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Date : 20151118


Dossier : IMM-1426-15

Référence : 2015 CF 1288

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2015

En présence de Madame la juge Mactavish

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MAQBOOL AHMED

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Après une longue carrière au sein d’une organisation paramilitaire connue comme les Rangers du Pakistan, Maqbool Ahmed est venu au Canada pour solliciter l’asile et a prétendu avoir raison de craindre d’être persécuté au Pakistan, du fait de sa confession musulmane ahmadie. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accepté sa demande d’asile. Le ministre cherche maintenant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Commission et il fait valoir qu’elle a commis une erreur en omettant de se demander si M. Ahmed devrait être exclu de la protection offerte par la Convention relative au statut des réfugiés pour avoir commis des violations des droits de la personne à l’égard de civils pakistanais.

[2]               La première question en litige dans le cadre de la présente demande est de savoir si l’information dont disposait la Commission au sujet de la carrière paramilitaire de M. Ahmed suffisait pour obliger la Commission à se demander si M. Ahmed était exclu de la définition de « réfugié » au titre de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. La deuxième question en litige est de savoir si la Commission a traité le ministre injustement en ne lui donnant pas avis de la question relative à l’exclusion avant de décider que M. Ahmed était un réfugié au sens de la Convention.

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la Commission avait commis une erreur en ne donnant pas au ministre l’avis de la question potentielle relativement à l’exclusion et en n’examinant pas la question de l’exclusion. Par conséquent, la demande sera accueillie.

I.                   Le contexte

[4]               Les documents fournis à la Commission en lien avec la demande d’asile de M. Ahmed ont révélé que celui‑ci s’était joint à la branche Sindh des Rangers du Pakistan en avril 1993. Après son entraînement de base, il est devenu sous‑inspecteur au sein des Rangers, poste qu’il a occupé d’août 1993 à juillet 1996, et ensuite inspecteur de juillet 1996 à septembre 2003. À ces deux postes, M. Ahmed a exécuté des fonctions d’application de la loi pour les Rangers, et, en tant qu’inspecteur, il a supervisé trois sous‑inspecteurs. En septembre 2003, M. Ahmed est devenu sous‑surintendant des Rangers du Pakistan. Dans ces fonctions, il supervisait trois inspecteurs et neuf sous‑inspecteurs. Il a aussi été instructeur à la formation de base, mais il n’a jamais participé au combat actif.

[5]               La Commission a conclu que M. Ahmed et sa famille étaient des musulmans ahmadis et que leurs allégations, selon lesquelles ils avaient fait l’objet de discrimination et de violence en raison de leur religion, étaient crédibles. La Commission a aussi conclu qu’il y avait amplement d’éléments de preuve documentaire à l’appui de la proposition selon laquelle les musulmans ahmadis étaient victimes de persécution au Pakistan. Par conséquent, la Commission a conclu que M. Ahmed et sa famille étaient des réfugiés au sens de la Convention.

[6]               Dans sa décision, la Commission n’a pas fait mention du service de M. Ahmed dans les Rangers du Pakistan, et elle ne lui a posé aucune question au cours de l’audience quant au temps qu’il avait passé dans l’organisation. Le Cartable national de documentation dont disposait la Commission ne contenait aucune information non plus au sujet de la participation alléguée des Rangers du Pakistan dans des crimes contre l’humanité.

II.                La norme de contrôle

[7]               Le ministre soutient que, en omettant de se demander si M. Ahmed était exclu de la définition de « réfugié » au titre de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, la Commission a omis d’exercer sa compétence. La Commission a aussi agi injustement en ne donnant pas au ministre l’avis de la question potentielle relativement à l’exclusion comme l’exige l’article 26 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles). Comme il s’agit de questions de compétence et d’équité procédurale, le ministre soutient que la norme de contrôle applicable pour ces deux questions est la décision correcte.

