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Date : 20151029


Dossier : IMM‑1376‑14

Référence : 2015 CF 1186

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 octobre 2015

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

N.O.

Demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 20 octobre 2015)

[1]               Mme N.O. (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de réexaminer une demande visant la réouverture d’une demande d’asile. La demanderesse a également produit un avis de question constitutionnelle, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c. F‑7.

[2]               À l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a demandé qu’on la désigne par ses initiales seulement. Cette requête a été accueillie.

[3]               La demanderesse est citoyenne d’Haïti. Elle est entrée au Canada à Fort Erie le 19 mars 2009 et a demandé l’asile le 1er avril suivant. Sa demande d’asile a été jointe à celles que son frère aîné, N.A., et sa sœur aînée, E.A., avaient présentées l’année précédente.

[4]               Dans une décision écrite datée du 6 octobre 2010, la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse ainsi que celles de son frère et de sa sœur, aux motifs que leurs témoignages n’étaient pas dignes de foi, qu’ils n’étaient pas parvenus à établir un fondement subjectif pour leurs demandes et que, s’ils retournaient à Haïti, ils ne courraient pas un risque personnalisé de torture, de menace à leur vie ou de traitements ou peines cruels et inusités.

[5]               Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été accordée, et la juge Snider a entendu la demande de contrôle judiciaire. Dans une décision datée du 9 mai 2011, cette demande a été rejetée, aux motifs que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient déterminantes et qu’elles étaient raisonnables. Aucune question n’a été certifiée.

[6]               Par une demande datée du 16 août 2013, la demanderesse a cherché à faire rouvrir sa demande d’asile, en vertu de l’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256. Elle alléguait avoir été contrainte par son frère et sa sœur de faire en sorte que son témoignage soit conforme au leur en ce qui concerne les motifs pour lesquels elle craignait de retourner en Haïti. Dans un long affidavit déposé avec sa demande de réouverture, elle a déclaré avoir été agressée sexuellement par son beau‑père durant son enfance et son adolescence, et que sa mère était au courant de la situation. Son frère et sa sœur, a‑t‑elle ajouté, l’avaient dissuadée de témoigner devant la Commission au sujet des agressions.

[7]               Dans son affidavit daté du 15 août 2013, la demanderesse a également déclaré ne pas savoir, avant que la juge Snider rende sa décision, en mai 2011, que son frère et sa sœur avaient présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la suite de la décision défavorable de la Commission.

[8]               Après la naissance de son enfant au Canada, le 21 février 2013, la demanderesse a suivi une thérapie pour l’aider à composer avec les agressions qu’elle a subies et leurs répercussions sur sa vie. Une travailleuse sociale l’a aidée à entrer en contact avec un avocat, qui lui a dit qu’il [traduction« serait peut‑être possible de recommencer ».

[9]               La demanderesse a de plus déclaré qu’elle souhaite régulariser sa situation au Canada, où elle vit une relation stable. Elle souhaite bien élever son enfant et veut se voir offrir la possibilité de faire trancher sa demande d’asile, en qualité de réfugiée ou de personne à protéger, sur la base de ce qu’elle a personnellement vécu.

[10]           La demanderesse a déposé la demande de réouverture de sa demande d’asile le 16 août 2013, ou aux environs de cette date. Dans une décision datée du 27 août 2013, la SPR a rejeté cette demande, disant qu’elle n’était pas compétente pour rouvrir la demande en raison de l’article 170.2 de la Loi.

[11]           Après avoir reçu la décision du 27 août 2013, la demanderesse a déposé une demande de réexamen, jointe à une lettre datée du 10 septembre 2013. Cette fois‑ci, elle a soulevé une question de nature constitutionnelle, fondée sur l’article 66 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, au sujet de la constitutionnalité de l’article 170.2, et faisant référence à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c. 11 (la Charte).

[12]           La SPR a rendu sa décision sur la demande de réexamen, par écrit en date du 7 février 2014.

[13]           Dans cette décision, la SPR a passé en revue les faits, ainsi que les arguments de la demanderesse et du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur). Elle a tout d’abord estimé qu’elle était compétente pour examiner la question constitutionnelle, en vertu du paragraphe 162(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (la Loi), de même qu’aux arrêts Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c Martin, [2003] 2 RCS 504, et R. c Conway, [2010] 1 RCS 765.

