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Date : 20151021


Dossier : IMM-518-15

Référence : 2015 CF 1191

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 octobre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

SHAYAN SHAHIDI

ROYA HAJISEYED JAVADI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les demandeurs sont des citoyens de l’Iran qui affirment craindre d’être persécutés dans leur pays en raison de leur conversion au christianisme. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté leur demande d’asile pour des motifs de crédibilité, décision que la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a subséquemment confirmée.

[2]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR, au motif que celle-ci aurait commis une erreur en accordant de la déférence aux conclusions de la SPR quant à leur crédibilité. Ils soutiennent en outre qu’il était déraisonnable pour la SAR, après avoir conclu que la SPR avait commis plusieurs erreurs dans son évaluation de leur crédibilité, de confirmer la décision de la SPR. Ils affirment également qu’ils n’ont pas eu droit à une instruction équitable de leur demande d’asile, car la SPR aurait fait preuve d’un zèle excessif dans son évaluation de leur crédibilité afin d’obtenir le résultat voulu, et que la SAR a commis une erreur en ne le reconnaissant pas. Enfin, ils prétendent que la SAR a commis une erreur en omettant de prendre en compte le caractère « sur place » de leur demande d’asile.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis les erreurs alléguées. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

I.                   La norme de contrôle appliquée à par la SAR

[4]               Tout en reconnaissant que le droit à cet égard n’est pas encore fixé, la SAR a déclaré qu’elle appliquerait la norme de contrôle établie par la Cour dans la décision Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 RCF 81. Dans cette décision, la Cour a conclu que c’était une erreur pour la SAR que d’appliquer la norme de la raisonnabilité à l’examen des décisions de la SPR comme s’il s’agissait du contrôle judiciaire de la décision de  la SPR. La SAR doit plutôt agir comme un tribunal d’appel et mener une « procédure d’appel hybride » dans laquelle elle examine tous les aspects de la décision de la SPR et en arrive à sa propre conclusion en fonction de la preuve. La SAR ne devrait faire preuve de déférence envers les conclusions de la SPR que dans les cas où celle-ci jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion, par exemple l’évaluation de la crédibilité.

[5]               Bien que les demandeurs aient généralement accepté la norme de contrôle établie dans Huruglica, ils contestent la notion que la SAR soit dans certains cas tenue de faire preuve de déférence envers les conclusions de la SPR, notamment en matière de crédibilité.

[6]               La difficulté que pose l’argument des demandeurs est que la SAR n’indique nulle part dans ses motifs qu’elle a fait preuve de déférence envers une quelconque conclusion de la SPR. La SAR a examiné la preuve dont avait été saisie la SPR et elle a écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR. Elle a examiné la preuve au dossier et elle a tiré ses propres conclusions quant à l’importance des éléments de preuve, de sorte qu’elle s’est montrée parfois en accord avec la SPR, et parfois en désaccord.

[7]               Le fait que la SAR souscrive à certaines des conclusions de la SPR ne signifie pas qu’elle a fait preuve de déférence envers celle-ci. En fait, il ressort clairement de ses motifs que la SAR a effectué son propre examen indépendant de la preuve et qu’elle a tiré sa propre conclusion quant au bien-fondé de la demande d’asile des demandeurs. C’est exactement ce que la SAR aurait dû faire selon les demandeurs.

II.                L’analyse « microscopique » de la SPR

[8]               À plusieurs reprises, la SAR a jugé que les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR résultaient d’une analyse microscopique de la preuve. Les demandeurs soutiennent que la jurisprudence a établi depuis longtemps que le fait pour la SPR d’effectuer une analyse microscopique de la preuve produite à l’appui d’une demande d’asile constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire et qu’il était déraisonnable pour la SAR de confirmer la décision de la SPR après avoir conclu que celle-ci avait procédé à une telle analyse.

[9]               Je ne souscris pas à cet argument. Le fait que la SAR ait critiqué certaines des conclusions de la SPR ne fait que confirmer qu’elle a procédé à son propre examen indépendant de la preuve et qu’elle a tiré ses propres conclusions quant au bien-fondé de la demande d’asile des demandeurs. Bien qu’elle ait effectivement conclu que certaines des conclusions tirées par la SPR s’appuyaient sur un examen microscopique de la preuve, elle a estimé que de nombreuses autres conclusions étaient justifiées et que ces autres conclusions suffisaient à affaiblir la crédibilité globale du récit des demandeurs. Il s’agit d’une conclusion que la SAR pouvait raisonnablement tirer au regard de la preuve dont elle disposait.

III.             Le fait de ne pas avoir eu droit à une instruction équitable

[10]           Bien qu’ils assurent [traduction] « ne pas soulever d’allégation formelle de partialité » de la part de la SPR parce que le seuil pour établir la partialité est élevé, les demandeurs affirment néanmoins ne pas avoir eu droit à l’instruction équitable de leur demande d’asile en raison du zèle excessif de la SPR, qui avait [traduction] « tranché d’avance » l’affaire et qui entretenait des [traduction] « préjugés » contre les demandeurs. Les demandeurs soutiennent également que la SAR a commis une erreur en omettant de reconnaître que la SPR [traduction] « cherchait à les attraper ».

