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Date : 20151113


Dossier : T-1864-14

Référence : 2015 CF 1267

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

SHARON MALOTT

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Sharon Malott a subi deux agressions sexuelles distinctes au cours de son emploi. En raison d’un état de stress post-traumatique, elle n’est plus en mesure de travailler. Elle a reçu une indemnité de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) de l’Ontario, en raison de ses antécédents professionnels au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, sous la forme d’un paiement forfaitaire de 129 215,79 $ équivalent aux prestations d’invalidité mensuelles auxquelles elle avait droit, plus un paiement pour perte d’emploi et une prestation à vie d’assurance‑salaire. De plus, ayant servi dans les Forces canadiennes, elle a reçu une indemnité d’invalidité de 161 319,63 $. Toutefois, le ministère des Anciens Combattants du Canada (Anciens Combattants Canada) a retranché le paiement forfaitaire qu’elle a reçu de la CSPAAT. Selon Anciens Combattants Canada, le paiement de la CSPAAT représentait une rémunération pour une perte non pécuniaire et devrait donc être retranché de l’indemnité d’invalidité d’Anciens Combattants Canada.

[2]               Mme Malott a interjeté appel de la décision au comité d’examen; ce dernier a maintenu la décision d’Anciens Combattants Canada. Elle a ensuite interjeté appel au comité d’appel, mais elle n’a pas eu gain de cause.

[3]               Mme Malott soutient que la décision du comité d’appel était déraisonnable parce que le comité d’appel n’a pas pris en compte les éléments de preuve établissant que le paiement de la CSPAAT représentait une indemnité pour une perte non pécuniaire. De plus, elle soutient que le comité l’a traitée de façon injuste lorsqu’il s’est fondé sur des documents qui ne lui avaient pas été divulgués. Elle me demande d’annuler la décision du comité et d’ordonner qu’un autre comité examine à nouveau la décision d’Anciens Combattants Canada.

[4]               Je souscris à l’avis de Mme Malott que la conclusion du comité – selon laquelle elle avait reçu une indemnité de la CSPAAT représentant une perte non pécuniaire – était déraisonnable. Sur ce fondement, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire que j’examine les allégations d’absence d’équité avancées par Mme Malott.

II.                La décision du comité d’appel

[5]               Le comité d’appel (le comité) a décidé que la partie pertinente du paiement que Mme Malott a reçu de la CSPAAT l’a indemnisée pour une perte non pécuniaire et pouvait donc être retranchée de son indemnité reçue d’Anciens Combattants Canada. Le comité s’est fondé sur les paragraphes 53(1) et (2) du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50, et le paragraphe 52(3) de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21 (la Loi), (voir l’annexe pour les dispositions citées).

[6]               Selon la Loi, le ministre des Anciens Combattants peut retrancher la somme prévue par règlement de l’indemnité d’invalidité. Le règlement dispose que la somme prévue par règlement inclut un paiement pour une perte non pécuniaire. Si le paiement de la CSPAAT représentait une indemnité pour une perte non pécuniaire, il pourrait être retranché de la somme versée par Anciens Combattants Canada. Si ce n’est pas le cas, Mme Malott aurait droit à l’ensemble de l’indemnité d’Anciens Combattants Canada.

[7]               Le comité a fait observer que la demande de Mme Malott remonte à 1987, et que, à ce moment-là, l’indemnité qu’elle a reçue de la CSPAAT n’aurait pas été traitée comme un paiement pour une perte non pécuniaire. Par conséquent, la CSPAAT a déclaré que Mme Malott n’avait pas reçu un paiement pour une perte non pécuniaire. Toutefois, le comité ne s’est pas estimé lié par la qualification de la CSPAAT.

[8]               Le comité a examiné les caractéristiques des indemnités pécuniaires et non pécuniaires. Selon le comité, généralement un paiement pour une perte pécuniaire :

         représenterait des pertes de salaire;

         prendrait en compte la capacité de la personne à gagner un revenu;

         augmenterait avec une baisse des revenus, et vice versa;

         prendrait fin à la retraite.

[9]               Au contraire, généralement une indemnité pour perte non pécuniaire :

         indemniserait une personne pour des capacités fonctionnelles réduites;

         équivaudrait à la gravité de la déficience;

         demeurerait constante malgré les changements de revenus de la personne;

         continuerait après la retraite.