[8]               Bien que je ne sois pas convaincue que la première question soulevée par le ministre est une « véritable question de compétence » qui donnerait lieu à l’application de la norme de contrôle de la décision correcte, je conviens que la question d’équité procédurale en est une qui doit être tranchée selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

III.             Analyse

[9]               L’objet des dispositions relatives à l’exclusion au titre de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés est de s’assurer que l’asile n’est pas accordé à ceux qui sont responsables de la persécution subie par d’autres : Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678, au paragraphe 34.

[10]           Il incombe à la Commission de s’assurer que le Canada respecte ses obligations aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés en n’accordant pas l’asile à des individus dont on a des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis un crime contre l’humanité ou qu’ils se sont rendus coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nwobi, [2014] ACF no 544, 456 FTR 30, au paragraphe 19.

[11]           La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a un rôle inquisitoire : Directives numéro 7 du président : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés (les Directives numéro 7 du président). À ce titre, elle est tenue de décider si l’article 98 de la Loi s’applique au demandeur devant elle : Opina Velasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 273, 429 FTR 143, au paragraphe 15. Cette obligation existe que le ministre choisisse ou non d’intervenir dans une affaire en particulier : Velasquez, précitée, aux paragraphes 2 et 15.

[12]           Le Pakistan est un pays source de réfugiés. Quoique l’information sur la situation dans le pays en cause qui se trouvait dans le dossier certifié du tribunal ait été principalement axée sur l’oppression de minorités religieuses au Pakistan (y compris les musulmans ahmadis), le dossier contenait également des éléments de preuve indiquant que l’État du Pakistan et la police pakistanaise étaient impliqués dans des violations des droits de la personne.

[13]           M. Ahmed a fourni des détails au sujet de son service paramilitaire au sein des Rangers du Pakistan dans le formulaire Fondement de la demande d’asile qui a été fourni à la Commission. Entre autres choses, il a fait remarquer qu’il avait travaillé au sein de [traduction] l’« Escadre de la sécurité sur le terrain » des Rangers, qu’il avait participé au maintien de la loi et de l’ordre, et qu’il avait dû, entre autres tâches, aider la police.

[14]           À mon avis, ces renseignements, conjugués aux éléments de preuve concernant les violations des droits de la personne commises par l’État du Pakistan et la police pakistanaise, auraient dû faire prendre conscience à la Commission de la possibilité que M. Ahmed ait pu être exclu de la définition de « réfugié » au titre de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, de manière à obliger la Commission à se poser la question. Son défaut de ce faire rend la décision d’accorder l’asile à M. Ahmed déraisonnable.

[15]           Certes, le Cartable national de documentation pour le Pakistan ne contenait aucune information traitant spécifiquement de la conduite des Rangers du Pakistan. Comme il a été mentionné, cependant, il y avait des éléments d’information dans le dossier au sujet des abus auxquels se livraient d’autres organisations de l’appareil de sécurité pakistanais, et la Commission pouvait solliciter, de sa Direction des recherches, plus d’information concernant les Rangers du Pakistan, dans le but d’établir si cette organisation avait également été soupçonnée de quelque conduite que ce soit pouvant avoir mené à l’exclusion de M. Ahmed : voir les Directives numéro 7 du président, précitées, à la section 1.3.

[16]           Je suis aussi convaincue qu’il était injuste de la part de la Commission de procéder avec l’audience quant aux aspects de la demande d’asile de M. Ahmed touchant l’inclusion, sans avoir d’abord donné avis au ministre de la possible exclusion, conformément à l’article 26 des Règles.

[17]           Le paragraphe 26(1) des Règles prévoit que, lorsque la SPR a connaissance, avant une audience, qu’il est possible que la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés s’applique à la demande d’asile, elle en avise par écrit, sans délai, le ministre et lui transmet tout renseignement pertinent en sa possession. Le paragraphe 26(2) impose une obligation semblable à la Commission lorsque survient une préoccupation à l’égard de l’exclusion au cours d’une audience.

