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Date : 20151026


Dossier : IMM-226-15

Référence : 2015 CF 1211

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

LÉONIDAS NSHOGOZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Léonidas Nshogoza est citoyen rwandais. Il conteste la décision par laquelle une agente de la Section de l’immigration du haut‑commissariat du Canada à Nairobi, au Kenya, a refusé sa demande de visa de résident permanent. Dans sa décision, l’agente a rejeté la demande de M. Nshogoza au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. Elle a conclu qu’il ne craignait pas avec raison d’être persécuté au Rwanda. Elle a aussi conclu que M. Nshogoza était interdit de territoire au Canada pour criminalité et pour grande criminalité en vertu des alinéas 36(1)b) et 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], puisqu’il avait été déclaré coupable d’« outrage au tribunal » par le Tribunal pénal international pour le Rwanda [le TPIR] et déclaré coupable d’[traduction] « avoir minoré le génocide et éliminé de la preuve sur le génocide » par un tribunal rwandais.

[2]               M. Nshogoza soutient que l’agente a fait erreur en concluant qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, que la décision de l’agente était déraisonnable compte tenu de la preuve versée au dossier et que l’agente a agi de manière contraire à la loi en ne tenant pas compte de l’information transmise par un employé du haut‑commissariat du Canada au Kenya qui indiquait que ses déclarations de culpabilité ne le rendraient pas inadmissible au statut de résident permanent. Il demande à la Cour d’annuler la décision de l’agente, d’ordonner au haut‑commissariat de confirmer son statut de réfugié au sens de la Convention et de lui accorder un visa de résident permanent.

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Après avoir examiné la décision de l’agente, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler sa décision. L’agente a examiné minutieusement la preuve, et ses conclusions font partie des issues acceptables et possibles compte tenu des faits et du droit. De plus, je suis convaincu qu’elle n’a pas agi contrairement aux principes de justice naturelle ni à ceux de la doctrine des attentes légitimes dans le traitement de la demande de M. Nshogoza.

[4]               Les questions à trancher sont les suivantes :

  • L’agente a-t-elle procédé à une analyse sur les déclarations de culpabilité prononcées au Rwanda et les infractions criminelles équivalentes au Canada, et ses conclusions selon lesquelles M. Nshogoza était interdit de territoire pour criminalité étaient‑elles raisonnables?
  • L’agente était‑elle liée par une affirmation apparemment faite par M. Virani, selon laquelle les déclarations de culpabilité de M. Nshogoza ne le rendraient pas inadmissible?
  • La conclusion selon laquelle M. Nshogoza n’était pas un réfugié au sens de la Convention était‑elle raisonnable?

II.                Le contexte

A.                Les faits

[5]               M. Nshogoza est un ancien employé du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCNUR] et un avocat qui vit actuellement à Nairobi, au Kenya. M. Nshogoza, sa femme et leurs enfants se sont vu reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention par le HCNUR, ainsi que par Amnistie Internationale.

[6]               Entre 2001 et 2007, M. Nshogoza a joué, auprès du TPIR, en Tanzanie, le rôle d’enquêteur pour la défense dans l’affaire Le Procureur c Jean de Dieu Kamuhanda, ICTR‑95‑54A‑T. Dans cette affaire, le défendeur, M. Kamuhanda, a été, à l’issue du procès, déclaré coupable de génocide et d’extermination constitutive de crime contre l’humanité et condamné à l’emprisonnement à vie. Durant le procès, la Chambre de première instance du TPIR a ordonné la prise de mesures de protection à l’endroit des victimes et des témoins à charge éventuels et, plus particulièrement, de mesures qui empêchaient la défense de rencontrer les témoins à charge sans en informer la poursuite et avoir obtenu au préalable l’autorisation du tribunal.

[7]               Le TPIR a commencé la procédure pour outrage au tribunal contre M. Nshogoza en février 2008. En juillet 2009, la Chambre de première instance du TPIR a conclu que M. Nshogoza avait rencontré des témoins à deux occasions, contrairement aux mesures de protection mises en place par ce tribunal. Par conséquent, M. Nshogoza a été déclaré coupable d’« outrage au tribunal » et condamné à dix mois d’emprisonnement par le TPIR. La Chambre d’appel du TPIR, à l’unanimité, a confirmé la condamnation de M. Nshogoza en mars 2010, mais deux des cinq juges étaient dissidents en ce qui a trait à la peine de dix mois, qu’ils estimaient excessive.

