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Date : 20151130


Dossier : IMM‑879‑15

Référence : 2015 CF 1329

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

MARCO ANTONIO CHUNG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision, datée du 28 janvier 2015, [la décision] par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel que le demandeur avait interjeté à l’encontre d’une mesure de renvoi.

II.                CONTEXTE

[2]               Originaire du Chili, le demandeur est devenu résident permanent du Canada, le 11 novembre 1979, et il a depuis vécu ici sans interruption. Le demandeur a deux enfants adultes issus d’un mariage antérieur. Il est âgé de 49 ans.

[3]               Il a été déterminé que le demandeur était visé par l’alinéa 36(1)a) de la Loi, puisqu’il a été déclaré coupable d’une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois a été infligé, ou d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[4]               Le demandeur a déjà fait l’objet d’une mesure de renvoi en raison d’une condamnation criminelle, et a interjeté appel avec succès de cette mesure en novembre 2006, après qu’un sursis lui eut été accordé en novembre 1999. Il a par la suite été déclaré coupable d’une infraction criminelle et a fait l’objet d’une deuxième mesure de renvoi, le 26 août 2013. Il a porté cette mesure de renvoi en appel pour des motifs d’ordre humanitaire, et il conteste le rejet de cet appel par la présente demande de contrôle judiciaire.

III.             LA DÉCISION VISÉE PAR LE PRÉSENT CONTRÔLE

[5]               Estimant que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants, la SAI a rejeté l’appel du demandeur après avoir entendu les dépositions du demandeur et de cinq témoins. La SAI (formée d’une seule personne) a fondé sa décision sur les facteurs énoncés dans la décision Ribic : Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (Ribic); Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3; Al Sagban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 4.

[6]               S’intéressant d’abord à la possibilité de réadaptation, la SAI a jugé que les antécédents criminels du demandeur, son absence de remords et son incapacité à admettre sa responsabilité malgré sa déclaration de culpabilité faisaient de ce facteur un facteur défavorable en appel.

[7]               La SAI a examiné le degré d’établissement du demandeur au Canada, renvoyant aux témoignages de l’un de ses fils, de son frère et de sa conjointe, et elle a statué qu’il s’agissait d’un facteur favorable.

[8]               La SAI s’est ensuite penchée sur les conséquences que le renvoi du demandeur du Canada aurait sur les membres de sa famille, et elle a conclu qu’il s’agissait d’un facteur « modérément favorable ». La SAI a examiné les témoignages des membres de la famille du demandeur et celui de son partenaire commercial dans une entreprise de cuisine de rue, qui a affirmé que le demandeur était essentiel au succès de cette entreprise.

[9]               Plusieurs témoins ont déclaré qu’ils seraient en mesure d’offrir un soutien au demandeur. Or, comme la plupart d’entre eux n’étaient pas au courant des antécédents criminels du demandeur ni de ses antécédents en matière de renvoi, la SAI a qualifié ce facteur de neutre.

[10]           Pour ce qui concerne les difficultés que causerait au demandeur son renvoi au Chili, la SAI a conclu que ces difficultés seraient minimes.

[11]           Le demandeur a un petit‑enfant âgé de trois mois. La SAI a conclu que le renvoi du demandeur aurait peu de conséquences directes sur l’intérêt supérieur de l’enfant.

[12]           Après avoir tenu compte de tous les facteurs énoncés dans la décision Ribic, la SAI a conclu que, si l’appel soulevait certains motifs d’ordre humanitaire, ceux‑ci étaient insuffisants pour l’emporter sur l’incapacité du demandeur à admettre sa responsabilité et sur son absence de remords. La SAI a statué que le demandeur n’était un bon candidat ni pour un appel ni pour un sursis à la mesure de renvoi.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Le demandeur soulève plusieurs questions dans la présente instance. Je les ai simplifiées ci‑dessous :

1.      La SAI a‑t‑elle commis une erreur de droit en considérant comme un facteur défavorable l’absence de remords du demandeur à l’égard d’une infraction dont il affirme être innocent?

2.      La SAI a‑t‑elle conclu erronément qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour faire droit à l’appel, en n’appréciant pas correctement les éléments de preuve concernant :

                                i.            l’intérêt supérieur de l’enfant?

                              ii.            le degré d’établissement?

                            iii.            le soutien et l’unité familiale?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs entrant en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[15]           En ce qui a trait à la première question, le demandeur invoque un principe général de droit, qui devrait être interprété de manière cohérente dans tous les ressorts. À mon avis, la norme applicable est celle de la décision correcte : Dunsmuir, précité; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61. En revanche, la deuxième question concerne le caractère globalement raisonnable de la décision de la SAI.

[16]           Lors du contrôle d’une décision suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]. En d’autres mots, la Cour ne devrait intervenir que si la décision de l’agent est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]       Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente instance :

Fondement de l’appel

Appeal Allowed

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé:

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Sursis

Removal Order Stayed

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Grande criminalité

Serious Criminality

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for:

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

VII.          ARGUMENTATION

A.                Le demandeur

(1)               Remords et réadaptation

[18]           Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur de droit en concluant qu’il n’avait manifesté aucuns remords à l’égard d’un crime pour lequel il avait inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité. Le demandeur affirme qu’il n’est pas légitime en l’espèce de considérer l’absence de remords comme un facteur aggravant même s’il a par la suite été déclaré coupable. Le demandeur fait un parallèle entre les règles relatives à la détermination de la peine et ce qui devrait légitimement être pris en compte dans un contexte d’interdiction de territoire : Forsyth c R, 2003 CACM 9; R c Bremner, 2000 BCCA 345; R c Alasti, 2011 BCSC 824.

