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Date : 20151020

Dossier : IMM-1181-15

Référence : 2015 CF 1181

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ABDALLA KHALIFA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 [la LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la Commission ou la SPR] par laquelle celle‑ci rejetait la demande d’asile présentée par Abdalla Khalifa, étant donné que ce dernier avait acquis une nouvelle nationalité et que les motifs pour lesquels il avait sollicité l’asile n’existaient plus. M. Khalifa demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer le dossier à un tribunal différemment constitué de la Commission.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Le contexte

[3]               M. Khalifa, un citoyen égyptien, a été déclaré réfugié au sens de la Convention par un tribunal différemment constitué de la SPR le 9 novembre 2004.

[4]               M. Khalifa est devenu un résident permanent du Canada en octobre 2006. Pendant cette période, il a obtenu la carte de résident permanent des États‑Unis [É.‑U.] grâce au système de loterie.

[5]               Le 27 juillet 2010, M. Khalifa a renouvelé son passeport égyptien.

[6]               Le 31 décembre 2010, M. Khalifa a demandé la citoyenneté canadienne.

[7]               En février 2012, M. Khalifa a demandé la citoyenneté des États-Unis, qui lui a été accordée en mai 2012; il est toujours citoyen américain.

[8]               Le 7 juillet 2012, M. Khalifa a déposé une demande de carte de résident permanent du Canada et a déclaré qu’il s’était rendu aux États‑Unis et en Égypte à huit occasions distinctes entre août 2008 et mars 2011. À chaque fois, il a utilisé son titre de voyage des États-Unis.

[9]               Le même mois, en juillet 2012, M. Khalifa a réussi son examen pour la citoyenneté canadienne. Il a été convoqué à une entrevue avec un agent d’immigration. À la fin de l’entrevue, l’agent a remis à M. Khalifa un questionnaire relatif à la résidence et sa demande a été transmise à un juge de la citoyenneté le 10 juillet 2012.

[10]           Le bureau de la citoyenneté a transmis pour examen le dossier de M. Khalifa à la Section de la sécurité nationale de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] en raison des voyages qu’il avait faits en Égypte. L’ASFC a convoqué M. Khalifa à une entrevue le 27 novembre 2013 pour le motif qu’il s’agissait d’un cas prima facie d’annulation de sa demande d’asile.

[11]           Après avoir obtenu des renseignements auprès des autorités américaines au sujet du statut de M. Khalifa dans ce pays, le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté présentée par M. Khalifa le 20 janvier 2014, en l’informant qu’en raison de la non‑divulgation d'absences, il fallait tenir une audience relative à sa résidence pour décider s’il avait droit à la citoyenneté.

[12]           Le 3 mars 2014, le ministre de Citoyenneté et Immigration Canada [le ministre] a déposé une demande relative à la perte de l’asile devant la SPR pour révoquer le statut de réfugié de M. Khalifa. Le ministre estimait que le statut de M. Khalifa devait être révoqué conformément aux alinéas 108(1)a) et 108(1)c) de la LIPR.

[13]           Par la suite, M. Khalifa a présenté auprès de la Cour fédérale [CF] une demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent d’audience de présenter une demande relative à la perte de l’asile. La demande de contrôle judiciaire a été finalement rejetée le 20 octobre 2014 dans le dossier Khalifa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑1407‑14.

[14]           M. Khalifa a été avisé de se présenter devant un juge de la citoyenneté, et ce, en dépit du fait que la Section de la sécurité nationale avait mentionné qu’on ne devait pas lui octroyer la citoyenneté, parce que son dossier faisait l’objet d’une enquête. Cette demande a été par la suite retirée pour divers motifs qui ont été fournis, et Citoyenneté et Immigration a omis de faire un suivi avec le demandeur pour lui donner une explication.

[15]           Le 21 août 2014, M. Khalifa a présenté une preuve dans le but de corriger une inscription inexacte concernant sa résidence et d’établir qu’il respectait les conditions de résidence au Canada prévues par la Loi sur la citoyenneté. Il demandait qu’une décision soit prise au sujet de sa demande de citoyenneté dans les 60 jours, comme l’exige la Loi sur la citoyenneté.

[16]           Le 8 septembre 2014, M. Khalifa a déposé une demande de mandamus pour obliger le juge de la citoyenneté à se prononcer sur sa demande.

[17]           Le ministre a demandé à la SPR d’inscrire au rôle le plus tôt possible l’audience relative à la perte de l’asile et cette audience a été fixée au 5 novembre 2014.

[18]           Le 20 octobre 2014, M. Khalifa a déposé une demande de changement de la date ou de l’heure [CDH] auprès de la SPR, demande fondée sur l’abus de procédure qu’aurait commis le ministre « en refusant de s’acquitter de ses obligations législatives de rendre une décision sur la demande de citoyenneté de [M. Khalifa] ». M. Khalifa a également déposé devant la CF une demande d’ordonnance de mandamus « pour forcer le ministre à rendre une décision sur la demande de citoyenneté en instance ».

