Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151015


Dossier : T-874-14

Référence : 2015 CF 1170

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

DISTRIBUTION PROSOL PS LTD

demanderesse

et

CUSTOM BUILDING PRODUCTS LTD

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse Distribution Prosol PS Ltd [Prosol] est une entreprise qui se spécialise dans la distribution et la vente de produits et d’accessoires de couvre‑planchers au Canada. Prosol est propriétaire de deux marques déposées : FUSION FORCE (LMC 861441) et FUSION PATCH (LMC 861444) [les marques de Prosol][1]. Elle a enregistré deux marques nominales le 27 septembre 2013, en liaison avec des adhésifs pour couvre-plancher. Elle revendique également l’emploi de plusieurs marques de commerce établies en common law qui comportent le mot « Fusion ».

[2]               La défenderesse Custom Building Products Ltd [Custom] se spécialise dans la pose de tuiles et de pierres. Custom est le propriétaire inscrit d’une famille de quatre marques de commerce canadiennes, toutes employées en liaison avec des coulis pour couvre-plancher : F FUSION PRO (Dessin) (LMC 862881), F FUSION PRO (Dessin) (LMC 862888), FUSION PRO (Dessin) (LMC 862882) et FUSION PRO (LMC 862887) [les marques de Custom ou les marques FUSION PRO]. Custom a enregistré ces quatre marques le 18 octobre 2013.

[3]               En avril 2014, Prosol a introduit une procédure en radiation en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi]. Elle prétend que l’emploi et l’enregistrement par Custom des marques FUSION PRO menacent son droit à l’usage exclusif de ses marques Prosol, qui lui est reconnu par la loi, parce que l’emploi concurrent de ces marques de commerce au Canada créerait vraisemblablement de la confusion quant à la source des marchandises avec lesquelles ses marques sont employées. Prosol demande donc que les marques FUSION PRO de Custom soient déclarées invalides et prie la Cour d’ordonner la radiation de ces marques de commerce du registre des marques de commerce [le registre] au motif qu’elles créent de la confusion.

[4]               La question qui se pose en l’espèce est de savoir si les marques FUSION PRO enregistrées par Custom créent de la confusion avec les marques déposées et non déposées que Prosol prétend avoir déjà employées dans son entreprise de couvre-planchers. Prosol affirme que l’enregistrement des quatre marques de commerce de Custom est invalide en vertu de deux dispositions de la Loi. Premièrement, à la date de l’enregistrement des marques de Custom, le 18 octobre 2013, celles-ci créaient de la confusion avec les marques déposées FUSION FORCE et FUSION PATCH de Prosol; Custom n’avait donc pas le droit, comme le prévoient les alinéas 12(1)d) et 18(1)a) de la Loi, de demander l’enregistrement de ses marques. Deuxièmement, à la date de production de la demande d’enregistrement des marques de Custom, le 8 février 2012, celles-ci créaient de la confusion avec les marques de commerce établies en common law déjà employées par Prosol, comme le prévoient les alinéas 16(3)a) et 18(1)d) de la Loi. Par conséquent, Prosol avance que les enregistrements des marques de Custom sont invalides et devraient être radiés.

[5]               Les questions à trancher dans la présente demande, qui portent sur le thème de la confusion, sont donc les suivantes :

  • Les marques de Custom créaient-elles de la confusion avec les marques de commerce déposées de Prosol à la date de leur enregistrement, au point qu’elles n’étaient pas enregistrables, comme le prévoit l’alinéa 12(1)d) de la Loi, et que leur enregistrement était invalide, comme le prévoit l’alinéa 18(1)a)?
  • Les marques de Custom créaient-elle de la confusion avec les marques de commerce établies en common law de Prosol, à la date de production de leur demande d’enregistrement, au point que Custom n’est pas une personne ayant le droit d’en obtenir l’enregistrement, comme le prévoit l’alinéa 16(3)a) de la Loi et que leurs enregistrements sont invalides, comme le prévoit l’alinéa 18(1)d)?

[6]               Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas à l’argument de Prosol selon lequel Custom n’avait pas le droit de faire enregistrer les marques FUSION PRO. Après avoir examiné la preuve, les circonstances de l’espèce et le droit applicable, je conclus que, suivant la prépondérance de probabilités, aucune des marques de Custom n’est susceptible de créer de la confusion avec les marques de Prosol ou avec ses marques de commerce établies en common law. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la présente demande.

II.                Le contexte

A.                Exposé des faits

[7]               Prosol affirme employer le mot « Fusion » dans la vente d’adhésifs pour couvre‑planchers, sous-tapis en caoutchouc et panneaux de construction, depuis avril 2007. Au dire de Prosol, sa marque de commerce FUSION FORCE est employée au Canada depuis le 1er avril 2007. Prosol a présenté une demande d’enregistrement pour cette marque le 25 septembre 2012 et enregistré cette marque nominale le 27 septembre 2013. En ce qui a trait à la marque de commerce FUSION PATCH, Prosol revendique également son emploi au Canada depuis le 1er avril 2007. Elle a présenté une demande d’enregistrement pour cette marque le 11 octobre 2012 et enregistré la marque nominale le 27 septembre 2013.

[8]               Prosol a enregistré les deux marques de commerce en liaison avec les marchandises décrites de la façon suivante : « produits de couvre-planchers, nommément des adhésifs ». Plus précisément, la marque FUSION FORCE a été enregistrée relativement à des « [p]roduits de couvre-planchers. nomémment [sic] adhésifs » et la marque de commerce FUSION PATCH l’a été relativement à des marchandises décrites comme étant des « [a]dhésifs pour revêtements de sol ». Prosol allègue toutefois qu’elle et ses sociétés affiliées ont également employé ces marques de commerce en liaison avec des coulis de couvre‑plancher.

[9]               Les deux marques de commerce Prosol sont désignées dans leur forme textuelle seulement, et aucun dessin-marque n’a été enregistré. Les vocables « Fusion Force » et « Fusion Patch » ne sont pas stylisés et utilisent tous les deux la même taille et le même type de caractères. Les lettres dans les deux cas sont en caractères gras et en majuscules. Aucune couleur particulière ni aucun dessin particulier ne sont mentionnés dans les enregistrements. Ces marques nominales procurent une protection générale à Prosol et lui permettent donc d’employer la taille et le type de caractères, la couleur ou le dessin souhaités. Les marques de Prosol sont enregistrées sous la forme suivante :

[10]           Prosol revendique également plusieurs marques de commerce établies en common law, qu’elle aurait employées en liaison avec des produits adhésifs et du coulis pour couvre‑planchers. Elle affirme avoir utilisé ces marques de commerce depuis le 1er avril 2007. Les marques nominales de Prosol établies en common law comprennent ce qui suit :

  • Fusion Black pour thibaudes en caoutchouc;
  • FUSION en liaison avec un protecteur de surface résistant;
  • Fusion Gold;
  • Fusion en liaison avec des produits adhésifs de qualité supérieure pour tapis extérieur;
  • Fusion en liaison avec un adhésif de contact;
  • Fusion en liaison avec un adhésif polyuréthane;
  • Fusion en liaison avec un adhésif universel pour couvre-planchers;
  • Fusion en liaison avec un adhésif fusion force multi-usage pour couvre-planchers;
  • Fusion en liaison avec des lattes de fixation pour tapis et parquet ;
  • Fusion en liaison avec des encolleuses pour couvre-planchers.

[11]           Prosol est liée à deux sociétés, Durox et Golden, et toutes les trois appartiennent à la même société mère, Fasco Flooring Accessories System Group [Fasco].

[12]           Pour ce qui est de Custom, elle vend des coulis au Canada depuis 1985 et elle revendique l’emploi des marques FUSION PRO depuis le 10 août 2012. Elle a produit des demandes d’enregistrement pour les quatre marques de commerce le 8 février 2012 et les a enregistrées le 18 octobre 2013. Customs a enregistré ses quatre marques FUSION PRO en liaison avec des « [c]oulis servant à installer des carreaux de céramique, de la pierre et d’autres revêtements de sol souples ».