[19]           En rapport avec un autre crime à l’égard duquel le demandeur a inscrit un plaidoyer de culpabilité, le demandeur affirme que la conclusion de la SAI selon laquelle il a manifesté un manque de remords et de responsabilité est [traduction« abusive », puisque le plaidoyer de culpabilité prouve qu’il [traduction« a de toute évidence reconnu sa responsabilité ». Le demandeur soutient en outre que la SAI a omis de prendre acte du fait que durant son témoignage, il avait à certaines occasions manifesté des remords. Il cite en exemple l’affirmation suivante, tirée de la transcription : [traduction« J’ai commis une erreur. Je n’aurais jamais dû leur dire une heure parce que j’aurais dû dire : “Non, je ne sais pas. Je ne sais pas vers quelle heure.”, et je n’aurais jamais été dans cette situation. »

[20]           Puisque la SAI se fonde sur l’absence de remords pour conclure que la possibilité que le demandeur se réadapte est faible, ce dernier soutient que les erreurs susmentionnées ont joué un rôle déterminant dans l’issue de l’appel. Le demandeur soutient en outre que si l’absence de remords équivaut à une absence de circonstances atténuantes, il ne s’agit pas d’une circonstance aggravante. La SAI en l’espèce n’a pas bien compris cette distinction.

[21]           Le demandeur soutient également que la SAI n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants quant à la probabilité de récidive : le fait qu’elle ne les mentionne pas dans sa décision signifie qu’elle a rendu celle‑ci sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

(2)               L’intérêt supérieur de l’enfant

[22]           Le demandeur soutient que la SAI n’a pas adéquatement tenu compte de l’intérêt supérieur de son petit‑fils. Soulignant que son témoignage concernant son petit‑fils n’est nullement mentionné et que son renvoi aurait, selon la SAI, « peu de conséquences directes » pour son petit‑fils (en raison de son jeune âge), le demandeur qualifie, encore une fois, le raisonnement de la SAI d’[traduction« abusif ».

[23]           Le demandeur soutient que c’est lorsqu’il est en bas âge qu’un enfant a le plus besoin de soutien, et que la décision de la SAI ne démontre pas la sensibilité ou l’attention que commande l’intérêt supérieur de l’enfant : Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

(3)               Établissement et soutien disponible au Canada

[24]           Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en confondant deux des facteurs énoncés dans Ribic, soit : « le degré d’établissement de l’appelant » et « le soutien dont bénéficie [le demandeur] ». Le demandeur affirme que ses nombreuses années de travail, ses relations personnelles réussies et les liens étroits qui unissent sa famille témoignent d’un établissement important au Canada. La SAI a rejeté ce facteur ou bien elle l’a déraisonnablement considéré comme étant neutre parce que les témoins pertinents ne connaissaient pas bien ses antécédents criminels et ses antécédents en matière de renvoi.

[25]           Le demandeur note que la décision mentionne l’existence de sa relation avec sa conjointe, mais ne tient pas compte de sa durée. Le demandeur soutient que sa relation de deux ans équivaut à un mariage aux fins de l’immigration, selon la définition de « conjoint de fait » énoncée au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].

[26]           Au soutien de cette prétention, le demandeur renvoie aux remarques incidentes formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Burgon, [1991] 3 CF 44 (CA), au paragraphe 42 :

Il n’est pas nécessaire que les circonstances dans lesquelles la Commission peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 77(3)b) soient extraordinaires. Il suffit qu’il existe des raisons d’ordre humanitaire. Il me semble que ces raisons peuvent être les plus ordinaires qui soient : l’amour d’un mari et de sa femme et leur désir naturel de vivre ensemble.

[27]           Le demandeur soutient que la décision porte à croire que la SAI traite les époux et les conjoints de fait différemment, ce qui est contraire à la loi. Soulignant l’importance que la Loi accorde à l’unité de la famille, le demandeur affirme que la SAI n’a pas tenu compte de l’importance de la Loi et du Règlement et est allée à l’encontre de l’intention du législateur.

[28]           Le demandeur affirme que la décision est insoutenable. Il donne un dernier exemple d’erreur commise par la SAI : celle‑ci n’a pas tenu compte de l’effet que le renvoi du demandeur aurait sur les personnes qu’il laisserait derrière lui.

B.                 Le défendeur

[29]           Le défendeur soutient que la décision est détaillée et qu’elle est raisonnablement fondée sur les éléments de preuve dont la SAI disposait. L’absence de fondement juridique et factuel aux reproches formulés dans les observations du demandeur indique qu’il n’existe aucune question défendable.

(1)               Remords et réadaptation

[30]           La conclusion de la SAI selon laquelle il est peu probable que le demandeur se réadapte est raisonnable : son dossier criminel fait état de récidive, eu égard à une série d’infractions et de déclarations de culpabilité similaires, et la transcription de l’audience démontre que le demandeur n’a pas reconnu sa responsabilité ou n’a pas manifesté suffisamment de remords en ce qui concerne ses infractions de trafic de stupéfiants et de fraude.