[19]           La demande de CDH a été rejetée le 4 novembre 2014 par le vice‑président adjoint [le VPA], qui a signalé que la demande de contrôle judiciaire avait été rejetée le 20 octobre 2014. Le VPA a également fait remarquer que le fait que d’autres instances soient en cours ne permettait pas, à lui seul, de faire droit à une demande CDH.

[20]           L’audience a eu lieu le 5 novembre 2014 et la Commission a rendu sa décision le 20 février 2015.

III.             La décision contestée

[21]           Le 5 novembre 2014, la Commission a entendu la demande relative à la perte de l’asile présentée par le ministre, fondée sur les alinéas 108(1)a) [fait de se réclamer de nouveau et volontairement de la protection du pays de nationalité] et c) [acquisition d’une nouvelle nationalité et protection de ce pays de nouvelle citoyenneté]. M. Khalifa a uniquement soutenu que seul l’alinéa 108(1)e) [les raisons à l’origine de la demande d’asile n’existent plus] devait être appliqué ici, à l’exclusion de tout autre motif.

[22]           La Commission a fait droit à la demande relative à la perte de l’asile présentée par le ministre aux termes de l’alinéa 108(1)c) de la LIPR, en tenant pour acquis que la demande d’asile de M. Khalifa serait rejetée parce qu’il avait acquis la nationalité américaine et qu’il bénéficiait de la protection de ce pays, ainsi qu’aux termes de l’alinéa 108(1)e), étant donné que les raisons pour lesquelles ce dernier avait demandé l’asile n’existaient plus.

[23]           Pour ce qui est de la question de l’abus de procédure, à savoir notamment le fait que la demande de citoyenneté présentée par M. Khalifa n’ait pas été traitée par les fonctionnaires du bureau de la citoyenneté, contrairement à ce que prévoit la Loi sur la citoyenneté, la Commission a conclu que, si les fonctionnaires avaient agi sans pouvoir légal ou avaient refusé de traiter la demande de citoyenneté de M. Khalifa, la Commission ne pouvait lui accorder aucune réparation. Dans les circonstances, la demande de mandamus était le recours approprié à exercer à ce sujet. Elle a conclu que, pour les besoins de la demande relative à la perte de l’asile, le ministre n’avait pas commis un abus de procédure en déposant une telle demande devant la SPR.

[24]           En outre, la Commission a déclaré qu’elle avait le pouvoir d’examiner tous les motifs de perte de l’asile prévus au paragraphe 108(1) de la LIPR et qu’elle n’était pas tenue d’examiner uniquement les motifs avancés par le ministre. La Commission a ainsi examiné les alinéas 108(1)a) et 108(1)c) invoqués par le ministre, tout comme l’alinéa 108(1)e) mis de l’avant par M. Khalifa.

[25]           Pour décider si l’alinéa 108(1)e) s’appliquait, la Commission devait décider si les motifs pour lesquels M. Khalifa avait demandé l’asile avaient cessé d’exister. La Commission a conclu qu’en Égypte, le régime avait subi un changement durable et permanent en 2010. À la suite de cette conclusion, la protection dont bénéficiait M. Khalifa a été révoquée et la demande de perte de l’asile présentée par le ministre a été accordée aux termes de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR.

[26]           Par la suite, la Commission a conclu que l’exception figurant au paragraphe 108(4) de la LIPR ne s’appliquait pas, étant donné que M. Khalifa « n’a[vait] fourni aucun élément de preuve lui permettant d’établir qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ».

[27]           La Commission a admis que, s’il existe un certain lien entre les alinéas 108(1)c) et 108(1)e) de la LIPR, ils sont mutuellement exclusifs, et que le fait de tirer une conclusion relative à l’alinéa 108(1)e) n’empêche pas la Commission de tirer une conclusion intéressant l’alinéa 108(1)c).

[28]           M. Khalifa n’a pas nié qu’il avait obtenu la citoyenneté des États-Unis. Par conséquent, la Commission a fait droit à la demande relative à la perte de l’asile au titre de l’alinéa 108(1)c) de la LIPR, parce que le demandeur avait acquis une nouvelle nationalité et jouissait de la protection du pays de sa nouvelle nationalité.

[29]           Compte tenu de ces conclusions, la Commission a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la demande fondée sur l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

[30]           La Commission a accueilli la demande du ministre et a déclaré que la demande d’asile présentée par M. Khalifa était réputée rejetée.