[8]               En juillet 2011, la Haute cour de Gasabo, au Rwanda, a aussi prononcé un jugement visant M. Nshogoza. Elle l’a déclaré non coupable de l’accusation de corruption qui pesait contre lui pour avoir donné de l’argent à deux témoins pour qu’ils se rétractent. Toutefois, le tribunal a conclu que M. Nshogoza était coupable [traduction] « d’avoir minoré le génocide et éliminé de la preuve sur le génocide », en soulignant qu’il avait sollicité des témoins dans le but d’éliminer de la preuve ou de soulever des doutes sur celle‑ci. Il a été condamné à six ans d’emprisonnement.

[9]               En décembre 2009, M. Nshogoza a déposé une demande de visa de résident permanent au Canada. L’avocat de M. Nshogoza l’a aidé à préparer sa demande, particulièrement en établissant des liens avec des représentants de Human Rights Watch et d’Amnistie Internationale et avec des agents de la Section de l’immigration du haut‑commissariat du Canada au Kenya, notamment M. Karim Virani. Le 1er juin 2010 ou vers cette date, l’avocat de M. Nshogoza aurait reçu un appel téléphonique de M. Virani, qui lui a dit qu’il avait reçu un avis juridique d’Ottawa confirmant que la procédure criminelle concernant le travail d’enquêteur de M. Nshogoza au TPIR ne constituerait pas un obstacle à la résidence permanente ou ne l’y rendrait pas inadmissible. L’avis juridique dont M. Virani a fait mention n’a pas été communiqué à l’agente, ni à la Cour.

B.                 La décision

[10]           Le 3 juillet 2014, l’agente a rejeté la demande de résidence permanente de M. Nshogoza au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières, lesquelles sont prévues aux articles 144 et 146 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Même si M. Nshogoza, sa femme et leurs enfants s’étaient vu reconnaître le statut de réfugiés par le HCNUR, l’agente était d’avis qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des dispositions de la LIPR, parce qu’ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés.

[11]           L’agente a mentionné que M. Nshogoza se disait victime de persécution de la part des autorités rwandaises et qu’il ne pourrait pas retourner au Rwanda parce qu’il y serait emprisonné. L’agente a toutefois affirmé que le gouvernement canadien et le TPIR reconnaissaient que M. Nshogoza aurait maintenant droit à un procès juste et équitable au Rwanda. L’agente a aussi déclaré qu’elle ne croyait pas que le procès de M. Nshogoza et la peine d’emprisonnement qui lui a été infligée constituaient de la persécution de la part des autorités rwandaises. Elle a de plus souligné que M. Nshogoza était représenté par un avocat à certaines étapes de la procédure judiciaire qui s’est déroulée au Rwanda et que M. Nshogoza a choisi, de son propre chef, de ne pas se présenter à son procès devant le tribunal rwandais, en dépit du fait qu’il avait été cité à comparaître.

[12]           L’agente a fait observer qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la compétence du tribunal rwandais, l’existence d’une protection contre la persécution et la double condamnation ainsi que sur les irrégularités alléguées par M. Nshogoza en rapport avec son arrestation et sa détention. Ces questions auraient dû ou devraient être soulevées devant le système judiciaire rwandais. Dans sa décision, l’agente a également fait état de la lettre d’équité qu’elle a envoyée à M. Nshogoza en juillet 2013, pour lui offrir la possibilité de présenter des observations sur les motifs qu’elle avait rédigés.

[13]           L’agente a de plus conclu que M. Nshogoza était interdit de territoire au Canada pour criminalité en vertu de l’alinéa 36(2)b) de la LIPR, par suite de sa condamnation pour outrage au tribunal par le TPIR. L’agente était d’avis que cette accusation d’ « outrage au tribunal » devant le TPIR était l’équivalent d’une accusation d’« outrage au tribunal » au Canada, à savoir un acte criminel décrit à l’article 9 et au paragraphe 127(1) du Code criminel, LCS 1985, c C-46.

[14]           L’agente a aussi conclu que M. Nshogoza était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR par suite de sa condamnation par le tribunal rwandais pour [traduction] « avoir minoré le génocide et éliminé de la preuve sur le génocide ». Elle était d’avis que l’infraction équivalente au Canada était l’« entrave à la justice », qui est décrite au paragraphe 139(2) du Code criminel. M. Nshogoza avait donc été déclaré coupable à l’étranger d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait été punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

C.                Les questions préliminaires

[15]           Dans le cadre du contrôle judiciaire, M. Nshogoza a déposé un affidavit supplémentaire le 14 juillet 2015, concernant les allégations d’enlèvement et de meurtre possible de l’un de ses collègues en juin 2015. Le ministre s’oppose à la production de cet affidavit pour deux raisons. Premièrement, l’ordonnance d’autorisation prononcée par la Cour le 16 avril 2015 prévoyait que les affidavits présentés pour le compte de M. Nshogoza devaient être déposés au plus tard le 19 mai 2015. Deuxièmement, les affidavits ne doivent pas être utilisés dans la procédure de contrôle judiciaire pour produire de la nouvelle preuve dont ne disposait pas le décideur. Le ministre avance que les faits dont il est question dans l’affidavit supplémentaire de M. Nshogoza se sont produits après la communication par l’agente de sa décision et ne sont pas pertinents en l’espèce (Ravichandran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 665, au paragraphe 14). En réponse, M. Nshogoza soutient que les faits dont il est question dans l’affidavit supplémentaire étayent l’urgence et la gravité de sa situation et qu’il était impossible de les confirmer avant le 19 mai 2015.