[18]           M. Ahmed soutient que, durant le traitement de sa demande d’asile, il fut fourni au ministre toute l’information qui, affirme maintenant celui‑ci, obligeait la Commission à se poser la question relative à l’exclusion. Non seulement la demande a‑t‑elle été déférée à la Commission pour une audience, mais le ministre pouvait aussi intervenir dans l’affaire s’il estimait qu’il était approprié de le faire. Comme il ne l’a pas fait, M. Ahmed affirme que le ministre ne devrait pas avoir maintenant la possibilité de présenter à la Cour des éléments d’information concernant les Rangers du Pakistan qu’il a omis de fournir à la Commission lors de l’audience relative à la demande d’asile.

[19]           Je ne suis pas en train, cependant, de contrôler la décision du ministre d’intervenir ou non dans la présente affaire. Je procède au contrôle de l’omission, de la part de la Commission, de donner au ministre l’avis exigé par le paragraphe 26(1) des Règles. Au regard de ma conclusion selon laquelle l’information dont disposait la Commission suffisait pour obliger celle‑ci à aviser le ministre d’une potentielle question d’exclusion, je suis convaincue qu’il était injuste que la Commission procède à une audition au fond de la demande d’asile de M. Ahmed sans avoir d’abord donné au ministre l’avis requis.

[20]           Le ministre a fourni un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, lequel comprend un nouvel élément de preuve pertinent à l’égard de la question de l’exclusion. Il s’agit d’un rapport de Human Rights Watch qui précise en détail les violations des droits de la personne qui auraient été commises par les Rangers du Pakistan. M. Ahmed s’oppose à l’admission de cette preuve dans le cadre de la présente demande, au motif que la Commission n’en disposait pas lorsqu’elle a rendu la décision en cause. Il fait valoir qu’on ne peut reprocher à la Commission de ne pas avoir agi au regard d’une preuve dont elle ne disposait pas lorsqu’elle a rendu la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, et il soutient qu’il n’est pas loisible au ministre de maintenant essayer de faire passer une preuve indirectement, alors qu’il avait négligé de la présenter directement.

[21]           Certes, les demandes de contrôle judiciaire sont habituellement examinées selon le dossier dont disposait le premier décideur. Il peut cependant être admis une preuve additionnelle dans des circonstances limitées, lorsque, par exemple, il y a une question d’équité procédurale ou de compétence : voir Ordre des architectes de l’Ontario c Assn of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 CF 331, au paragraphe 30. Tel est le cas en l’espèce.

[22]           Ce ne sont toutefois pas tous les vices de procédure qui nécessiteront une nouvelle audience. La production d’une preuve qui aurait pu changer le résultat de l’audience permettra de trancher la question de savoir si le déni d’équité procédurale dans une affaire en particulier était suffisamment grave pour exiger une nouvelle audience : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 171 FTR 289, [1999] ACF no 1148, au paragraphe 23.

[23]           En l’espèce, le rapport de Human Rights Watch attribue de très graves violations des droits de la personne aux Rangers du Pakistan. Il ne s’ensuit pas que M. Ahmed soit nécessairement exclu de la protection de la Convention relative au statut des réfugiés. Il incombe cependant à la Commission de s’enquérir de la nature des activités de M. Ahmed au sein des Rangers du Pakistan, pour être en mesure de déterminer s’il avait volontairement contribué « de manière significative et consciente » aux crimes ou aux desseins criminels de l’organisation, de façon à l’exclure de la définition de « réfugié » : Ezokola, précité, au paragraphe 84.

IV.             Conclusion

[24]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs. La présente affaire ne comporte pas de circonstances exceptionnelles qui donneraient au défendeur le droit aux dépens. Je conviens avec les parties que l’affaire repose sur les faits qui lui sont propres et qu’elle ne soulève pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1426-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION c MAQBOOL AHMED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 NOVEMBRE 2015

 

jugEment ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Tamrat Gebeyegu

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Korman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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