[13]           Les marques de Custom comprennent trois marques composées d’une portion nominale et d’une portion graphique et une marque nominale. Deux des marques composées d’une portion nominale et d’une portion graphique utilisent un dessin symbolique et distinctif montrant les lettres F et P imbriquées l’une dans l’autre. Les quatre marques de Custom sont présentées ci‑dessous.

B.                 Le cadre légal

[14]           Le régime des marques de commerce au Canada est énoncé dans la Loi. Celle‑ci procure au propriétaire d’une marque de commerce déposée le droit exclusif de l’employer dans tout le Canada en liaison avec les marchandises et les services mentionnés à l’enregistrement, à moins que son invalidité soit démontrée (article 19 de la Loi). Une marque de commerce peut être une marque nominale formée d’un seul mot ou d’un groupe de mots, un dessin‑marque, ou une marque nominale et graphique formée d’un mot ou d’un groupe de mots accompagné d’un dessin.

[15]           Pour protéger le droit exclusif conféré au propriétaire d’une marque de commerce et le rendre opposable, la Loi prévoit qu’il ne doit pas y avoir de confusion possible avec toute autre marque de commerce employée à quelque autre endroit au Canada (Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 [Masterpiece], aux paragraphes 31 et 33). La Loi comporte plusieurs dispositions établissant les moyens et les mécanismes procéduraux qui permettent de faire enregistrer des marques de commerce et de contester la validité de marques de commerce concurrentes. En l’espèce, les dispositions pertinentes sont celles des articles 6, 12, 16, 18, 50 et 57 de la Loi.

[16]           L’article 6 porte sur la notion de « confusion » entre deux marques de commerce. Le paragraphe 2 définit cette notion, tandis que le paragraphe 5 énonce les critères dont la Cour doit tenir compte dans son analyse de la probabilité de confusion. Les dispositions pertinentes de l’article 6 sont ainsi rédigées :

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[…]

[…]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[17]           Les articles 12, 16 et 18 de la Loi comportent diverses dispositions qui permettent de déterminer si une marque de commerce est enregistrable et les situations où l’enregistrement d’une marque de commerce n’est pas valide. Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

[…]

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

(d) confusing with a registered trade-mark;

[…]

[…]

16. (3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des produits ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

16. (3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the goods or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

[…]

[…]

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration;

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced;

[…]

[…]

d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement.

(d) subject to section 17, the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

[18]           Il faut souligner que, pour trancher la question de savoir si une marque de commerce est enregistrable en vertu de l’article 12 ou celle de savoir qui est la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce en vertu de l’article 16, le critère de la probabilité de confusion qui s’applique est le même.

[19]           L’article 50 renferme les dispositions suivantes concernant la licence d’emploi d’une marque de commerce déposée :

50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the goods or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.

[20]           Enfin, l’article 57 confère à la Cour fédérale la compétence initiale exclusive pour examiner les demandes présentées en vue de faire radier ou modifier des inscriptions figurant au registre. L’article est rédigé en ces termes :

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

C.                Le caractère distinctif

[21]           En plus de ses arguments sur la confusion, Prosol soulève également, dans ses observations écrites, la question du caractère distinctif dont il est question à l’article 2 et à l’alinéa 18(1)b) de la Loi. Prosol a soutenu que, par application de l’alinéa 18(1)b), les marques FUSION PRO de Custom n’avaient pas de caractère distinctif au moment où la contestation de la validité des enregistrements a été introduite et que, par conséquent, ces enregistrements sont invalides et devraient être radiés.

[22]           Toutefois, Prosol n’a pas soulevé cette question dans son avis de demande. Dans sa réponse, Custom avance que Prosol ne devrait pas être autorisée à soulever cette question devant la Cour, puisque l’avis de demande ne fait état que d’un seul motif d’invalidité, à savoir la confusion, fondé sur deux dispositions différentes de la Loi (alinéas 12(1)d) et 16(3)a)). Ce n’est que dans les observations écrites de Prosol que la question du caractère distinctif est soudainement apparue. Qui plus est, au cours du contre‑interrogatoire du représentant de Prosol, M. Contant, l’avocat de Custom lui a posé des questions exhaustives pour s’assurer d’être bien informé de chacun des motifs soulevés dans l’avis de demande de Prosol. Le motif du caractère distinctif n’a alors pas été soulevé expressément.

[23]           Je conviens avec Custom que, dans ces circonstances, la question du caractère distinctif ne peut être soulevée par Prosol devant la Cour. À l’audience, l’avocat de Prosol a reconnu que c’était bel et bien le cas et il n’a pas insisté sur la question.

[24]           En vertu de l’alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, un avis de demande doit contenir un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable. Tel qu’il a été établi dans la décision Astrazenca AB c Apotex Inc, 2006 CF 7, au paragraphe 18, les exigences prescrites à l’alinéa 301e) ne sont pas que de simples exigences techniques; elles doivent être suivies. Je fais miennes les observations suivantes du juge de Montigny dans la décision Bees c Canada (Procureur général), 2014 CF 131 : « [l’alinéa 301e)] vise à faire en sorte que les défendeurs puissent répondre aux motifs de contrôle dans leurs affidavits et qu’aucune partie ne soit prise au dépourvu. Lorsqu’un demandeur contrevient à l’alinéa 301e) des Règles, la Cour peut refuser que l’argument non mentionné dans l’avis de demande soit présenté » (au paragraphe 28).

[25]           Comme Custom n’a pas été avisée préalablement que l’argument du caractère distinctif serait plaidé à l’appui de la demande en radiation, je suis d’avis que Prosol n’est pas autorisée à le présenter.

III.             Analyse

[26]           Prosol soulève deux questions dans sa demande : (i) celle de savoir si les marques de Custom créaient de la confusion avec les marques déposées FUSION FORCE et FUSION PATCH de Prosol à la date de leur enregistrement, au point qu’elles ne sont pas enregistrables par application de l’alinéa 12(1)d) de la Loi et que leur enregistrement n’est pas valide par application de l’alinéa 18(1)a); (ii) celle de savoir si les marques de Custom créaient de la confusion avec les marques de commerce établies en common law de Prosol, à la date de production de la demande, au point que Custom n’est pas une personne ayant le droit d’en obtenir l’enregistrement en vertu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi et que leurs enregistrements sont invalides par application de l’alinéa 18(1)d).

[27]           Pour ces deux questions, le point déterminant au centre de l’affaire en l’espèce est de savoir s’il y avait confusion entre les marques de Prosol et les marques de Custom, au sens de l’article 6 de la Loi. L’analyse que doit faire la Cour est la même pour l’une et l’autre de ces questions. En fait, comme l’a déclaré la Cour dans la décision Mövenpick Holding AG c Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397 [Mövenpick], « le critère en matière de confusion, quelle que soit la forme du litige, est précisé à l’article 6 de la Loi » (au paragraphe 40).

A.                Le critère juridique applicable

[28]           Il est bien établi que les marques de commerce déposées bénéficient d’une présomption de validité, et qu’il incombe à la partie qui demande la radiation de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que les marques de commerce sont invalides et que leur inscription devrait être supprimée du registre (Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Ltd, 2007 CAF 258, aux paragraphes 23 et 26; General Motors of Canada c Décarie Motors Inc, [2001] 1 RCF 665 (FCA), au paragraphe 31). En l’espèce, il incombe donc à Prosol de réfuter la présomption selon laquelle l’enregistrement des marques FUSION PRO de Custom est valide en démontrant qu’elle employait ses marques déposées et ses marques établies en common law avant la date de production des demandes d’enregistrement de Custom et que la confusion était probable entre ses marques employées antérieurement et les marques FUSION PRO de Custom.