[16]           Je ne souscris pas à la thèse de M. Nshogoza et je suis d’avis que l’affidavit supplémentaire ne peut être admis par la Cour. La jurisprudence a clairement établi qu’une demande de contrôle judiciaire se rapporte strictement à la décision à l’étude et que « le dossier dont la cour de révision dispose doit être celui dont disposait le décideur » (Sedighi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 445, au paragraphe 14; Tabañag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1293, au paragraphe 14; Mahouri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 244, au paragraphe 14). La règle générale veut qu’aucune preuve nouvelle ne soit admise dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire.

[17]           Dans l’arrêt Connolly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294, au paragraphe 7, la Cour d’appel fédérale, citant un extrait de la décision Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [AUCC], rédigée par le juge Stratas, a décrit les exceptions reconnues à cette interdiction générale. Ces exceptions « sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif » (AUCC, au paragraphe 20). Elles comprennent : (i) un affidavit qui contient des informations générales pour aider à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; (ii) un affidavit nécessaire pour prouver des vices procéduraux ou un manquement à l’équité procédurale; (iii) un affidavit faisant ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif (AUCC, au paragraphe 20).

[18]           Comme l’affidavit supplémentaire de M. Nshogoza ne fait pas partie de ces exceptions et soulève des questions dépourvues d’intérêt quant à la décision que la Cour doit rendre, je conclus qu’il n’est pas admissible. Il n’en sera donc pas tenu compte pour le jugement.

[19]           M. Nshogoza a également demandé que la Cour confirme sa réadaptation en vertu du paragraphe 36(3) de la LIPR et qu’elle lui accorde un visa de résident permanent sur ce fondement. Le paragraphe 36(3) prévoit que les déclarations de culpabilité antérieures n’emportent pas interdiction de territoire pour l’étranger qui convainc le ministre de sa réadaptation. Toutefois, M. Nshogoza n’a jamais soulevé la question de la demande relative à la réadaptation devant l’agente. La question de la réadaptation ne peut donc pas être examinée par la Cour dans la présente demande. Il n’appartient pas au juge de la Cour fédérale qui entend une demande de contrôle judiciaire de se prononcer sur la réadaptation prévue au paragraphe 36(3) de la LIPR et d’accorder un visa.

III.             Analyse

A.                L’analyse de l’agente sur les déclarations de culpabilité prononcées au Rwanda et les infractions criminelles équivalentes au Canada, et ses conclusions selon lesquelles M. Nshogoza était interdit de territoire pour criminalité étaient‑elles raisonnables?

[20]           La première question à trancher est celle de savoir si l’agente a commis une erreur en concluant que les condamnations de M. Nshogoza pour « outrage au tribunal » et pour [traduction] « avoir minoré le génocide et éliminé de la preuve sur le génocide » équivalaient à des infractions criminelles au Canada et en concluant que M. Nshogoza était donc interdit de territoire au Canada pour criminalité. Puisqu’un visa de résident permanent ne peut être délivré à une personne déclarée interdite de territoire, cette question est déterminante dans la présente procédure de contrôle judiciaire.

[21]           Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent prise sous le régime de l’article 36 de la LIPR concernant les infractions équivalentes est la norme de la décision raisonnable (Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1476 [Lu], au paragraphe 12; Abid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 164, au paragraphe 11; Sayer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 144, au paragraphe 4). Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui commande la retenue judiciaire, ce qui signifie que, si la décision fait partie des issues possibles acceptables qui se justifie au regard des et du droit, le tribunal n’est pas autorisé à intervenir même si son appréciation de la preuve l’avait amené à une solution différente (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 81 à 84). Dans l’application de cette norme, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne devrait pas y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au paragraphe 59).

[22]           À l’audience tenue devant la Cour, M. Nshogoza a contesté l’équivalence établie par l’agente entre le verdict d’« outrage au tribunal » et l’infraction d’« outrage au tribunal » du Code criminel. Il avance que l’accusation examinée par le TPIR n’exigeait pas la preuve de la mens rea, contrairement à la disposition pénale canadienne se rapportant à la désobéissance à une ordonnance du tribunal. De plus, M. Nshogoza soutient qu’il avait une excuse légitime pour la violation technique de l’ordonnance de protection des témoins. Enfin, M. Nshogoza soutient que l’agente n’a pas tenu compte des motifs de dissidence contenus dans la décision du TPIR en ce qui a trait à la peine infligée. Je constate que M. Nshogoza n’a pas vraiment contesté l’équivalence établie par l’agente entre l’accusation consistant à [traduction] « avoir minoré le génocide et éliminé de la preuve sur le génocide », qui a été jugée par le tribunal rwandais, et l’infraction d’« entrave à la justice » au Canada.

