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Date : 20151016


Dossier : IMM-426-15

Référence : 2015 CF 1173

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

HONGWEI PI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Hongwei Pi demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile. M. Pi soutient que la décision devrait être annulée parce qu’il a fallu à la Commission presque deux ans à compter de la date de l’audition de sa demande d’asile pour rendre sa décision.

[2]               Le retard mis à rendre une décision ne permet pas à lui seul de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Il peut, par contre, expliquer les erreurs factuelles que la Commission a commises en l’espèce, erreurs qui sont suffisantes pour rendre la décision de la Commission déraisonnable. En outre, il était également inéquitable que la Commission, ayant expressément informé les parties qu’elle n’était plus préoccupée par le retard de M. Pi à demander l’asile au Canada, fonde ensuite sa décision, du moins en partie, sur ce retard.

I.                   Analyse

[3]               La demande d’asile de M. Pi était fondée sur sa crainte alléguée d’être persécuté en Chine pour avoir manifesté contre l’expropriation de son restaurant sans compensation adéquate. M. Pi affirme que le Bureau de la sécurité publique a voulu l’arrêter après une manifestation, ce qui l’a amené à fuir le pays. M. Pi est arrivé au Canada le 31 octobre 2010, et il a demandé l’asile le 9 janvier 2011.

[4]               La question du retard de M. Pi à demander l’asile a été soulevée lors de l’audition de sa demande d’asile, où le commissaire a demandé à M. Pi pourquoi il avait attendu plus d’un an avant de présenter sa demande. Il a alors été souligné que M. Pi avait en fait présenté sa demande environ deux mois après son arrivée au Canada. À la suite de cet échange, la Commission a passé en revue les questions en litige dans l’instance avec le conseil de M. Pi, et le commissaire a informé le conseil que la question du retard à demander l’asile ne le préoccupait plus.

[5]               L’audition de la demande d’asile de M. Pi a pris fin le 29 avril 2013, et la décision de la Commission a été rendue le 8 janvier 2015.

[6]               La première question que la Commission a tranchée dans sa décision est celle de la crainte subjective. Il était inéquitable sur le plan de la procédure que la Commission, ayant expressément informé les parties qu’elle n’était pas préoccupée par le retard à demander l’asile une fois la question de la durée de ce retard clarifiée, fonde ensuite entièrement sa conclusion voulant que M. Pi n’ait pas de crainte subjective de persécution sur son retard à demander l’asile au Canada.

[7]               La conclusion de la Commission sur ce point était également fondée sur une erreur factuelle, à savoir que M. Pi avait attendu 11 mois avant de présenter sa demande. Comme je l’ai déjà mentionné, M. Pi a présenté sa demande d’asile environ deux mois après son arrivée au Canada. S’il est vrai que cette durée moins longue ne correspond peut‑être pas davantage à la rapidité d’action à laquelle on s’attendrait de quelqu’un qui craint vraiment pour sa vie, il ressort de la transcription de l’audience que la Commission elle‑même ne considérait pas un retard de deux mois comme important. En effet, la Commission a reconnu dans ses motifs « qu’il peut être raisonnable pour le demandeur d’asile d’avoir pris le temps de demander conseil quant à ce qu’il devait faire ». La Commission a toutefois ajouté qu’« il n’était pas raisonnable d’avoir attendu presque un an avant de présenter sa demande d’asile s’il avait eu une crainte véritable ».

[8]               Il semble donc que la Commission n’aurait vraisemblablement pas tiré la même conclusion quant à la question de la crainte subjective de persécution de M. Pi si elle avait bien compris à quel moment sa demande d’asile avait été présentée.

[9]               La Commission a ajouté d’une manière assez confuse que le retard à demander l’asile ne constituait « pas un facteur déterminant en soi », pour ensuite affirmer que la conclusion quant à l’absence de crainte subjective de M. Pi était à elle seule « suffisant[e] pour rejeter sa demande d’asile ». La Commission a néanmoins examiné les autres questions soulevées par la demande d’asile de M. Pi.

[10]           Si la Commission avait plusieurs autres raisons de rejeter la demande d’asile, il ressort clairement de ses motifs que bon nombre de ses conclusions ont été influencées par sa conclusion antérieure concernant l’absence de crainte subjective de M. Pi.

[11]           Par exemple, la Commission a expressément indiqué qu’elle concluait que M. Pi n’était pas crédible quand il disait craindre d’être persécuté par les autorités chinoises parce qu’il « [avait] démontré une absence de crainte subjective ».

[12]           La Commission a également conclu que le récit de M. Pi n’était pas crédible en raison du nombre limité d’éléments de preuve documentaire qui avaient été présentés à l’appui de sa demande d’asile. Selon la Commission, « [q]ue le récit du demandeur d’asile soit jugé invraisemblable ou manquant de crédibilité, ou que les documents validant ses dires fassent défaut, ou encore que le demandeur d’asile n’ait pas tenté d’obtenir de tels documents sont des raisons valables pour motiver une évaluation de la crédibilité du demandeur d’asile » [non souligné dans l’original]. Comme je l’ai mentionné au paragraphe précédent, la conclusion de la Commission portant que le récit de M. Pi manquait de crédibilité était fondée sur son absence de crainte subjective, et la conclusion relative à son absence de crainte subjective était à son tour fondée sur une mauvaise appréciation des faits, et a été tirée d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure.

[13]           Le défendeur soutient également qu’après avoir rejeté la demande d’asile de M. Pi selon laquelle il disait craindre d’être persécuté en raison de ses opinions politiques, la Commission n’était pas tenue de procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97. Selon le défendeur, cela était dû [traduction] « aux problèmes de crédibilité que soulevaient des aspects essentiels de sa demande d’asile ». Il s’ensuit que l’omission de la Commission de procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97 a également été influencée par les erreurs qu’elle a commises sur le plan de l’appréciation de la crédibilité.

[14]           Si la Commission avait d’autres raisons de rejeter la demande d’asile de M. Pi, il reste que l’effet cumulatif des erreurs mentionnées ci‑dessus est qu’il serait risqué de confirmer la décision de la Commission. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

II.                Certification

[15]           M. Pi propose la question suivante aux fins de certification :

Le droit à une audition équitable comprend‑il le droit à une décision en temps opportun?

[16]           Le retard accusé par la Commission en l’espèce était certes regrettable. Cela dit, la question que propose M. Pi ne se prête pas à la certification pour plusieurs raisons.

[17]           D’abord, elle est vague, car le terme « en temps opportun » est imprécis.

[18]           Ensuite, lorsque je l’ai invité à le faire, le conseil n’a pu me renvoyer à aucune jurisprudence étayant la prétention voulant que le retard mis à rendre une décision permette à lui seul de faire droit à une demande de contrôle judiciaire en l’absence d’une allégation fondée sur la Charte comme celle qui a été soulevée dans l’affaire Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307.

[19]           Enfin, la réponse à la question ne permettrait pas de régler la présente affaire, compte tenu de mes conclusions concernant le manquement à l’équité procédurale commis par la Commission, le caractère déraisonnable de sa conclusion quant à la crainte subjective et l’effet que cette conclusion erronée a eu sur les autres conclusions de la Commission. Je refuse donc de certifier la question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-426-15

 

INTITULÉ :

HONGWEI PI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rosenblatt Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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