[29]           Pour déterminer si des marques de commerce créent de la confusion, la Cour doit soupeser la question de savoir si, en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi, « [l]’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale ». Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 [Veuve Clicquot], au paragraphe 20, et réaffirmé dans l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 40, le critère de la confusion est « celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques ». Ce consommateur est-il susceptible de penser que les marques de commerce émanent de la même source? Pour déterminer si une marque de commerce est susceptible de créer de la confusion avec une autre marque, le critère de la première impression exige un examen global des marques de commerce en question, plutôt qu’un examen approfondi.

[30]           Dans l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 [Mattel], au paragraphe 56, le juge Binnie a en outre fait remarquer que l’on doit accorder à ce consommateur, qui n’est ni un « crétin pressé » ni un acheteur prudent et diligent, le mérite de faire preuve d’une certaine vigilance dans diverses situations. De plus, ce consommateur est l’acheteur probable des marchandises en question (Baylor University c Governor and Co of Adventurers Trading into Hudson's Bay (2000), 8 CPR (4th) 64 (CAF) [Baylor], au paragraphe 27; TLG Canada Corp c Product Source International LLC, 2014 CF 924 [TLG Canada], au paragraphe 51).

[31]           Le paragraphe 6(5) énonce que, pour déterminer si une marque de commerce crée de la confusion, le tribunal tient compte de « toutes les circonstances de l’espèce », notamment les cinq circonstances énumérées expressément dans la disposition. Ces critères dont la Cour doit tenir compte pour trancher la question de la confusion sont les suivants : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

[32]           Comme l’a souligné la Cour suprême, cette énumération de circonstances n’est pas exhaustive, et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte (Veuve Clicquot, au paragraphe 27; Mattel, au paragraphe 73). En outre, chaque marque doit être examinée séparément (Masterpiece, aux paragraphes 47 à 48; Constellation Brands Inc c Domaines Pinnacle Inc, 2015 CF 1083, aux paragraphes 37 à 43).

[33]           Prosol affirme qu’elle s’est acquittée du fardeau de démontrer qu’elle a utilisé les marques FUSION FORCE et FUSION PATCH et ses marques établies en common law avant n’importe laquelle des dates pertinentes avancées par Custom (dont la plus ancienne est le 8 février 2012). Certains éléments de preuve démontrent que Prosol utilise la marque FUSION FORCE depuis 2009, soit avant la date d’enregistrement des marques FUSION PRO. Je constate toutefois qu’il n’y a aucun élément de preuve au dossier qui permet d’établir l’emploi de la marque FUSION PATCH sans le mot « Extreme ». Partout dans les dépliants publicitaires et les documents relatifs aux ventes, le produit offert est appelé « FUSION PATCH EXTREME ». Cela dit, compte tenu de la conclusion que j’ai tirée sur la question de la confusion, il n’y a pas lieu de discuter davantage de la question de l’emploi, car l’absence de probabilité de confusion est suffisante pour rejeter la demande de Prosol.

B.                 Les marques FUSION PRO de Custom créent-elles de la confusion avec les marques de Prosol?

[34]           Prosol affirme que les « circonstances de l’espèce » dont il est question au paragraphe 6(5) de la Loi font pencher la balance en faveur de ses marques déposées et de ses marques établies en common law et que, dans l’ensemble, les marques FUSION PRO de Custom sont susceptibles de créer de la confusion avec ses marques de commerce.

[35]           Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs exposés ci-dessous, je crois plutôt que les marques de commerce des parties n’ont pas une grande ressemblance et qu’il y a absence de probabilité de confusion. Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis d’avis qu’un consommateur plutôt pressé ayant un vague souvenir des marques de Prosol ne serait pas susceptible de croire que les marchandises liées aux marques de Custom sont fabriquées, vendues ou offertes par la même source que les marques de Prosol ou qu’elles en émanent.

(1)               Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus

[36]           Le premier élément décrit au paragraphe 6(5) est le caractère distinctif inhérent des marques de commerce des parties et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues. Sur cette question, Prosol avance que, même si ses deux marques déposées FUSION FORCE et FUSION PATCH n’ont peut-être pas un caractère distinctif inhérent, elles sont devenues bien connues du public canadien en raison d’un emploi continu sur le marché qui remontrait à 2007. Selon Prosol, l’emploi de ces marques de commerce s’est fait par la vente, les offres de vente, la publicité, l’expédition et la livraison des produits auxquels elles sont liées. À l’appui de sa position, Prosol présente deux éléments : i) les chiffres des ventes de 2009 à 2014 pour les marques de commerce FUSION PATCH et FUSION FORCE et les autres produits « Fusion », eu égard au nombre d’unités vendues et aux revenus générés par les diverses marques de commerce et les divers produits; ii) des exemples de dépliants de ses campagnes de publicité tenues au Canada en vue de mousser la vente des produits. Prosol affirme de plus qu’elle a fait publier dans des journaux canadiens des annonces où figuraient ses marques de commerce.

[37]           Le caractère distinctif inhérent dépend de la question de savoir si la marque de commerce est constituée d’un mot courant ou d’un mot inventé et non descriptif (TLG Canada au paragraphe 59; Mattel, au paragraphe 75). Lorsque la marque de commerce est constituée d’un mot unique ou inventé qui ne peut désigner qu’une seule chose, elle aura un caractère distinctif inhérent et se verra accorder une protection d’une grande portée (Tommy Hilfiger Licensing Inc c Produits de Qualité IMD Inc, 2005 CF 10 [Tommy Hilfiger], au paragraphe 53). Par contre, lorsqu’une marque de commerce évoque plusieurs choses ou ne fait que décrire les marchandises ou leur origine géographique, elle se verra accorder moins de protection (TLG Canada, aux paragraphes 59 et 60). Néanmoins, le caractère distinctif peut également s’acquérir par l’emploi continu sur le marché (Tommy Hilfiger, au paragraphe 53). Pour établir que le caractère distinctif a été acquis, il doit être démontré que la marque de commerce est devenue connue des consommateurs du fait qu’ils croient qu’elle émane d’une source bien précise.

[38]           Pour établir si une marque de commerce présente un caractère distinctif, la meilleure démarche consiste à déterminer si l’un de ses aspects est frappant ou unique (Masterpiece, au paragraphe 64; McCallum Industries Limited c HJ Heinz Company Australia Ltd., 2011 CF 1216 [McCallum], au paragraphe 37). Enfin, lorsque les marques de commerce d’autres propriétaires comportent également un mot déterminé, moins d’importance sera accordée aux droits de propriété rattachés à ce mot (McCallum, au paragraphe 37; Molnlycke Aktiebolag c Kimberly‑Clark of Canada Ltd (1982), 61 CPR (2d) 42 (CF)).

[39]           Prosol ne m’a pas convaincu, selon la prépondérance de probabilités, que ses marques de commerce satisfont aux exigences du caractère distinctif inhérent. De plus, j’estime que la preuve présentée quant à la mesure dans laquelle les marques de Prosol sont devenues connues au Canada et ont acquis un caractère distinctif est plutôt très mince.

a)                  Faiblesse du caractère distinctif inhérent

[40]           Les marques de commerce de Prosol n’ont pas un caractère particulièrement distinctif. Le mot « Fusion », qui est un nom plutôt courant, sous-entendant l’idée de lier et d’unir deux éléments est prédominant dans chacune d’elles.

[41]           Je conviens avec Custom que les marques de Prosol manquent de caractère distinctif inhérent parce que le mot « Fusion » employé dans leurs descriptions évoque son sens usuel, à savoir [traduction] « le processus ou le résultat de l’union d’au moins deux choses pour former une seule entité ». Prosol a reconnu qu’elle avait choisi ce mot pour ses marques de commerce liées à des adhésifs, plus précisément parce que les produits adhésifs permettent une fusion entre le plancher et son revêtement. Pour cette raison, les marques de commerce de Prosol expriment le résultat de l’utilisation des marchandises, elles évoquent beaucoup de choses et, par conséquent, elles sont intrinsèquement faibles. Le mot « Fusion » n’est pas suffisant pour donner aux marques de commerce un caractère distinctif.

