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Date : 20151022


Dossier : IMM-1080-15

Référence : 2015 CF 1195

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

VANESSA ISHUNIYE MBIMBI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de Mme Vanessa Ishuniye Mbimbi, au motif que, comme elle n’avait pas établi son identité en tant que citoyenne de la République démocratique du Congo, sa demande d’asile n’avait pas de fondement crédible.

[2]               Mme Mbimbi sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Elle soutient qu’elle a été traitée injustement par la Commission, lorsque cette dernière a tiré une conclusion relativement au caractère authentique de l’un de ses documents d’identité, sans d’abord lui faire part de ses doutes afin que Mme Mbimbi les dissipe. Mme Mbimbi affirme aussi qu’un certain nombre de conclusions tirées par la Commission relativement à ses documents d’identité étaient déraisonnables, et que l’absence de transcription de l’audience relative à sa demande d’asile empêche la Cour de procéder à un contrôle adéquat de ses arguments.

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

I.                   L’argument concernant l’équité

[4]               L’argument de Mme Mbimbi selon lequel la Commission était obligée de préciser ses doutes relativement aux signatures sur deux des documents pose une question d’équité procédurale. Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, le rôle de la Cour est de déterminer si le processus suivi par le décideur correspond au niveau d’équité requis dans toutes les circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[5]               Mme Mbimbi a demandé l’asile parce qu’elle craignait la persécution en République démocratique du Congo en raison de son adhésion au parti politique dénommé « Engagement pour la Citoyenneté et le Développement » [ECiDé]. La Commission n’a pas accepté la carte de membre du ECiDé de Mme Mbimbi en guise de preuve de son identité, en partie parce que la Commission a conclu que la signature du secrétaire général du parti figurant sur la carte était différente de celle figurant sur la lettre faisant foi de son adhésion au parti.

[6]               Les parties s’accordent pour dire que la Commission n’est pas obligée de déclarer qu’il y a une incohérence dans la preuve d’un demandeur lorsque cette incohérence apparaît à la face même du dossier. Après avoir attentivement examiné les deux signatures en question en l’espèce, je suis convaincue que les différences entre elles ne sont pas si évidentes qu’elles déchargent la Commission de son obligation d’aviser Mme Mbimbi des doutes de la Commission.

[7]               Les signatures en cause sont très particulières et très semblables, même si, comme l’a fait remarquer la Commission, la signature sur la lettre a deux petites lignes au-dessus du nom, tandis que la signature sur la carte de membre n’en a pas. Toutefois, Mme Mbimbi souligne que les différences dans les deux signatures peuvent s’expliquer par le fait que l’espace prévu pour la signature sur la carte de membre était étroit et que cela pourrait expliquer l’omission des deux petites lignes au-dessus de la signature. Toutefois, elle n’a pas été en mesure de donner cette explication à la Commission, car elle n’était pas au courant de la préoccupation de la Commission à cet égard.

[8]               Il ne me revient pas de décider si cette explication devrait être acceptée – cette tâche est du ressort de la Commission. Toutefois, je suis convaincue qu’il était injuste que la Commission rejette les documents en raison d’une incohérence perçue dans les signatures, sans d’abord donner à Mme Mbimbi la possibilité de dissiper les doutes de la Commission.

II.                La transcription manquante

[9]               Mme Mbimbi conteste aussi le caractère raisonnable des conclusions tirées par la Commission en ce qui a trait aux autres documents qu’elle a produits afin d’établir son identité. De plus, elle soutient que l’absence de transcription de l’audience relative à sa demande d’asile empêche la Cour d’examiner ses arguments de façon adéquate.

[10]           En l’absence de la transcription d’une audience, la cour de révision doit établir si le dossier dont elle est saisie lui permet de statuer convenablement sur la demande de contrôle judiciaire. Si c’est le cas, alors l’absence de transcription ne portera pas atteinte aux règles de justice naturelle : Randhawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 595, au paragraphe 8. La question consiste à savoir s’il y a une « possibilité sérieuse » que le demandeur soit privé d’un moyen de contrôle judiciaire en raison de l’absence de transcription : Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (ville), [1997] 1 RCS 793.

[11]           Je suis d’avis qu’il y a véritablement une possibilité sérieuse que l’absence de transcription en l’espèce empêche une appréciation adéquate de l’argument de Mme Mbimbi selon lequel la Commission a mal compris les éléments de preuve portant sur au moins certains de ses documents d’identité.

[12]           Par exemple, la Commission a conclu qu’il y avait une incohérence dans la preuve de Mme Mbimbi quant au moment où elle a vu pour la première fois les relevés de notes qu’elle a produits à la Commission dans le but d’établir son identité. Dans son affidavit, Mme Mbimbi soutient que la Commission a mal compris sa preuve à cet égard, et qu’en réalité il n’y avait pas d’incohérences dans son témoignage relativement à cette question. Un tel argument ne peut pas être apprécié sans savoir quels éléments de preuve ont été ou n’ont pas été produits à la Commission relativement à cet aspect.

[13]           La Commission a aussi rejeté une carte d’électeur présentée comme preuve de l’identité de Mme Mbimbi, au motif que la carte n’était pas conforme à un format de document qui avait été produit en 2010. Une carte d’électeur est un document important dans l’établissement de l’identité d’un citoyen de la République démocratique du Congo, car il s’agit dans les faits d’une carte nationale d’identité : J.M.T.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2013] ACF no 1167, au paragraphe 20.

[14]           Bien qu’elle admette avoir dit à la Commission qu’elle avait obtenu la carte d’électeur afin de voter à l’élection de 2011, Mme Mbimbi déclare aussi dans son affidavit qu’elle a expliqué à la Commission qu’elle avait réellement obtenu le document en 2009, avant que les changements ne soient apportés au format de ce document.

[15]           Bien qu’il soit loisible à la Commission de rejeter l’explication donnée par Mme Mbimbi relativement aux irrégularités perçues dans le format de la carte d’électeur, la Commission avait au moins l’obligation de prendre en compte toute explication que Mme Mbimbi pouvait donner à cet égard. Une fois de plus, l’absence de transcription de l’audience signifie que nous ne pouvons pas être sûrs des éléments de preuve dont la Commission a été saisie à cet égard. Ainsi, il n’y a aucun moyen d’apprécier le caractère raisonnable de la conclusion relative au caractère authentique de la carte d’électeur.

III.             Dispositif

[16]           Comme Mme Mbimbi l’a relevé, une conclusion d’« absence de minimum de fondement » d’une demande d’asile a de graves conséquences pour le demandeur d’asile. En définitive, il revient à la Commission de prendre en compte la preuve présentée par Mme Mbimbi en réponse aux doutes émis quant à ses documents d’identité, et il appartient à la Commission de décider si cette preuve dissipe les doutes de façon satisfaisante. Toutefois, Mme Mbimbi a le droit de répondre aux incohérences perçues dans les signatures des documents du parti, et de voir ses arguments relatifs à sa preuve portant sur les autres documents d’identité entièrement examinés. Cela ne peut pas être fait en l’absence de la transcription de l’audience relative à la demande d’asile.

[17]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je souscris à l’avis des parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1080-15

 

INTITULÉ :

VANESSA ISHUNIYE MBIMBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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