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Date : 20151022


Dossier : IMM-3666-14

Référence : 2015 CF 1189

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

HUO JUN YANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et visant la décision par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agente] a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, Huo Jun Yang, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Celui-ci sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à Citoyenneté et Immigration Canada en vue d’un réexamen.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur, un citoyen chinois, est entré au Canada en février 2010. Peu après, il a déposé une demande d’asile qui a été rejetée quelques mois plus tard. Le 12 septembre 2012, il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

III.             Décision contestée

[4]               Le 9 avril 2014, l’agente a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Après avoir soupesé tous les facteurs favorables à cette demande, l’agente a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de prouver qu’il se heurterait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si la demande était rejetée.

[5]               L’agente a estimé que le demandeur n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir des titres de voyage, et n’avait donc pas réussi à démontrer qu’il était demeuré au Canada indépendamment de sa volonté. Cet argument s’est donc vu accorder peu de poids.

[6]               L’agente a également examiné l’emploi du demandeur et sa capacité à répondre à ses obligations financières. Ces observations, quoique non déterminantes, ont été jugées favorables au demandeur et ont reçu un certain poids.

[7]               Pour ce qui est de l’évaluation de l’établissement du demandeur, l’agente a estimé qu’il n’y avait pas de véritable établissement au Canada, et n’a donc accordé que peu de poids à cet argument. L’agente a conclu que la location d’une chambre et le fait de considérer le propriétaire de celle-ci presque comme un parent ne saurait raisonnablement établir de liens plus étroits que ceux qui unissent le demandeur à son épouse, sa fille et ses parents, qui résident tous en Chine.

[8]               L’agente a estimé que les cours d’anglais suivis par le demandeur constituaient un facteur favorable, quoique non déterminant dans l’affaire.

[9]               L’agente a estimé que les activités bénévoles et les dons de bienfaisance du demandeur, de même que sa bonne conduite civique, attestaient des qualités louables, mais ne justifiaient pas une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[10]           Après que la décision eut été rendue, le demandeur a soulevé des préoccupations concernant l’incompétence du représentant qui l’avait aidé à préparer sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et son dossier de demande déposés à la Cour fédérale le 16 juin 2014. À l’issue de requêtes, il a été autorisé à déposer un dossier de demande supplémentaire aux termes du Protocole procédural concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger, et ainsi faire valoir une atteinte à l’équité procédurale découlant de l’incompétence de son représentant.

[11]           Le demandeur soutient que son représentant n’a pas évoqué la situation de sa fille, née le 27 avril 2009, et n’a pas présenté d’observations concernant l’intérêt supérieur de celle-ci dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Après une enquête plus approfondie, le demandeur a déclaré qu’il avait été trompé quant à l’identité et au statut professionnel de la personne qui lui avait fourni des conseils et des services juridiques, puisqu’il s’agissait d’un imposteur ou de quelqu’un qui a agi sans la supervision d’un détenteur de licence du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada.

[12]           La Cour a autorisé le demandeur à déposer un dossier de demande supplémentaire se rapportant aux inexactitudes du dossier de demande original ainsi qu’à la compétence et la diligence du précédent représentant. Cette preuve est admise pour résoudre les questions d’équité procédurale liées à l’intérêt supérieur de l’enfant [ISDE] en Chine.

IV.             Questions en litige

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      La décision de l’agente chargée de l’examen des motifs d’ordre humanitaire devrait-elle être annulée pour des motifs d’équité procédurale liés à la représentation du demandeur?

2.      L’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le séjour prolongé du demandeur au Canada ne résultait pas de son incapacité à quitter le territoire sans détenir de passeport?

V.                Norme de contrôle

[14]           La décision relative aux motifs d’ordre humanitaire d’un agent est soumise au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18).

VI.             Analyse

A.                Incompétence du représentant

[15]           L’incompétence de l’avocat ne constituera une atteinte à la justice naturelle que dans des [traduction« circonstances extraordinaires ». L’incompétence doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise : Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36.

[16]           Pour établir une atteinte à l’équité procédurale résultant de l’incompétence de son représentant, le demandeur doit satisfaire aux exigences du critère tripartite suivant :

  1. les actes ou omissions allégués du représentant relèvent de l’incompétence;
  2. il y a eu déni de justice dans le sens où, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente;
  3. le représentant doit être avisé et doit bénéficier d’une occasion raisonnable de répondre. Voir : Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 11; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 25; Zdraviak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640, au paragraphe 25.