IV.             Le cadre législatif

[31]           Les dispositions suivantes de la LIPR intéressent la présente instance :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances :

 

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

 

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

 

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

(d) the person has voluntarily become re-established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

 

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

V.                Les questions en litige

[32]           La présente instance soulève les questions suivantes :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant de décider si le ministre avait commis un abus de procédure lorsqu’il a suspendu la demande de citoyenneté du demandeur en attendant que soit terminée l’instance relative à la perte de l’asile?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion relative à l’alinéa 108(1)c) après avoir établi que l’alinéa 108(1)e) s’appliquait?

VI.             La norme de contrôle

[33]           Les conclusions de fait de la Commission sont examinées selon la norme de la raisonnabilité. Tant que le processus et l’issue cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et tant que la décision appartient aux issues possibles acceptables, la cour siégeant en révision n’a pas le pouvoir de substituer la décision qu’elle juge préférable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[34]           Le refus d’exercer un pouvoir parce qu’une autre Cour est saisie de la même affaire s’apprécie selon la norme de la décision correcte : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 58 à 60. En outre, comme l’a réitéré le juge Rothstein dans l’arrêt A.T.A. c Alberta (Information & Privacy Commissioner), 2011 CSC 61, il y a « une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les “questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la délimitation des compétences respectives des tribunaux spécialisés concurrents [et] les questions touchant véritablement à la compétence” (Canada (procureur général) c Mowat, 2011 CSC 53 (CSC), au paragraphe 18, les juges LeBel et Cromwell, citant Dunsmuir, aux paragraphes 58, 60 et 61). »

VII.          Analyse

A.                La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant de décider si le ministre avait commis un abus de procédure lorsqu’il a suspendu la demande de citoyenneté du demandeur en attendant que soit terminée l’instance relative à la perte de l’asile introduite au titre de la LIPR?

[35]           M. Khalifa soutient que le fait que le ministre n’ait pas respecté ses obligations légales et qu’il ait suspendu le traitement d’une demande de citoyenneté pour présenter une demande relative à la perte de l’asile, qui entraînera la perte de sa résidence permanente si elle est accueillie, constitue un abus de procédure. Son argumentation porte principalement sur la décision du ministre de suspendre le traitement de la demande de la citoyenneté conformément à l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté. Cet article est libellé ainsi :

Suspension de la procédure d’examen

Suspension of processing

13.1 Le ministre peut suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande :

13.1 The Minister may suspend the processing of an application for as long as is necessary to receive

 

a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi, si celui-ci devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi, ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui-ci;

 

(a) any information or evidence or the results of any investigation or inquiry for the purpose of ascertaining whether the applicant meets the requirements under this Act relating to the application, whether the applicant should be the subject of an admissibility hearing or a removal order under the Immigration and Refugee Protection Act or whether section 20 or 22 applies with respect to the applicant; and

b) dans le cas d’un demandeur qui est un résident permanent qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans l’attente de la décision sur la question de savoir si une mesure de renvoi devrait être prise contre celui-ci.

 

(b) in the case of an applicant who is a permanent resident and who is the subject of an admissibility hearing under the Immigration and Refugee Protection Act, the determination as to whether a removal order is to be made against the applicant.

 

[Soulignements ajoutés]

[Emphasis added]

[36]           M. Khalifa avance cet argument et fait référence aux dispositions impératives de la Loi sur la citoyenneté qui obligent le ministre à accorder la citoyenneté. Il soutient qu'en vertu des articles 5 et 14 de la Loi sur la citoyenneté, le ministre est tenu d'accorder la citoyenneté aux personnes qui répondent aux conditions. Le juge de la citoyenneté est tenu de décider si les conditions d’acquisition de la citoyenneté sont remplies dans les 60 jours de la réception du dossier.

[37]           M. Khalifa cite des décisions comme Stanizai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 74 [Stanizai] et Godinez Ovalle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 935 [Ovalle] pour affirmer que [traduction] « l’absence de résultat d’une “vérification en matière d’immigration” n’est pas un obstacle et ne justifie pas le report de la décision concernant une demande de citoyenneté en cours ». Ces deux décisions portaient toutefois sur des demandes de mandamus.

[38]           M. Khalifa soutient que, si le ministre avait respecté l’obligation légale que lui impose l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, il n’aurait pas fait l’objet d’une demande relative à la perte de l’asile. Le ministre profite donc de son comportement inapproprié dans ce domaine, ce qui met en échec la justice.

[39]           M. Khalifa a présenté une demande de contrôle judiciaire visant l’annulation de la décision du ministre de présenter une demande relative à la perte de l’asile, demande qui a été rejetée le 20 octobre 2014 (Khalifa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑1407‑14). Cette décision n’a pas été soumise à la Cour, mais il semble s’agir d’un dossier où le même argument de l’abus de procédure aurait pu, et peut‑être aurait dû, être présenté.

