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Date : 20151029


Dossier : T‑360‑15

Référence : 2015 CF 1227

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

GURCHARAN SINGH BIRAK

et IQBAL KAUR BIRAK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demande de citoyenneté canadienne présentée par les demandeurs pour leur fils adoptif, Gursimran Singh Birak [Gursimran], a été refusée par une agente qui a estimé que l’adoption n’avait pas créé de « véritable lien affectif parent‑enfant » comme l’exige l’alinéa 5.1(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, LRC, 1985, c C‑29.

[2]               Les demandeurs, des citoyens canadiens, vivent à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Leur fils Gursimran habite le village de Kaley, en Inde.

[3]               En 2009, les demandeurs ont visité l’Inde. Ils voulaient un enfant et avaient essayé sans succès la fécondation in vitro. Au cours de leur visite, ils ont rencontré les parents biologiques de Gursimran avec qui ils ont des liens familiaux : le père biologique de Gursimran est l’oncle de Mme Birak. Ils ont tous accepté que les demandeurs adoptent Gursimran et, en juin 2009, les demandeurs ont participé à une cérémonie au cours de laquelle ils ont adopté Gursimran comme fils. L’acte d’adoption a été rempli et enregistré au début de juillet.

[4]               La personne qui s’occupe de Gursimran en Inde est l’ami et le chauffeur des demandeurs. Il s’occupe également de la terre des demandeurs. Le 10 août 2009, les demandeurs ont signé une procuration permettant à cette personne d’agir comme tuteur de leur fils.

[5]               Les demandeurs ont eu très peu de contacts physiques avec Gursimran depuis son adoption. En août 2009, Mme Birak s’est rendue en Inde après le décès de la grand-mère de son époux. Elle a vu son fils, mais n’est pas demeurée avec lui. En 2012, les deux demandeurs se sont rendus en Inde. Ils ont vu leur fils à l’époque et ont également assisté à un mariage.

[6]               Les demandeurs communiquent par téléphone avec leur fils. Ils affirment qu’ils l’appellent en général trois ou quatre fois par semaine. Ils lui parlent environ 25 à 30 minutes le dimanche et pour des périodes plus courtes la semaine. Ils abordent également diverses questions d’affaires avec son tuteur durant ces appels. Les demandeurs envoient des cartes à leur fils à Noël, au Nouvel An et pour son anniversaire de naissance.

[7]               Le 19 janvier 2015, l’agente a organisé une entrevue en Inde avec les demandeurs, leur fils, la mère biologique et le tuteur pour décider si le fils était admissible à la citoyenneté. Elle a conclu qu’il ne l’était pas.

[8]               Le paragraphe 5.1(1) de la Loi prévoit que « le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté […] à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment, lorsqu’elle était un enfant mineur ». L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux quatre conditions énumérées dans ce paragraphe. La deuxième condition, qui est prévue à l’alinéa 5.1(1)b) et qui se situe au cœur du présent litige, exige que l’adoption ait créé « un véritable lien affectif parent‑enfant » entre l’adoptant et l’adopté.

[9]               L’agente a donné trois raisons pour lesquelles elle avait conclu qu’aucun véritable lien affectif parent‑enfant n’avait été créé : (i) les demandeurs connaissaient peu Gursimran, (ii) le soutien financier qu’ils fournissaient à Gursimran était minime; (iii) ils avaient peu de contacts avec Gursimran.

[10]           L’agente a conclu que les demandeurs connaissaient peu leur fils et vice-versa. L’agente a fait observer que les demandeurs étaient incapables de nommer les camarades d’école de leur fils et qu’ils ignoraient qu’il [traduction« a réussi son année scolaire sous condition grâce à des notes de rattrapage ». Elle a également conclu que Gursimran « savait très peu de choses au sujet [des demandeurs], ses parents adoptifs, et de [leur] vie au Canada ».

