Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151117


Dossier : T-392-15

Référence : 2015 CF 1283

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

PATRICIA COTE

demanderesse

et

DAY & ROSS INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Mme Patricia Cote croit au plus profond d’elle que son ancien employeur, Day & Ross Inc., l’a traitée de manière injuste. Il a rejeté sa demande de prestation d’invalidité de courte durée. Il a omis de lui transmettre des renseignements médicaux cruciaux qui lui aurait permis d’avoir droit aux prestations d’invalidité d’assurance collective de longue durée. Au lieu de prendre des mesures d’adaptation pour sa déficience en raison de ses problèmes de dépression et d’anxiété, l’employeur l’a licenciée. En conséquence, sa vie est sens dessus dessous. Elle sollicite en guise de réparation un montant en centaines de milliers de dollars. Elle a peut-être raison; elle a peut-être tort. Je ne puis le dire. Je ne le dirai pas. Ces questions doivent être tranchées à un autre moment, à un autre endroit, par quelqu’un d’autre; peut-être si tôt que le mois prochain à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick. Je suis uniquement saisi d’une demande en application de l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques [LPRPDE].

[2]               Vu la façon dont elle a été traitée par Day & Ross, Mme Cote a pris, pas nécessairement dans un ordre chronologique, les quatre mesures suivantes :

a.                elle a intenté une poursuite judiciaire;

b.               elle a porté plainte à la Commission canadienne des droits de la personne;

c.                elle a porté plainte au Surintendant des assurances;

d.               elle a porté plainte au Commissariat à la protection de la vie privée, au titre de la LPRPDE.

[3]               Elle a d’abord tenté de poursuivre Day & Ross à la Cour. Le protonotaire Morneau a ordonné que le dépôt de la déclaration ne soit pas accepté, car la demande ne ressortait pas de la compétence de notre Cour. Il avait entièrement raison. À l’exception des salaires des capitaines et des membres d’équipage, lesquels ont toujours été du ressort de la compétence des tribunaux de l’Amirauté, la Cour n’a pas compétence pour trancher les questions relatives aux contrats d’emploi comme celui en question en l’espèce, même dans les industries sous réglementation fédérale.

[4]               Mme Cote a ensuite poursuivi Day & Ross à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick. Elle m’informe que l’affaire a été inscrite au rôle pour le mois prochain.

[5]               La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a décidé de ne pas examiner sa plainte au titre du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), car d’autres procédures d’instruction des griefs ou de révision étaient raisonnablement offertes. La Commission a conclu qu’elle n’examinerait pas la plainte, parce qu’une action civile intentée à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick traiterait des mêmes faits, et cette dernière était compétente pour accorder des réparations semblables à celles prévues par la LCDP. À l’issue de l’action civile, la Commission pourrait alors exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner la plainte.

[6]               La question posée au Surintendant des assurances ne fait pas partie du dossier dont je suis saisi.

[7]               Dans l’affaire dont je suis saisi, le Commissariat à la protection de la vie privée a rendu un rapport selon lequel la plainte de Mme Cote était fondée et résolue. Selon le paragraphe 14(1) de la LPRPDE, dans le délai de 45 jours après avoir reçu le rapport du Commissaire à la protection de la vie privée, Mme Cote était en droit de présenter une demande à la Cour en vue d’une audience relative à toute question qui a fait l’objet de la plainte ou qui est mentionnée dans le rapport et qui est visée par certaines dispositions précises de l’annexe à la LPRPDE.

[8]               La présente demande n’est pas présentée sous la forme d’un contrôle judiciaire. Il s’agit d’une audience de novo ((Nammo c TransUnion of Canada Inc, 2010 CF 1284, [2012] 3 RCF 600).

[9]               Selon l’article 16 de la LPRPDE, la Cour peut, en sus de toutes autres réparations qu’elle accorde, ordonner à une organisation de revoir ses pratiques, lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, et « accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie ».

[10]           La plainte que le Commissaire à la protection de la vie privée a examiné portait sur le fait que Day & Ross n’a pas donné accès aux renseignements personnels qu’elle détenait sur Mme Cote. Plus précisément, la société n’a pas répondu à la demande de Mme Cote dans le délai de 30 jours prévu par la LPRPDE, et la réponse qui a été fournie en fin de compte était incomplète.

[11]           Le 13 mars 2013, Mme Cote a envoyé un courriel au coordonnateur de la gestion de Day & Ross, dans lequel elle faisait référence à la LPRPDE et déclarait [traduction] « puis-je, s’il vous plaît, avoir accès à mon dossier personnel par courriel? »

[12]           Le 17 avril 2013, Mme Cote a reçu les renseignements, ainsi qu’une déclaration connexe selon laquelle : [traduction] « voici tous les documents qui font partie de votre dossier d’employée aux ressources humaines ». La réponse était tardive.