[31]           Quant à l’absence de remords, les affirmations du demandeur selon lesquelles il ne peut s’agir d’un [traduction] « facteur aggravant » ainsi que les précédents judiciaires que le demandeur invoque sur ce point sont inexacts. Le défendeur affirme que le demandeur a introduit à tort des concepts relevant de la détermination de la peine en matière criminelle dans un contexte d’interdiction de territoire.

[32]           Le défendeur soutient en outre que la SAI a dûment tenu compte de la probabilité de récidive, eu égard au raisonnement qui a mené à la conclusion selon laquelle il était peu probable que le demandeur se réadapte.

(2)               L’intérêt supérieur de l’enfant

[33]           Le défendeur affirme que les éléments de preuve relatifs à la relation et aux interactions entre le demandeur et son petit‑fils étaient peu nombreux et parfois incompréhensibles. La conclusion de la SAI selon laquelle l’expulsion aurait peu de conséquences directes sur le jeune petit‑fils est donc raisonnable.

[34]           Prétendre qu’un nourrisson a besoin de plus de soutien qu’un enfant plus vieux est, selon le défendeur, conjectural et sans aucune importance.

(3)               Établissement et soutien disponible au Canada

[35]           La SAI a tenu adéquatement compte de l’établissement du demandeur au Canada, eu égard à la durée de sa résidence, à ses antécédents en matière d’emploi et à son entreprise commerciale actuelle – qui ont tous été considérés comme des facteurs favorables.

[36]           L’affirmation du demandeur selon laquelle les répercussions de son expulsion sur sa famille et ses amis n’ont pas été prises en compte ne trouve aucun appui dans la décision, qui renvoie à des éléments de preuve concernant l’effet d’un éventuel renvoi sur divers individus.

[37]           Le défendeur affirme que la preuve de l’effet que le renvoi du demandeur aurait sur autrui n’a pas été écartée. La décision renvoie à la relation du demandeur et de sa conjointe et à la durée de leur cohabitation. La décision renvoie aussi expressément aux lettres de soutien rédigées par des amis et des membres de la famille. La conclusion de la SAI voulant que l’effet que le renvoi du demandeur aurait sur autrui soit un facteur modérément favorable, et celle voulant que le soutien soit un facteur neutre appartiennent toutes deux aux issues possibles acceptables.

C.                 Réponse du demandeur

(1)               Remords, réadaptation et principes de détermination de la peine en matière criminelle

[38]           Le demandeur répond que le défendeur n’a cité aucune jurisprudence au soutien de sa prétention selon laquelle le manque de remords pouvait être considéré comme un facteur aggravant. Le demandeur soutient que la notion qu’il invoque et qui relève de la détermination de la peine en matière criminelle peut être introduite dans le cadre d’un appel d’une mesure de renvoi. Il s’agit d’un principe de common law, et non d’un principe d’origine législative, et il peut donc être appliqué. Par conséquent, si l’absence de remords de la personne qui inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité ne peut être considérée comme un facteur aggravant dans un contexte de détermination de la peine, elle ne devrait pas non plus être considérée comme un facteur aggravant dans un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur a utilisé hors contexte la déclaration suivante que le demandeur a faite dans son témoignage : [traduction« J’étais accusé de quelque chose que je n’avais pas fait ». Le demandeur a été accusé de plus d’une infraction qui mettait en cause sa camionnette. La SAI a confondu une infraction liée à la camionnette, à l’égard de laquelle le demandeur a plaidé coupable, avec une infraction dont il affirme être innocent.

[39]           Le demandeur soutient que les facteurs criminogènes n’ont pas été traités adéquatement dans la décision, non plus que par le défendeur, qui a qualifié la question de sémantique, puisque la question de la probabilité de récidive est abordée dans le cadre d’une analyse sur la réadaptation. Le demandeur soutient que la question de la réadaptation a été examinée en fonction non pas de la probabilité de récidive, mais plutôt du degré de remords manifesté. Les remords ont été confondus avec la réadaptation, alors qu’il ne s’agit pas d’un seul et même concept. Les remords peuvent être un indicateur de la probabilité de récidive, mais non le seul indicateur, ni même le meilleur.

(2)               L’intérêt supérieur de l’enfant

[40]           Le défendeur a omis d’examiner tous les témoignages pertinents quant à la relation du demandeur avec son petit‑fils. Le demandeur soutient que le raisonnement du défendeur, qui a minimisé l’effet de son expulsion sur le petit‑enfant en raison de son âge, est [traduction« abusif ».

(3)               Appréciation de la preuve

[41]           Le demandeur soutient que la décision ne traite pas des éléments de preuve cumulativement, mais qu’elle considère plutôt isolément différents éléments de preuve. Il ajoute que la SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant la durée de sa résidence (35 ans) et la nature de sa relation avec sa conjointe ou qu’elle en a diminué l’importance.

D.                Réplique du défendeur

(1)               Remords, réadaptation et principes de détermination de la peine en matière criminelle

[42]           Le défendeur soutient que les principes relatifs aux peines criminelles sont sans rapport avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont dispose la SAI au chapitre des motifs d’ordre humanitaire, surtout parce que les analyses que requièrent ces processus sont complètement différentes.

