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Date : 20151028


Dossier : T-623-15

Référence : 2015 CF 1218

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

IMPERIAL OIL RESOURCES LTD.

ET

EXXONMOBIL UPSTREAM RESEARCH CO.

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Imperial Oil Resources Ltd (Imperial Oil) et Exxonmobil Upstream Research Co (Upstream) (collectivement, les demanderesses) en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 (la Loi) en vue d’obtenir une ordonnance modifiant l’inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant la paternité de l’invention et la titularité du brevet canadien no 2,740,481 (le brevet 481).

[2]               La présente demande n’est pas contestée, le défendeur n’ayant pas participé à l’instance.

II.                Contexte

[3]               Le brevet 481, intitulé « Procédés intégrés pour la récupération des hydrocarbures dans les sables bitumineux », a été déposé le 17 mai 2011 et désigne onze inventeurs : Olusola B. Adeyinka (Adeyinka), Ronald D. Myers (Myers), Mainak Ghosh (Ghosh), Fritz Pierre Jr. (Pierre), Emilio Alvarez (Alvarez), Robert D. Kaminsky (Kaminsky), Justin D. Pace (Pace), Thomas R. Palmer (Palmer), David C. Rennard (Rennard), Payman Esmaeili (Esmaeili) et Brian C. Speirs (Speirs).

[4]               Le brevet 481 désigne Imperial et Upstream comme cotitulaires. Les demanderesses ne contestent pas la titularité du brevet 481.

[5]               Le brevet 481 demandait une priorité à l’égard de la demande de brevet canadien no 2,704,927 (la demande de brevet 927) et revendiquait un objet visant des réalisations décrites dans la demande de brevet 927 ainsi que d’autres réalisations. La demande de brevet 927 désigne trois inventeurs : Adeyinka, Myers et Ghosh.

[6]               Pendant l’instruction de la demande de brevet 481, la portée de la revendication a été restreinte à la suite d’une objection pour manque d’unité de la part du Bureau des brevets, et il a été décidé que seuls Adeyinka, Myers et Ghosh avaient contribué au sous‑ensemble de revendications choisi, mais le brevet a été délivré sans que les modifications appropriées soient apportées à la paternité de l’invention.

[7]               Les demanderesses cherchent maintenant à faire modifier la paternité de l’invention et la titularité du brevet 481 au moyen d’une ordonnance, fondée sur l’article 52 de la Loi, enjoignant au commissaire de modifier toutes les inscriptions dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre au brevet 481 en supprimant Pierre, Alvarez, Kaminsky, Pace, Palmer, Rennard, Esmaeili et Speirs à titre de coinventeurs, et d’une ordonnance supprimant Upstream à titre de cotitulaire du brevet 481. Tous les coinventeurs désignés et les demanderesses conviennent que ces huit personnes devraient être retirées de la liste des coinventeurs du brevet 481 enregistré et les huit personnes ont donné leur consentement à la suppression de leur nom. Cette preuve n’est pas contredite.

[8]               Les demanderesses soutiennent que l’article 52 de la Loi donne à la Cour compétence pour ordonner au Bureau des brevets de modifier la paternité de l’invention et la titularité du brevet 481. Elles soutiennent également qu’en exerçant sa compétence, la Cour peut déterminer s’il y a lieu de modifier la paternité de l’invention en examinant le critère énoncé au paragraphe 31(3) de la Loi à la place du commissaire aux brevets (le commissaire).

[9]               Quant à la titularité du brevet 481, les demanderesses prétendent que la Cour n’a pas à se prononcer sur la question de la titularité et qu’il n’y a aucune allégation d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels par les inventeurs ou les demanderesses. Elles demandent donc que les registres du Bureau des brevets soient modifiés pour corriger la titularité du brevet 481.

[10]           Enfin, les demanderesses soutiennent que la seule partie touchée en l’espèce, à savoir le commissaire, a décidé de ne pas participer à la présente instance et que rien n’indique que d’autres tiers seront touchés par l’ordonnance demandée.

III.             Questions en litige

[11]           Les demanderesses soulèvent les questions suivantes :

  1. La Cour devrait‑elle ordonner que les registres du Bureau des brevets concernant le brevet 481 soient modifiés en (i) supprimant Pierre, Alvarez, Kaminsky, Pace, Palmer, Rennard, Esmaeili et Speirs à titre de coinventeurs, et en (ii) supprimant Upstream à titre de cotitulaire?

IV.             Analyse

[12]           L’article 52 de la Loi confère à la Cour fédérale de vastes pouvoirs lui permettant d’« ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée » sur la demande de toute personne intéressée. Je suis convaincu que les demanderesses sont des personnes intéressées en l’espèce.

[13]           La Cour a interprété largement le mot « titre » figurant à l’article 52 de la Loi de façon à ce qu’il englobe les « questions qui concernent le titre originaire », comme la paternité de l’invention (Micromass UK Ltd c Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 117, au paragraphe 13, 286 FTR 277 [Micromass]); Segatoys Co, Ltd c Canada (Procureur général), 2013 CF 98, au paragraphe 13, 426 FTR 104 [Segatoys]). La portée de l’article 52 de la Loi permet donc à la Cour de corriger les erreurs dans la désignation des inventeurs, notamment en ajoutant ou en supprimant des noms d’inventeurs (Micromass, au paragraphe 13; Segatoys, au paragraphe 13).