[42]           Une marque de commerce est dite « suggestive » lorsqu’elle donne une description de la « nature ou de la qualité des marchandises ou services » ou lorsque les mots qui la composent sont suggestifs d’une « caractéristique [du] produit » en liaison avec lequel elle est employée (voir l’ouvrage de Roger T Hughes et Toni Polso Ashton, Halsbury’s Laws of Canada – Trademarks, Passing Off and Unfair Competition (réédition de 2012), HTM-41; Ottawa Athletic Club Inc. (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group Inc, 2014 CF 672 [Ottawa Athletic], au paragraphes 63 et 187; Weetabix of Canada Ltd c Kellogg Canada Inc, 2002 FCT 724 [Weetabix], au paragraphe 38). Les marques de commerce suggestives, contrairement aux marques qui donnent une description claire, sont enregistrables en vertu de la Loi (Mövenpick, aux paragraphes 28 et 29), mais elles sont considérées comme intrinsèquement faibles. En fait, comme l’a fait observer le juge Blais dans Weetabix, « [i]l est bien établi en droit que les mots courants qui sont descriptifs ou suggestifs d’une caractéristique d’un produit ont un faible caractère distinctif inhérent » (au paragraphe 38). À l’inverse, [traduction] « les marques fortes, comme les mots inventés, sont généralement considérées comme ayant davantage un caractère distinctif inhérent que les marques faibles incorporant un ou des mots couramment utilisés ou généralement constituées de mots à caractère descriptif ou suggestif » (Joseph E Seagram & Sons Ltd c Canada (Registrar of Trade Marks) (1990), 38 FTR 96 [Seagram]); Société Canadian Tire limitée c Accessoires d'autos Nordiques Inc, 2006 CF 1431 [Canadian Tire] au paragraphe 16; London Drugs Ltd c International Clothiers Inc, 2014 CF 223, aux paragraphes 62 et 65).

[43]           En l’espèce, le mot « Fusion » employé par Prosol est très suggestif de la qualité et des attributs des produits de Prosol et il est donc intrinsèquement faible. À l’instar de l’affaire Budget Blind Service Ltd. c Budget Blinds Inc., 2007 CF 801 [Budget Blind], les marques de Prosol utilisent un mot courant du dictionnaire qui est de nature suggestive, ce qui indique un caractère distinctif plutôt faible (au paragraphe 20). De petites différences seront donc suffisantes pour distinguer ces marques de commerce.

[44]           Lorsqu’une marque de commerce présente un caractère fortement suggestif, elle peut coexister avec les marques des autres propriétaires. Et, c’est effectivement le cas pour les marques de commerce contenant le mot « Fusion », puisque les marques de Prosol ont coexisté avec nombre d’autres marques de commerce employant ce mot dans le secteur des couvre‑planchers. La preuve au dossier révèle que bien d’autres propriétaires de marque de commerce emploient le mot « Fusion » dans le secteur des couvre-planchers au Canada, en liaison avec divers produits de couvre‑plancher comme la céramique, la pierre et le bois franc et en liaison avec des produits liants et adhésifs. Parmi les nombreux exemples de marque de commerce appartenant à d’autres entités et ayant utilisé ou incorporé le mot « Fusion » pendant plusieurs années, mentionnons ceux-ci : « Fusion Collection », « Fuzion Flooring », « Fusion », « Fusion Series (Parabond) », « Fusionlock », « Forestfusion », etc. Le représentant de Prosol, M. Contant, a reconnu plus particulièrement qu’il connaissait les produits vendus par FUSION SERIES (Parabond) et FUSION COLLECTION dans l’Ouest canadien. Cette preuve affaiblit l’argument de Prosol selon lequel ses marques ont acquis un caractère distinctif.

[45]           Lorsque plusieurs propriétaires de marque de commerce emploient le même mot dans la même sphère commerciale, aucun d’eux ne peut prétendre que sa marque de commerce particulière se démarque en raison de l’emploi de ce mot. En pareil cas, la marque de commerce en question perd son caractère distinctif puisqu’elle ne permet plus de différencier les marchandises de son propriétaire de celles d’autres propriétaires. Tel qu’il a été mentionné dans l’arrêt Molson Co. c John Labatt Ltd. (1994), 88 FTR 16 (CAF) [Molson], il est généralement reconnu que, dans l’analyse de la probabilité de confusion entre deux marques de commerce, [traduction] « si les deux marques en question comportent un élément commun qui figure également dans plusieurs autres marques utilisées sur le même marché, cette utilisation courante sur le marché tend à inciter les acheteurs à porter davantage leur attention sur les autres éléments, non communs, des différentes marques et à faire ainsi la distinction entre elles » (au paragraphe 8).

[46]           Prosol a également reconnu que le mot « Fusion » est toujours employé avec quelque chose d’autre dans ses marques de commerce composées, et qu’elle ne l’a pas employé séparément ou seul.

b)                 Preuve limitée concernant la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues

[47]           Prosol s’appuie sur les ventes de ses produits « Fusion » et sur ses annonces et son matériel promotionnel pour établir que ses marques Prosol sont devenues connues sur le marché canadien et ont acquis un caractère distinctif. Les factures et les documents servant à faire de la promotion peuvent effectivement indiquer un usage fréquent d’un produit, ce qui fait augmenter la probabilité que les consommateurs le reconnaissent. Toutefois, en ce qui a trait à ces deux aspects, j’estime que la preuve présentée par Prosol à l’appui de ces arguments n’est pas convaincante.

[48]           En ce qui a trait aux ventes alléguées de produits de Prosol, la preuve révèle que les chiffres présentés par Prosol sont très douteux. Ils ont été fournis dans l’affidavit souscrit par M. Contant, qui a reconnu, lors du contre-interrogatoire, qu’il n’en connaissait pas la source et n’en avait vérifié aucun. De plus, au contre‑interrogatoire, M. Contant a reconnu que d’autres personnes au sein de l’organisation de Prosol étaient mieux qualifiées que lui pour expliquer ces chiffres. Comme ces chiffres ne faisaient pas partie des connaissances personnelles de M. Contant, ils constituent de la preuve par ouï-dire.

[49]           L’article 81 des Règles des Cours fédérales établit comme exigence générale que les affidavits se limitent à ce que le déclarant a eu personnellement connaissance, ce qui n’exclut pas nécessairement la preuve par ouï-dire puisque les tribunaux ont élaboré une approche fondée sur des principes en ce qui a trait à l’admissibilité de la preuve par ouï-dire obtenue par affidavit (Éthier c Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 RCF 659 (CAF)). Toutefois, le paragraphe 81(2) prévoit qu’une conclusion défavorable peut être tirée du fait qu’une partie n’a pas offert le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels, lorsqu’une meilleure preuve peut être présentée par d’autres personnes ou sources (Ottawa Athletic, au paragraphe 119).

[50]           Même si la Cour peut accepter l’affidavit de M. Contant et le considérer comme admissible en vertu de l’article 81 des Règles des Cours fédérales, je ne peux lui accorder que très peu d’importance pour les motifs exposés ci-dessous.

[51]           Comme l’a avancé Custom, la crédibilité de l’affidavit de M. Contant et l’exactitude des chiffres de ventes qui y figurent soulèvent plusieurs doutes. Premièrement, les deux versions de l’affidavit de M. Contant versées au dossier présentaient des différences importantes, et M. Constant n’était pas en mesure d’expliquer ces différences ni de concilier les incompatibilités entre les deux versions. Les montants de ventes et le nombre d’unités vendues ne correspondaient tout simplement pas dans ses deux affidavits. De plus, M. Contant ne pouvait pas expliquer la source des renseignements financiers détaillés présentés à l’annexe A de ses affidavits. Celle-ci devait détailler les chiffres de ventes de Prosol depuis 2008, par produit, mais M. Contant n’était pas en mesure de bien expliquer comment les divers éléments contenus dans le tableau avaient été obtenus, tant pour les unités vendues que pour le montant correspondant, ni de justifier les différences relevées entre les renseignements contenus en annexe et ceux contenus dans ses affidavits.