[14]           La SPR a également fait référence à la décision Stables c Canada (Citoyenneté et Immigration) (2011), 400 FTR 135, et a conclu que, compte tenu de ces trois décisions, elle n’était pas compétente pour rouvrir la demande d’asile, eu égard au libellé explicite de l’article 170.2 de la Loi. La SPR a écrit, au paragraphe 25 de sa décision :

J’estime que, sur la foi des arrêts Conway et Martin et de la décision Stables que [sic] la SPR n’a pas pour considérer la réouverture de la décision en l’espèce du type de celle visée à l’article 170.2, car cette disposition est claire : « La Section de la protection des réfugiés n’a pas compétence pour rouvrir, pour quelque motif que ce soit, y compris le manquement à un principe de justice naturelle […] les demandes à l’égard desquelles la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale […] a rendu une décision en dernier ressort. »

[15]           La SPR a fait remarquer que l’article 170.2 de la Loi est entré en vigueur après l’arrêt Conway et la décision Stables. Elle a conclu que le législateur entendait retirer à la SPR la compétence pour examiner la constitutionnalité de l’article 170.2 dans les circonstances décrites dans cette disposition. Elle a estimé que la Cour fédérale avait rendu une « décision en dernier ressort » le 9 mai 2011.

[16]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite les réparations suivantes :

[traduction]
1. Une déclaration portant que la SPR est compétente pour examiner la demande de réouverture du 12 août 2013 et que l’affaire soit renvoyée à la SPR pour décision, avec une directive à cet effet.

2. Subsidiairement, une déclaration portant que l’application de l’article 107.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui fait obstacle à la demande de réouverture de la demanderesse, porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qu’elle tire l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). En application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle, l’article 170.2 est inopérant dans la mesure où il porte atteinte aux droits de la demanderesse.

[17]           La demanderesse fait maintenant valoir que la SPR a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour rouvrir sa demande d’asile et que la Cour devrait accorder la réparation souhaitée, soit parce que l’article 170.2 est inconstitutionnel au regard de l’article 7 de la Charte, soit parce que suivant l’interprétation qu’il convient de lui donner il a seulement pour effet de retirer à la SPR compétence à l’égard d’une ou de questions que la Cour fédérale ou la Section d’appel des réfugiés a déjà tranchées, conformément à l’arrêt Schacter c Canada, [1992] 2 RCS 679.

[18]           Enfin, la dernière réparation que la demanderesse propose est que la Cour lui accorde une exemption constitutionnelle de manière que ce que l’on puisse rouvrir sa demande d’asile. Elle invoque à cet égard la décision Kaur c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1990] 2 CF 209.

[19]           Le défendeur soutient qu’il convient de rejeter la présente demande. Il ajoute que la SPR était essentiellement appelée à tirer une conclusion de fait, à savoir que la Cour fédérale avait rendu une « décision en dernier ressort ». La SPR, allègue‑t‑il, n’avait pas compétence pour examiner la demande visant à rouvrir la demande d’asile de la demanderesse et, de ce fait, elle n’avait pas non plus compétence pour examiner la constitutionnalité de l’article 170.2 et la question d’une atteinte à l’article 7.

[20]           De plus, le défendeur est d’avis que la justice fondamentale n’exige pas que l’on rouvre la demande d’asile et que, en tout état de cause, la demanderesse n’a pas établi un fondement factuel qui justifierait cette réouverture. Les risques qu’elle court, quels qu’ils soient, peuvent être évalués dans le cadre d’une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

[21]           La principale question que soulève la présente demande en est une d’interprétation législative. Il s’agit d’une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola (2014), 372 DLR (4e) 342 (CAF).

[22]           La demanderesse a présenté sa première demande de réouverture en vertu de l’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, dont le texte est le suivant :

62. (1) À tout moment avant que la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de la demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir cette demande d’asile.

 

62. (1) At any time before the Refugee Appeal Division or the Federal Court has made a final determination in respect of a claim for refugee protection that has been decided or declared abandoned, the claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen the claim.

