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Date : 20151120


Dossier : IMM-8165-14

Référence : 2015 CF 1297

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ROMAN KOSUMOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile que le demandeur a présentée au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur, Roman Kosumov (âgé de 28 ans), est un citoyen de la Russie d’origine tchétchène. Le demandeur affirme avoir été battu à plusieurs reprises en Russie par des skinheads de son entourage à partir de 2009 jusqu’à ce qu’il quitte la Russie le 15 décembre 2010, parce qu’il est d’origine tchétchène. La première agression s’est produite en janvier 2009; les policiers ont été appelés, mais ils ne se sont jamais rendus sur place. En avril 2009, le demandeur a de nouveau été battu; il a obtenu des soins médicaux et signalé l’incident à la police. En septembre 2009, le demandeur a été battu et a porté plainte au poste de police. En février 2010, pour la quatrième fois, le demandeur a été agressé par des skinheads de son entourage; un médecin l’a soigné après l’agression et les policiers ont été informés de l’incident, mais ils ne sont jamais rendus sur place. En août 2010, le demandeur a eu une altercation avec des nationalistes. Selon le demandeur, lorsque les policiers sont intervenus, ils l’ont arrêté et amené au poste de police après avoir constaté qu’il était Tchétchène; et en cours de route, les policiers l’ont agressé verbalement et physiquement et ont exigé qu’il verse un pot‑de‑vin, sans quoi il serait enfermé dans une cellule. Le 15 décembre 2010, le demandeur a quitté la Russie et est arrivé à Toronto le même jour, et en juillet 2011, ou aux environs de cette date, il a présenté une demande d’asile.

[3]               Dans une décision datée du 30 octobre 2014, la SPR a rejeté la demande d’asile que le demandeur a présentée au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible, car elle a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait inventé le récit selon lequel lui et sa famille avaient été persécutés par des nationalistes et les autorités russes afin d’étayer sa demande d’asile. La SPR a en outre conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État en Russie.

III.             Question en litige

[4]               La question centrale à trancher dans le présent contrôle judiciaire est la suivante :

La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

IV.             Dispositions législatives

[5]               Voici les dispositions législatives pertinentes de la LIPR :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

            (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

            (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

            (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

            (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

            (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

            (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

            (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

            (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

V.                Positions des parties

[6]               Le demandeur soutient que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont abusives et déraisonnables et qu’un grand nombre de décisions de ce commissaire de la SPR ont déjà été infirmées par la Cour. De plus, certaines conclusions de la SPR sont tout à fait gratuites et ne sont pas étayées par la preuve. La SPR a commis une erreur en rejetant les témoignages et affidavits des membres de la famille du demandeur simplement parce qu’ils émanaient d’un membre de la famille du demandeur (Teganya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 42, aux paragraphes 22 à 23; Ndjizera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 601, aux paragraphes 31 à 33). La SPR a commis une erreur dominante en passant sous silence le principe juridique bien établi qui veut que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile soit présumé véridique, à moins qu’il n’existe une raison valable de le mettre en doute (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302). Le demandeur soutient en outre que la SPR a tiré plusieurs conclusions qui ne tiennent pas compte de la preuve testimoniale et de la preuve documentaire, ou qui vont à l’encontre de celles‑ci. Le demandeur soutient aussi que la SPR a tiré des conclusions erronées quant à la vraisemblance, et ce, sans tenir compte du principe voulant que les conclusions relatives à la vraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas particulièrement clairs (Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653). Enfin, le demandeur soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État est étroitement liée à la conclusion de la SPR quant à la crédibilité, et dépend entièrement de celle‑ci, et qu’en raison du caractère déraisonnable des conclusions quant à la crédibilité, la conclusion relative à la protection de l’État de la SPR ne saurait être maintenue.

[7]               Inversement, le défendeur soutient que la Cour doit accorder le plus haut degré de déférence aux conclusions en matière de crédibilité de la SPR, à moins que ces conclusions n’aient été tirées de façon arbitraire ou sans preuve à l’appui, ou que la SPR n’ait pas fourni de motifs suffisants en termes clairs pour avoir tiré ses conclusions (Odetoyinbo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 501 [Odetoyinbo]). En l’espèce, le défendeur fait donc valoir que, dans son ensemble, la décision de la SPR était raisonnable, et que, même si la SPR a commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité, la décision n’est susceptible de contrôle que si les conclusions sont erronées au point d’entacher toutes les autres conclusions relatives à la crédibilité ou de vicier l’ensemble de la décision de la SPR (Agbon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1573). Quant à la question de la protection de l’État, le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. Compte tenu de ce qui précède, la décision de la SPR est raisonnable.

VI.             Norme de contrôle

[8]               Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et son appréciation de la preuve doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Iqbal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 415, au paragraphe 15). La Cour doit accorder le plus haut degré de déférence aux conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR, à moins qu’elles n’aient été tirées de façon arbitraire ou sans preuve à l’appui, ou que la SPR n’ait pas fourni de motifs suffisants pour expliquer pourquoi elle est arrivée à ses conclusions (Elhassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1247, au paragraphe 25; Odetoyinbo, précité, au paragraphe 3).

VII.          Analyse

[9]               Après avoir examiné l’ensemble du dossier et avoir entendu les parties, la Cour est convaincue que la décision de la SPR était raisonnable.

[10]           La SPR a relevé, dans l’exposé circonstancié du demandeur, d’importantes contradictions qui minaient la crédibilité du demandeur, en plus d’un manque d’éléments de preuve corroborants importants, et plus particulièrement, le fait que le frère du demandeur n’était pas au courant des problèmes que rencontraient le demandeur en raison de son origine ethnique, le fait que sa compréhension des circonstances du décès de son père relevait de la conjecture, l’absence d’éléments de preuve corroborants au sujet de l’incident de septembre 2009, le fait que les motifs des agressions subies par le demandeur n’étaient pas mentionnés dans les rapports médicaux, le fait qu’il n’y avait pas de dossiers médicaux étayant les agressions qui se seraient produites à Moscou, le fait que le demandeur a tardé à quitter la Russie et le fait que le demandeur a tardé à présenter une demande d’asile une fois arrivé au Canada.

[11]           Si la SPR a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans certaines de ses conclusions de fait, il n’en demeure pas moins qu’il subsiste tellement de doutes sur la crédibilité qui sont importants à première vue que même un petit nombre de ces contradictions importantes sur le plan de la crédibilité aurait suffi à sérieusement mettre en doute l’exposé circonstancié du demandeur et à jeter le discrédit sur ses allégations. La Cour a statué que, même si la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle dans certaines de ses conclusions de fait, cela n’est pas suffisant en soi s’il existait d’autres faits importants, touchant à l’essence même de la demande, sur lesquels la SPR pouvait raisonnablement fonder sa décision ultime (Stelco Inc. c British Steel Canada Inc., [2000] 3 CF 282, [2000] ACF no 286; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1235, aux paragraphes 59 à 60). C’est le cas en l’espèce.

[12]           En résumé, la SPR a mis en lumière les principales conclusions essentielles en matière de crédibilité qui suffisaient, à elles seules, à établir clairement le manque de crédibilité du demandeur.

VIII.       Conclusion

[13]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8165-14

 

INTITULÉ :

ROMAN KOSUMOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 NOVEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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