[43]           En outre, le défendeur nie que la SAI ait fait plus qu’apprécier comme elle le devait les facteurs favorables et défavorables, et qu’elle ait simplement utilisé l’absence de remords comme un facteur aggravant. Il n’y a aucun motif de contrôle ici puisqu’il ne rentre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve : Khosa, précité, au paragraphe 61.

[44]           Pour ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle le défendeur et la SAI ont interprété hors contexte une de ses déclarations, le défendeur soutient que, considérée à la lumière d’autres déclarations tirées de la transcription, la déclaration en cause portait clairement sur l’accusation de fraude pour fausse déclaration à la police.

[45]           Le défendeur souligne l’absence de réponse du demandeur à un point soulevé dans ses observations précédentes – à savoir que les éléments de preuve étayent la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur n’a pas manifesté de remords quant à l’infraction de trafic de stupéfiants.

[46]           Pour ce qui concerne la réadaptation, le défendeur soutient que le bon critère juridique a été appliqué, conformément à l’analyse fondée sur la décision Ribic. Le défendeur affirme qu’indépendamment de la manière dont la décision est rédigée, sur le fond, elle traduit une crainte sérieuse que le comportement criminel du demandeur ne changera pas. Les faits ont établi que le demandeur avait continué à vendre de la cocaïne et à commettre d’autres infractions criminelles, sans remords ni admission de responsabilité et en faisant peu de cas des conséquences de son comportement criminel sur le plan de l’immigration.

(2)               L’intérêt supérieur de l’enfant

[47]           Le défendeur soutient qu’il y a peu d’éléments de preuve relatifs à l’effet que l’expulsion du demandeur aurait sur son petit‑fils. La personne qui sollicite la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire sur le fondement de l’intérêt supérieur d’un enfant doit, par une preuve claire et convaincante, établir l’existence de vulnérabilités personnelles ou économiques toutes particulières ou de liens tous particuliers entre le parent et l’enfant : Naidu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1103, au paragraphe 17 [Naidu].

(3)               Examen de la preuve

[48]           Le défendeur maintient que la SAI a tenu compte du degré d’établissement du demandeur au Canada, de sa relation avec sa conjointe et de la durée de sa résidence au Canada et qu’elle a accordé à ces éléments le poids qui convient.

VIII.       ANALYSE

[49]           Le demandeur a soulevé plusieurs motifs de contrôle, et j’examinerai chacun tour à tour.

A.                Remords

[50]           Le demandeur affirme que, lorsqu’un accusé inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité, c’est une erreur de droit que de considérer l’absence de remords comme un facteur aggravant aux fins de la détermination de la peine. S’appuyant sur ce principe tiré des principes de détermination de la peine en matière criminelle, le demandeur affirme qu’il est peut‑être légitime, dans le présent contexte d’immigration, de considérer les remords comme un facteur atténuant, mais qu’il n’est pas légitime de considérer l’absence de remords comme un facteur aggravant lorsqu’un accusé inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité et ce, même s’il est ensuite déclaré coupable.

[51]           Il s’agit d’une simple affirmation de ce que devrait être le droit, selon le demandeur, dans le contexte d’une procédure d’interdiction de territoire. Cette affirmation n’est étayée par aucune source.

[52]           Dans un contexte d’immigration, l’absence de remords ou le défaut d’admettre sa responsabilité à l’égard de crimes antérieurs sont pertinents au regard de la réadaptation et de la probabilité de récidive. Il ressort de la décision que c’était là précisément la préoccupation de la SAI en l’espèce.

[53]           Comme le dossier le démontre, le demandeur n’a pas manifesté de remords ni assumé la responsabilité de ses crimes antérieurs en général, et non uniquement des crimes à l’égard desquels il a inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité et a ensuite été déclaré coupable.

[54]           Pour ce qui concerne l’infraction de trafic de stupéfiants à l’égard de laquelle il a inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité (dossier du demandeur, aux pages 116 et 117), le demandeur a affirmé dans son témoignage que quelqu’un d’autre avait placé la drogue sous le siège de sa voiture et qu’il avait seulement été accusé parce qu’il s’agissait de son véhicule. Ainsi, il refuse de reconnaître sa culpabilité à l’égard d’un crime dont il a été déclaré coupable. Dans ce cas, le rapport de police indiquait qu’un policier avait vu le demandeur remettre la cocaïne à un ami. À cela, le demandeur a répondu : [traduction« ah, il mentait. Ce policier mentait. » (dossier du demandeur, aux pages 128 et 129). Bien qu’il ait été déclaré coupable de cette infraction, le demandeur a soutenu devant la SAI que le policier mentait.

[55]           Au sujet de l’accusation de fraude – dont il ressort à l’évidence du dossier, à mon avis, qu’elle se rapporte à une fausse déclaration à la police concernant sa camionnette volée –, le demandeur affirme qu’il a été accusé de quelque chose qu’il n’avait pas fait et qu’il [traduction« l’avait admis parce ça durait déjà depuis tellement longtemps que j’en avais ras‑le‑bol d’être accusé de quelque chose que je n’avais pas fait » (dossier du demandeur, aux pages 131 à 138). Les remords que le demandeur dit maintenant avoir exprimés l’auraient été dans l’échange suivant :

[traduction]

R :       Elle a été volée deux jours – deux heures avant cela, donc j’étais deux heures de différence. C’était le gros argument au sujet de tout ça.