[23]           La Commission a rejeté la demande initiale en s’appuyant sur son interprétation de l’article 170.2, libellé en ces termes :

170.2 La Section de la protection des réfugiés n’a pas compétence pour rouvrir, pour quelque motif que ce soit, y compris le manquement à un principe de justice naturelle, les demandes d’asile ou de protection ou les demandes d’annulation ou de constat de perte de l’asile à l’égard desquelles la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale, selon le cas, a rendu une décision en dernier ressort.

 

170.2 The Refugee Protection Division does not have jurisdiction to reopen on any ground — including a failure to observe a principle of natural justice — a claim for refugee protection, an application for protection or an application for cessation or vacation, in respect of which the Refugee Appeal Division or the Federal Court, as the case may be, has made a final

determination.

[24]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, il faut d’abord déterminer le sens qu’il convient de donner à l’article 170.2. D’après l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 au paragraphe 21, la méthode applicable en matière d’interprétation législative se fonde sur l’objet visé :

Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[25]           Suivant ce principe d’interprétation législative, l’article 170.2 signifie selon moi que la SPR n’est pas compétente pour rouvrir une demande d’asile, comme il est indiqué dans cette disposition, une fois que la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale, selon le cas, a rendu une « décision en dernier ressort ».

[26]           Le libellé de l’article 170.2 est clair et précis. Les mots « pour quelque motif que ce soit » sont d’une large portée mais il convient de signaler que le législateur les a fait suivre du passage suivant : « y compris le manquement à un principe de justice naturelle ». À mon avis, l’inclusion de ce passage a pour but de souligner l’intention du législateur d’empêcher toute réouverture d’une demande d’asile ou d’une demande de protection, au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi si soit la Section d’appel des réfugiés soit la Cour fédérale a rendu une « décision en dernier ressort ».

[27]           Au vu de la preuve soumise à la SPR dans le cadre de la demande de réexamen, il y avait eu une « décision en dernier ressort » au sujet des demandes de la demanderesse en vue d’être reconnue comme réfugiée au sens de la Convention ou comme personne à protéger.

[28]           Je me réfère à la décision Blackmore c British Columbia (Attorney General) (2009), 1 Admin. L.R. (5e) 134, dans laquelle la Cour a déclaré, au paragraphe 50 :

[traduction] Le sens ordinaire et grammatical du terme « dernier ressort » est : « ultime […] qui ne peut être défait, modifié ou révoqué […] [et] concluant » : Simpson et Weiner, The Oxford English Dictionary, 2e éd., volume V (Oxford : Clarendon Press, 1989) aux pages 191 et 192.

[29]           Guidée par cette démarche, je n’hésite aucunement à conclure qu’une « décision en dernier ressort » a été rendue en ce qui concerne  la demande d’asile de la demanderesse et sa demande de protection au sens du paragraphe 97(1) de la Loi quand la demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 9 mai 2011, car aucune question n’a été certifiée.

[30]           Aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi, une décision consécutive à un contrôle judiciaire en matière d’immigration ne peut être portée en appel que si une question grave de portée générale a été certifiée. Le texte de cet alinéa est le suivant :

74. Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

 

74. Judicial review is subject to the following

provisions:

 

d) sous réserve de l’article 87.01, le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci.

(d) subject to section 87.01, an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

 

[31]           Se pose ensuite la question de savoir si la SPR peut se prononcer sur une contestation de la loi fondée sur la Constitution. En l’espèce, la contestation d’ordre constitutionnel repose sur l’article 7 de la Charte :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[32]           La SPR a compétence pour trancher des questions de droit, aux termes du paragraphe 162(1) de la Loi :

162. (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

162. (1) Each Division of the Board has, in respect of proceedings brought before it under this Act, sole and exclusive jurisdiction to hear and determine all questions of law and fact, including questions of jurisdiction.