[40]           En outre, M. Khalifa n’a pas demandé le contrôle judiciaire de l’illégalité alléguée de la suspension du traitement de sa demande de citoyenneté décidée aux termes de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté. Cela aurait été peut‑être le recours approprié à exercer pour contester la légalité de la suspension du traitement, en demandant peut‑être le sursis de la demande relative à la perte de l’asile en attendant qu’une décision soit rendue, ce qui aurait pu donner lieu à une décision favorable.

[41]           M. Khalifa a demandé une ordonnance de mandamus obligeant le ministre à tenir l’audience relative à la citoyenneté, mais l’examen de cette demande a été reporté en attendant la décision de la Commission dans ce dossier.

[42]           Je ne vois pas comment, à cette étape tardive, la demande de perte de l’asile présentée aux termes de l’article 108 de la LIPR pourrait constituer le moyen approprié de décider si le ministre a outrepassé ses pouvoirs lorsqu’il a suspendu l’examen de la demande de la citoyenneté ou si, ce faisant, il a commis un abus de pouvoir.

[43]           Je suis d’accord avec la Commission lorsqu’elle affirme ne pas pouvoir accorder à M. Khalifa la réparation qu’il sollicite. Je conviens également que la Commission a validement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a conclu que, dans les circonstances, la demande de mandamus était le recours que M. Khalifa devait exercer pour faire trancher la question de la citoyenneté, comme cela a été fait dans les décisions Stanizai et Ovalle.

[44]           Je conclus donc que la Commission n’a pas commis d’erreur en refusant de décider si le ministre avait commis un abus de procédure lorsqu’il a suspendu l’examen de la demande de citoyenneté de M. Khalifa, en attendant l’achèvement de l’instance relative à la perte de l’asile.

B.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion relative à l’alinéa 108(1)c) après avoir établi que l’alinéa 108(1)e) s’appliquait?

[45]           M. Khalifa soutient que la Commission a outrepassé ses pouvoirs lorsqu’elle a examiné la question de savoir si son asile avait été révoqué aux termes des alinéas 108(1)a) à d) alors que celle‑ci avait déjà décidé qu’il l’avait perdue selon l’alinéa 108(1)e) de la LIPR.

[46]           M. Khalifa soutient également qu’une telle conclusion va à l’encontre de l’intention du législateur, qui est de créer une exemption pour la perte de la résidence permanente pour ceux dont l’asile a été perdu par application de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR [traduction] « pour éviter de lui donner un effet trop large qui punirait les réfugiés qui ont perdu la nécessité de demander l’asile en raison de changements dont ils ne sont pas responsables ».

[47]           M. Khalifa soutient que la conclusion selon laquelle l’asile dont il bénéficiait a été annulé aux termes de l’alinéa 108(1)c), parce qu’il a acquis une nouvelle nationalité et qu’il jouit de la protection du pays de cette nouvelle nationalité, entraîne un résultat absurde, puisqu’elle suit la décision d’annuler l’asile conformément à l’alinéa 108(1)e) parce que les motifs à l’origine de la demande d’asile ont cessé d’exister.

[48]           Je ne peux retenir cet argument. Cette interprétation contredit clairement le libellé impératif de l’article selon lequel « est rejetée la demande d’asile […] dans tel des cas suivants » [alinéas a) à e)]. M. Khalifa ne cite aucune jurisprudence ni aucun ouvrage traitant des principes d’interprétation pour appuyer son argument selon lequel le pouvoir discrétionnaire que l’article 108 accorde au ministre est limité.

[49]           Il est également raisonnable que le législateur ait voulu mettre fin au statut privilégié d’un demandeur qui n’a plus besoin de l’asile au Canada parce qu’il a obtenu la citoyenneté d’un autre pays sûr avant de devenir un citoyen du Canada. M. Khalifa est désormais, de son propre choix, un citoyen des États-Unis qui bénéficie de la protection d’un autre pays; il n’a donc plus besoin de celle du Canada. La LIPR, n’a pas pour objectif de faire du Canada un pays de convenance pour les personnes voulant obtenir la protection que confère l’asile dans plusieurs pays. Cette décision est tout à fait indépendante de celle de savoir si les motifs à l’origine de l’asile n’existent plus dans son pays d’origine.

VIII.       Conclusion

[50]           La décision de la Commission était raisonnable, compte tenu des faits et de la preuve dont elle était saisie. La demande est rejetée.

[51]           La question du refus d’exercer un pouvoir dépend des faits, tandis que la question juridique de la perte du statut de réfugié en raison de la décision prise aux termes de l’alinéa 108(1)c) ne repose sur aucun fondement juridique solide justifiant qu’elle soit examinée dans le cadre d’un appel. Aucune question ne sera donc certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée pour les besoins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1181-15

 

INTITULÉ :

ABDALLA KHALIFA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE‑bRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE annis

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Craig Constantino

POUR LE DEMANDEUR

 

Brett Nash

POUR LE DéFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Craig Constantino

Elgin Cannon & Associates

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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