Q :       D’accord. Vous avez commis une erreur.

R :       Alors, ouais, en gros, j’ai commis une erreur. Je n’aurais jamais dû – j’aurais dû dire que je ne savais pas quelle heure il était, mais ils m’ont demandé quelle heure il était dans l’intervalle. Pour les satisfaire, je leur ai dit une heure, et je n’aurais jamais dû leur dire une heure parce que j’aurais dû dire : “Non, je ne sais pas. Je ne sais pas vers quelle heure”, et je n’aurais jamais été dans cette situation.

Q :       D’accord, (inaudible).

R :       J’essayais d’aider à m’en sortir, avec l’heure, puis, en fin de compte, il m’en a coûté.

[56]           Le sens de ces propos n’est pas tout à fait clair, mais il ne serait pas déraisonnable de les interpréter comme signifiant que le demandeur regrette d’avoir été pris, et non qu’il regrette d’avoir commis le crime en question.

[57]           Il me semble que de nombreux éléments de preuve étayent la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur « n’a reconnu essentiellement aucune responsabilité et a exprimé peu de remords ». Cela a été pris en compte, de même que les antécédents criminels du demandeur, parmi lesquels figurent trois déclarations de culpabilité pour possession de stupéfiants en vue de faire le trafic datant de 1990, de juillet 1997 et d’octobre 1997.

[58]           La SAI ne s’intéresse pas aux remords comme tels. Elle cherche à déterminer quelles sont, pour le demandeur, les possibilités de réadaptation et les probabilités qu’il récidive :

[13]      Je reconnais que plusieurs années se sont écoulées entre les déclarations de culpabilité antérieures de l’appelant et l’infraction à l’origine de la présente mesure de renvoi. Toutefois, si je tiens compte de l’ensemble, à savoir ses antécédents criminels antérieurs concernant le même type d’infraction, son incapacité à admettre sa responsabilité et le peu de remords manifestés, j’estime que la possibilité de réadaptation est faible. Il s’agit d’un facteur défavorable en l’espèce.

[59]           Je ne suis pas prêt à admettre la simple affirmation du demandeur selon laquelle des principes de détermination de la peine devraient être introduits dans le présent contexte. Comme le souligne le défendeur, la SAI ne s’occupe pas de détermination de la peine, et son analyse doit tenir compte des motifs d’ordre humanitaire, ce qui l’oblige à apprécier les facteurs pertinents pour déterminer s’il est justifié de surseoir au renvoi. Il ressort clairement de la décision que la SAI n’a pas traité l’absence de remords comme un « facteur aggravant ». Elle devait se prononcer sur les possibilités de réadaptation du demandeur et sur ses probabilités de récidive, comme l’exigent la décision Ribic et les décisions subséquentes. De toute façon, l’infraction à l’égard de laquelle le demandeur a inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité n’était qu’un des éléments d’un tableau d’ensemble qui prenait en compte « ses antécédents criminels antérieurs concernant le même type d’infraction, son incapacité à admettre sa responsabilité et le peu de remords manifestés ». Le demandeur a demandé à la SAI, et demande maintenant à la Cour, de ne pas tenir compte du fait qu’il a été déclaré coupable de cette infraction hors de tout doute raisonnable et qu’il refuse maintenant d’assumer la responsabilité de son crime. Il dit que le policier a menti. Je pense que la SAI peut présumer, en l’absence de preuve contraire, que le demandeur a pleinement fait valoir son point de vue et que celui‑ci a été dûment pris en compte dans le cadre du procès criminel. Le demandeur a le droit de clamer son innocence, mais la SAI ne peut pas faire fi des conclusions tirées par un tribunal compétent lorsqu’elle examine la question de la réadaptation. À mon avis, la déclaration de culpabilité constitue un fondement raisonnable à la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur a commis une infraction récente dont il refuse d’admettre la responsabilité et qui, lorsqu’elle est examinée conjointement avec sa conduite criminelle antérieure et son expérience passée en matière d’expulsion, signifie qu’il est peu probable qu’il se réadapte dans le futur.

[60]           Le demandeur soutient, en rapport avec les accusations de fraude, qu’[traduction« il a de toute évidence admis sa responsabilité s’il a inscrit un plaidoyer de culpabilité ». Ce n’est pas ce que le dossier révèle. Un plaidoyer de culpabilité peut être inscrit pour différentes raisons, qui n’ont pas toutes à voir avec les remords et la reconnaissance de responsabilité. Lorsque le demandeur affirme dans la transcription qu’il a commis une erreur, il ne dit pas nécessairement qu’il regrette le crime. À mon avis, il se peut tout aussi bien qu’il soit en train de dire qu’il regrette avoir dit quelque chose qui a fait en sorte qu’il a été appréhendé, accusé et déclaré coupable, et il n’était pas déraisonnable que la SAI interprète ces propos de cette façon.

[61]           Le demandeur affirme aussi tout bonnement que [traduction« l’appel a essentiellement […] été rejeté à cause de l’absence de remords ». Une lecture de la décision porte à croire que tel n’est pas le cas. La SAI a rejeté l’appel en s’appuyant sur les antécédents criminels du demandeur et « sur le fait que l’appelant ne reconnaît pas sa responsabilité ou sur son absence de remords, ce qui a une incidence sur sa possibilité de réadaptation », ce qui, une fois considérés tous les autres facteurs énoncés dans Ribic, indiquait que le demandeur n’était pas un bon candidat pour un sursis.