[52]           M. Contant a reconnu qu’il n’avait aucune idée d’où provenaient certaines des informations. Il ne savait pas si les chiffres étaient exacts ou non, ni quels étaient les chiffres valides parmi ceux présentés, étant donné les incompatibilités entre les diverses valeurs. Même les chiffres présentés pour le produit « Fusion 55 », qui étaient les seuls à concorder parfaitement dans ses deux affidavits, n’étaient pas les bons. Le témoignage de M. Constant au contre‑interrogatoire a de plus révélé qu’il avait vérifié seulement certains des chiffres et qu’il ne pouvait pas expliquer les différences.

[53]           Un examen de la preuve m’amène à conclure que les chiffres de ventes présentés par Prosol soulevaient de nombreux doutes, puisque, inexplicablement, ils ne correspondaient pas aux chiffres présentés dans l’affidavit antérieurement souscrit par M. Contant, pas plus qu’à la source d’information alléguée. Les chiffres étaient également imprécis parce qu’ils représentaient le total calculé pour toutes les marques et les produits de Prosol, et non juste pour les marques FUSION FORCE et FUSION PATCH. Il n’est donc pas possible de connaître le volume et le montant exacts des ventes avancées par Prosol à l’appui de son allégation d’emploi des marques de commerce en cause. Je ne peux que conclure que la preuve de M. Contant est truffée de contradictions; les chiffres présentés d’un côté de l’annexe A ne concordent pas avec ceux qui sont présentés de l’autre côté, ce qui fait qu’il est impossible de savoir quelles valeurs sont exactes.

[54]           Qui plus est, en ce qui a trait à la publicité, je constate que Prosol n’a déposé aucune preuve pour corroborer l’emploi de ses marques de commerce dans des annonces publiées dans des journaux. De plus, la preuve présentée par Prosol concernant ses campagnes et ses dépliants promotionnels n’offre aucun exemple postérieur à octobre 2010, ce qui porte à croire que les marques de commerce ont été très peu employées ou qu’elles ont été abandonnées depuis ce temps. Il n’y a pas non plus de preuve sur le nombre de dépliants distribués ni sur les endroits où ils l’ont été. Pendant le contre-interrogatoire, M. Contant s’est engagé à fournir les listes de publipostage de dépliants de Prosol pour chaque année depuis 2007, mais il n’a pas tenu sa promesse malgré les demandes répétées des avocats de Custom. Il n’y a donc pas de preuve concernant les régions où Prosol a distribué ces dépliants ni concernant les consommateurs à qui ils l’ont été.

[55]           Compte tenu des éléments qui précèdent, et du peu d’importance que je peux accorder à l’affidavit de M. Contant, je conclus que la preuve de Prosol concernant la mesure dans laquelle ses marques de commerce FUSION FORCE et FUSION PATCH ou ses marques de commerce allégées comme établies en common law sont devenues connues au Canada est plutôt mince et qu’elle n’est pas suffisante pour corroborer une probabilité de confusion.

[56]           Enfin, dans la mesure où Prosol revendique l’emploi des marques déposées par ses filiales, Durox et Golden, en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi, je conviens avec Custom qu’elle ne peut revendiquer pareil emploi puisqu’elle ne satisfait pas aux exigences de cette disposition. Ainsi, rien n’indique que des licences ont été accordées aux filiales et que Prosol contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services en liaison avec lesquels les marques sont employées. Le contrôle commun de sociétés exercé par une société mère – en l’espèce, Fasco – est insuffisant pour établir l’existence d’un contrôle (Sobeys Capital Incorporated c EDENRED, 2012 COMC 86, aux paragraphes 30 à 32; Cheung Kong (Holdings) Ltd c Living Realty Inc, [2000] 2 CF 501, aux paragraphes 44 à 46). En fait, comme l’a affirmé Custom, cet emploi non contrôlé des marques de commerce « Fusion » par les filiales de Prosol a, dans une certaine mesure, affaibli le caractère distinctif allégué de ces marques.

[57]           Inversement, je suis d’avis que les marques FUSION PRO de Custom sont intrinsèquement plus fortes que les marques de Prosol puisque le mot « Fusion » employé par Custom se rapporte à des coulis, qui ne présentent aucune propriété adhésive ni [traduction] « liante ». De plus, les marques de Custom sont devenues connues : les ventes au Canada ont presque atteint un million de dollars en 2013 et elles devaient dépasser ce montant en 2014. Cette preuve n’a pas été contredite. La preuve révèle également que Custom a annoncé ses produits portant ses marques de commerce dans des magazines au Canada en 2013 et en 2014.

[58]           Compte tenu des conclusions de fait que j’ai tirées précédemment (et plus particulièrement celles qui concernent l’absence de caractère distinctif inhérent, l’emploi par d’autres propriétaires de marques de commerce incorporant le mot « Fusion » et la preuve peu fiable du caractère distinctif acquis par les marques de Prosol), je conclus que Prosol n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que ses marques de commerce avaient un caractère distinctif inhérent ou étaient devenues connues au Canada de façon importante.

(2)               La période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage

[59]           La période pendant laquelle les marques de commerce des parties ont été en usage constitue la deuxième circonstance de l’espèce à prendre en considération pour déterminer si une marque de commerce crée de la confusion. Ce facteur aide à établir l’acquisition du caractère distinctif, et, comme le juge Pinard l’a souligné dans la décision McCallum, « [p]lus la période pendant laquelle les marques de commerce ont coexisté sans véritable confusion est longue, plus il est difficile pour le demandeur de démontrer la probabilité de confusion » (au paragraphe 41).

[60]           En l’espèce, Prosol soutient que ses marques déposées et ses marques de commerce établies en common law sont en usage depuis le 1er avril 2007, soit bien avant que les marques de Custom ne soient employées pour la première fois en août 2012. Le dossier ne corrobore toutefois pas un emploi aussi antérieur des marques de Prosol, car elle n’a présenté aucune preuve digne de foi quant à l’emploi de ses marques déposées ou établies en common law avant 2009. Cela dit, la preuve démontre néanmoins que les marques de Prosol étaient employées avant que les marques FUSION PRO ne le soient pour la première fois en août 2012. Dans l’ensemble, compte tenu du fait que la période en cause est relativement courte, ce facteur revêt seulement une importance mineure.

(3)               Le genre de marchandises, services ou entreprises

[61]           La circonstance suivante à examiner est le genre de marchandises en liaison avec lesquelles les marques des parties sont employées. Plus elles sont d’un genre semblable, plus elles sont susceptibles de créer de la confusion (McCallum, au paragraphe 42; United States Polo Assn c Polo Ralph Lauren Corp. (2000), 9 CPR (4th) 51 [United States Polo], au paragraphe 18). Inversement, plus la différence est importante, moins le risque de confusion est important (Société anonyme des bains de mer et du cercle des étrangers à Monaco, Société anonyme c Monte Carlo Holdings Corp, 2012 CF 1528, au paragraphe 54).

[62]           Prosol prétend que les marchandises sont du même genre, car les parties vendent des produits qui facilitent la pose des couvre-planchers au moyen d’un adhésif ou d’un coulis.

[63]           Je ne suis pas d’accord. Contrairement à la situation dans l’arrêt Masterpiece, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où les marchandises offertes par les parties sont essentiellement et principalement les mêmes. Les marques de Prosol ont été enregistrées en liaison avec des [traduction] « adhésifs pour couvre-planchers », tandis que les marques de Custom l’ont été pour des marchandises décrites comme étant du « [c]oulis servant à installer des carreaux de céramique, de la pierre et d’autres revêtements de sol souples ». Cet autre élément contribue à réduire la probabilité de confusion au point où il est peu probable qu’il y ait confusion entre les marques de Prosol et les marques de Custom. Cela indique que le risque de confusion est faible.