[11]           Malgré les protestations des demandeurs, une allégation selon laquelle un décideur a tranché d’avance une affaire, entretient des préjugés contre une partie ou cherche à attraper une partie constitue une allégation de partialité réelle, et la partie qui soulève une telle allégation ne peut éviter le critère de la partialité même si elle prétend le contraire.

[12]           Le critère servant à déterminer s’il y a partialité réelle ou crainte raisonnable de partialité relativement à un décideur en particulier est bien connu : la Cour doit se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. En d’autres mots, cette personne croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste : voir Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394, 68 DLR (3d) 716.

[13]           Une allégation de partialité, particulièrement une allégation de partialité réelle par opposition à une allégation de crainte de partialité, est une allégation sérieuse, car elle met en cause l’intégrité même du décideur dont la décision est contestée. Par conséquent, le seuil pour établir la partialité véritablement élevé : R. c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 113, 151 DLR (4th) 193.

[14]           À l’appui de leur argument de partialité, les demandeurs soulignent les occurrences où la SAR a jugé que l’examen de la preuve par la SPR avait été microscopique de même que la conclusion de la SAR selon laquelle la SPR s’était montrée plutôt vigoureuse dans son interrogatoire des demandeurs. Toutefois, cela ne permet pas d’établir qu’il y a eu partialité de la part de la SPR, d’autant plus que les demandeurs étaient représentés par un avocat à l’audience devant la SPR et que celui-ci ne s’est alors aucunement opposé à la conduite du président de l’audience.

[15]           À l’appui de leur argument voulant que l’instruction de leur demande d’asile n’ait pas été équitable, les demandeurs soulignent notamment une conclusion de la SPR concernant leurs affirmations selon lesquelles ils ont prié au téléphone avec des coreligionnaires chrétiens en Iran. La SPR a conclu que cette affirmation était invraisemblable, étant donné que le gouvernement iranien a la réputation de surveiller de près les communications téléphoniques. Les demandeurs ont affirmé qu’il s’agissait d’un exemple où la SPR [traduction] « a exagéré ou poussé les limites pour justifier une décision défavorable » et que la SAR a commis une erreur en [traduction] « approuvant comme s’il s’agissait d’une simple formalité » cette conclusion.

[16]           Cet argument comporte deux problèmes. Le premier est qu’une telle conclusion d’invraisemblance comme est loin de prouver que la SPR s’est montrée fermée d’esprit. Le second, qui est encore plus fondamental, est que les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion de la SPR dans leurs observations à la SAR. En conséquence, on peut difficilement reprocher à cette dernière de n’avoir pas pris en considération des observations qu’on ne lui avait pas présentées.

[17]           Lorsqu’est soulevée une question d’équité procédurale, la Cour doit établir si le processus suivi par le décideur satisfait au degré d’équité requis dans toutes les circonstances : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339. Après avoir examiné l’affaire, je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils avaient été privés d’une audience équitable en l’espèce.

IV.             La demande « sur place »

[18]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en omettant de prendre en considération le caractère « sur place » de leur demande d’asile, bien qu’ils reconnaissent n’avoir pas non plus soulevé cette question devant la SAR.

[19]           Les demandeurs avancent qu’on ne devrait pas leur reprocher de ne pas avoir demandé l’asile durant les cinq mois qu’ils ont passés au Royaume-Uni ou durant les sept premiers mois qu’ils ont passés au Canada, parce qu’ils n’avaient pas de raison de craindre d’être persécutés en Iran avant le 2 septembre 2013. C’est à cette date que la mère de la demanderesse les aurait informés qu’ils étaient recherchés par la police des services secrets iraniens pour apostasie et que d’autres membres de leur Église avaient déjà été arrêtés.

[20]           Encore une fois, cet argument comporte deux problèmes. Le premier est que ni la SPR ni la SAR n’ont cru les demandeurs quand ils ont affirmé qu’ils étaient recherchés pour apostasie, et toutes deux ont expliqué clairement pourquoi elles n’avaient accordé aucune valeur aux sommations produites à l’appui.

[21]           Le second est que tant la SPR que la SAR sont arrivées à la conclusion de fait que des personnes instruites comme les demandeurs auraient connu bien avant le 2 septembre 2013 les risques de persécution auxquels sont exposés les convertis chrétiens en Iran. Pour cette raison, le fait pour les demandeurs de n’avoir pas demandé l’asile au Canada a été jugé contraire, selon des attentes raisonnables, à la façon dont une personne à risque agirait. Cette conclusion était tout à fait raisonnable.

V.                Conclusion

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23]           Les demandeurs suggèrent que la présente affaire pourrait soulever une question relativement à l’obligation pour la SAR de prendre en considération le caractère « sur place » d’une demande même si cette question n’est pas soulevée par le demandeur dans ses observations formulées en appel. Cependant, les demandeurs n’ont proposé aucune question précise à cet égard.

[24]           Étant donné que le fondement factuel de la question n’a pas été établi et qu’une réponse à celle-ci ne trancherait pas la présente affaire, je choisis de ne pas certifier de question.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-518-15

INTITULÉ :

SHAYAN SHAHIDI, ROYA HAJISEYED JAVADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 21 octobre 2015

COMPARUTIONS :

J. Randal Montgomery

pour les demandeurs

Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Randal Montgomery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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