[23]           Je ne souscris pas aux arguments de M. Nshogoza et je suis d’avis que la décision de l’agente concernant les infractions équivalentes était raisonnable.

[24]           Pour conclure que le demandeur était interdit de territoire en vertu des alinéas 36(1)b) ou 36(2)b) de la LIPR, l’agente devait procéder à une analyse de l’équivalence entre les infractions en cause commises à l’étranger et les infractions équivalentes prévues par la législation canadienne. M. Nshogoza avait demandé la résidence permanente au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières, lesquelles sont décrites aux articles 144 et 146 du RIPR. Puisque seuls les étrangers non interdits de territoire peuvent obtenir un visa de résident permanent, l’agente devait déterminer si M. Nshogoza était interdit de territoire au Canada en vertu de la LIPR.

[25]           Il n’est pas contesté que le TPIR a déclaré M. Nshogoza coupable d’« outrage au tribunal » et que cette condamnation a été confirmée en appel. Les jugements de la Chambre de première instance et de la Chambre d’appel du TPIR expliquent en détail l’infraction commise et ses éléments, ainsi que les motifs de la condamnation. La Cour, tout comme c’était le cas pour l’agente, ne siège pas en appel de la décision du TPIR ou de sa Chambre d’appel. Qui plus est, même si des opinions dissidentes ont été formulées par des juges de la Chambre d’appel du TPIR quant à la peine infligée, aucun de ceux‑ci ne s’est dit d’avis que la déclaration de culpabilité devait être annulée ou infirmée.

[26]           Il n’est également pas contesté que le tribunal rwandais a déclaré M. Nshogoza coupable d’[traduction] « avoir minoré le génocide et éliminé de la preuve sur le génocide ». Encore là, le jugement prononcé par la Haute cour de Gasabo décrit le fondement factuel qui étaye la déclaration de culpabilité de M. Nshogoza et explique en détail les éléments de l’infraction commise au Rwanda.

[27]           La seule question à trancher est de savoir si les conclusions de l’agente concernant les infractions équivalentes et celles ayant entraîné l’interdiction de territoire sont raisonnables. Dans la décision Lu, la Cour a expliqué les méthodes de l’analyse de l’équivalence à laquelle doit procéder un agent d’immigration (au paragraphe 14). Citant l’arrêt Hill c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1987] ACF no 47 (CAF), à la page 320, le juge Pinard a déclaré que l’équivalence entre les infractions peut être déterminée de trois façons : (i) « tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives »; (ii) « en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales »; (iii) au moyen d’une combinaison de ces deux démarches.

[28]           La Cour doit de plus déterminer si les définitions des deux infractions comparées sont similaires et examiner les critères applicables pour établir les infractions (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1060 (CAF) [Li], au paragraphe 18). Comme l’a expliqué le juge Strayer, « [l]a comparaison des “éléments essentiels” de l’une et l’autre infractions requiert la comparaison de leurs définitions respectives, y compris les moyens de défense propres à ces infractions ou aux catégories dont elles relèvent » (Li, au paragraphe 19). Dans l’arrêt Brannson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 2 CF 141 (CAF), au paragraphe 38, la Cour d’appel fédérale a de plus déclaré que les éléments essentiels des infractions en question doivent être comparés, peu importe les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir.

[29]           Dans sa décision, l’agente a conclu que la déclaration de culpabilité prononcée à l’endroit de M. Nshogoza pour « outrage au tribunal » par le TPIR pouvait être assimilée à un « outrage au tribunal » au sens du Code criminel du Canada. Elle a discuté du contenu des jugements du TPIR dans les notes fournies à l’appui de sa décision, y compris des éléments de l’infraction, et elle a parlé plus particulièrement de l’article 9 et du paragraphe 127(1) du Code criminel qui traitent de la désobéissance à l’ordonnance d’un tribunal. L’agente a fait observer que, si elle avait été commise au Canada, l’infraction commise par M. Nshogoza constituerait un acte criminel visé à l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. L’agente a de plus conclu que la déclaration de culpabilité de M. Nshogoza pour [traduction] « avoir minoré le génocide et éliminé de la preuve sur le génocide », prononcée par le tribunal rwandais, pouvait être assimilée à une entrave à la justice au Canada et elle a parlé plus particulièrement du paragraphe 139(2) du Code criminel. Elle a aussi formulé des observations sur le jugement de la Haute cour de Gasabo dans ses notes. L’agente a ajouté que, si l’infraction avait été commise au Canada, elle aurait été punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans et aurait été visée par l’alinéa 36(2)b) de la LIPR.