B.                 Facteurs criminogènes

[62]           Le demandeur affirme que la SAI a écarté les éléments de preuve démontrant ce qu’il avait fait pour éviter de récidiver. Selon la transcription, le demandeur a dit [traduction« [j]e me tiens tout simplement occupé à travailler, et j’ai cessé de m’associer à des (inaudible) indésirables », et il ne conduit plus parce que, dit‑il, [traduction« je ne veux plus jamais avoir de problèmes avec la police à ce sujet, pour tout vous dire ».

[63]           Le demandeur a livré ce témoignage en réponse directe aux questions de la SAI à ce sujet, de sorte qu’il est clair que la SAI a cherché à obtenir ces éléments de preuve, et il n’y a rien qui tende à indiquer qu’ils ont été laissés de côté lors du processus de pondération final. Il serait nécessaire de mentionner expressément ces éléments seulement si le défaut de ce faire violait les principes établis dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, aux paragraphes 15 à 17. Il est clair qu’en ce qui concerne la réadaptation et la possibilité de récidive, la SAI estimait que le demandeur n’était « pas un candidat valable pour un sursis en raison de sa reconnaissance minimale de responsabilité et du manque de regrets manifestés lors de son témoignage ainsi que de ses antécédents criminels antérieurs ». Je ne pense pas que le témoignage du demandeur lui‑même selon lequel il se tenait à distance d’anciennes connaissances et avait cessé de conduire pourrait avoir une incidence suffisamment importante sur cette conclusion pour que je puisse dire que la SAI n’a pas tenu compte du fait que le demandeur se tenait occupé et ne conduisait plus, surtout que c’est la SAI elle‑même qui a demandé ces éléments de preuve au demandeur.

C.                 Intérêt supérieur du petit‑fils

[64]           Les facteurs énoncés dans la décision Ribic obligeaient la SAI à examiner et à apprécier la question des « difficultés que le renvoi de l’appelant causerait aux membres de sa famille au Canada ».

[65]           La SAI a traité de l’enfant mineur comme suit :

Les enfants de l’appelant sont des adultes. Il a un petit‑enfant de trois mois. J’estime que, étant donné l’âge de l’enfant, le renvoi de l’appelant aurait peu de conséquences directes sur l’intérêt supérieur de celui‑ci. Je remarque que la partenaire de l’appelant a deux enfants mineurs. Toutefois, ils ne vivent pas avec l’appelant et elle, et il y a peu d’éléments de preuve quant aux répercussions sur l’intérêt des enfants non résidents de sa partenaire.

[66]           Le demandeur attire notre attention sur un témoignage plutôt général livré par un ancien collègue de travail, qui nous dit que le demandeur est [traduction« une composante majeure de ce qui se passe dans la famille Chung ici avec ses enfants, son petit‑fils, vous savez, sans parler de son frère et de leur famille ». Les priorités du demandeur ont changé [traduction« maintenant qu’il a un petit‑fils », affirme sa conjointe, et maintenant qu’il [traduction« a un – son petit‑fils et il, il est comme un homme changé ». Ce témoignage ne nous dit rien de ce que fait le demandeur en réalité avec son petit‑fils ni de ce qu’il fera à mesure que l’enfant grandira. La SAI lui a donné l’occasion de témoigner à ce sujet. Elle lui a demandé : [traduction« […] et quels sont vos liens avec le petit‑enfant (inaudible) »; et il a répondu : [traduction« Ah, je vois, à propos du dossier, c’est hier ». De plus, à la question de savoir quelle différence cela ferait s’il retournait Chili, le demandeur a dit : [traduction« Ça ferait mal à beaucoup de gens, surtout, vous savez, mes amis et toute la famille ». Bien que le petit‑fils soit, évidemment, un membre de la famille, le demandeur n’a pas dit à la SAI en quoi l’enfant serait lésé. Le fils du demandeur a également livré un témoignage similaire :

[traduction]

Q :    Qu’est‑ce que cela changerait pour vous si votre père devait aller au Chili?

R :    Ça ferait une différence pour moi […] Peut‑être que si Papa évitait – si mon père avait une amie de cœur au Chili, ne pas faire partie de la vie de mon fils, de la vie de son petit‑fils.

[67]           Ce témoignage, bien qu’il suppose que le demandeur jouera un rôle dans la vie de son petit‑fils, ne dit rien à la SAI de ce que le demandeur fait actuellement avec son petit‑fils ni de ce qu’il fera à l’avenir. Tout n’est que conjecture, présomption et hypothèse. Le demandeur et sa famille auraient pu présenter des éléments de preuve tendant à démontrer à la SAI que la présence du demandeur au Canada aurait, sur l’enfant, une incidence positive directe qui ne serait pas possible s’il est renvoyé au Chili.