[14]           La Cour fédérale ne peut exercer cette compétence que lorsque le brevet a déjà été délivré, comme c’est le cas en l’espèce (Micromass, précité, au paragraphe 12). Étant donné que le commissaire n’a pas le pouvoir discrétionnaire de modifier la paternité de l’invention une fois le brevet délivré, la Cour a statué qu’en exerçant les pouvoirs que lui confère l’article 52 de la Loi, elle se met à la place du commissaire pour décider si un inventeur devrait être supprimé en examinant le critère énoncé au paragraphe 31(3) de la Loi afin d’accomplir la mesure qu’aurait prise le commissaire avant de délivrer le brevet (Segatoys, au paragraphe 14, Micromass, au paragraphe 15, Clopay Corporation and Canadian General Tower Ltd c Metalix Ltd (1960), 34 CPR 232, au paragraphe 10, conf. par (1961), 39 CPR 23.

[15]           Le paragraphe 31(3) de la Loi énonce les deux critères suivants en ce qui a trait à la suppression d’inventeurs désignés :

  1. Apparaît‑il que l’un ou plusieurs des inventeurs désignés n’ont pas participé à l’invention?
  2. A‑t‑on produit un affidavit démontrant à la Cour que les derniers inventeurs sont les seuls?

[16]           En l’espèce, Pierre, Alvarez, Kaminsky, Pace, Palmer, Rennard, Esmaeili et Speirs ont produit des déclarations sous serment indiquant qu’ils n’avaient pas participé à l’invention de l’objet revendiqué dans le brevet 481 délivré. Je suis donc convaincu qu’il a été satisfait au premier volet du critère énoncé au paragraphe 31(3).

[17]           Je souligne également qu’Adeyinka, Myers et Ghosh ont produit des déclarations sous serment indiquant qu’ils ont contribué à l’invention de l’objet revendiqué dans le brevet 481 délivré et sont donc à bon droit désignés comme coinventeurs du brevet 481. Les revendications de copaternité de l’invention du brevet 481 d’Adeyinka, Myers et Ghosh ne sont contestées par aucune des parties en cause. Je suis donc convaincu qu’il a été satisfait au deuxième volet du critère.

[18]           La dernière question à trancher est de savoir si la Cour a compétence pour supprimer Upstream à titre de cotitulaire du brevet 481.

[19]           La Cour a statué qu’elle n’a pas compétence, en vertu de l’article 52 de la Loi, pour se prononcer sur la titularité des brevets, car cela demanderait d’appliquer et d’interpréter le droit provincial en matière de contrats (Rlp Machine & Steel Fabrication Inc c Walter Ditullio, 2001 CFPI 245, au paragraphe 39, 202 FTR 185; Axia Inc c Northstar Tool Corp, 2005 CF 573, aux paragraphes 17 à 19, 273 FTR 123). Je suis convaincu qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire où la titularité du brevet est en cause. En effet, les demanderesses ne contestent pas la titularité du brevet 481 puisqu’elles conviennent toutes les deux qu’Imperial devrait être désignée comme unique titulaire du brevet. En outre, les seuls coinventeurs, Adeyinka, Myers et Ghosh ont cédé leurs droits à l’égard du brevet 481 à Imperial uniquement. J’estime donc que la Cour a compétence pour modifier la titularité du brevet 481 en conséquence de la correction de la paternité de l’invention du brevet.

[20]           Compte tenu de ce qui précède, l’ordonnance demandée par les demanderesses en vue de faire modifier les registres du Bureau des brevets en supprimant Pierre, Alvarez, Kaminsky, Pace, Palmer, Rennard, Esmaeili et Speirs à titre de coinventeurs, et en supprimant Upstream à titre de cotitulaire, devrait être accordée.

[21]           Les demanderesses n’ont évidemment pas sollicité de dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      la demande est accueillie;

2.      le commissaire aux brevets devra, en application de l’article 52 de la Loi sur les brevets, modifier toutes les inscriptions dans les registres du Bureau des brevets concernant la paternité de l’invention du brevet canadien no 2,740,481 en supprimant Fritz Pierre Jr., Emilio Alvarez, Robert D. Kaminsky, Justin D. Pace, Thomas R. Palmer, David C. Rennard, Payman Esmaeili et Brian C. Speirs à titre de coinventeurs;

3.      le commissaire aux brevets devra, en application de l’article 52 de la Loi sur les brevets, modifier toutes les inscriptions dans les registres du Bureau des brevets concernant la titularité du brevet canadien no 2,740,481 en supprimant la demanderesse, Exxonmobil Upstream Research Co, à titre de cotitulaire dudit brevet;

4.      aucuns dépens ne sont adjugés.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-623-15

INTITULÉ :

IMPERIAL OIL RESOURCES LTD. ET EXXONMOBIL UPSTREAM RESEARCH CO. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 28 OCTOBRE 2015

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

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