[11]           L’agente a conclu que les demandeurs envoyaient 5 000 INR par mois pour subvenir aux besoins de leur fils et a conclu que [traduction« cette somme est insuffisante pour couvrir les frais de subsistance, alors que le double de ce montant correspondrait au coût moyen pour un adolescent, selon des estimations même modestes ».

[12]           L’agente a conclu que M. Birak n’avait rendu visite à son fils qu’une seule fois en cinq ans et demi entre l’adoption, en juillet 2009, et l’entrevue de janvier 2015. Quant à Mme Birak, elle lui avait rendu visite à deux reprises. L’agente a conclu que les factures de téléphone présentées en preuve pour démontrer leurs communications avec leur fils n’étaient [traduction« pas concluantes ». Elle a estimé que les appels inscrits sur les relevés étaient « brefs » et que « comme les appels servaient à discuter de questions relatives à la terre et aux affaires dans le cadre de la procuration, ainsi que des questions relatives à Gursimran, il restait peu de temps pour parler avec Gursimran lui-même ».

[13]           Les demandeurs affirment que la décision de l’agente était déraisonnable vu les faits dont elle disposait, et que cette décision était inéquitable sur le plan procédural étant donné que l’agent n’a pas fait part aux demandeurs de ses préoccupations au sujet du soutien financier qu’ils procuraient à leur fils.

[14]           Dans leurs mémoires, les deux parties ont abordé des questions que l’agente n’avait pas examinées dans sa décision écrite. Les notes de l’agente comprennent notamment des sections intitulées [traduction« Conclusion » et « Résumé ». Dans ces sections, l’agente expose ses motifs; certains de ces motifs se retrouvent dans sa décision finale alors que d’autres n’y figurent pas.

[15]           Nul n’a cité de source à l’appui de l’argument selon lequel les notes de l’agente devraient se retrouver dans ses motifs. Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], la Cour suprême du Canada a jugé que les notes internes de l’agent d’immigration devaient être considérées comme la décision de l’agent étant donné que le demandeur avait droit à une décision motivée, qu’aucun autre motif ne lui avait été communiqué et que les notes avaient été produites en réponse à une demande de l’appelant. L’arrêt Baker permet de penser que les notes de l’agent peuvent être considérées comme les motifs de la décision dans certains cas. Il existe des cas semblables dans le contexte des droits de la personne : la Cour d’appel fédérale a déclaré que, lorsque la Commission accepte la recommandation d’un enquêteur quant au renvoi de la plainte au tribunal en vue d’une audience, mais qu’elle n’expose elle-même aucun motif, les motifs de l’enquêteur peuvent être considérés comme ceux de la Commission (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 37, Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 , au paragraphe 60).

[16]           On peut établir une distinction claire entre l’arrêt Baker et la jurisprudence en matière des droits de la personne et les faits en l’espèce parce que, dans le cas qui nous occupe, l’agente a fourni des motifs détaillés dans sa lettre de décision. Il n’est pas nécessaire d’aller au-delà de la lettre de décision pour découvrir le raisonnement que l’agente a suivi pour refuser la demande des demandeurs. De plus, à mon avis, dans ces circonstances, il serait injuste d’analyser la décision de l’agente en tenant compte de motifs qu’elle mentionne dans ses notes, mais qu’elle a finalement décidé d’écarter dans sa décision finale. Par conséquent, bien que je tienne compte des notes en question dans la mesure où elles permettent de situer la décision dans son contexte, je vais axer mon examen sur les questions soulevées dans la décision faisant l’objet du contrôle.

[17]           L’examen de la Cour est par ailleurs circonscrit aux renseignements dont disposait l’agente. Les demandeurs se fondent sur d’autres renseignements, qui n’avaient pas été portés à l’attention de l’agente, pour répondre aux préoccupations soulevées par cette dernière. Ces renseignements n’ont pas été portés régulièrement à l’attention de la Cour et il n’en sera donc pas tenu compte. À l’audience, les avocats ont sagement décidé de ne pas se fonder sur ses renseignements pour formuler leurs arguments.

