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Date : 20151021


Dossier : IMM-712-15

Référence : 2015 CF 1193

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

XIAO YAN LIU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Madame Liu est une jeune veuve chinoise mère d’un petit garçon. Elle affirme avoir eu maille à partir avec le Bureau des planifications des naissances (le BPN) et craindre que, si elle retourne en Chine, elle soit de nouveau forcée de porter un dispositif intra‑utérin (le DIU) et soit même, peut‑être, stérilisée.

[2]               La commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qui a instruit l’affaire n’a, pour ainsi dire, pas cru un seul mot du témoignage de la demanderesse, à tel point qu’elle a conclu que la demande n’avait pas un minimum de fondement. Mme Liu a par conséquent perdu son droit d’interjeter appel à la Section de la protection des réfugiés, et elle a donc saisi la Cour du présent contrôle judiciaire (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, paragraphe 107(2) et alinéa 110(2)c)).

[3]               Mme Liu, qui vivait dans la province de Guangdong, prétend avoir donné naissance à un garçon en 2007. Deux mois après l’accouchement, elle a été forcée de porter un contraceptif, soit le DIU, parce que les lois chinoises lui interdisent d’avoir plus d’un enfant. Le DIU lui a causé de graves problèmes de santé. Malheureusement, son époux est décédé l’année suivante.

[4]               Après avoir présenté un certain nombre de demandes, le BPN a finalement accordé à Mme Liu la permission de retirer son DIU, mais cette dernière était encore tenue de se soumettre à un test de grossesse tous les quatre mois.

[5]               En 2012, Mme Liu a rencontré son conjoint de fait actuel, lequel a aussi un garçon. Ils ont emménagé ensemble, et ils avaient des pratiques sexuelles sans risque. Cependant, lorsque le BPN a appris l’existence de cette relation, Mme Liu a de nouveau été forcée de porter un DIU.

[6]               Mme Liu a encore une fois eu des problèmes de santé, et on lui a diagnostiqué une inflammation pelvienne chronique. Le BPN a toutefois refusé que Mme Liu retire son DIU.

[7]               Par la suite, en juin 2014, lors d’un examen de routine de son DIU, Mme Liu a appris, à sa grande surprise, qu’elle était enceinte. Elle a été forcée de se faire avorter, et on lui a dit qu’elle se ferait poser un autre type de DIU 40 jours plus tard.

[8]               Mme Liu ne voulait qu’on lui pose un autre DIU et elle s’est donc cachée. Elle a appris que le BPN la recherchait. Puisqu’elle et son conjoint n’avaient pas suffisamment d’argent pour quitter le pays ensemble, Mme Liu a fui le pays à l’aide d’un passeur; elle s’attendait à ce que son conjoint la suive lorsqu’il pourrait se le permettre. Ils souhaitaient avoir un jour un enfant ensemble.

[9]               Après son arrivée au Canada, Mme Liu a appris que le BPN était toujours à sa recherche.

I.                   La décision faisant l’objet du contrôle

[10]           La commissaire a fait remarquer que le témoignage de Mme Liu avait « fluctu[é] » au fil des questions. Elle a conclu que Mme Liu n’était pas un témoin crédible. Elle n’a pas établi qu’elle avait violé la politique de l’enfant unique de la Chine ni que les autorités étaient à sa recherche. Elle n’a pas donné l’adresse de son conjoint de fait dans sa demande d’immigration malgré qu’elle ait vécu chez lui pendant près de deux ans. Elle a été très vague quant aux allées et venues de son fils qui, apparemment, vivrait chez ses grands‑parents paternels. Elle a quitté la Chine avec son propre passeport, ce qui va à l’encontre de sa prétention selon laquelle les autorités la recherchaient. La commissaire n’a pas cru que Mme Liu avait fait affaire avec un passeur.

[11]           La preuve que Mme Liu a subi un avortement est très mince et vraisemblablement fabriquée. Il n’y a absolument rien qui donne à penser que l’avortement a été imposé. Il ressort en outre de la transcription que la commissaire doutait du fait que Mme Liu avait un fils et un petit ami. Manifestement, si Mme Liu n’avait pas retenu les services d’un passeur, elle aurait eu suffisamment d’argent pour que son petit ami l’accompagne au Canada.

[12]           Il est souligné que, bien que certains BPN font parfois montrent d’une ardeur excessive, les avortements forcés sont illégaux en Chine. La personne qui contrevient à la politique de l’enfant unique est habituellement passible d’une amende et non d’une stérilisation forcée.

II.                Les observations de Mme Liu

[13]           La conclusion défavorable relative à la crédibilité n’est pas contestée à certains égards, notamment en ce qui concerne les allées et venues du fils de Mme Liu et les endroits où cette dernière a vécu. Cependant, aucune conclusion précise n’a été tirée quant au fait que Mme Liu s’opposait à la pose du DIU, alors qu’il aurait fallu se prononcer sur cette question. Une telle violation de son corps contre son gré constitue de la persécution (Ye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 634, et la jurisprudence qui y est citée). La commissaire était tenue soit de conclure que Mme Liu n’était pas crédible à cet égard soit de faire une analyse plus approfondie puisque le récit de Mme Liu concordait avec de nombreux autres récits décrits dans les documents sur les conditions dans le pays.

[14]           Il est conforme à la jurisprudence et au bon sens de conclure que la violation du système reproducteur et de l’intégrité physique d’une femme, que ce soit par un avortement forcé ou par la pose forcée d’un DIU, constitue de la persécution, que la victime de tels actes appartient à un groupe social aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qu’elle a droit à la protection du Canada.

[15]           Il n’était toutefois pas déraisonnable pour la commissaire de conclure que Mme Liu n’avait pas contrevenu à la politique de l’enfant unique et n’avait pas subi d’avortement et encore moins un avortement forcé.

[16]           La simple existence d’un texte de loi ne suffit pas. Il faut que la personne soit exposée à un risque sérieux d’être persécutée pour avoir violé l’affreuse loi en cause. Il n’était pas déraisonnable pour la commissaire de conclure que Mme Liu n’avait pas été persécutée en Chine.

[17]           Puisque le risque de persécution a un caractère prospectif, la demande d’asile de Mme Liu constituait, du moins en partie, une demande sur place.

[18]           La commissaire a été tellement frappée par le manque de crédibilité de M. Liu qu’elle était en droit de rejeter la demande dans son ensemble, y compris la partie de la demande qui constituait une demande sur place. La commissaire n’avait pas à aborder expressément la question de la demande sur place (Sanaei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 402). Voici en outre ce que le juge Beaudry a souligné dans la décision Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1008, au paragraphe 17 :

[…] Si la crédibilité du demandeur est à ce point minée que la Commission ne croit pas que ce dernier craigne avec raison d’être persécuté, il est inutile de se demander si les conditions du pays peuvent étayer sa revendication.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS;

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean‑François Martin


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-712-15

INTITULÉ :

XIAO YAN LIU c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 7 OCTOBRe 2015

JUGEMENTS ET MOTIFS :

le juge HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

le 21 octobre 2015

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

POUR LA DEMANDERESSE

Lucan Gregory

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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