[30]           Je rejette l’argument de M. Nshogoza selon lequel la mens rea est l’élément qui différencie la déclaration de culpabilité pour « outrage au tribunal » devant le TPIR de l’infraction d’« outrage au tribunal » prévue au Canada. La preuve contenue au dossier et les jugements prononcés par le TPIR révèlent plutôt que l’intention de M. Nshogoza est un élément qui a été prouvé devant ce tribunal. Je rejette également l’argument de M. Nshogoza selon lequel il n’aurait pas été déclaré coupable au Canada parce qu’il avait une excuse légitime pour rencontrer les témoins à charge. Il n’appartenait pas à l’agente de mettre en doute la validité ou le bien‑fondé de la décision du TPIR ou de celle du tribunal rwandais. On ne peut demander ni à l’agente ni à la Cour de substituer ses conclusions à celles du TPIR et du tribunal rwandais.

[31]           L’analyse de l’agente appartient à la première des méthodes élaborées par la jurisprudence pour établir des infractions criminelles équivalentes sous le régime de l’article 36 de la LIPR. Je suis convaincu que, compte tenu des infractions et des condamnations détaillées dans les jugements du TPIR et du tribunal rwandais, de l’évaluation de ces infractions étrangères par l’agente et des éléments des infractions canadiennes équivalentes décrits par l’agente, il n’était pas déraisonnable de sa part de conclure que M. Nshogoza était interdit de territoire pour criminalité. Elle n’a pas que simplement exposé ou mentionné les infractions commises au Rwanda et les condamnations qui y ont été prononcées, puisqu’elle a fait référence aux jugements étrangers détaillés qui font partie du dossier. Elle a aussi examiné les dispositions équivalentes du Code criminel du Canada, les a décrites et a invoqué des dispositions particulières.

[32]           L’agente a procédé à une analyse d’équivalence suffisante et n’a pas fait que simplement déclarer que M. Nshogoza avait commis certaines infractions, contrairement à la situation dont il est question dans Pardhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 756, au paragraphe 14. En faisant référence aux jugements, en évaluant les éléments sous‑jacents aux condamnations de M. Nshogoza au Rwanda et en précisant les infractions canadiennes équivalentes pour chacune de ces condamnations, l’agente a donné un raisonnement suffisant pour justifier comment elle était parvenue à ses conclusions. Le raisonnement de l’agente est peut‑être bref, mais il explique comment elle a établi les équivalences pour les infractions d’« outrage au tribunal » et d’« entrave à la justice ». Après avoir examiné la décision, les notes de l’agente et le dossier, je conclus que les éléments essentiels des deux infractions ont été suffisamment décrits par l’agente à l’aide de renvois à des dispositions canadiennes particulières et ont été comparés pour déterminer s’ils correspondaient à ceux des infractions et des condamnations décrites par le TPIR et le tribunal rwandais.

[33]           La règle de droit relative à la suffisance des motifs d’une décision administrative a beaucoup évolué depuis l’arrêt Dunsmuir, tant pour ce qui est du niveau de détail auquel devraient être assujetties les décisions fondées sur les faits, comme celle en l’espèce, que pour ce qui est de la suffisance des motifs comme raison justifiant à elle seule le contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a fourni des éclaircissements sur la démarche à adopter dans les cas où les motifs du décideur sont brefs et limités. Le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les détails soutenant sa conclusion. Les motifs sont suffisants s’ils permettent à la Cour de comprendre pourquoi la décision a été prise et de décider si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Les motifs doivent être considérés dans leur ensemble, en corrélation avec le dossier, dans le but de déterminer si les motifs offrent la justification, la transparence et l’intelligibilité requises d’une décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 47; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira], au paragraphe 53).

[34]           Selon la norme applicable, la décision doit être raisonnable, et non parfaite. En l’espèce, je conclus que la décision de l’agente concernant les infractions équivalentes satisfait à cette norme et aux critères de transparence et d’intelligibilité de l’arrêt Dunsmuir. Selon la norme du caractère raisonnable, dans la mesure où le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

B.                 L’agente était‑elle liée par les renseignements donnés par M. Virani, selon lesquels les procédures criminelles visant M. Nshogoza ne le rendraient pas inadmissible?

