre 2013 (DCT, pages AD1C‑1 et AD1C‑2). Les deux autres documents et le CD ne faisaient pas partie du DCT.

[26]           Le demandeur a également tenté de présenter d’autres documents lors de l’audience devant moi. De façon générale, ces documents étaient composés de lettres diverses, d’extraits tirés d’Internet sur l’état du demandeur, de renseignements statistiques et de rapports de médecins. Le défendeur s’est opposé à ce que ces documents soient versés au dossier.

[27]           À l’exception des extraits tirés d’Internet et des notes manuscrites du demandeur figurant sur les documents, je constate que les documents qu’il tentait de présenter à l’audience faisaient déjà partie du DCT. Je constate également que les notes sur les documents semblent être principalement l’expression du désaccord du demandeur avec certains renseignements qu’ils contiennent.

[28]           Je conviens avec le défendeur que dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le dossier se limite habituellement à celui dont disposait le décideur. Un contrôle judiciaire est destiné à évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle est légale et n’est pas une appréciation du fond de celle-ci (voir Association universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 14 à 20, [2012] ACF no 93). Les documents dont le demandeur sollicitait l’admission en preuve à l’audience n’étaient pas, tels que présentés, devant la DA‑TSS et ils ne sont pas visés par les cas d’exception où de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Pour ces motifs, à exception du rapport de la clinique signé le 29 janvier 2014 et de l’article provenant du site Web CRM, la Cour ne peut examiner les nouveaux documents du demandeur aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire.

[29]           Je désire faire une dernière observation sur cette question avant d’entamer l’analyse du caractère raisonnable de la décision de la DA‑TSS. En vertu de l’ancien régime d’appel de la CAP, la présentation de nouveaux éléments de preuve constituait un motif d’appel et par conséquent, un demandeur sollicitant l’autorisation d’interjeter un appel pouvait présenter de nouveaux éléments de preuve pour montrer qu’il avait une cause défendable. Toutefois, dans l’actuel cadre législatif, la présentation de nouveaux éléments de preuve ne constitue plus un motif d’appel indépendant (Belo‑Alves, au paragraphe 108). Ainsi, la DA‑TSS n’avait nullement l’obligation de prendre en compte le rapport de la clinique signé le 29 février 2014 et l’article provenant du site Web CRM comme motif d’appel indépendant pour trancher la question de savoir si le demandeur a présenté une demande d’autorisation d’interjeter un appel qui avait une chance raisonnable de succès.

C.                 La DA‑TSS a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en refusant la demande d’autorisation d’interjeter un appel?

[30]           En vertu du paragraphe 58(2) de la LMEDS, l’autorisation d’interjeter un appel sera refusée si la « division d’appel […] est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[31]           Il incombait au demandeur de montrer à la DA‑TSS que son appel avait une chance raisonnable de succès. Comme motifs d’appel, il a soulevé plusieurs arguments qui peuvent être résumés comme suit : 1) le TR n’a pas tenu compte de ses observations; 2) le TR n’a pas accordé le poids approprié à son témoignage; 3) le TR a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas atteint une invalidité grave; 4) le TR a fait preuve de partialité et a manqué à un principe de justice naturelle; 5) le TR n’a pas tenu compte de la preuve médicale qui déclarait qu’il était incapable de travailler; 6) le demandeur a apporté des éclaircissements relativement aux erreurs de fait du TR.

[32]           Je suis d’avis que la décision de la DA‑TSS de refuser à l’appelant l’autorisation d’interjeter un appel était raisonnable, car elle appartenait aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[33]           La DA‑TSS a appliqué le bon critère et a examiné chacun des arguments du demandeur à la lumière de la décision du TR et des éléments de preuve versés au dossier. Premièrement, elle a mentionné que le TR avait résumé tous les éléments de preuve et les observations présentés à l’audience et y a fait référence dans la conclusion qu’il a rendue. S’appuyant sur l’arrêt Simpson c Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, [2012] ACF no No 334, de la Cour d’appel fédérale, la DA‑TSS a rappelé que le TR n’était pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve, mais qu’il était présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. La DA‑TSS a également indiqué que le poids accordé à la preuve relevait du juge des faits, non de l’organisme de révision et que le membre du TR qui entendait une demande d’autorisation d’en appeler ne pouvait pas substituer son appréciation à celle du juge des faits. Elle a conclu que l’invitation du demandeur à reformuler la preuve et à faire une nouvelle appréciation de cette preuve ne soulevait pas un moyen d’appel présentant une chance raisonnable de succès.