[10]           Le comité a conclu que l’indemnité versée par la CSPAAT était liée à l’état de santé médical et psychologique de Mme Malott, et n’était pas liée au changement dans ses revenus, et était payable à vie. Par conséquent, le comité a conclu que l’indemnité représentait un paiement pour une perte non pécuniaire. Le fait que l’indemnité de la CSPAAT a été calculée comme un pourcentage de ses revenus n’en faisait pas un paiement pour une perte pécuniaire. Selon le comité, normalement les paiements pour perte non pécuniaire sont basés sur les revenus antérieurs à la blessure. Cependant, cela ne signifie pas qu’ils représentent une indemnité pour une perte pécuniaire.

III.             La décision du comité d’appel était-elle déraisonnable?

[11]           Le procureur général du Canada soutient que la décision du comité n’était pas déraisonnable parce qu’il a examiné la preuve dont il disposait et a tenu compte des critères valides pour qualifier une indemnité pécuniaire par rapport à une indemnité non pécuniaire.

[12]           Je ne suis pas d’accord. Le comité semble avoir mal compris la preuve et les facteurs qui peuvent avoir mené à un résultat différent.

[13]           Comme je l’ai fait remarquer, le comité disposait d’éléments de preuve établissant que l’indemnité versée par la CSPAAT à Mme Malott a été qualifiée par la CSPAAT d’une indemnité pour perte de revenus. Bien entendu, comme le comité l’a lui-même déclaré, il n’était pas lié par l’avis de la CSPAAT. Toutefois, le comité aurait dû tenir compte du fondement sur lequel cette qualification a été faite.

[14]           Selon le droit ontarien en vigueur à la période pertinente – les années 80 – l’indemnité n’était tout simplement pas payable pour des pertes non pécuniaires. L’indemnité que Mme Malott a reçu de la CSPAAT était payable au titre du paragraphe 45(1) du Workmen’s Compensation Act, RSO 1980, c 539, antérieur à 1989, tel qu’il a été modifié par le SO 1984, c 58, qui dispose que la [traduction] « diminution de la capacité de gain » devait être évaluée sur la foi de la nature et de la gravité de la blessure de la personne visée. La personne aurait droit à l’indemnité au moyen de paiements périodiques pendant toute sa vie ou pour une période de temps plus courte. Cette somme de dépasserait pas 90 % des revenus nets de la personne. Sur le fondement de cette formule, en 2010, Mme Malott a reçu une somme forfaitaire de la CSPAAT représentant les paiements mensuels accumulés pour la diminution de sa capacité de gagner un salaire datant de 1987.

[15]           Cette loi ne visait que les indemnités pour pertes pécuniaires. Les indemnités pour perte non pécuniaires ont été ajoutées plus tard, mais seulement pour les blessures qui ont eu lieu à partir du 2 janvier 1990. Cela ne s’appliquait pas à Mme Malott. La lettre de la CSPAAT citée par le comité confirmait que Mme Malott n’était pas admissible à l’indemnité pour perte non pécuniaire. Par conséquent, la loi en vertu de laquelle l’indemnité de la CSPAAT a été versée à Mme Malott visait clairement à offrir une indemnité pour une perte de salaire, qui est une perte pécuniaire.

[16]           Le comité a relevé que l’indemnité versée par la CSPAAT à Mme Malott était liée au degré de ses troubles psychologiques et en a tiré l’inférence que le paiement visait une perte non pécuniaire. Cependant, il est certain que les indemnités pécuniaires et non pécuniaires doivent tenir compte du degré d’invalidité de la personne visée. Cela semblerait être un facteur neutre.

[17]           Il y avait d’autres éléments de preuve dont le comité semble ne pas avoir tenu compte. Par exemple, la CSPAAT a avisé Mme Malott qu’elle devait révéler tout changement dans son salaire ou ses revenus et que tout changement pourrait toucher son droit à recevoir des indemnités. Cependant, contrairement à cet élément de preuve, le comité a conclu que son indemnité ne dépendait pas de son revenu. Selon l’avis même du comité, modifier une indemnité en raison de fluctuations dans le revenu serait une indication d’un paiement pour une perte pécuniaire, non pas pour une perte non pécuniaire.

[18]           L’indemnité versée par la CSPAAT était en fait payable à vie. Toutefois, cela était aussi vrai pour ce qui est des autres indemnités que Mme Malott a reçues, indemnités que le comité a lui-même qualifiées comme étant versées pour des pertes pécuniaires. Par conséquent, le fait que l’indemnité de la CSPAAT était payable à vie ne peut pas avoir été un facteur déterminant. De plus, bien que l’indemnité versée par la CSPAAT à Mme Malott lui ait été accordée à vie, elle n’était pas automatique. La CSPAAT aurait pu lui accorder cette indemnité pour une période de temps plus courte, notamment y mettre fin à la retraite.