[18]           Les parties conviennent – et la Cour accepte – que la norme de contrôle qui s’applique à la conclusion tirée par l’agente en application de l’alinéa 5.1(1)b) de la Loi est celle de la décision raisonnable, tandis que celle qui s’applique à la question de l’équité procédurale est celle de la décision correcte.

[19]           L’agente a conclu que les demandeurs connaissaient très peu leur fils adoptif et a fait observer qu’ils [traduction« semblent peu au courant de sa situation scolaire et notamment du fait qu’il a réussi son année scolaire sous condition grâce à des notes de rattrapage », alors qu’ils soutenaient tous deux qu’il avait de bons résultats scolaires.

[20]           Les demandeurs affirment que la décision de l’agente était déraisonnable à cet égard parce qu’ils se sont fiés aux renseignements que leur avait fournis le tuteur de leur fils et que le tuteur aurait expliqué à l’agente que le personnel de l’école l’avait assuré que Gursimran avait de bons résultats scolaires.

[21]           Je ne puis qualifier de déraisonnable la conclusion tirée par l’agente. Les demandeurs avaient en mains des copies des bulletins scolaires de Gursimran et ils les ont même présentées à l’agente. Ces documents permettent de constater que cet enfant, loin d’avoir de bons résultats scolaires, avait en fait de très mauvaises notes. Le fait que les demandeurs s’intéressaient très peu aux études de leur fils ressort des contradictions relevées entre leurs réponses et les faits. S’ils se sont fiés aux paroles du tuteur alors qu’ils avaient sous les yeux des preuves contraires, cela démontre d’autant plus leur manque d’intérêt envers les performances scolaires de leur fils. Ainsi que l’agente l’a fait observer : [traduction« Cela semble assez préoccupant, compte tenu de l’importance que l’on accorde à l’éducation dans la culture indienne dans un véritable lien affectif parent‑enfant. »

[22]           Les demandeurs qualifient également de déraisonnable l’évaluation que l’agente a faite de leurs échanges téléphoniques avec Gursimran, qu’elle a qualifiés de [traduction« non concluants ». Ils contestent l’observation de l’agente suivant laquelle leurs factures de téléphone démontrent que leurs appels téléphoniques en Inde étaient « brefs ». Toutefois, l’examen des factures de téléphone révèle que bon nombre des appels en question étaient effectivement de courte durée. De plus, les demandeurs ont eux-mêmes dit à l’agente que la plupart de leurs conversations avec leur fils ne duraient que de deux ou trois minutes et que les conversations étaient plus longues le dimanche. L’agente s’est dite préoccupée par la durée des appels dans l’ensemble ainsi que par le fait qu’une partie des appels était consacrée à la discussion avec le tuteur de questions qui n’avaient rien à voir avec Gursimran. Ses préoccupations sont confirmées par la preuve.

[23]           Les demandeurs affirment également que l’agente a commis une erreur en affirmant que les appels [traduction« servaient à discuter de questions relatives à la terre et aux affaires dans le cadre de la procuration, ainsi que des questions relatives à Gursimran ». Toutefois, cette affirmation est confirmée par les notes de l’agente. Les notes de l’agente font état de l’échange suivant entre l’agente et le tuteur de Gursimran :

[traduction]

Q Est‑ce que les parents adoptifs téléphonent à Gursimran?

R Oui, la plupart du temps le dimanche ou environ tous les deux ou trois jours.

Q Quel téléphone utilisent‑ils pour appeler?

R Ils se servent de mon téléphone (...j’ai ce numéro depuis dix ans), Gursimran n’a pas de téléphone, ils se servent de mon téléphone cellulaire que j’ai la plupart du temps avec moi.

Q Pendant combien de temps parlent‑ils le dimanche?