[34]           En réponse à l’argument du demandeur selon lequel le TR n’a pas tenu compte des éléments de preuve médicale et a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas invalide, la DA‑TSS a déclaré que le TR avait tenu compte de la preuve médicale et qu’il ne revenait pas à la DA‑TSS de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve et d’en tirer une conclusion différente. Elle a conclu que cela ne soulevait pas un moyen d’appel qui avait une chance raisonnable de succès.

[35]           En ce qui concerne l’argument du demandeur portant que le TR avait fait preuve de partialité et qu’il avait manqué à un principe de justice naturelle, la DA‑TSS a conclu qu’il n’existait aucun fondement factuel et que rien dans la décision n’étayait une conclusion de partialité ou un manquement à la justice naturelle.

[36]           Enfin, en ce qui concerne les erreurs de fait que le TR aurait commises, la DA‑TSS a déclaré que pour justifier un appel, les erreurs alléguées doivent avoir été commises de façon abusive ou arbitraire. Elle a conclu que les erreurs alléguées n’étaient ni abusives, ni arbitraires, ni importantes et que ce motif d’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[37]           À mon avis, la décision de la DA‑TSS a examiné chacun des motifs d’appel soulevés par le demandeur dans sa demande d’autorisation d’en appeler et, après avoir examiné à la fois la décision du TR et le DCT, la DA‑TSS n’a pas du tout mal interprété la preuve ni ne l’a ignorée, pas plus qu’elle n’a fait preuve d’iniquité procédurale ni n’a commis quelque autre erreur susceptible de contrôle.

[38]           Le TR a examiné de façon approfondie les éléments de preuve qui lui ont été présentés, notamment les éléments de preuve médicale concernant l’état du demandeur, et il a pris en compte l’ensemble de ses observations. Le TR a également appliqué le bon critère juridique pour se prononcer sur l’invalidité en vertu du RPC.

[39]           L’alinéa 44(1)b) du Régime énonce les critères d’admissibilité à la pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une pension d’invalidité, un demandeur : 1) ne doit pas avoir atteint l’âge de 65 ans; 2) ne doit pas recevoir de pension de retraite du RPC; 3) doit être invalide; 4) doit avoir versé des cotisations au RPC pendant au moins la PMA. La PMA est importante parce qu’une personne doit établir une invalidité grave et prolongée au plus tard à la fin de la PMA qui, dans le cas d’un demandeur tardif (comme le demandeur), doit être continue jusqu’à la date de la demande.

[40]           L’alinéa 44(2)a) du Régime définit l’invalidité comme une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongée. Une personne est considérée être atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir vraisemblablement entraîner le décès.

[41]           Le juge de Montigny a examiné les critères relatifs au caractère grave et prolongé dans la décision Zakaria, où il a écrit aux paragraphes 25 et 26 :

[25]      Une invalidité est « grave » seulement si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. C’est l’aptitude au travail, et non le diagnostic ou la description de la maladie, qui constitue le facteur déterminant pour ce qui est de la gravité de l’invalidité aux termes du Régime. L’invalidité ne repose pas sur le fait qu’un requérant est incapable d’exercer son emploi habituel, mais plutôt sur le fait qu’il ne peut exercer aucune occupation véritablement rémunératrice : Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, au paragraphe 3; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34, au paragraphe 7; Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, au paragraphe 50; Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 33, aux paragraphes 14 à 17.

[26]      Un requérant qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il a de sérieux problèmes de santé, mais aussi, dans les cas où il y a des preuves d’aptitude au travail, que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux en raison de ces problèmes de santé. Il est faux de penser que toute personne qui éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une invalidité grave et prolongée qui les rend régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une preuve médicale est requise, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et des possibilités : Inclima, précité, au paragraphe 3; Klabouch, précité, aux paragraphes 16 et 17; Villani, précité, aux paragraphes 44‑46 et 50.