[35]           M. Nshogoza soutient qu’il s’est fié à la déclaration qu’avait faite M. Virani à son avocat en 2010, qui confirmait apparemment que les procédures criminelles le visant ne le rendraient pas inadmissible à la résidence permanente. M. Nshogoza prétend que, sur la foi de cette déclaration, il a attendu un certain nombre d’années et choisi de ne pas demander la résidence permanente ailleurs dans le monde. En fait, M. Nshogoza prétend qu’il avait donc une attente légitime : les déclarations de culpabilité dont il avait fait l’objet antérieurement ne le rendraient pas inadmissible à l’obtention d’un visa de résident permanent.

[36]           À l’appui de sa thèse, M. Nshogoza invoque la décision Qin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 846 [Qin]. Dans cette affaire, une juge de la citoyenneté a déclaré à l’audience, en présence de Mme Qin et de son avocat, qu’il appliquerait le critère Koo (exposé dans la décision Koo (Re), [1992] ACF no 1107 (CF 1re inst.)) pour calculer le nombre de jours de résidence requis, s’il était conclu que Mme  Qin avait été présente au Canada pendant le nombre de jours requis, mais il a plutôt appliqué le critère Pourghasemi (exposé dans la décision Pourghasemi (Re), [1993] ACF no 232 (CF 1re inst.)), qui est un critère plus strict. La Cour a conclu que cette déclaration du juge de la citoyenneté « a porté atteinte aux attentes légitimes de la demanderesse et a donc donné lieu à un manquement à l’équité procédurale » (Qin, au paragraphe 37). M. Nshogoza invoque également deux arrêts de la Cour suprême du Canada à l’appui de la doctrine des attentes légitimes : Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 RCS 30 [Mavi], au paragraphe 68, et Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 [Mont Sinaï].

[37]           Je ne suis pas d’accord avec M. Nshogoza. Je suis plutôt d’avis que, en prétendant que la déclaration de M. Virani l’autorisait à un certain résultat, M. Nshogoza a mal interprété la doctrine des attentes légitimes.

[38]           La doctrine des attentes légitimes fait partie des règles de l’équité procédurale. Les questions liées à l’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme plus stricte de la décision correcte (Qin, au paragraphe 23; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79), ce qui signifie que, lorsque ces questions sont soulevées, le tribunal doit déterminer si le processus suivi par le décideur satisfait au degré d’équité requis eu égard à toutes les circonstances (Khosa, au paragraphe 43; Eshete c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 701, au paragraphe 9).

[39]           Je conviens avec le ministre que la doctrine des attentes légitimes ne crée pas de droits matériels ou ne peut par ailleurs servir à entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un décideur chargé d’appliquer le droit (Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 RCS 525, aux pages 557 et 558; Balasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1368, au paragraphe 59). Elle fait partie du devoir d’agir équitablement et, pour cette raison, elle offre seulement des protections procédurales. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Agraira, a récemment réaffirmé l’état actuel de la doctrine, aux paragraphes 94 à 97 :

[94] La théorie des attentes légitimes constitue la facette particulière de l’équité procédurale qui nous occupe dans le présent pourvoi. Cette doctrine a trouvé de solides assises en droit administratif canadien dans [Bake c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817], où la Cour a statué qu’il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte pour déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale de la common law. Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. De même, si un organisme a fait une représentation à une personne relativement à l’issue formelle d’une affaire, l’obligation de cet organisme envers cette personne quant à la procédure à suivre avant de rendre une décision en sens contraire sera plus rigoureuse.

[95] Les conditions précises à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime sont résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle‑ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites. [Je souligne.]. (D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §7:1710; voir également Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, par. 29; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, par. 68.)

[96] Récemment, dans l’arrêt Mavi, le juge Binnie a expliqué ce que l’on entend par des affirmations « claires, nettes et explicites » en établissant une analogie avec le droit contractuel (par. 69) :

En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution.

[97] L’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante (Baker, par. 26; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557). En d’autres mots, « [l]orsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la Cour peut [seulement] accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative “légitime” » (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131 (je souligne)).

[40]           La proposition selon laquelle la doctrine des attentes légitimes ne peut créer de droits matériels est soutenue par un grand nombre de décisions. Même les décisions invoquées par M. Nshogoza (Mont‑Sinaï, au paragraphe 22; Mavi, au paragraphe 68; Qin, au paragraphe 37) confirment que la doctrine des attentes légitimes crée seulement des protections procédurales.

[41]           Qui plus est, les attentes légitimes ne peuvent être ambiguës. Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Mavi, au paragraphe 68, les affirmations doivent être faites dans l’exercice du pouvoir conféré au représentant de l’État. De plus, les affirmations qui suscitent des attentes doivent être « claires, nettes et explicites ». Enfin, les affirmations doivent être « de nature procédurale » et ne pas aller « à l’encontre de l’obligation légale du décideur » (Mavi, au paragraphe 68).

