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Date : 20151119


Dossier : IMM-1600-15

Référence : 2015 CF 1289

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

AMIR RASHID WARAICH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi] à l’encontre de la décision par laquelle un agent d’immigration des Services médicaux aux fins d’immigration du haut‑commissariat du Canada à Londres (R.‑U.) [l’agent] a refusé la demande de visa de résident permanent du demandeur à titre de travailleur qualifié. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire pour nouvel examen.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur, Amir Rashid Waraich, est un citoyen du Pakistan qui vit avec sa famille aux Émirats arabes unis depuis 2002. Le 18 mai 2010, le demandeur a présenté une demande de visa de résident permanent à titre de travailleur qualifié dans la profession des gestionnaires des systèmes informatiques (CNP 0231). La demande visait également l’épouse et les trois enfants mineurs du demandeur.

[4]               Le 5 avril 2012, la demande du demandeur a été refusée au motif qu’il avait obtenu un total de 63 points, ce qui ne satisfaisait pas à l’exigence minimale de 67 points. Vu l’absence de pièces justificatives, aucun point n’avait été accordé pour les études de l’épouse du demandeur.

[5]               Par lettre en date du 26 avril 2012, le représentant du demandeur a avisé les Services médicaux aux fins d’immigration du haut‑commissariat du Canada qu’une erreur administrative avait été commise puisque le diplôme de l’épouse n’avait pas été joint à la demande.

[6]               Le 4 mai 2012, le haut‑commissariat a informé le demandeur qu’il allait devoir présenter une nouvelle demande, car les nouveaux renseignements fournis ne seraient pas pris en compte puisque le dossier était fermé.

[7]               Le 17 mai 2012, le demandeur a présenté une demande en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 4 mai 2012 par la Cour fédérale du Canada. Une ordonnance accordant l’autorisation a été rendue le 20 septembre 2012.

[8]               Le 24 septembre 2012, le demandeur s’est désisté de sa demande de contrôle judiciaire à la suite d’une entente de règlement. Le dossier a été renvoyé à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision et c’est cette décision qui est visée par la présente instance.

III.             Décision contestée

[9]               Le dossier du demandeur a été rouvert le 16 octobre 2012, mais a été refusé de nouveau le 6 mars 2015 au motif que le demandeur et son épouse n’avaient pas obtenu le minimum requis de 67 points.

[10]           Le 26 octobre 2012, l’agent a accepté la copie certifiée du relevé de notes de l’épouse du demandeur et informé le demandeur de cette décision.

[11]           Le 29 janvier 2014, l’agent a demandé que le document et le diplôme de l’épouse du demandeur soient envoyés à l’unité antifraude pour en vérifier l’authenticité, et le 11 novembre 2014, il a été confirmé qu’ils concordaient avec les registres de l’établissement ayant délivré le diplôme.

[12]           Le 8 décembre 2014, l’agent a examiné le dossier et conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant l’emploi du demandeur à titre de gestionnaire des systèmes informatiques chez Al Muheeb Computer Devices Trading [Al Muheeb]. L’agent a conclu qu’il manquait de détails dans la documentation du demandeur au sujet des activités de l’entreprise. Après avoir effectué une recherche en ligne et apprécié la preuve, l’agent a trouvé étrange qu’une entreprise employant un gestionnaire des systèmes informatiques n’ait pas de site Web et a conclu qu’Al Muheeb était probablement une petite entreprise de réparation et de vente d’ordinateurs.

[13]           L’agent a donc demandé qu’une lettre d’équité procédurale soit envoyée au demandeur afin de lui donner 30 jours pour remédier à la conclusion de preuve insuffisante de l’agent. La lettre envoyée au demandeur disait ceci : [traduction] « [b]ien vouloir présenter les éléments de preuve additionnels que vous souhaitez voir pris en compte à l’appui de votre emploi à ce titre ».

[14]           Le demandeur a ensuite présenté une nouvelle lettre d’emploi d’Al Muheeb énumérant ses responsabilités, ainsi que de la nouvelle documentation concernant son emploi antérieur chez Cool Industries de 1994 à 2002 à titre de programmeur informatique et gestionnaire des systèmes informatiques.

[15]           L’agent a alloué au demandeur deux années d’expérience de travail pour son emploi chez Cool Industries parce que l’entreprise avait une présence légitime sur le Web et que le nouvel élément de preuve comportait une description de travail et une lettre de recommandation.

[16]           L’agent a conclu que la preuve relative à l’expérience de travail du demandeur chez Al Muheeb était toujours insuffisante parce que la nouvelle lettre d’emploi comportait des fautes d’orthographe et de grammaire et que la qualité d’impression du document était mauvaise. L’agent a indiqué qu’il était peu probable qu’une entreprise employant un gestionnaire des systèmes informatiques n’ait pas son propre site Web. L’agent a donc conclu que le demandeur avait travaillé pour cette entreprise, mais non à titre de gestionnaire des systèmes informatiques, et n’a accordé aucun point pour cet emploi.

[17]           L’agent a accordé au demandeur et à son épouse un total de 66 points, répartis de la façon suivante : 10 points pour l’âge, 17 points pour deux années d’expérience de travail, 25 points pour plus de 17 années d’études, 10 points pour la langue et 4 points pour la capacité d’adaptation en fonction du diplôme universitaire de l’épouse du demandeur.

IV.             Questions en litige

[18]           Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

1.      Le défendeur a‑t‑il commis une erreur de droit en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas à l’exigence relative à un emploi de gestionnaire des systèmes informatiques (CNP 0213)?