[64]           Je suis d’accord avec Custom pour dire qu’il existe des différences fondamentales entre les marchandises des parties même si elles appartiennent à la même famille de produits de couvre‑planchers. La preuve confirme l’existence de distinctions importantes entre les adhésifs et les coulis. L’adhésif lie le plancher à son revêtement, tandis que le coulis est un produit de finition pour les surfaces en céramique et en pierre. Le coulis n’est pas un adhésif pour couvre‑planchers : il ne sert pas à lier deux éléments ensemble et il ne présente aucune propriété liante. Le coulis est plutôt un produit de finition pour remplir les joints et protéger la céramique ou la pierre et il contribue à l’aspect esthétique d’un plancher. Les produits de coulis vendus par Custom, dont elle a par ailleurs fourni la liste, se distinguent effectivement par la couleur de leur fini.

[65]           Qui plus est, les marques de commerce FUSION FORCE et FUSION PATCH de Prosol ne sont pas employées en liaison avec des coulis (« grout » en anglais). Prosol n’emploie pas de marque de commerce incorporant le mot « Fusion » en liaison avec du coulis, tandis que le seul produit vendu par Custom en liaison avec ses marques FUSION PRO est du coulis offert dans une vaste gamme de couleurs.

[66]           Il en résulte que les produits de coulis employés en liaison avec les marques de Custom sont suffisamment différents des produits employés en liaison avec les marques de Prosol, qui sont des adhésifs. En effet, FUSION FORCE est décrit dans les documents publicitaires de Prosol comme [traduction] un « adhésif à usages multiples » pour la pose de couvre‑planchers, qui présente des propriétés adhésives qui font qu’il [traduction] « convient également pour les revêtements en feuilles et les tapis ». Prosol précise qu’il peut être utilisé : [traduction] « Pour installer des revêtements vinyliques en feuilles avec sous-couche en fibres minérales ou en feutre. Pour installer du tapis avec un sous-tapis en jute, en polypropylène (ActionBacMD) ou en caoutchouc mousse et du revêtement vinylique en feuilles pour résidence avec sous-couche en fibres minérales et en feutre ». De la même manière, si l’on considère la marque de commerce FUSION PATCH, le produit « Fusion Patch Extreme » est décrit dans les documents promotionnels de Prosol comme [traduction] « un produit universel de ragréage de polymère modifié, conçu pour colmater les trous, les fissures, les interstices, les dépressions et autres imperfections ». Il est précisé que le produit est [traduction] « compatible avec tous les types d’adhésif de couvre-planchers ». Les documents publicitaires mentionnent de plus que [traduction] « [c]e mortier de fini lisse est spécialement conçu pour préparer la surface des planchers intérieurs de contreplaqué ou de béton avant l’installation d’un couvre-plancher tel que du tapis, du revêtement vinylique, du carrelage composite, de la céramique et du plancher de bois franc ».

[67]           Autrement dit, je suis d’avis que les marchandises en liaison avec lesquelles chacune des marques de Prosol et des marques de Custom est employée ne sont pas des produits qui ont le même usage. Je conclus que les marchandises des parties ne sont pas apparentées au point que, dans l’hypothèse où un client verrait les marques de commerce de Custom et de Prosol dans les mêmes voies commerciales, il serait amené à croire que ces produits ont la même source ou qu’il existe un lien entre les parties.

[68]           Pour évaluer le facteur relatif au « genre de marchandises, services ou entreprises » prévu à l’alinéa 6(5)c), les tribunaux commencent habituellement par prendre connaissance des enregistrements des marques de commerce et déterminer s’il existe un chevauchement dans les descriptions de marchandises (JC Penney Co c Gaberdine Clothing Co, 2001 CFPI 1333 [JC Penney]; Tommy Hilfiger, au paragraphe 53). En l’espèce, il n’y a aucun chevauchement. Les marques déposées de Prosol sont employées en liaison avec des « adhésifs pour revêtements de sol » ou des « produits de couvre-plancher, nommément adhésifs », tandis que les marques Custom sont employés pour du « [c]oulis servant à installer des carreaux de céramique, de la pierre et d’autres revêtements de sol souples ». Lorsqu’il n’y a pas de chevauchement direct (ou lorsqu’il s’agit de marques établies en common law), les tribunaux tiendront compte du type des éléments couverts par les marques de commerce, habituellement quant à leur catégorie générale. Dans l’arrêt United Artists Corp c Pink Panther Beauty Corp (1998), 80 CPR (3d) 247 (CAF) [Pink Panther], la Cour d’appel fédérale a discuté de la « catégorie générale des biens », en donnant l’exemple des « produits d’entretien domestique » et des « produits automobiles » (aux paragraphes 26 et 30).

[69]           En l’espèce, les marchandises couvertes par les marques de Prosol sont des adhésifs, et non des coulis. Les adhésifs et les coulis appartiennent peut-être à la même catégorie générale de biens, les deux étant associés à l’installation de couvre‑planchers et de revêtements, mais ils constituent des produits distincts, et ne sont certainement pas identiques au point où les marques de commerce augmenteraient la probabilité de confusion.

(4)               La nature du commerce

[70]           La quatrième circonstance est la nature du commerce. Elle concerne le type de consommateurs ciblés par les parties et le genre de magasins qui offrent les produits en liaison avec lesquels leurs marques de commerce sont employées (McCallum, au paragraphe 43; Ciba‑Geigy Canada Ltd c Apotex Inc (1992), 44 CPR (3d) 289). Là encore, plus les commerces des parties sont de nature semblable, plus le risque de confusion est élevé. La question de la confusion résultant de la vente de marchandises de marques de commerce concurrentes doit être tranchée en tenant compte des personnes susceptibles d’acheter ces marchandises (Baylor, au paragraphe 27).

[71]           En évaluant le facteur de la nature du commerce, il importe de se demander non pas si les parties vendent leurs produits par l’intermédiaire d’un circuit donné, mais bien si elles ont le droit de le faire (Masterpiece, au paragraphe 59; Pink Panther, au paragraphe 32). Ceci dit, les tribunaux devraient tenir compte du commerce actuel d’une partie pour fonder leur décision concernant la probabilité de chevauchement (Alticor Inc. c Nutravite Pharmaceuticals Inc, 2005 CAF 269, au paragraphe 37; Tradition Fine Foods Ltd c Oshawa Group Ltd, 2005 CAF 342, au paragraphe 11).

[72]           Le type de consommateurs est également un facteur à prendre en compte dans l’analyse du facteur de « la nature du commerce » prévu à l’alinéa 6(5)d). Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Mattel, « [l]e genre de clients susceptibles d’acheter les marchandises et services respectifs des parties est considéré depuis longtemps comme une circonstance pertinente » (au paragraphe 86). La probabilité de confusion sera réduite s’il est conclu que la clientèle se compose de consommateurs professionnels ou avertis. Les acheteurs avertis ou spécialisés sont beaucoup moins susceptibles de confondre des marques, peu importe la reconnaissance revendiquée à l’égard d’une marque (Baylor, au paragraphe 27). En fait, dans l’arrêt Pink Panther, au paragraphe 31, la Cour d’appel fédérale affirme précisément qu’« [u]n consommateur professionnel qui achète en gros risque moins la confusion qu’un acheteur occasionnel dans un établissement de vente au détail ». Dans loa décision Canada Wire & Cable Ltd c Heatex Howden Inc, (1986), 13 CPR (3d) 183 (CF 1re inst.), la Cour a tenu compte du fait que les consommateurs des produits en question étaient « en grande majorité, des établissements industriels. [Le juge en a conclu] qu’ils sont passablement au courant lorsqu’ils comparent les produits en vue d’acquérir les matériaux » (à la page 187). Néanmoins, le critère de la confusion – la première impression du consommateur ordinaire plutôt pressé ayant un vague souvenir de la marque de commerce – demeure en soi inchangé.