[42]           Un important principe de la théorie des attentes légitimes veut en effet qu’elle ne puisse servir à faire obstacle à une interdiction prévue par la loi dans le processus pour lequel elle est envisagée (Lidder c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 212 (CF 1re inst.) au paragraphe 28). Comme l’a affirmé la juge Dawson dans Yoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 359, au paragraphe 20, « [l]’attente légitime ne peut exister lorsqu’elle est contraire aux dispositions expresses du Règlement [RIPR] ». En d’autres termes, la doctrine ne peut servir « à contredire l’intention clairement exprimée du législateur » de conférer un pouvoir au décideur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c dela Fuente, 2006 CAF 186, au paragraphe 19). Une autorité publique ne peut en aucun cas se placer en conflit par rapport à ses obligations et négliger les exigences du droit (Oberlander c Canada (Procureur général), 2003 CF 944, au paragraphe 24).

[43]           En l’espèce, l’article 11 de la LIPR établit plus particulièrement un principe fondamental du droit des réfugiés et empêche l’agent des visas de délivrer un visa à une personne déclarée interdite de territoire pour criminalité en vertu de l’article 36. Il ne s’agit pas d’une question qui pouvait être tranchée par M. Virani, et la doctrine des attentes légitimes ne peut servir à entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agente ni l’emporter sur les obligations qui lui sont imposées par la loi. Quelle que soit la déclaration faite par M. Virani, elle ne pouvait donc pas avoir pour effet d’empêcher l’agente de prendre en considération et d’évaluer l’interdiction de territoire pour criminalité visant M. Nshogoza. Les attentes légitimes ne peuvent être fondées sur des affirmations allant à l’encontre des obligations que la loi impose au décideur.

[44]           Je souligne également que l’« avis juridique » apparemment obtenu par M. Virani à l’appui de l’allégation selon laquelle les procédures criminelles visant M. Nshogoza ne le rendraient pas inadmissible n’a été produit ni devant l’agente ni devant la Cour. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que les affirmations qui ont suscité des attentes de la part de M. Nshogoza peuvent être considérées comme « claires, nettes et explicites », compte tenu de l’insuffisance de la preuve sur la portée exacte de ces affirmations.

[45]           Pour les motifs exposés précédemment, je suis d’avis que M. Nshogoza ne pouvait s’attendre légitimement à ce que, du fait de la déclaration alléguée par M. Virani, l’agente ne puisse le déclarer interdit de territoire pour criminalité. La présente situation est bien différente de l’affaire Qin. Dans Qin, il était loisible au juge de la citoyenneté de choisir le critère à appliquer, et c’est le même décideur qui était à l’origine des affirmations et de la décision. N’eussent été ces affirmations, il aurait été parfaitement loisible au juge de la citoyenneté d’appliquer le critère de son choix : le choix du critère à appliquer par le juge de la citoyenneté commande la retenue judiciaire. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[46]           Je conclus donc que la décision de l’agente était correcte et qu’elle n’a pas commis d’erreur en ne retenant pas l’affirmation de M. Virani selon laquelle les déclarations de culpabilité de M. Nshogoza ne le rendraient pas inadmissible à l’obtention du statut de résident permanent.

[47]           Je souligne également que les protections procédurales dont bénéficie M. Nshogoza n’ont pas été violées par l’agente. Une lettre d’équité a été envoyée à M. Nshogoza en juillet 2013. Elle mentionnait explicitement que M. Nshogoza était interdit de territoire au Canada pour criminalité et lui offrait la possibilité de présenter des observations sur cette question. Dans sa décision, l’agente a fait état des renseignements fournis par M. Nshogoza en réponse à la lettre d’équité, mais elle a néanmoins conclu que M. Nshogoza était interdit de territoire pour criminalité. Il est bien établi en droit que les décideurs sont présumés avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont ils disposaient et qu’ils ne sont pas tenus de faire état de chaque élément de preuve versé au dossier.

C.                La conclusion selon laquelle M. Nshogoza n’était pas un réfugié au sens de la Convention était‑elle raisonnable?

[48]           Compte tenu des conclusions que j’ai tirées quant aux questions précédentes, il n’est pas nécessaire de me prononcer sur la conclusion de l’agente selon laquelle M. Nshogoza n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Toutefois, je vais discuter brièvement de cette question car, à mon avis, il était également raisonnable de la part de l’agente de conclure comme elle l’a fait sur ce point.

