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Date : 20151119


Dossier : IMM-1942-15

Référence : 2015 CF 1294

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

KEFAH ABU OSBA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Kefah Abu Osba est arrivé au Canada en 2003 avec son épouse et son fils en tant que résident permanent au titre du programme des travailleurs qualifiés (fédéral). La famille est restée au Canada uniquement deux semaines avant de retourner à son domicile en Lybie. M. Osba a principalement vécu en Lybie au cours des années suivantes, quoique sa famille se soit établie au Canada.

[2]               En 2006, M. Osba a signé un contrat de travail avec une société canadienne, Submersible Consulting and Engineering (SUBCOE), qui l’a embauché pour travailler en Lybie. Aux termes du contrat, il devait travailler seulement 16 heures par semaine, mais le contrat précisait que des fonctions supplémentaires pouvaient lui être attribuées. En 2006, SUBCOE a affecté M. Osba à temps plein auprès de l’un de ses clients, Gunny Oil Field Service (GOS). GOS versait à M. Osba une allocation mensuelle de 3 000 $ et lui fournissait le logement, le transport, l’assurance‑maladie, en plus de payer les frais de scolarité de ses enfants. Cette entente s’est poursuivie jusqu’à octobre 2009, moment auquel M. Osba a commencé à travailler exclusivement pour GOS.

[3]               M. Osba est venu au Canada à plusieurs reprises entre 2003 et 2011. Il a été interrogé par des agents à la frontière à propos de la nature de son emploi à deux reprises lors de ses retours au Canada, pour établir s’il répondait aux obligations en matière de résidence qui découlent de son statut de résident permanent. Il a été autorisé à entrer, et ce, les deux fois. Cependant, en 2012, un autre agent lui a posé des questions similaires et il n’était pas convaincu que M. Osba satisfaisait à ses obligations en matière de résidence et il a pris une mesure de renvoi contre lui.

[4]               M. Osba a interjeté appel de la mesure de renvoi prise par l’agent auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI), laquelle était du même avis que l’agent quant au fait que M. Osba n’avait pas satisfait à l’obligation d’être effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [la LIPR], alinéa 28(2)a) – voir les dispositions citées à l’annexe). La SAI a ensuite examiné la question de savoir si une exception s’appliquait à M. Osba du fait que ce dernier travaillait à temps plein pour une entreprise canadienne (sous-alinéa 28(2)a)(iii)), et elle a conclu que M. Osba ne répondait pas aux critères de l’exception, parce qu’il travaillait uniquement à temps partiel pour SUBCOE. Il travaillait à temps plein pour GOS, mais cela ne suffisait pas, car GOS n’était pas une société canadienne. La SAI s’est aussi penchée sur la question de savoir si des circonstances d’ordre humanitaire militaient en la faveur de M. Osba, mais elle a conclu que les facteurs défavorables l’emportaient sur les facteurs favorables.

[5]               M. Osba prétend que la décision de la SAI était déraisonnable, parce qu’elle avait omis de reconnaître qu’un emploi à temps plein découlant d’une affectation auprès d’un client d’une entreprise canadienne constituait aussi une exception à l’obligation relative à la résidence prévue par la LIPR (selon l’alinéa 61(3)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]). Il prétend aussi que l’analyse de la SAI en ce qui a trait aux circonstances d’ordre humanitaire était déraisonnable, parce que cette dernière a omis d’accorder la considération qu’il se doit à sa croyance sincère selon laquelle il se conformait aux obligations relatives à la résidence, ainsi qu’à l’intérêt supérieur de son enfant. Il me demande d’annuler la décision de la SAI et d’ordonner à un autre tribunal d’effectuer un nouvel examen de son appel visant la mesure de renvoi.

[6]               Je conviens que la décision de la SAI en ce qui concerne la validité juridique de la mesure de renvoi était déraisonnable, en raison de son défaut de traiter de l’exception prévue par le RIPR. Puisque l’analyse de la Commission quant à cette question a eu une incidence sur son examen des circonstances d’ordre humanitaire, je conclus que cet aspect de la décision de la SAI était lui aussi déraisonnable. Je dois par conséquent accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAI était déraisonnable.

II.                L’obligation de résidence

[7]               La LIPR prévoit qu’un résident permanent répond à l’obligation de résider au Canada s’il est effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale (sous‑alinéa 28(2)a)(i)). Cependant, le résident permanent satisfait aussi à cette obligation s’il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne pour au moins 730 jours (sous‑alinéa 28(2)a)(iii)).

[8]               Le RIPR apporte des précisions aux règles énoncées dans la LIPR. Plus particulièrement, le règlement prévoit qu’une personne sera considérée comme travaillant à temps plein pour une entreprise canadienne si elle est affectée à temps plein à un client de cette entreprise (alinéa 61(3)c)).