[17]           En l’espèce, je suis convaincu que les éléments 1 et 3 du critère tripartite ont été remplis. La seule question qu’il reste à examiner de façon sérieuse est de savoir s’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente si la preuve concernant l’ISDE avait été produite.

[18]           Toute décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit comporter une évaluation de l’ISDE touché par la décision, ce qui inclut les enfants qui se trouvent à l’extérieur du Canada. L’agente chargée de l’examen des motifs d’ordre humanitaire savait que le demandeur avait une femme et une enfant en Chine, et a jugé anormal que l’argument mette l’accent sur ses liens avec la famille du propriétaire de la chambre à Toronto, sans mentionner les liens qui unissent le demandeur à son épouse, son enfant et ses parents en Chine, liens qui, pour l’agente, devraient être plus étroits que ceux avec la famille du propriétaire.

[19]           Les arguments d’ordre humanitaire soumis au nom du demandeur n’évoquaient nullement la situation de son enfant. L’agente savait que le demandeur envoyait de l’argent en Chine en raison des observations selon lesquelles : [traduction« M. Yang envoie de temps à autre un soutien financier à son épouse et à sa fille en Chine ». Les observations soumises à l’agente chargée de l’examen des motifs d’ordre humanitaire ne contenaient aucune preuve propre à confirmer que de l’argent était envoyé à son épouse et à sa fille. Aussi, dans la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire aucune mention n’est faite à des problèmes ou difficultés auxquelles son épouse et son enfant étaient exposées, car aucune preuve n’a été présentée à l’agente sur la question.

[20]           Dans son dossier de demande supplémentaire, le demandeur a produit des éléments de preuve additionnels qui ne concernent que la situation de son enfant. Dans son affidavit de février 2015, le demandeur déclare ce qui suit aux paragraphes 32 à 34, pour étayer son allégation d’après laquelle sa fille n’aurait pas été en mesure d’aller à l’école s’il était resté en Chine, faute d’argent :

[traduction
32. Aucune question ne m’a été posée au sujet de ma fille, Jia Hui Yang, née le 27 avril 2009, environ neuf mois avant mon départ de la Chine. Elle est à présent âgée de cinq ans. Si j’étais resté en Chine, il m’aurait été très difficile de l’envoyer à l’école avec le revenu que je gagnais dans ce pays. Beaucoup seraient sans doute surpris d’apprendre que la Chine, qui a tant fait pour élever le niveau de vie de ses citoyens au cours des soixante dernières années, ne permet pas à tous les enfants d’aller à l’école, mais c’est un fait.

33. Si j’avais été en Chine, j’aurais eu à payer 800 à 1 000 RMB chaque mois pour les frais de scolarité de mon enfant. Mon revenu en Chine comme opérateur de chariot élévateur se situait entre 1 000 et 2 000 RMB par mois. Le coût de la vie en Chine est élevé dans notre région, et nous avons besoin de 3 000 à 5 000 RMB pour vivre décemment.

34. J’ai été avisé et je crois sincèrement qu’il existe des sources objectives d’information sur la situation dans le pays qui attestent que la Chine ne permet pas à tous les enfants d’être scolarisés gratuitement. J’ai appris ce qui suit du rapport du département d’État du gouvernement américain pour l’année civile 2013 :

Éducation : Quoiqu’une scolarité obligatoire de neuf ans soit prévue par la loi, de nombreux enfants de régions rurales économiquement défavorisées n’ont pas été scolarisés pendant la période requise; certains ne l’ont même jamais été. Bien que les écoles publiques ne soient pas autorisées à prescrire des frais de scolarité, un grand nombre d’entre elles ont continué prescrire des frais divers en raison de l’insuffisance du financement fourni par les gouvernements locaux et central. De tels frais et d’autres dépenses scolaires entraînent des difficultés pour les familles très pauvres et pour certains travailleurs migrants qui ont du mal à envoyer leurs enfants à l’école.

[21]           Comme il sollicite une mesure extraordinaire, le demandeur doit faire valoir ses meilleurs arguments afin de convaincre la Cour qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente si son représentant avait présenté des éléments de preuve concernant l’ISDE. Par conséquent, le demandeur doit fournir à la Cour la preuve destinée à établir l’existence d’une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale eût été différente.

[22]           La preuve présentée à la Cour ne satisfait pas à cette exigence. Je me serais attendu à des affidavits ou à des documents de ce type de la part de l’épouse du demandeur, de leurs grands-parents ou de sa sœur, pour confirmer la situation scolaire délicate de la fille du demandeur et le caractère indispensable de sa contribution comme seul moyen de lui assurer une éducation. On pouvait aussi normalement espérer certains documents de l’école du secteur que la fille fréquenterait, dont il ressortirait que les frais et autres dépenses pouvaient corroborer de façon similaire le coût de la scolarité.