[33]           Selon la décision Stables, précitée, la SPR, à l’instar d’autres tribunaux administratifs, est habilitée à trancher des questions de nature constitutionnelle, à moins que la loi applicable indique le contraire; voir la décision Stables, précitée, au paragraphe 28 :

En raison de la trilogie Cuddy Chicks (les deux autres affaires de cette trilogie étant Douglas/Kwantlen Faculty Assn c Douglas College, 1990 CanLII 63 (CSC), [1990] 3 RCS 570, et Tétreault‑Gadoury c Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 12 (CSC), [1991] 2 RCS 22) et de l’évolution de la jurisprudence (résumée en détail dans R c Conway, 2010 CSC 22 (CanLII), [2010] 1 RCS 765), il ne fait aucun doute qu’un tribunal administratif possédant le pouvoir de trancher des questions de droit a compétence pour résoudre une question constitutionnelle inextricablement liée à une affaire dont il est dûment saisi, à moins que cette question n’ait été explicitement exclue de sa compétence.

[34]           Selon moi, l’article 170.2 satisfait au critère susmentionné. Le libellé de cette disposition retire la compétence pour rouvrir une demande pour quelque motif que ce soit si une « décision en dernier ressort » a été rendue. Cela veut dire, à mon avis, que la SPR n’était pas compétente pour examiner quelque question de droit que ce soit, y compris les questions de constitutionnalité.

[35]           Comme il a été mentionné plus tôt, j’ai conclu qu’une « décision en dernier ressort » a été rendue lorsque la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission a refusé la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée en mai 2011.

[36]           La demanderesse fait valoir qu’à cause du refus de la SPR de rouvrir sa demande d’asile il y a eu atteinte au droit à la justice fondamentale que lui garantit la Charte. Dans l’arrêt Carter c Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, la Cour a décrit comme suit les éléments de la justice fondamentale :

[54] Aux termes de l’art. 7 de la Charte, « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[55] Pour faire la preuve d’une violation de l’art. 7, les demandeurs doivent d’abord démontrer que la loi porte atteinte à leur vie, à leur liberté ou à la sécurité de leur personne, ou les en prive. Une fois qu’ils ont établi que l’art. 7 entre en jeu, ils doivent alors démontrer que la privation en cause n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

[…]

[72] L’article 7 ne répertorie pas les principes de justice fondamentale auxquels il renvoie. Au cours des 32 ans de décisions relatives à la Charte, notre Cour s’est employée à définir les exigences constitutionnelles minimales auxquelles doit satisfaire une loi qui empiète sur la vie, la liberté ou la sécurité de la personne (Bedford, par. 94). Bien que la Cour ait reconnu un certain nombre de principes de justice fondamentale, trois principes centraux se sont dégagés de la jurisprudence récente relative à l’art. 7: les lois qui portent atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne ne doivent pas être arbitraires, avoir une portée excessive ou entraîner des conséquences totalement disproportionnées à leur objet.

[37]           Il ressort des faits que la demanderesse a exposés dans l’affidavit qu’elle a produit devant la SPR dans le cadre de sa demande de réexamen qu’elle n’a pas témoigné au sujet de l’ampleur des agressions sexuelles que son beau‑père lui avait fait subir parce que son frère et sa sœur l’avaient persuadée de ne pas le faire.

[38]           Je conviens avec le défendeur que le processus d’ERAR donnera à la demanderesse une occasion appropriée de présenter les éléments de preuve dont elle dispose au sujet du risque auquel elle s’exposerait si elle faisait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada.

[39]           Selon les faits que la demanderesse a exposés dans l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, tant sa mère que son beau‑père sont aujourd’hui décédés.

[40]           De plus, je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas présenté de preuves factuelles qui permettraient de trancher une question constitutionnelle. Je me reporte à l’arrêt Danson c Ontario (Procureur général), [1990] 2 RCS 1086, dans lequel la Cour suprême du Canada a écrit, aux pages 1099 et 1100 :

Notre Cour a toujours veillé soigneusement à ce qu’un contexte factuel adéquat existe avant d’examiner une loi en regard des dispositions de la Charte […].

[…] notre Cour a entendu et décidé le pourvoi MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, concernant une action en jugement déclaratoire portant que certaines dispositions de la Loi sur le financement des campagnes électorales, L.M. 1982‑83‑84, ch. 45, violaient la garantie de la liberté d’expression prévue à l’al. 2b) de la Charte. Le juge Cory, au nom de la Cour unanime, affirme, aux pp. 361 et 362 :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte […] Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.