[19]           Par conséquent, même si on applique les critères que le comité a jugé les plus pertinents, il n’est pas clair que l’indemnité versée par la CSPAAT représentait un paiement pour une perte non pécuniaire. Étant donné qu’il y avait des éléments de preuve et des dispositions législatives dont le comité n’a pas tenu compte et qui contredisaient les conclusions tirées par celui-ci, je conclus que la décision du comité était déraisonnable.

[20]           De plus, je relève que le comité a méconnu son obligation de tirer toutes les conclusions les plus favorables possible à Mme Malott, et n’a pas tranché en sa faveur toute incertitude quant au bien‑fondé de sa demande (article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1985, c 18).

IV.             Dispositif

[21]           Le tribunal a omis de prendre en compte la preuve pertinente et les dispositions législatives, lorsqu’il a conclu que l’indemnité versée par la CSPAAT à Mme Malott représentait une rémunération pour une perte non pécuniaire. Par conséquent, sa conclusion n’appartient pas aux issues pouvant se défendre au regard des faits et du droit. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre comité examine à nouveau la question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.

2.      L’affaire est renvoyée devant un autre comité pour que celui-ci l’examine à nouveau.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


ANNEXE

Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50

Canadian Forces Members and Veterans Re-establishment and Compensation Regulations, SOR/2006-50

53. (1). « somme supplémentaire » Somme — autre qu’une indemnité d’invalidité — que le militaire ou le vétéran a reçue ou est en droit de recevoir pour une perte non pécuniaire à l’égard d’une invalidité pour laquelle une indemnité d’invalidité est exigible.

53. (1) “additional amount” means an amount other than a disability award that is paid or payable to a member or veteran for noneconomic loss in respect of a disability for which a disability award is payable.

(2). Pour l’application du paragraphe 52(3) de la Loi, si le militaire ou le vétéran a reçu ou est en droit de recevoir une des sommes supplémentaires ci-après, la somme déterminée conformément au paragraphe 54(1) est retranchée de l’indemnité d’invalidité exigible :

(2) For the purposes of subsection 52(3) of the Act, a disability award payable to a member or veteran shall be reduced by the amount determined in accordance with subsection 54(1) if an additional amount is paid or payable from the following sources:

a) toute somme découlant d’une obligation légale d’indemnisation;

(a) amounts arising from a legal liability to pay damages; and

b) des prestations au titre :

(b) benefits under

(i) de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État,

(i) the Government Employees Compensation Act,

(ii) de toute loi provinciale sur les accidents de travail,

(ii) any provincial workers’ compensation legislation,

(iii) d’un programme d’indemnisation de même nature établi au titre d’une loi fédérale, provinciale ou de toute autre autorité législative, exception faite du programme auquel le militaire ou le vétéran a contribué,

(iii) a compensation plan established by any other legislation of a similar nature, whether federal, provincial or of another jurisdiction other than a plan to which the member or veteran has contributed, and

(iv) de tout programme d’indemnisation semblable établi par les Nations Unies ou en vertu d’un accord international auquel le Canada est partie, exception faite du programme auquel le militaire ou le vétéran a contribué.

(iv) a compensation plan of a similar nature established by the United Nations or by or under an international agreement to which Canada is a party, other than a plan to which the member or veteran has contributed.

Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21

Canadian Forces Members and Veterans Re-establishment and Compensation Act, SC 2005, c 21

Réduction

Reduction of award

52. (3) Le ministre peut retrancher la somme prévue par règlement de l’indemnité d’invalidité exigible en raison du décès ou de l’invalidité du militaire ou vétéran par toute personne qui, pour la même raison, a reçu ou est en droit de recevoir des sommes d’une source réglementaire.

52. (3) If an amount is paid or payable to a person from a prescribed source in respect of a death or disability for which a disability award is payable, the Minister may reduce the disability award payable to the person by a prescribed amount.

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18

Veterans Review and Appeal Board Act, SC 1995, c 18

Règles régissant la preuve

Rules of evidence

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1864-14

 

INTITULÉ :

SHARON MALOTT c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

RED DEER (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Daniel Johnson

Duncan Marsden

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Bedard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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