[73]           En l’espèce, Prosol avance que les parties exercent des activités commerciales identiques : elles vendent leurs produits dans des magasins à grande surface et d’autres détaillants et elles ciblent la même clientèle, y compris les entrepreneurs, les installateurs de couvre‑planchers et les consommateurs de produits domestiques. Je ne suis pas de cet avis, puisque les allégations de Prosol reposent sur très peu d’éléments de preuve. J’estime plutôt que, compte tenu de la preuve, et suivant la prépondérance des probabilités, les parties ne ciblent pas principalement la même catégorie de consommateurs et n’exercent pas leurs activités au même niveau du circuit de distribution. Leur clientèle respective et le niveau du circuit de distribution auquel chacune se situe semblent plutôt très différents. Les produits de Custom sont principalement vendus à Home Depot et à d’autres détaillants de produits domestiques. Inversement, les produits de Prosol sont destinés aux gens de métier et aux installateurs de couvre‑planchers. M. Contant a confirmé que Prosol ne dessert pas les magasins Home Depot. Qui plus est, au contre‑interrogatoire, M. Contant a confirmé que Prosol ciblait davantage les gens de métier que le grand public ou les consommateurs de produits domestiques, qui sont les cibles principales de Custom.

[74]           La liste des clients de Custom au Canada a été présentée à Prosol, et il lui a été demandé si elle vendait ses produits à des entités inscrites sur cette liste. Encore là, M. Contant s’est engagé à faire les vérifications nécessaires lors de son contre‑interrogatoire, mais Custom n’a jamais obtenu de réponse. La seule confirmation obtenue était que Prosol ne vendait pas ses produits à Home Depot, tandis que Custom y réalisait la majeure partie de ses ventes. Compte tenu de la preuve au dossier, je suis convaincu que les parties ne ciblent pas les mêmes clients et ne vendent pas leurs produits à des marchands du même niveau du circuit de distribution.

[75]           Je suis conscient du fait que, lors de son contre‑interrogatoire, M. Contant a affirmé que Prosol avait eu connaissance des produits de Custom lorsque ceux‑ci ont commencé à être vendus aux magasins Home Depot, ce qui indique que les parties pouvaient être intéressées par le même genre de détaillants qui vendent des produits d’installation de revêtements de surface et qu’un chevauchement était possible. M. Contant a également mentionné que, même si Prosol cible principalement les entrepreneurs et d’autres gens de métier, elle vend également ses produits à certains détaillants qui comptent parfois des consommateurs de produits domestiques parmi leur clientèle. Toutefois, après analyse complète de la preuve, je conclus que la nature des commerces de Prosol et de Custom est effectivement différente puisqu’elles n’exercent pas leurs activités au même niveau du circuit de distribution. Prosol vend ses produits à des cibles que sont les gens de métier et les installateurs de couvre‑planchers, et non aux utilisateurs finaux et au grand public, et la preuve ne corrobore pas qu’elle utilise le même circuit de distribution que Custom.

[76]           La Cour suprême a établi que les facteurs du paragraphe 6(5) doivent être considérés en contexte et que les différentes circonstances ne se verront pas accorder la même importance (Veuve Clicquot, au paragraphe 21). L’environnement commercial – à savoir si les marchandises sont vendues au niveau du commerce de détail ou au niveau du commerce de gros – est un élément à prendre en considération pour le facteur de la « nature du commerce » (Pink Panther, au paragraphe 31; JC Penny, au paragraphe 114). Dans les circonstances, je conclus que les différences observées dans la nature des commerces auxquels sont destinées les marques de Prosol et les marques de Custom ne corroborent pas une probabilité de confusion.

(5)               Le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son ou dans les idées qu’ils suggèrent

[77]           Le dernier facteur énuméré au paragraphe 6(5), qui doit être considéré dans l’analyse de la Cour, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. La jurisprudence a établi que, même s’il s’agit du dernier facteur énuméré au paragraphe 6(5), il constitue généralement la circonstance la plus importante de l’analyse de la probabilité de confusion (Masterpiece, au paragraphe 49; TLG Canada, au paragraphe 58; McCallum, au paragraphe 44; Canadian Tire, au paragraphe 32). Les autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) revêtent une plus grande importance lorsque les marques de commerce sont jugées identiques ou très semblables.

[78]           La ressemblance est le rapport entre des objets de même espèce présentant des éléments identiques, et elle sous-entend l’idée de similitude (Masterpiece, au paragraphe 62). Dans son analyse du degré de ressemblance, la Cour doit comparer les marques de commerce dans leur ensemble, et non en examinant séparément leurs éléments constitutifs ou en les plaçant l’une en regard de l’autre pour les comparer et observer les ressemblances ou les différences de ces éléments (McCallum, aux paragraphes 33 et 44, United States Polo, au paragraphe 18, Café Cimo Inc c Abruzzo Italian Imports Inc, 2014 CF 810, au paragraphe 34). Il est également important d’analyser chacune des marques de Prosol et de Custom puisqu’une seule marque de commerce créant de la confusion suffira à invalider les enregistrements de Custom (Masterpiece, aux paragraphes 42 à 48).

[79]           La ressemblance entre deux marques de commerce s’analyse en tenant compte des caractéristiques qui les définissent, puisque seuls ces éléments « permettront aux consommateurs de faire la distinction entre les deux marques de commerce » (Masterpiece, au paragraphe 61). En l’espèce, comme les marques de Custom se composent seulement des mots « Fusion Pro » et du dessin les accompagnant, les différences et les similarités avec les marques FUSION FORCE et FUSION PATCH de Prosol et ses marques de commerce établies en common law doivent être évaluées à partir de ces mots.

[80]           Comme la marque nominale FUSION PRO est l’élément qui se rapproche le plus des marques de commerce de Prosol, la comparaison entre les marques de commerce de Prosol et cette marque nominale de Custom sera déterminante : s’il se révèle qu’elle n’est pas susceptible de créer de la confusion avec les marques de commerce de Prosol, il est inutile d’examiner les autres marques qui, en raison notamment de leurs dessins, sont beaucoup moins semblables aux marques de commerce de Prosol.

[81]           Prosol soutient qu’il existe une énorme ressemblance entre les deux marques déposées, FUSION FORCE et FUSION PATCH, et les marques FUSION PRO de Custom, en raison de l’emploi commun du mot « Fusion ». Custom réplique que, au contraire, les marques de commerce des parties ne se ressemblent pas parce qu’elles sont différentes du point de vue du son et des idées qu’elles suggèrent, le mot commun « Fusion » étant employé dans chaque cas avec quelque chose d’autre. Qui plus est, eu égard au fait qu’elles ont en commun le mot « Fusion », Custom avance que cet élément commun figure également dans plusieurs autres marques de commerce utilisées dans le même secteur d’activité, si bien que les acheteurs tendent à porter davantage leur attention sur les éléments non communs, ce qui distingue davantage les marques de Prosol de celles de Custom (Molson, au paragraphe 8). Custom affirme que cela est particulièrement vrai dans le cas de FUSION PATCH, qui est toujours suivie du mot « Extreme » – à savoir, « FUSION PATCH EXTREME ».

[82]           De toute évidence, les marques de commerce en cause en l’espèce ont le mot « Fusion » en commun. Toutefois, la preuve confirme en fait que bon nombre d’autres marques de commerce du secteur des couvre‑planchers comportent également ce mot, ce qui incite vraisemblablement les consommateurs à porter leur attention sur d’autres éléments non communs. Les marques de commerce doivent être considérées dans leur ensemble, et, ce faisant, eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour est amenée à conclure à l’absence de confusion. Comme le mot « Fusion » est un mot couramment utilisé dans le secteur des couvre‑planchers et aussi un mot suggestif, les autres mots employés dans les marques de commerce servent à les distinguer et à les rendre dissimilaires.