[Non souligné dans l’original.]

[42]           Pour déterminer si le demandeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée, le TR s’est reporté à tous les dossiers médicaux pertinents du demandeur. Il a déclaré que le critère relatif au caractère « grave » devait être évalué dans le contexte du monde réel. Ainsi, pour évaluer la capacité de travailler d’une personne, des facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les compétences linguistiques et les emplois antérieurs doivent être pris en compte. Le TR a de plus déclaré que pour démontrer une invalidité grave, le demandeur doit non seulement établir qu’il a un problème de santé sérieux, mais dans les cas où il y a des preuves d’aptitude au travail, il doit aussi démontrer que les efforts pour trouver et conserver un emploi ont été infructueux pour des raisons de santé.

[43]           Le TR a conclu que même si la preuve médicale montrait que le demandeur avait consulté plusieurs spécialistes qui avaient mentionné le fait qu’il ne travaillait pas, rien dans leurs rapports n’indiquait que son invalidité était si grave qu’il était incapable de travailler. Le TR était troublé par le fait que le demandeur n’avait pas fait d’efforts sincères pour trouver un travail de rechange et n’a pas été convaincu par son témoignage quant aux raisons pour lesquelles il ne l’avait pas fait. Le TR a conclu qu’il incombait au demandeur de faire des efforts sincères pour trouver du travail, et qu’en ne le faisant pas, il n’avait pas satisfait au critère prévu par la jurisprudence.

[44]           De surcroît, le TR a aussi déclaré que pour obtenir gain de cause, le demandeur sollicitant une pension d’invalidité était tenu de respecter les recommandations de traitement et de les suivre et qu’en ne le faisant pas, il doit établir le caractère raisonnable de son inobservation des recommandations. Tout en prenant note de l’argument du demandeur selon lequel son état était chronique et ne s’était pas amélioré en dépit du fait qu’il avait suivi toutes les recommandations de traitement, le TR a souligné qu’à au moins trois reprises, le demandeur n’avait pas suivi le traitement recommandé par ses médecins. Le TR a examiné les explications du demandeur de ne pas le suivre, mais a néanmoins jugé que le demandeur aurait dû être plus disposé à suivre toutes les recommandations de traitement, compte tenu des allégations du demandeur quant à la gravité de son invalidité. Le TR a finalement conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il était atteint d’une invalidité grave au sens du Régime. Le TR a conclu qu’il était inutile de se prononcer sur le critère relatif au caractère prolongé.

[45]           Le TR a traité expressément toutes les questions soulevées par le demandeur et il a appliqué le critère juridique approprié pour établir l’existence d’une invalidité. Il était donc raisonnable pour la DA‑TSS de conclure que le demandeur n’avait pas soulevé de moyens d’appel qui avaient une chance raisonnable de succès et sa décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[46]           Au cours de l’audience, le demandeur a tenté de me convaincre qu’il avait droit à une pension d’invalidité en faisant ressortir les éléments de preuve médicale avec lesquels il était en désaccord. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la fonction de la Cour ne consiste pas à apprécier de nouveau la preuve ou à soupeser de nouveau les facteurs pris en compte par le TR pour en arriver à une conclusion différente en ce qui concerne l’admissibilité du demandeur à une pension d’invalidité. Ce n’est pas non plus le rôle de la DA‑TSS lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si l’autorisation d’en appeler devrait être accordée ou refusée.

[47]           Bien que je sois sensible aux problèmes de santé du demandeur, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui précèdent. L’avocat du défendeur n’a pas demandé de dépens et aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT

La cour statue que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Chaque partie assume ses propres dépens.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


cour fédérale

avocats inscrits au dossier


Dossier :

T -74-15

Intitulé :

TODD D. TRACEY c le procureur général du Canada

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 septembre 2015

motifs du jugement et JUGEMENT :

La juge Roussel

DATE des motifs :

Le 20 novembre 2015

Comparutions :

Todd D. Tracey

Pour le demandeur

(pour son propre compte)

Hasan Junaid

Pour le défendeur

Avocats inscrits au dossier :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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