2.      Le demandeur a‑t‑il été privé de son droit à l’équité procédurale parce que le défendeur n’a pas donné au demandeur une possibilité raisonnable de répondre à ses préoccupations?

V.                Norme de contrôle

[19]           La décision d’un agent des visas de refuser d’accorder la résidence permanente en se fondant sur la conclusion selon laquelle le demandeur ne satisfait pas aux exigences en matière d’emploi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Quin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 263, au paragraphe 25.

[20]           Le manquement à l’équité procédurale, par contre, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79.

VI.             Analyse

A.                Le défendeur a‑t‑il commis une erreur de droit en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas à l’exigence relative à un emploi de gestionnaire des services informatiques?

[21]           Le demandeur soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale parce que l’agent ne lui a pas donné une possibilité raisonnable de répondre à ses préoccupations.

[22]           La meilleure façon d’établir le fondement de la cause du demandeur est de comparer les préoccupations de l’agent, telles qu’elles sont exposées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], avec celles qui sont énoncées dans la lettre d’équité envoyée au demandeur.

[23]           Dans le SMGC, l’agent a exprimé ses préoccupations de la façon suivante :

[traduction] Dans la documentation fournie, les activités de l’entreprise ne sont pas décrites en détail […] Son employeur n’a pas de site Web, ce qui est étrange pour une entreprise qui emploie un gestionnaire des systèmes informatiques. Une recherche en ligne a révélé que la présence limitée de l’entreprise sur le Web montre qu’il s’agit d’une entreprise de vente en gros d’ordinateurs d’occasion. […] Bien qu’il puisse occuper un emploi dans cette entreprise, la preuve donne à penser qu’il s’agit d’une petite entreprise de réparation et de vente d’ordinateurs. L.M. Bien vouloir envoyer une lettre d’équité procédurale au demandeur pour l’informer que […] la preuve présentée à ce jour ne me convainc pas qu’il travaille comme gestionnaire des systèmes informatiques depuis 2003.

[24]           La lettre d’équité disait ceci :

[traduction] À ce moment‑ci, je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour me convaincre que vous avez occupé un emploi de gestionnaire des systèmes informatiques. Bien vouloir présenter des éléments de preuve additionnels à l’appui de votre emploi à ce titre. J’aimerais vous donner la possibilité de répondre à la présente information.

[25]           L’agent a rejeté la demande du demandeur, affirmant ceci :

[traduction] Je vous ai alloué deux années d’expérience de travail pour l’emploi que vous déclarez avoir occupé chez Cool Industries au Pakistan (de 2000 à 2002). Cependant, après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve que vous avez présentés à l’appui de votre emploi chez Al Muheeb, pris conjointement avec les éléments de preuve déjà existants, je ne suis toujours pas convaincu que vous occupez un emploi de gestionnaire des systèmes informatiques chez Al Muheeb depuis 2003.

[26]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, bien que le demandeur semble s’être vu donner une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations de l’agent, ce ne fut pas le cas. La lettre que le demandeur a reçue ne faisait pas état de la véritable préoccupation de l’agent selon laquelle le demandeur prétendait occuper un poste inexistant. Le demandeur ne savait donc pas que l’« insuffisance » à laquelle il devait remédier concernait la question de savoir si son poste existait vraiment, par opposition à son expérience de travail relativement à ce poste.

[27]           Plus important encore, selon mon interprétation des notes de l’agent, je suis convaincu que l’agent a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Le défendeur fait valoir qu’il s’agit d’une question d’insuffisance de la preuve, mais j’estime qu’il ressort clairement des notes du SMGC que l’agent ne croyait pas, pour diverses raisons, que l’employeur du demandeur tenait un poste de gestionnaire des systèmes informatiques. Par cette observation, je conclus que l’agent craignait que le demandeur soit en train de faire intentionnellement de fausses déclarations au sujet de son poste.

[28]           Bien que la ligne de démarcation entre insuffisance et crédibilité ne soit pas toujours claire, lorsque le fait déclaré est de nature à ne pas pouvoir faire l’objet d’une déclaration inexacte sans une probable intention de le faire, il s’agit généralement d’une question de crédibilité.

[29]           La déclaration du demandeur selon laquelle il occupait un poste que l’agent croyait inexistant est un exemple de fausse déclaration qui était fort probablement délibérée. Il est difficile de se tromper sur la question de savoir si un poste comme celui de gestionnaire des systèmes informatiques existe dans une entreprise. Les faits mentionnés par l’agent (pas de site Web, petite entreprise de vente en gros d’ordinateurs d’occasion) démontrent qu’il ne pensait pas qu’il s’agissait du type d’entreprise qui pouvait avoir un poste de gestionnaire des systèmes informatiques, ce qui signifiait que le demandeur faisait délibérément une déclaration inexacte au sujet de son emploi.

[30]           Dans de telles circonstances, il faut donner au demandeur suffisamment de détails sur les préoccupations relatives à la crédibilité pour lui permettre de connaître les arguments invoqués contre lui et d’y répondre raisonnablement : Nauman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 964, au paragraphe 16.

[31]           Cette obligation n’ayant pas été remplie par la lettre d’équité, la Cour conclut que le demandeur ne s’est pas vu donner une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations en matière de crédibilité de l’agent au sujet de sa déclaration selon laquelle il occupait le poste de gestionnaire des systèmes informatiques.

VII.          Conclusion

[32]           La demande est accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande est accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

2.      Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1600-15

 

INTITULÉ :

AMIR RASHID WARAICH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Richard Kurland

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Kurland

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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