[41]           Je ne suis pas convaincue que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en refusant de réexaminer sa décision antérieure de ne pas rouvrir la demande d’asile de la demanderesse. Selon moi, le libellé de l’article 170.2 de la Loi est clair. Le fait est qu’une « décision en dernier ressort » a été rendue au sujet de la demande de protection de la demanderesse quand la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, et ce, sans certifier une question en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi. L’absence d’une telle question signifie que la demanderesse ne pouvait pas interjeter appel.

[42]           En définitive, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[43]           Les deux parties ont proposé des questions à certifier. La demanderesse propose les questions suivantes :

[traduction]
1. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère‑t‑elle à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié la compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 170.2?

2. L’article 170.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, du fait qu’il empêche la présentation d’une demande de réouverture à la Section de la protection des réfugiés, porte‑t‑il atteinte aux droits que l’article 7 confère à la demanderesse lorsque cette demande repose sur des motifs qui n’ont pas été présentés à la Cour fédérale et qu’elle n’a donc pas été l’objet d’une décision en dernier ressort?

[44]           Le défendeur a proposé des questions légèrement différentes :

[traduction]
1) L’article 170.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans la mesure où il dispose que « [l]a Section de la protection des réfugiés n’a pas compétence pour rouvrir, pour quelque motif que ce soit, y compris le manquement à un principe de justice naturelle, les demandes d’asile […] à l’égard desquelles la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale […] a rendu une décision en dernier ressort », retire‑t‑il à la Section de la protection des réfugiés la compétence pour trancher des questions de droit et, par voie de conséquence, de constitutionnalité qui découlent de l’application de cette disposition?

2) Malgré la disponibilité d’autres recours sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’article 170.2 de ladite loi porte‑t‑il atteinte de manière injustifiée aux droits que confère à un demandeur d’asile l’article 7 de la Charte des droits et libertés, de sorte qu’il faut conclure que la disposition est inconstitutionnelle et doit être déclarée inopérante?

[45]           Je suis d’avis que les questions du défendeur satisfont au critère applicable en matière de certification, lequel est énoncé dans l’arrêt Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 318 N.R. 365 (CAF), c’est‑à‑dire qu’il s’agit de « question[s] grave[s] de portée générale qui permettrait[ent] de régler un appel ».

[46]           En conséquence, les questions suivantes seront certifiées :

1) L’article 170.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans la mesure où il dispose que « [l]a Section de la protection des réfugiés n’a pas compétence pour rouvrir, pour quelque motif que ce soit, y compris le manquement à un principe de justice naturelle, les demandes d’asile […] à l’égard desquelles la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale […] a rendu une décision en dernier ressort », retire‑t‑il à la Section de la protection des réfugiés la compétence pour trancher des questions de droit et, par voie de conséquence, de constitutionnalité qui découlent de cette disposition?

2) Malgré la disponibilité d’autres recours sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’article 170.2 de ladite loi porte‑t‑il atteinte de manière injustifiée aux droits que confère à un demandeur d’asile l’article 7 de la Charte des droits et libertés, de sorte qu’il faut conclure que la disposition est inconstitutionnelle et doit être déclarée inopérante?

[47]           Autrement, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les questions suivantes soient certifiées :

1) L’article 170.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans la mesure où il porte que « [l]a Section de la protection des réfugiés n’a pas compétence pour rouvrir, pour quelque motif que ce soit, y compris le manquement à un principe de justice naturelle, les demandes d’asile […] à l’égard desquelles la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale […] a rendu une décision en dernier ressort », retire‑t‑il à la Section de la protection des réfugiés la compétence pour trancher des questions de droit et, par voie de conséquence, de constitutionnalité qui découlent de cette disposition?

2) Malgré la disponibilité d’autres recours sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’article 170.2 de ladite loi porte‑t‑il atteinte de manière injustifiée aux droits que confère à un demandeur d’asile l’article 7 de la Charte des droits et libertés, de sorte qu’il faut conclure que la disposition est inconstitutionnelle et doit être déclarée inopérante?

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1376‑14

INTITULÉ :

N.O. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 MarS 2015

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

LA JUGE HENEGHAN

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS RENDUS :

LE 20 OctobrE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS MODIFIÉS RENDUS :

LE 29 OctobrE 2015

COMPARUTIONS :

Prasanna Balasundaram

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ada Mok

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Downtown Legal Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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