[83]           Custom l’emploie avec le mot « Pro », tandis Prosol a recours aux mots « Force » et « Patch ». L’emploi du mot « Force » dans la marque FUSION FORCE implique l’idée d’un degré d’adhérence très élevé et fiable, tandis que le mot « Patch » dans la marque FUSION PATCH met l’accent sur les propriétés liantes des marchandises, où le mot « patch » suggère l’idée de lier deux choses ou l’action d’appliquer une substance sur une zone. Ces deux mots qui sont ajoutés se rapportent à l’idée générale suggérée par les produits adhésifs. Par contre, le mot « Pro » employé dans les marques FUSION PRO exprime de manière dissemblable l’idée d’un produit liant de qualité professionnelle, plutôt que le procédé d’adhérence ou de liaison comme tel. Je suis d’avis que, contrairement aux mots « Force » ou « Patch » dans les marques de Prosol, le mot « Pro » dans les marques de Custom est un élément qui contribue à les différencier des marques de Prosol.

[84]           Je souligne de plus que le mot « Fusion » dans les marques de Prosol n’est pas suivi de l’abréviation « TM » (ou « MD » en français) et que cette abréviation apparaît plutôt à la suite de l’énoncé complet d’une marque de commerce alléguée, par exemple Fusion Patch Extreme™. Prosol a tendance à placer cette abréviation après d’autres mots que le mot « Fusion » dans ses marques de commerce, dans une position qui n’est pas rapprochée de celui‑ci, ce qui révèle une reconnaissance du fait que ce mot commun descriptif ne peut être monopolisé. Sur le plan de la présentation, j’ajouterais que la deuxième partie des marques déposées ou des marques de commerce établies en common law (par exemple, « Force », « Patch », « Gold » ou « Black ») sont des noms ou des adjectifs qui contribuent effectivement à minimiser la domination de la première partie des marques – par l’emploi du mot « Fusion ». En outre, tel qu’il a été mentionné précédemment, le mot « Fusion » est toujours employé par Prosol avec quelque chose d’autre dans ses marques de commerce et il n’est jamais employé seul.

[85]           Je constate également que, en ce qui a trait au son, les marques de commerce se ressemblent, parce qu’elles ont en commun le mot « Fusion » dans tous les cas. Dans le cas de la marque FUSION PATCH, il y a encore plus de ressemblance puisque, lorsqu’on la compare à la marque FUSION PRO, toutes les deux renferment un deuxième mot commençant par la lettre « P ». Toutefois, ce fait est, dans une certaine mesure, contrebalancé par l’emploi constant du mot « Extreme » avec cette marque particulière – à savoir, FUSION PATCH EXTREME. La similarité quant au son du mot « Fusion » n’est pas suffisante, à mon avis, pour étayer l’argument de la ressemblance puisque le mot « Fusion » n’est pas utilisé seul en tant que marque de commerce.

[86]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, même s’il est vrai que le mot « Fusion » est sans doute l’élément dominant des marques de commerce des parties, je n’ai pas la conviction que, compte tenu du caractère distinctif peu marqué du mot « Fusion » et des autres mots employés dans les marques de commerce en cause, il existe un degré élevé de ressemblance entre les marques de commerce des parties.

(6)               Autres circonstances de l’espèce

[87]           Le paragraphe 6(5) n’énumère pas toutes les circonstances de l’espèce à prendre en considération dans l’évaluation de la confusion. Dans une situation déterminée, il peut exister d’autres facteurs pertinents dont la Cour devrait tenir compte.

[88]           En l’espèce, Custom mentionne deux autres facteurs à prendre en compte, qui, selon elle, ne penchent pas en faveur de l’existence d’une probabilité de confusion. Je souscris à cet argument. Premièrement, Custom souligne que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada n’a pas jugé que ses marques de commerce créaient de la confusion avec les marques de Prosol et a accepté d’enregistrer les marques de Prosol sachant que le registre comportait déjà nombre de marques de commerce du secteur des couvre-planchers qui emploient le mot « Fusion ». Deuxièmement, Custom fait ressortir l’absence de cas de confusion réelle entre les marques de commerce des parties. Même si ce facteur mérite d’être souligné, je demeure cependant conscient du fait qu’il est sans importance particulière, et encore moins déterminant, étant donné que la confusion doit être évaluée en vertu de l’article 6 de la Loi « non pas en recherchant si oui ou non elle se présente, mais plutôt si elle est “susceptible” de se présenter » (Chamberlain Group, Inc c Lynx Industries Inc, 2010 CF 1287, au paragraphe 38).

[89]           Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, je conclus donc que, dans l’ensemble et suivant la prépondérance des probabilités, il n’existe aucun risque de confusion entre les marques de Custom et les marques déposées et établies en common law de Prosol. Même si les marques FUSION FORCE et FUSION PATCH de Prosol étaient utilisées quelques années avant les marques FUSION PRO de Custom, elles ne se démarquent pas des marques de Custom, en raison de leur caractère distinctif inhérent ou acquis peu marqué, de la dissimilarité dans le genre des marchandises, de la nature différente des commerces des parties et de la présentation des marques ou des idées qu’elles suggèrent. Les marques de Custom diffèrent des marques de Prosol à bien des égards, puisqu’elles emploient le mot « Pro » au lieu des mots « Force » ou « Patch » en complément du mot courant « Fusion » et que deux d’entre elles présentent un dessin particulier. De plus, les deux groupes de marques appartiennent à des familles de produits ou à des marchandises différentes.

[90]           Par conséquent, dans le présent contexte, il est difficile d’imaginer qu’un consommateur plutôt pressé ayant un vague souvenir des marques de Prosol est susceptible de croire que les marchandises en liaison avec lesquelles les marques de Custom sont employées sont fabriquées, vendues ou offertes par la même source que les marques de Prosol ou qu’elles en émanent. Le consommateur visé en l’espèce est une personne de métier qui, comparativement au consommateur de produits domestiques, est davantage apte à différencier les marques de commerce lorsqu’elles sont utilisées en rapport avec des produits adhésifs ou des coulis. Le critère demeure celui de la première impression et du vague souvenir et, à mon avis, une personne de métier, en raison de son savoir-faire, ne serait pas susceptible de confondre la source des marques FUSION PRO avec celle des marques FUSION FORCE ou FUSION PATCH ou des autres marques de Prosol établies en common law.

IV.             Conclusion

[91]           Compte tenu de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu que, en voyant les marques de Custom, un consommateur ordinaire n’ayant qu’un vague souvenir des marques de Prosol serait susceptible de croire que la source des marchandises liées aux marques de Custom est la même que celle des marchandises liées aux marques de Prosol.

[92]           Par conséquent, je conclus que Prosol ne s’est pas acquittée du fardeau de présentation de la preuve et que la preuve n’étaye pas la radiation des marques de Custom, sur la base des alinéas 18(1)a) ou d) de la Loi. La preuve n’est tout simplement pas suffisante pour soutenir la demande de Prosol. Par conséquent, je conclus que Prosol n’a pas réussi à démontrer que les enregistrements des marques FUSION PRO de Custom sont invalides parce qu’elles créent de la confusion et, par conséquent, je rejette la demande de radiation présentée en vertu de l’article 57 de la Loi.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Les parties devront déposer des observations écrites ne dépassant pas 5 pages sur la question des dépens, dans les 7 jours suivant la date du présent jugement.

« Denis Gascon »

Judge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-874-14

INTITULÉ :

DISTRIBUTION PROSOL PS LTD c CUSTOM BUILDING PRODUCTS LTD

LIEU DE L’AUDIENCE :

MontrÉal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 AVRIL 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 15 OCTOBRE 2015

COMPARUTIONS :

Henri Simon

POUR LA DEMANDERESSE

Scott Miller

Jahangir Valiani

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon Legal, Avocats – Attorneys

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

MBM Intellectual Property Law

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 



[1] Prosol mentionne également une troisième marque, FUSION FLEX, dans ses observations écrites. Toutefois, comme elle n’en a pas fait mention dans son avis de demande et n’a présenté aucune preuve ni aucun argument s’y rapportant, cette marque ne sera pas prise en compte dans le présent jugement.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.