[68]           Dans la décision Naidu, précitée, au paragraphe 17, le juge Barnes avait ceci à dire à ce sujet :

Malgré les points de vue différents sur cette question, il ressort clairement de la jurisprudence qu’un demandeur doit présenter une preuve suffisante pour qu’on exerce le pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, M. Naidu n’a manifestement pas réussi à s’acquitter de ce fardeau. Il ne suffit pas de déclarer que l’intérêt d’un enfant sera affecté par une mesure d’expulsion parce qu’il en est rarement autrement. Ce qui est exigé, c’est une preuve claire et convaincante de l’incidence probable qu’aura une mesure d’expulsion sur un enfant touché. Cette preuve comprend généralement la preuve de l’existence de vulnérabilités personnelles ou économiques toutes particulières ou de liens tous particuliers entre le parent et l’enfant ou, lorsque l’enfant quitte également le Canada, la preuve d’un désavantage important qui en découle ou du risque que cela présente pour l’enfant.

[69]           Les éléments de preuve que le demandeur et sa famille ont présentés en l’espèce sont lacunaires à cet égard. La conclusion de la SAI selon laquelle « étant donné l’âge de l’enfant, le renvoi de l’appelant aurait peu de conséquences directes sur l’intérêt supérieur de celui‑ci » s’accorde assez bien avec les éléments de preuve dont elle disposait.

[70]           Lorsqu’elle se demande s’il y a lieu de prendre des mesures spéciales, la SAI doit être convaincue qu’au moment où l’appel est tranché, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, une telle décision discrétionnaire. En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, il incombe au demandeur d’établir le bien‑fondé de ses prétentions au moyen d’éléments de preuve pertinents : Osorio Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 373.

[71]           En l’espèce, aucun élément de preuve n’a été présenté quant aux avantages qu’il y aurait pour le petit‑fils que le demandeur ne soit pas renvoyé au Chili, ou quant aux difficultés auxquelles il se heurterait dans le cas contraire. Aucuns détails ou renseignements précis n’ont été communiqués concernant l’étroitesse de la relation ou le degré et la fréquence des interactions entre le demandeur et son petit‑fils, qui était pratiquement un nouveau‑né au moment de l’audience. Il n’y a rien qui démontre que le demandeur apporte une aide financière à son petit‑fils ni que son renvoi aurait une incidence sur l’éducation, la sécurité ou la santé de l’enfant. Par conséquent, en l’absence de preuve contraire, il était raisonnable que la SAI conclue que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le renvoi du demandeur ait peu de conséquences pour le petit‑fils, compte tenu de son jeune âge : Landazuri Moreno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 481.

D.                Établissement

[72]           Le demandeur fait valoir que la SAI a résumé un grand nombre d’éléments de preuve relatifs à son établissement au Canada, mais qu’elle a ensuite affirmé que ces éléments concernaient seulement le soutien dont il bénéficie et elle a conclu qu’il s’agissait d’un facteur neutre. Le demandeur affirme également que la SAI confond soutien et établissement.

[73]           Tel que concédé à l’audience devant moi, le demandeur fait une lecture erronée de la décision. La question de l’établissement est pleinement considérée et appréciée au paragraphe 14 de la décision, avant qu’il ne soit question des répercussions que le renvoi aurait sur les personnes qui seraient laissées derrière, aux paragraphes 15 à 18. La question du soutien est ensuite abordée de façon distincte aux paragraphes 19 à 23.

[74]           Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle de la nature de celles alléguées par le demandeur à ce chapitre.

E.                 La relation entre le demandeur et sa conjointe

[75]           Le demandeur affirme que la SAI mentionne l’existence de sa relation avec sa conjointe, mais non sa durée. Or, la SAI mentionne en particulier que la conjointe actuelle du demandeur « a déclaré que l’appelant et elle vivent ensemble depuis qu’il est sorti de prison ». Rien n’indique que la SAI ne savait pas quand le demandeur était sorti de prison, de sorte que la durée de la relation est reconnue et est prise en compte dans l’appréciation des facteurs énoncés dans Ribic.

[76]           Le demandeur reproche à la SAI d’avoir seulement qualifié de « modérément favorable » le témoignage de sa conjointe selon lequel le demandeur « était ce qui lui était arrivé de mieux et qu’elle aurait le cœur brisé s’il était renvoyé ».

[77]           Encore une fois, le demandeur fait une lecture erronée de la décision. Les mots « modérément favorables », au paragraphe 18, ne renvoient pas uniquement au témoignage de la conjointe du demandeur, mais à l’examen que fait la SAI des « conséquences et [d]es bouleversements pour la famille [du demandeur] », aux paragraphes 15 à 18. Étant donné la nature des témoignages que les membres de la famille ont présentés au tribunal, on ne peut pas dire que le poids accordé par la SAI à ces éléments de preuve était déraisonnable au point de justifier l’intervention de la Cour.

F.                  Le temps passé au Canada

[78]           Le demandeur reproche à la SAI de [traduction« n’avoir pas mentionné » le temps qu’il a passé au Canada. Encore une fois, le demandeur n’a tout simplement pas lu la décision. Au paragraphe 14, la SAI affirme que le demandeur « vit au Canada depuis 1979 », et elle reconnaît que cela constitue un facteur favorable.

G.                Défaut de prendre en compte le soutien dont le demandeur bénéficie au Canada

[79]           Le demandeur reproche à la SAI d’avoir tenu compte des témoignages, mais non des lettres de soutien. Il dit que ces lettres [traduction« n’ont même pas été mentionnées comme éléments produits en preuve ».