[49]           M. Nshogoza reconnaît que le Canada n’a pas besoin de suivre aveuglément la décision prise par le HCNUR pour décider du statut d’un réfugié. Toutefois, M. Nshogoza allègue que l’agente n’a donné aucune raison pour expliquer le rejet de la décision du HCNUR. En outre, M. Nshogoza affirme que l’agente n’a pas accepté ni reconnu la recommandation légitime d’Amnistie Internationale qui le désignait comme réfugié et qu’elle a ainsi violé une obligation que la Section de l’immigration du haut commissariat serait tenue de respecter en vertu d’un accord conclu avec Amnistie Internationale. M. Nshogoza soutient de plus que l’agente a conclu à tort qu’il n’existait aucun motif de croire qu’il craignait avec raison d’être persécuté. M. Nshogoza affirme que les deux poursuites au Rwanda étaient liées à des motifs politiques et constituaient des exemples concrets de persécution, qu’il a beaucoup souffert en raison de la nature et de l’objet de son travail en tant qu’enquêteur pour la défense au TPIR et que l’agente a exclu de manière injustifiée les opinions contraires de bon nombre d’experts internationaux sur les droits de la personne, y compris celle du HCNUR.

[50]           Je ne suis pas d’accord avec M. Nshogoza. La norme de contrôle applicable pour évaluer si M. Nshogoza fait partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières est la norme de la décision raisonnable (Pushparasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828 [Pushparasa], au paragraphe 19; Sakthivel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 292, au paragraphe 30; Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF192, au paragraphe 12).

[51]           L’agente a analysé les faits à l’origine de la demande d’asile de M. Nshogoza. Même si elle devait tenir compte du fait que M. Nshogoza, sa femme et ses enfants s’étaient vu reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention par le HCNUR, ce fait n’était déterminant de la décision qu’elle devait prendre. La jurisprudence confirme de manière constante que la reconnaissance du statut de réfugié par le HCNUR n’est pas un facteur déterminant dans une demande d’asile présentée au Canada; le processus d’immigration au Canada doit malgré tout se dérouler conformément aux dispositions de la LIPR et du RIPR (Pushparasa , au paragraphe 27; Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519 [Ghirmatsion], au paragraphe 57; B231 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1218 [B231] au paragraphe 56).

[52]           Dans la décision Ghirmatsion, au paragraphe 59, la juge Snider a fait observer que, même si la reconnaissance du statut de réfugié par le HCNUR n’a pas un caractère déterminant, l’agent doit néanmoins procéder à sa propre évaluation de la preuve dont il dispose, notamment de celle portant sur le statut de réfugié reconnu par le HCNUR. En fait, la juge Snider était d’avis que le statut accordé par le HCNUR constituait, de manière personnelle, un facteur pertinent (Ghirmatsion, au paragraphe 57; B231, au paragraphe 66). En l’espèce, contrairement à la situation dans la décision Ghirmatsion, l’agente a fait état du statut de réfugié accordé par le HCNUR dans sa décision. Elle a aussi expliqué pourquoi cette désignation par le HCNUR n’était pas suivie : elle ne croyait pas que M. Nshogoza et sa famille craignaient avec raison d’être persécutés. L’agente a aussi précisé que le procès de M. Nshogoza devant les autorités rwandaises et la peine d’emprisonnement qui lui avait été infligée à l’issue de ce procès ne pouvaient être assimilés à de la persécution. Elle a donc examiné la preuve et appliqué les bons principes conformément au droit canadien.

[53]           J’ajouterais que la décision relative au statut de réfugié est un exercice de nature prospective (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Mark, [1993] 151 NR 213 (CAF), au paragraphe 4; Demir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1218, au paragraphe 7). Au moment où la décision de l’agente a été prise, le système judiciaire rwandais était reconnu comme fonctionnel tant par le Canada (Mugesera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 32, aux paragraphes 66 à 68) que par le TPIR, comme en fait foi le transfert de nombreux dossiers aux autorités rwandaises (comme l’a mentionné l’agente dans ses notes enregistrées dans le système de traitement informatisé des dossiers d’immigration). De plus, la crainte de l’emprisonnement à l’issue d’un procès ne constitue pas un motif de persécution. La preuve ne corrobore donc pas l’allégation de persécution de M. Nshogoza.

[54]           Compte tenu des motifs qui précèdent, je suis convaincu que la décision de l’agente concernant la demande du statut de réfugié est raisonnable compte tenu de la preuve. Elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

IV.             Conclusion

[55]           Le rejet de la demande de visa de résident permanent présentée par M. Nshogoza constitue une décision raisonnable compte tenu du droit applicable et de la preuve. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire fasse partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et il n’a pas été porté atteinte aux attentes légitimes de M. Nshogoza. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[56]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale en vue de la certification. Je conviens qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-226-15

INTITULÉ :

LÉONIDAS NSHOGOZA c MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 SEPTEMBRE 2015

JUGEMENT ET motifs :

le juge GASCON

DATE DES MOTIFS:

le 26 OCTOBrE 2015

COMPARUTIONS :

Mme Allison Turner

POUR LE DEMANDEUR

M. Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GWBR, LLP

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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