[13]           Mme Cote s’est plaint que les renseignements fournis ne comprenaient pas certains renseignements médicaux. Il se pourrait qu’il y ait eu un quiproquo, étant donné que les renseignements médicaux n’étaient pas conservés dans son dossier « personnel », mais dans un autre dossier. D’autres renseignements ont par la suite été fournis, bien entendu, encore une fois, après le délai de 30 jours prévu par la loi.

[14]           Nous en venons maintenant à la réalité de la plainte de Mme Cote. Elle a présenté une demande de prestations d’invalidité de courte durée et par la suite une demande de prestation d’invalidité de longue durée, en raison de ses problèmes de dépression et d’anxiété. Bien que la politique n’ait pas été déposée dans le dossier, il ressort de toute évidence des courriels que Day & Ross a une auto‑assurance pendant les 17 premières semaines. Par la suite, entre en jeu la police d’assurance collective de la Sun Life. À tort ou à raison, Day & Ross a rejeté sa demande de prestations d’invalidité de courte durée.

[15]           Une chose que Day & Ross n’a pas fait lorsqu’elle a fourni les renseignements médicaux qu’elle conservait dans le dossier, c’est qu’elle a omis de fournir une copie de sa lettre à la Sun Life relativement à la demande de prestations d’invalidité de longue durée. Il semblerait qu’elle ait estimée, de façon erronée à mon avis, que cette lettre n’était pas visée par la LPRPDE. Cette lettre n’est remontée à la surface que grâce à un affidavit de documents dans le cadre de l’action à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick. Ce n’est qu’alors que Mme Cote a réalisé que l’un des rapports de son médecin, qui aurait été égaré pendant un certain temps, n’avait pas été envoyé à la Sun Life. Day & Ross maintient que le rapport en question ne traitait que de l’invalidité de courte durée, et qu’ainsi, il n’y avait pas de raison de l’envoyer à la Sun Life. Il n’est pas de mon ressort de dire si Day & Ross avait l’obligation de transmettre le rapport, ou si Mme Cote a subi un préjudice en raison de l’absence de transmission du rapport.

[16]           Le Commissaire à la protection de la vie privée a recommandé que l’un des principes de la politique relative à la protection de la vie privée de Day & Ross soit modifié. Selon cette politique, Day & Ross ne fournirait les motifs de refus de l’accès aux renseignements personnels que [traduction] « sur demande ». Ces termes ont maintenant été retirés de la politique.

[17]           Day & Ross n’a pas adéquatement expliqué à Mme Cote le fondement sur lequel elle a, à l’origine, dissimulé certains renseignements, comme la lettre à la Sun Life, qui est une tierce partie. Le paragraphe 8(7) de la LPRPDE exige que les organisations fournissent des motifs. Il semblerait que Day & Ross ait supposé que cette lettre n’était pas des « renseignements personnels » au sens de la LPRPDE. Day & Ross a eu tort. Le Commissaire à la protection de la vie privée a relevé que les demandes d’accès de Mme Cote n’ont pas été satisfaites en raison, en partie, de documents produits dans le litige à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick.

[18]           Les deux derniers paragraphes du rapport sont rédigés ainsi :

[traduction]

56.   Toutefois, nous demeurons préoccupés par le fait que les premières réponses de l’organisation aux demandes d’accès de la plaignante n’étaient pas conformes à la loi. Bien que nous soyons conscients des demandes concurrentes auxquelles l’organisation était exposée dans les circonstances, le fait que la plaignante puisse avoir d’autres litiges en cours avec l’organisation à ce moment-là n’est pas une excuse justifiant le non-respect de la loi. Nous encourageons donc l’organisation s’assurer que ses politiques et procédures sont adéquates et que son personnel est suffisamment formé sur la façon de répondre aux demandes d’accès présentés par des employés. En particulier, le personnel devrait se voir rappeler son obligation de fournir des motifs lorsqu’il refuse de donner les renseignements en réponse à une demande d’accès présentée conformément à la loi.

[...]

57.   Par conséquent, nous concluons que l’affaire est fondée et résolue.

[En gras dans l’original.]

[19]           La lettre à la Sun Life relativement à Mme Cote contenait ses renseignements personnels visés par la LPRPDE et aurait dû être communiquée sans qu’un procès soit nécessaire. Le paragraphe 9(1) de la LPRPDE dispose que l’organisation ne peut communiquer de renseignements à l’intéressé dans le cas où cette communication révélerait vraisemblablement un renseignement personnel sur un tiers. Toutefois, si le renseignement sur le tiers peut être supprimé, il doit être supprimé.