III.             La décision de la SAI

[9]               La SAI a reconnu que SUBCOE était une société canadienne. Cependant, le contrat de travail de M. Osba avec SUBCOE faisait uniquement mention d’un emploi à temps partiel de 16 heures par semaine. Il ne travaillait pas à temps plein pour une entreprise canadienne. Bien que M. Osba puisse avoir travaillé à temps plein pour GOS, cette dernière n’était pas une entreprise canadienne. Par conséquent, selon la SAI, M. Osba ne satisfaisait pas à l’obligation de résidence prévue dans la LIPR.

[10]           La SAI s’est ensuite penchée sur les circonstances d’ordre humanitaire. Elle a conclu que les liens de M. Osba avec le Canada, l’intérêt supérieur de son enfant et les difficultés que la mesure de renvoi lui occasionnerait militaient en faveur d’une décision favorable à son égard. D’un autre côté, la SAI a conclu que les facteurs défavorables l’emportaient sur les facteurs favorables. Ces facteurs étaient le degré de non-conformité de M. Osba à l’obligation de résidence, son manque d’établissement au Canada et l’absence de motifs convaincants pour rester à l’extérieur du Canada.

[11]           Compte tenu de ces conclusions, la SAI a rejeté l’appel de M. Osba.

IV.             La décision de la SAI était-elle déraisonnable?

[12]           Le ministre prétend que la décision de la SAI n’était pas déraisonnable parce que, même si celle‑ci n’a pas renvoyé à l’exception prévue par le RIPR, la preuve au dossier appuyait sa conclusion selon laquelle M. Osba ne satisfaisait pas à son obligation en matière de résidence. De plus, le ministre prétend que la Cour devrait faire preuve de retenue à l’endroit de l’analyse effectuée par la SAI quant aux circonstances d’ordre humanitaire.

[13]           Je ne suis pas d’accord avec le ministre. Je conclus que l’analyse effectuée par la SAI quant à la validité juridique de la mesure de renvoi contenait des lacunes, parce que celle‑ci ne tenait pas compte de l’exception prévue par le RIPR et qu’elle ne traitait pas de la preuve qui était pertinente quant à cette question.

[14]           La preuve dont disposait la SAI démontrait clairement que M. Osba travaillait à temps plein lors de son affectation à GOS, une entreprise cliente de SUBCOE, de juin 2006 à octobre 2009. Selon le RIPR, le travail à temps plein suivant une affectation par une société canadienne à un client de cette dernière constitue du temps passé à travailler pour la société canadienne elle‑même. Cette possibilité n’a été examinée ni par l’agent qui a pris la mesure de renvoi ni par la SAI. En fait, l’avocat du ministre devant la Commission a prétendu que le fait de travailler pour un client non canadien d’une entreprise canadienne ne compte pas comme un travail pour le compte d’une société canadienne. Cette observation peut avoir fait en sorte que la SAI ait fait abstraction de la règle spéciale contenue dans le RIPR ayant trait aux clients des sociétés canadiennes. M. Osba aurait satisfait à son obligation en matière de résidence si le temps qu’il avait passé à travailler pour GOS avait été reconnu.

[15]           Par conséquent, je conclus que la conclusion de la Commission quant à la validité juridique de la mesure de renvoi était déraisonnable. Puisque son analyse quant à cette question a aussi eu une incidence sur son examen des circonstances d’ordre humanitaire, je conclus que cet aspect de la décision de la SAI était lui aussi déraisonnable.

V.                Conclusion et décision

[16]           Puisque la SAI a omis de tenir compte de la disposition pertinente du RIPR et de la preuve qui se rapportait à l’applicabilité de cette règle de droit, je conclus que sa décision n’appartenait pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire et j’ordonnerai à un tribunal différemment constitué de la SAI de procéder au réexamen de l’appel interjeté par M. Osba à l’égard de la mesure de renvoi. Aucune des parties n’a proposé une question de portée générale pour les besoins de la certification et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen;

3.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

28. (2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

28. (2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

(i) il est effectivement présent au Canada,

(i) physically present in Canada,

[…]

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Obligation de résidence

Residency Obligation

Travail hors du Canada

Employment outside Canada

61(3) Pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(iii) et (iv) de la Loi respectivement, les expressions « travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale » et « travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale », à l’égard d’un résident permanent, signifient qu’il est l’employé ou le fournisseur de services à contrat d’une entreprise canadienne ou de l’administration publique, fédérale ou provinciale, et est affecté à temps plein, au titre de son emploi ou du contrat de fourniture :

61(3) For the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(iii) and (iv) of the Act, the expression “employed on a full-time basis by a Canadian business or in the public service of Canada or of a province” means, in relation to a permanent resident, that the permanent resident is an employee of, or under contract to provide services to, a Canadian business or the public service of Canada or of a province, and is assigned on a full-time basis as a term of the employment or contract to

[…]

c) soit à un client de l’entreprise canadienne ou de l’administration publique se trouvant à l’extérieur du Canada.

(c) a client of the Canadian business or the public service outside Canada.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1942-15

 

INTITULÉ :

KEFAH ABU OSBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NovembRe 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 NovembRe 2015

 

COMPARUTIONS :

M. Lee Cohen, c.r.

Scott McGirr

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Chan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee Cohen Law Inc.

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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