[80]           En fait, les éléments de preuve documentaire sont mentionnés au paragraphe 23 de la décision : « J’estime que, même si les témoignages et les éléments de preuve documentaire démontrent un soutien à l’égard [du demandeur], ce soutien est présent depuis de nombreuses années et n’a pas permis d’empêcher l’activité criminelle à laquelle il s’est livré en 2011. » La SAI considère que ce soutien est un « facteur neutre », et en tient compte dans l’appréciation des facteurs énoncés dans Ribic. Les conclusions de la SAI à cet égard n’ont rien de déraisonnable, et il n’y a aucune raison de modifier la décision pour ce motif.

[81]           La SAI a aussi clairement pris en compte le soutien familial et celui de l’entreprise (paragraphes 19 à 23), mais le demandeur se plaint de ce que la SAI aurait aussi dû tenir compte des incidences que son retour au Chili aurait sur ceux qu’il laisserait derrière lui. Encore une fois, cependant, il ressort clairement de la décision que la SAI a examiné les incidences de son renvoi sur ceux qui seraient le plus susceptibles d’être touchés de manière importante – c’est‑à‑dire, sa famille et son partenaire commercial – (paragraphes 15 à 18), puis elle a conclu que « les conséquences et les bouleversements pour la famille de l’appelant constituent un facteur modérément favorable en l’espèce ». La SAI traite du partenaire commercial du demandeur aux paragraphes 20 à 22. Les facteurs énoncés dans Ribic n’exigent pas expressément que le renvoi du demandeur occasionne des difficultés à ceux qu’il laisse derrière lui, hormis les membres de la famille, mais, comme la SAI l’a reconnu, les facteurs énoncés dans Ribic ne sont pas exhaustifs, et le poids qu’il convient d’accorder à chacun peut varier en fonction des circonstances de l’espèce.

[82]           La SAI admet bel et bien le témoignage du partenaire commercial selon lequel le demandeur était essentiel au succès de l’exploitation de l’entreprise, car c’était lui qui s’y investissait tous les jours, et la SAI aurait pu mieux isoler ce témoignage au moment d’évaluer les incidences que le renvoi aurait sur les personnes laissées derrière, mais de toute évidence elle ne l’a pas écarté puisqu’elle le mentionne expressément dans la décision et qu’elle admet, au paragraphe 28, les observations du conseil du demandeur selon lesquelles celui‑ci bénéficiait « d’un soutien au sein de la collectivité et de la part des membres de sa famille et que son renvoi du Canada les bouleverserait ». La SAI en tient ensuite compte dans la récapitulation finale, alors qu’elle nous dit que les motifs d’ordre humanitaire soulevés et appréciés « ne constituent pas des motifs suffisants pour l’emporter sur la gravité de l’infraction, sur le fait que l’appelant ne reconnaît pas sa responsabilité ou sur son absence de remords, ce qui a une incidence sur sa possibilité de réadaptation ».

[83]           Je ne puis relever aucune erreur susceptible de révision dans la décision.

IX.             Certification

[84]           Le demandeur m’a demandé de certifier la question suivante :

[traduction] La Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié commet‑elle une erreur de droit dans l’exercice de sa compétence en matière de motifs d’ordre humanitaire lorsqu’elle considère comme défavorable à un appelant l’absence de remords à l’égard d’une infraction pour laquelle l’appelant a inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité, mais dont il a été déclaré coupable?

[85]           La Cour d’appel fédérale décrit le critère applicable aux questions certifiées dans l’arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 (CAF), au paragraphe 9 :

Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Liyanagamage[1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

[86]           Le défendeur s’oppose à la certification de cette question au motif qu’il s’agit d’une tentative d’introduire des principes de détermination de la peine en matière criminelle dans un contexte d’immigration où ils n’ont aucune place. Le défendeur affirme qu’il est bien établi que les remords – ou leur absence – peuvent être pertinents pour la question de la réadaptation et que c’est ce qui se produit dans la décision. Le défendeur affirme également que la question ne découle pas des faits de la présente espèce.

[87]           Pour les motifs exposés, je suis évidemment d’accord avec le défendeur pour dire que les règles de détermination de la peine en matière criminelle ne sont d’aucune utilité dans un contexte d’immigration où il convient de cerner les facteurs d’ordre humanitaire applicables, puis de les apprécier afin d’arriver à une décision finale. Le demandeur n’étant pas puni au sens criminel, les mesures de protection présentes en matière criminelle ne sont pas requises.

[88]           Toutefois, étant donné l’importance que la SAI a accordée en l’espèce à l’absence de remords comme indicateur du refus du demandeur d’admettre sa responsabilité à l’égard de ses crimes antérieurs et de la probabilité qu’il récidive, je pense que, si la question recevait une réponse affirmative, il s’ensuivrait que la SAI aurait commis une erreur susceptible de contrôle.


JUGEMENT

LA COUR STATUE

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      La question suivante est certifiée :

La Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié commet‑elle une erreur de droit dans l’exercice de sa compétence en matière de motifs d’ordre humanitaire lorsqu’elle considère comme défavorable à un appelant l’absence de remords à l’égard d’une infraction pour laquelle l’appelant a inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité mais dont il a été déclaré coupable?

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑879‑15

 

INTITULÉ :

CHUNG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 NOVEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

David Matas

POUR LE DEMANDEUR

 

Brendan Friesen

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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