[23]           Je me serais aussi attendu à ce que le demandeur produise des documents afin de confirmer qu’il envoie de temps à autre de l’argent à son épouse et à son enfant en Chine comme il le soutient dans ses observations relatives à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Des traces écrites permettent d’attester ces virements et elles auraient dû être versées en preuve. Je le souligne d’autant plus que les avocats du demandeur se sont donné beaucoup de peine pour faire valoir, au moyen d’une abondante documentation, une violation de l’équité procédurale dans une affaire où la compétence de l’avocat est déjà en cause.

[24]           Je note également que la preuve documentaire objective n’appuie pas l’allégation du demandeur selon laquelle sa fille ne pourrait pas du tout aller à l’école pendant le nombre d’années minimales de scolarité obligatoire de neuf ans en Chine. Le rapport du département d’État du gouvernement américain indique que [traduction« dans les régions rurales économiquement défavorisées », et ensuite seulement [traduction« pendant la période requise », certains enfants ne vont pas à l’école. Le demandeur et sa famille vivent à Guangzhou, officiellement connue sous le nom de Canton, qui est l’une des mégapoles chinoises économiquement florissantes. Il ne s’agit pas d’une région rurale défavorisée de la Chine. Il semblerait donc, selon la preuve même du demandeur, que sa fille aurait droit à l’éducation obligatoire élémentaire gratuite pendant neuf ans.

[25]           La Cour relève également que le dossier d’études du demandeur indique qu’il a complété trois niveaux de scolarité en Chine, notamment une école secondaire technique de deuxième cycle. Il est difficile de croire que dans la Chine moderne, sa seule enfant n’aurait pas accès aux mêmes études que lui, compte tenu de ses antécédents scolaires et de sa situation familiale.

[26]           Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur a fourni des éléments de preuve suffisants pour étayer son allégation d’après laquelle il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente sur la foi d’une observation voulant que sa fille ait besoin qu’il reste au Canada, car c’est son seul moyen d’accès aux études.

B.                 Défaut de fournir un passeport

[27]           Le défendeur reconnaît que l’agente a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas démontré qu’il avait fait des efforts raisonnables pour obtenir un passeport chinois. Elle a n’a pas tenu compte d’une lettre versée au dossier dont il ressortait que des tentatives étaient faites pour l’obtention d’un passeport. Cette méconnaissance l’a amenée à conclure que le demandeur n’avait pas démontré que le fait qu’il soit demeuré au Canada était indépendant de sa volonté. Il appert que le demandeur n’a pas été en mesure de quitter le Canada après le rejet de la demande d’autorisation relative à sa demande d’asile, parce qu’il n’avait pas pu obtenir de passeport chinois.

[28]           En dehors de l’erreur portant sur ce fait, l’agente a cependant évalué de manière raisonnable l’établissement du demandeur. Elle a favorablement tenu compte du fait qu’il était en mesure de répondre à ses obligations financières en travaillant à son propre compte. Toutefois, l’agente a également estimé que la location d’une chambre dans la résidence d’un tiers n’est pas révélatrice d’un véritable établissement au Canada. De façon similaire, elle a conclu de manière assez raisonnable qu’il était plus lié à sa famille en Chine qu’à celle au Canada. Elle a conclu que dans l’ensemble, ces facteurs ne justifiaient pas une dispense.

[29]           À mon avis, peu d’éléments au dossier contredisent la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur ne se heurterait pas à des difficultés injustifiées s’il devait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Je ne vois pas en quoi une erreur de l’agente quant au fait que son séjour au Canada était indépendant de sa volonté peut influer sur la décision. Les difficultés dont il est question en l’espèce ont principalement trait au fait de vivre et de travailler au Canada pendant quatre ans tout en ayant peu d’autres liens avec le pays. Aucun élément de preuve solide n’établit que le retour dans le pays où il a passé la plus grande partie de sa vie et où réside sa famille lui causerait des difficultés ou le mettrait dans une situation différente de celle qu’il connaissait avant son départ pour le Canada.

VII.          Dispositif

[30]           La demande est donc rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3666-14

 

INTITULÉ :

HUO JUN YANG c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 août 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE annis

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt

POUR LE demandeur

 

Julie Waldman

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Ann Ritter

Czuma Ritter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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