[20]           Dans l’arrêt Wyndowe c Rousseau, 2008 CAF 39, [2008] ACF no 151 (QL), M. Rousseau touchait des prestations d’assurance invalidité de longue durée d’un assureur et avait été examiné par le docteur Wyndowe, qui avait envoyé un rapport officiel à l’assureur. À la suite du rapport et en raison de celui-ci, l’assureur a cessé de verser les prestations d’invalidité. Le docteur Wyndowe a refusé de communiquer ses notes prises lors de l’examen. Toutefois, il a été décidé que les notes pouvaient être examinées tant qu’elles contenaient des renseignements personnels relatifs à M. Rousseau, c’est-à-dire les renseignements qu’il a donnés pendant qu’il répondait aux questions du docteur Wyndowe et le rapport préparé pour l’assureur. Il devait y avoir un équilibre entre cet élément et l’intérêt personnel du docteur Wyndowe relativement aux notes.

[21]           En ce qui a trait aux réparations, Day & Ross a respecté les recommandations du Commissaire à la protection de la vie privée. Je n’ai aucun besoin de rendre une autre ordonnance. En ce qui concerne les dommages‑intérêts, Day & Ross soutient que la présente affaire n’est pas une cause dans laquelle des dommages-intérêts devraient être accordés. Je ne suis pas d’accord. Day & Ross a commis trois fois des manquements à l’égard de Mme Cote. Une ordonnance quant aux dommages-intérêts pourrait rendre la société plus réceptive et sensible à ses obligations, à l’avenir.

[22]           Il y a de nombreuses affaires qui ont traité de l’octroi de dommages-intérêts au titre de la LPRPDE. Beaucoup n’ont pas du tout octroyé de dommages‑intérêts. Dans la décision Biron c RBC Banque Royale, 2012 CF 1095, 418 FTR 131, la communication de renseignements relatifs aux relevés de carte de crédit dans une procédure de divorce a entraîné l’octroi de dommages‑intérêts de 2 500 $, plus les dépens. Dans la décision Girao c Zarek Taylor Grossman, Hanrahan LLP, 2011 CF 1070, 397 FTR 108, la communication de renseignements personnels liés à l’état de santé a entraîné l’octroi de dommages-intérêts de 2 500 $, plus 500 $ de dépens. Dans la décision Landry c Banque Royale du Canada, 2011 CF 687, 391 FTR, la communication de renseignements financiers dans une instance de divorce a donné lieu à des dommages-intérêts de 4 500 $, plus les dépens.

[23]           Dans la décision Nammo, précitée, la communication de renseignements personnels inexacts à une banque, laquelle a causé des questions relatives au crédit, a entraîné l’octroi de 5 000 $ en dommages-intérêts, plus 1 000 $ de débours. Dans la décision Chitrakar c Bell TV, 2013 CF 1103, 441 FTR 254, le défendeur a commandé un rapport de crédit sans le consentement du demandeur. Ce genre de vérification de solvabilité peut entraîner une diminution de la cote de solvabilité de la personne visée. Il n’y avait pas non plus de preuve que Bell TV avait modifié ses politiques contractuelles, au vu du rapport du Commissaire à la protection de la vie privée ou qu’elle avait même reconnu avoir violé la LPRPDE. La Cour a octroyé des dommages‑intérêts généraux de 10 000 $, ainsi que des dommages‑intérêts exemplaires de 10 000 $, et 1 000 $ de débours.

[24]           Day & Ross a admis ses erreurs et modifié sa politique comme cela lui a été demandé. Néanmoins, l’octroi de dommages-intérêts permettra de réparer son omission de satisfaire à ses obligations prévues par la LPRPDE, et, espérons-le, fera en sorte que la société soit plus attentive à ces questions à l’avenir.

[25]           J’adjugerai à Mme Cote des dommages‑intérêts de 5 000 $, et 1 000 $ de débours et autres dépens.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est accueillie.

2.                  5 000 $ de dommages-intérêts et 1 000 $ de débours et autres dépens sont adjugés à la demanderesse.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-392-15

INTITULÉ :

PATRICIA COTE c DAY & ROSS

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 novembre 2015

Jugement et motifs :

Le juge HARRINGTON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 17 novembre 2015

COMPARUTIONS :

Patricia Cote

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Clarence Bennett

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Avocats

Saint-John (Nouveau-Brunswick)

Pour la défenderesse

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.