R Environ une demi-heure avec lui directement et un peu de temps avec moi.

Q Vous leur parlez également?

R Oui, je m’occupe de la gestion de leur terre.

[24]           Cet échange confirme l’observation de l’agente suivant laquelle une partie des appels est consacrée à discuter avec le tuteur de la gestion de la terre et des affaires et qu’elle n’est pas seulement consacrée à Gursimran.

[25]           Enfin, les demandeurs affirment que l’agente a manqué à l’équité procédurale en concluant que l’argent qui était envoyé n’était pas suffisant, sans leur donner la possibilité de faire valoir leur point de vue sur cette question.

[26]           Les demandeurs citent la décision Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1356 [Yuan] à l’appui de leur affirmation selon laquelle ils avaient le droit de répondre aux préoccupations de l’agente. Dans la décision Yuan, au paragraphe 12, la Cour a conclu ce qui suit : « Bien que l’obligation d’équité n’exige pas nécessairement une audience, l’agent des visas est tenu de fournir au demandeur la possibilité de s’exprimer sur une préoccupation importante, soit, autrement dit, de répondre. » Ils invoquent également la décision Hernandez Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 20, au paragraphe 25, à l’appui de la proposition selon laquelle « les agents des visas ne peuvent pas fonder leurs décisions sur des stéréotypes ou des généralisations, sans donner au demandeur de visa la possibilité de réagir ».

[27]           Le défendeur cite pour sa part la décision Tran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1377 [Tran] à l’appui de son argument selon lequel aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis en l’espèce. Dans la décision Tran, la Cour fait observer, au paragraphe 31, qu’il est « raisonnable de s’attendre à ce que les agents de visas se servent de leur propre expérience et de leur propre expertise pour trancher les demandes qui leur sont soumises ». Selon le défendeur, l’agente a eu raison de se fier à son expérience personnelle quant au coût de la vie en Inde pour conclure que les sommes d’argent envoyées par les demandeurs étaient insuffisantes sans accorder à ceux-ci la possibilité de répondre.

[28]           Bien que les demandeurs affirment qu’ils ont été traités de façon inéquitable du fait que ces renseignements ne leur ont pas été communiqués, ils n’ont soumis aucun élément de preuve dans le cadre de la présente demande qui tende à démontrer que l’avis de l’agente était erroné ou que hormis l’argent qu’ils envoyaient en Inde, ils fournissaient une autre forme de soutien financier à leur fils.

[29]           Un manquement mineur à l’équité procédurale ne devrait pas donner lieu à une nouvelle décision en l’absence d’éléments de preuve qui démontrent que ce manquement a eu une incidence sur le résultat. En l’espèce, l’agente a fourni trois raisons pour expliquer son rejet de la demande et deux d’entre elles ont été jugées raisonnables. Je ne puis conclure que le fait de porter la question du soutien financier à l’attention des demandeurs aurait produit un résultat différent en l’absence d’une preuve démontrant que l’avis de l’agente au sujet du coût de la vie en Inde était erroné. Même lorsqu’il y a manquement à l’équité procédurale, les réparations accordées dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont discrétionnaires. En l’absence de tout élément de preuve démontrant que la conclusion de l’agente suivant laquelle le soutien financier accordé était insuffisant pour subvenir aux besoins de Gursimran était erronée, et comme les autres conclusions étaient raisonnables, je ne suis pas convaincu, même s’il y a eu manquement à l’équité procédurale, que celui-ci a eu une incidence sur la décision finale.

[30]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑360‑15

 

INTITULÉ :

GURCHARAN SINGH BIRAK et IQBAL KAUR BIRAK c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 OCTOBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 29 OCTOBRE 2015

COMPARUTIONS :

Jasdeep S. Mattoo

POUR LES Demandeurs

Marjan Double

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kang & Company

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LES Demandeurs

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de la Colombie‑Britannique

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE défendeur

 

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